La cabanimaginairêve (Lorraine)
Delphine vit dans le faubourg avec sa
maman, deux pièces d’une vieille maison grise. Devant, la rue oblique aux pavés
usés ; derrière, un terrain vague sans horizon. Les enfants s’y ébattent après l’école. Delphine y
retrouve Hélène ou Martine. A dix ans, on danse à la corde, on joue à la
marelle et parfois, avec les garçons, on entame une course à qui arrivera le
premier au coin du boulevard.
Mais cette année, les garçons disent
non : ils bâtissent une cabane. Des bouts de troncs d’arbre, des branches,
des clous, un marteau, des outils
prêtée, empruntés ou…dérobés, en ce mois de juillet c’est la fête des gros
bras. On tape, on scie, on érige, on commente. Les filles, à l’écart, admirent.
- On en fait une aussi ? demande
Hélène qui ne doute de rien.
- On ne saura pas. Eux, ils sont forts.
Delphine se tait ; une cabane,
pour elle qui n’a même pas d’appartement ! Elle aimerait pourtant, une
cabane qui serait un petit refuge, un coin personnel tout doux, une cabane,
oui, mais pas trop petite. Pas trop grande non plus. Les garçons s’encouragent
à coups de « Ca va, Jacques ? T’en sors, Emile ? » ;
les murs, un peu vacillants, se dressent. Ca discute, ça rouspète. Ca avance.
Le dimanche après-midi, elle est
presque seule . A l’aide d’un cailloux, elle trace des lignes dans la terre.
- Qu’est- ce que tu fais ? demande
Martine.
- Je joue « maison ».
Et elle continue, affairée. Elle parle
toute seule, hésite, trace un angle ici, un long trait là, un corridor, une
salle de bain, un salon et des canapés, oui, il en faut, c’est évident. Pour
s’asseoir comme une dame, jambes bien croisées, la robe rabattue sur les
genoux.
- Tu veux visiter ma maison ?
Viens…
Martine la suit ; dans le salon,
des fleurs rouges et blanches, un petit bureau et un clavecin. « C’est quoi,
un clavecin ? ». « Pour faire de la musique, quand on a suivi
des cours ». Delphine ouvre une porte : » ici, vous voyez,
Madame, c’est ma chambre. J’ai acheté ce couvre-lit en velours bleu, j’aime tellement le bleu ».
« Moi aussi », dit Martine, respectueuse. Les deux fillettes tournent
vers l’escalier qui monte à l’étage ; une large baie vitrée ouvre sur le
jardin. « Car nous avons un jardin, vous le voyez, Madame ? »
« Oui, répond Martine penchée à la croisée. C’est la chambre de ta maman,
ici ? ». « La plus grande, tu vois. Moi la petite me
suffit »…
L’été passa. Les années passèrent. Delphine se souvient. De la cabane
impossible, elle avait fait pendant tout
un mois cette maison chaque jour renouvelée. Cette maison qui contenait, elle le sait, tous les rêves
interdits , les miroirs ciselés, les abat-jours de taffetas rose, les escaliers
cités, les somptueux tapis, l’imaginaire d’une enfant pauvre qui n’attendait
rien de la vie…