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Le défi du samedi
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3 septembre 2011

Vert et pas mur (Poupoune)

Le gosse était pas là depuis trois jours qu’il parlait déjà de faire le mur. Il était pas fait pour la taule. Pas qu’y ait des mecs vraiment faits pour, mais disons qu’y en a qui supportent mieux. Lui, il supportait tellement pas qu’il grattait le mur avec ses doigts la moitié de la nuit, des fois qu’à force ça finirait par lui faire un tunnel, et l’autre moitié il pleurait. Du coup il dormait pour ainsi dire pas et je donnais pas cher de sa peau s’il faisait pas un peu plus gaffe à lui.

Depuis le temps que je moisissais entre ces murs, moi, j’en avais vu passer des jeunots que l’enfermement rendait dingues, mais lui… je sais pas. Il avait comme un truc un peu fou dans le regard qui faisait que quand il disait qu’il pouvait pas passer une minute de plus dans cette taule, non seulement je le croyais, mais en plus j’avais vraiment envie de l’aider à en sortir. Même si ça me plaisait pas plus que ça de m’attirer des emmerdes. J’étais peinard, moi, là. Contrairement au gosse, c’est la vie dehors qui me réussissait qu’à moitié. Alors tous ces marlous qui sont passés par ma cellule en jurant qu’ils se feraient la belle avant que j’aie eu le temps de m’habituer à leurs ronflements, je les écoutais poliment et je les laissais élaborer des stratagèmes tous plus foireux les uns que les autres pour faire le mur, mais je m’en mêlais pas. Et je me suis habitué non seulement à leurs ronflements, mais aussi à leurs flatulences et autres nuisances nocturnes. Mais ce gosse… c’était pitié de le regarder dépérir à vue d’œil. J’étais sûr qu’il crèverait en moins d’un mois si on faisait rien pour lui.

J’ai profité de mon ancienneté et de certains rapports privilégiés que j’avais avec les matons pour essayer de l’aider sans me compromettre, mais ça changeait pas grand-chose : d’heure en heure il paraissait plus maigre, plus malade, plus triste, plus proche de la fin. Alors j’ai fini par lui dire que j’allais l’aider à faire le mur. Ça a suffi à lui redonner un peu la santé. Chaque jour, je dévoilais des bribes d’un plan qui pourrait peut-être marcher… Lui y croyait à fond et il semblait revivre. Je m’en voulais un peu de faire traîner les choses, j’avais l’impression de le faire marcher, mais plus tard on devrait mettre le plan à exécution, plus tard je m’exposerais à des emmerdements qui ne manqueraient pas de me pourrir le quotidien.

En attendant, il grattait toujours le mur la nuit et il avait toujours pas l’air bien vaillant, mais il allait quand même mieux. C’est l’impression que j’avais en tout cas, jusqu’au jour où on l’a retrouvé pendu avec la corde qu’on avait commencé à tisser pour notre évasion. On n’en avait pas vraiment besoin, je lui avais seulement fait faire pour concrétiser un peu le projet. Pour l’aider à tenir.

Je m’en suis voulu à mort.

Alors pour honorer sa mémoire, j’ai décidé de faire le mur conformément au plan qu’on avait élaboré ensemble. Quoi qu’il arrive. Tant pis. Il me semblait que je lui devais bien ça.

 

Depuis, certains matins, quand je me réveille au son des vagues et que le soleil illumine déjà le petit intérieur coquet que je partage avec un genre de déesse des îles, j’ai besoin d’aller vérifier que la porte n’est pas verrouillée et de faire quelques pas sur la plage pour m’assurer que je ne rêve pas. Mais la plupart du temps je m’aperçois que j’ai quasiment oublié cette foutue vie entre quatre murs et que finalement, j’étais plutôt fait pour vivre libre.

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Commentaires
S
Excellent ! Dans ta trempe, bien que ça finisse pas trop mal !!!<br /> Bravo.
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V
sa vie ne tenait qu'à un fil! il a quand même fait la belle et passé derrière le mur !
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E
Ah oui !! J'ai adoré.
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A
ooohhh! Poupoune qui se met à écrire des contes de fées!<br /> j'aime ;-)
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Z
j'ai adoré cette histoire qui finit presque bien <br /> et qui est presque morale : le môme qui donne des envies de liberté au gars résigné c'est super bien trouvé !
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M
Poupoune et le bandit au grand coeur !!!! SUPER !!!
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P
Tiens ? Une fin heureuse (presque) ? C'est inhabituel.
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V
Comme quoi les bonnes idées il faut les garder pour soi! Belle histoire Poupoune
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J
Plutôt qu'à Fleury-Mérogis, choisissez de vivre dans les a-taules !<br /> <br /> Joli conte de rentrée, Majesté !
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W
Et voilà, il suffit d'une étincelle et les murs sautent (ou on les saute) !
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J
Ah okay, je me disais que le vieux allait le tuer directement, mais c'est vrai que cela lui aurait tiré d'autres emmerdements, comme tu dis.<br /> <br /> Je pensais à l'Abbé Faria en te lisant. Heureusement pour Dantès qu'il ne soit pas tombé dans la taule que tu as créée ! ;-)<br /> <br /> Excellent, comme d'habitude, Poupoune !
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