AU FOND DE L’ENCRIER… (Lorraine)
Au fond de l’encrier, il y a un tablier noir, la plume ballon, et cette odeur inoubliable, un peu âcre, qui monte aux narines et inquiète.
- Attention, dit Mademoiselle, nous allons écrire dans un cahier, suivez bien la ligne, regardez au tableau, je montre…
Avant, elle montrait et on écrivait sur l’ardoise. Aujourd’hui elle trouve qu’on a fait assez de jambages, on est grands, on ouvre le cahier et surtout, surtout, on fait attention aux taches !
- Pas trop d’encre sur la plume, juste le bout, on n’appuie pas, on écrit « Papa fume la pipe ».
Papa fume la pipe ! On connaît. C’est facile. Enfin… »J’ai fait un pâté, Mademoiselle ! ». Mademoiselle Armande se penche sur Antoine, elle secoue la tête, dit : « Antoine, tu as pris trop d’encre ! Regardez tous: on trempe la plume doucement, on essuie le bord sur l’encrier, et alors seulement on écrit . Vous avez compris ? et s’il le faut, prenez votre essuie-plume ».
On fait oui de la tête, on crie : « Oui, Moiselle ! »…Et Anita s’exclame : « j’ai aussi fait un pâté »…même plusieurs pâtés. On sort prestement les buvards du pupitre. Les buvards, c’est drôle, ils écrivent à l’envers ce qu’on écrit à l’endroit. Mais pour l’instant, ils absorbent surtout les taches, sauf dans le cahier de Mariette, très sage, qui fait tout bien, le chouchou de Mademoiselle, on le sait. On ne l’aime pas beaucoup. Elle fait trop attention à sa robe, à son cartable, à son bulletin…Elle a toujours 10. Moi j’ai 7. Parce que je bavarde. Alors Mariette se tourne vers moi et, mettant son doigt sur sa bouche, murmure : « Chut !... ». Je n’aime pas du tout Mariette…
Mon essuie-plume a une tête de coq, il est rouge et noir. Ma plume s’accroche dedans et quand je recommence à écrire, elle grince. Sur le cahier, il y a de petites éclaboussures. Mais pas de fautes. Ginette s’applique, elle n’arrive pas à terminer la phrase. « C’est bon, dit Mademoiselle, on reprendra demain ».
On va à la récréation. On a tous les doigts tachés d’encre.
Dans l’encrier, il y a l’école…