Poiscaille d'avril (Vegas sur Sarthe)
Tout avait commencé par un matin de printemps comme les autres. Je venais à peine de sortir du nid où j'avais passé une nuit d'enfer lorsqu'un rire inhabituel m'a fait sortir de l'herbier.
C'est pas courant de rire dans notre milieu surtout pour une carpe peu diserte et pourtant elle riait fort, pas autant qu'une baleine mais elle riait.
J'ai aussitôt passé mon chemin pour filer à la caisse d'épargne d'autant que je commençais gravement à manquer de liquide.
L'employée - un thon amorphe qui devait bien peser vingt cinq livres - riait aussi à s'en vider les ballasts, alors j'ai vite pris l'oseille et je suis parti.
Il flottait dans l'air ou plutôt dans l'eau - oui c'est possible - une sorte d'atmosphère de rigolade qui m'échappait, comme si tous les pêcheurs de Marseille avaient amorcé au Pastis mais c'était un peu tôt pour la saison.
Au coin de l'avenue de l'Océan une paire de loches cessa de se bécoter pour se boyauter dans mon dos; d'un coup de queue j'ai filé pour ne plus entendre leurs gloussements mais le vieux congre qui tient le Musée des Hameçons riait lui aussi de toutes ses dents, enfin du peu qui lui restait!
Bonne-Mère! Ou bien je n'étais pas au courant de la dernière vanne du Vieux Port ou bien j'avais dans la nuit hérité d'une tronche de poisson clown!
Je devais en avoir le coeur net d'autant qu'un banc de maquereaux en goguette venait de s'exploser de rire en me renversant.
N'importe qui d'autre se serait enfui la queue entre les jambes mais nous on a rien d'autre après la queue...
Du coup j'ai vu rouge, j'ai mis les gaz comme dit le turbot et c'est alors qu'à la faveur d'un reflet de soleil sur une grosse bulle d'air, je l'ai vu LUI...
bien accroché à ma nageoire dorsale, IL me suivait comme un poisson pilote en agitant ses membres de papier... le foutu bonhomme d'Avril.