H comme hasard (Adrienne)
C'était un mardi comme un autre.
A midi trente, les repas sont avalés, Nathalie et ses deux collègues remettent tout en ordre au réfectoire. Comme d'habitude, on pourrait nourrir une centaine de Biafrais avec les restes des plats et des assiettes.
Le dessert n'a pas eu de succès: le mardi, c'est le jour du fruit. Les élèves préfèrent les gaufres de Liège et les tartelettes à la frangipane, mais on continue à leur offrir une pomme, une poire ou un kiwi le mardi. Il en reste toujours un bac entier qu'on va ensuite déposer dans la salle des profs. Faisant partie de la génération qui a sans doute le mieux intégré le message des cinq fruits et légumes par jour, les profs font rapidement disparaître tout ça dans la profondeur de leur cartable ou le dégustent sur place. Chacun sait que dans ce métier, on a besoin de vitamines
Quand les vaisselles sont faites, les chaises rangées, les tables nettoyées, le sol lessivé, Nathalie peut rentrer chez elle. Mais comme il lui reste un peu de temps avant d'aller chercher sa cadette à l'école primaire, elle passe par le secrétariat, qu'elle trouve vide. Il sera bientôt trois heures et tout le personnel est apparemment encore à la pause café.
Tout le monde, sauf Lucie qu'elle n'avait d'abord pas remarquée et qu'elle voit tout à coup s'écrouler et tomber. Elle se précipite pour essayer de briser sa chute et l'aider à se relever mais sent tout de suite qu'une chose grave est arrivée.
- Au secours! au secours! il est arrivé quelque chose à Lucie!
Il y a eu alors une succession incroyable d'actes justes, précis et quasiment miraculeux: une secrétaire accourue a commencé les massages cardiaques, une collègue savait que le jeune remplaçant du prof de gym faisait son cours dans la salle numéro 1 et qu'il savait faire lui aussi les massages cardiaques, un petit stagiaire est arrivé au même moment, à eux trois ils se sont relayés pendant une vingtaine de minutes, s'encourageant mutuellement, en attendant l'arrivée de l'ambulance.
L'hôpital est dans la même rue, mais à trois heures de l'après-midi, toute la circulation autour de l'école est bouchée par les nombreux parents et grands-parents venus chercher les enfants à la sortie. De ces parents et grands-parents qui font fi de toutes les règles et qui se fâchent quand on ose leur dire qu'ils sont mal garés, alors qu'on le leur dit pour la sécurité de leurs propres enfants et qu'il y a un parking énorme juste à côté.
Vingt minutes de massages cardiaques, qu'on a poursuivis avec l'aide des ambulanciers, puis les électrochocs: le cœur de Lucie s'est remis à battre. L'ambulance a pu refaire le chemin en sens inverse, avec encore plus de difficulté vu le nombre croissant de voitures aux approches de la sonnerie de fin des cours.
Au bout de cinq jours de coma plus ou moins artificiel, Lucie a ouvert les yeux.
- Apportez-moi mon ordinateur portable, a-t-elle dit à son frère, j'ai des trucs à faire pour l'école.
histoire véridique arrivée le mardi 22 novembre 2011 : seuls les prénoms ont été changés