Le vieux grimoire (Mamido)
D’où elle était Loona ne parvenait pas encore à déchiffrer totalement ce qu’il y avait d’écrit sur la première page du livre. Elle n’en distinguait que des bribes, au fil des pages qui se tournaient et retournaient, comme agitées par un souffle invisible : « Le… Fa… Mo… Magi… »
Pourtant, ce déchiffrage partiel la remplit d’allégresse. Elle l’avait enfin retrouvé, le fameux grimoire que la Société recherchait depuis des années. La bible des magiciens ! Les écrits du Maître, disparus avec lui lors du grand chaos.
Malgré les interdictions et les poursuites, les magiciens n’avaient jamais renoncé à exercer leur talent. Ils s’étaient contentés de disparaître, de rentrer dans la clandestinité, exerçant leur art en cachette et le transmettant à quelques rares initiés afin qu’il perdure, dans l’attente de jours meilleurs. Le roi Fredj avait dissout leur Société mais une autre, souterraine s’était peu à peu constituée, prête à rejaillir, à tout instant. Il ne manquait plus que le Livre !
Celui-ci flottait doucement dans les airs, émergeant à grand peine de l’Invisible dans lequel le Maître l’avait dissimulé, il y a si longtemps. La voix basse et rauque de Loona tremblait, hésitante. Elle butait sur la longue et difficile formules ancestrale que les Vigilantes se transmettaient de mère en fille. Mais au fur et à mesure qu’elle la prononçait la voix de la jeune fille se raffermissait. Les Vigilantes avaient été choisies par le Maître et chargées de ramener le Livre quand elles jugeraient le temps venu. Et le temps était venu !
Avec la mise au ban des magiciens, l’assistance médicale et l’éducation que ceux-ci prodiguaient gratuitement aux plus démunis s’étaient raréfiées pour peu à peu s’éteindre. Au début, pourchassés, ils devaient se cacher et de moins en moins de gens avaient su où les trouver et osé leur demander de l’aide. Puis, le temps passant, leurs anciennes pratiques étaient passées au rang de légendes que l’on racontait aux enfants le soir avant qu’ils s’endorment.
Mais, après un long temps de soumission à l’ordre établi par Fredj, le despote, puis par ses successeurs, tous aussi terrifiants, ici et là, des individus commençaient à se révolter et se soulever.
Avec le Livre et tout le savoir qu’il contenait, les Magiciens pourraient reprendre leur noble tâche et aider le peuple à sortir des temps obscurs. Loona ne devait pas faillir à sa tâche.
Dès les derniers mots de la formules prononcés, le vieux grimoire vint gentiment se poser entre les mains de Loona et celle-ci put enfin lire de ses propres yeux le titre qu’elle avait entendu prononcer maintes et maintes fois par ses mères, dans le plus grand secret de leurs réunions : « Le Fabuleux Monde Magique ».
Les initiales « LFMM », gravées sur des pierres, dans des cryptes, comme un symbole de leur grandeur passée et de leur future renaissance, fleurissaient depuis quelques temps comme un slogan sur les murs, tracées hâtivement par des insoumis de plus en plus nombreux, pourchassés par un régime usé qui ne tiendrait plus très longtemps.
Celui ou celle qui brandirait le Livre et prononcerait les bonnes paroles soulèverait le peuple en lui apportant l’espérance de jours meilleurs et d’une liberté retrouvée.
Loona savait que ce serait une lutte longue, difficile et dangereuse mais elle ne doutait pas que, tous ensemble, ils y parviendraient.