Les murmures du musée (EVP)
Venez donc me rendre hommage, à moi, la plus belle des manchotes !
Vous qui détournez les yeux quand la jeune fille en fauteuil passe près de vous, quand l’aveugle croise votre chemin, quand des mains bavardent pour se parler. Belle revanche des handicapés !
Et bien moi, vous m’admirez, vous me trouvez belle, vous n’arrivez même pas à imaginer mes bras perdus.
Quoi ? Vous cherchez encore qui vous parle ? Moi : Aphrodite de Mélos !
Comment ça qui ? Aphrodite de Mélos vous dis-je ! C’est mon nom, le vrai, pas ce sobriquet ridicule que vous me donnez : Vénus de Milo, d’abord parce que je suis belle et bien grecque ! Alors vos latinades de pages roses…Et puis Milo c’est du grec moderne alors bonjour l’anachronisme !
Appelez-moi par mon nom, nom de Zeus !
Déjà, vous croyez que ça me fait plaisir que tous vos regards se posent sur ma quasi nudité, moi qui étais si pudique.
C’est un coup du sculpteur, seul un homme peut vous faire un coup pareil : Il me demande de poser. Moi, la veille, évidemment, le grand jeu : Une demi-journée aux bains, épilation, masque à l’argile, massage…Le matin, une heure pour choisir ma plus belle tunique, un fil de laine arachnéen au tombé impeccable, une fibule d’or ciselé, mes deux bracelets d’ivoire, encore une petite retouche à ma coiffure et hop ! Rayonnante, magnifique !
Son atelier : Une esplanade poussiéreuse ! Il avait juste tendu une toile épaisse pour me protéger des curieux, il me regarde à peine et lance : « Déshabille-toi ! »
Ah ! Mais je lui ai bien dit qu’il n’en était pas question, et que pour qui il me prenait, et que j’étais une femme respectable, et que ceci et que cela…
« Arrête ton char et pose tes fesses là ! » Vous voyez un peu la délicatesse du personnage !!
Mais bon, vous voyez aussi le résultat : Grossier mais pas manchot, lui.
J’ai presque 3000 ans et pas une ride ! Mon corps de chair est depuis longtemps poussière…Mais mon essence est là, dans ce bloc parfait.
N’empêche de tout ce temps pas un seul qui n’ait eu le tact de me proposer une petite toge de lin, une cape pour me couvrir : rien !
Non, vous pensez ! Bien trop occupé à mater mes petits seins parfaits, ma chute de reins affolante, ma cuisse solide ou mon nez élégant…
Mais, l’air de rien, moi aussi je vous regarde, vous, les curieux. J’aime ceux qui restent bouche bée, émus sincèrement par ma beauté intemporelle.
D’autre fois, c’est nettement moins marrant, tenez hier même, deux petites péronnelles d’une classe de seconde : « Ben dis donc, elles étaient plutôt grosses les dondons grecques ! »
Non mais j’t’assure ! Y’a des baffes qui se perdent et une mandale de manchote, tu verras pas ça souvent…Hihihi…Enfin, j’dis ça, j’dis rien hein…De toutes façons moi j’m’en fous, je sais rester de marbre…Hihihi Pfiou !!