Les millettes antiques (Val)
Sur son lit de mort, Charles pleurait. Il sentait la fin si proche…
Sa vie durant, il avait exploré chaque recoin de l’Egypte, cherché à reconstituer l’histoire avec une rage obstinée et une rigueur acharnée, dirigé de savants et minutieux travaux de décryptage, mené à bien des fouilles gigantesques.
Ses innombrables découvertes, les nombreux dégagements qu’il opéra, son acharnement d’homme passionné, avaient fait de lui un archéologue et historien de l’Egypte antique plus que reconnu. Il mourrait à l’apogée de sa renommée.
Pourtant, il mourrait insatisfait et très accablé. C’était trop tard, maintenant. Il se sentait si faible. Il ne saurait pas avant de mourir.
Cinquante ans plus tôt, jeune archéologue, il avait tenu entre ses mains un parchemin, noirci en hiéroglyphes, trouvé lors des fouilles du temple de Thot. Le premier de toute sa carrière. Il ne l’oublierait jamais.
Le décryptant, il avait buté sur un mot : millettes.
Que pouvaient bien être des millettes, dans l’Egypte antique ?
Depuis ce jour, il n’avait eu de cesse de chercher. Tous ses travaux, toutes ses recherches pourtant fructueuses, n’avaient en fait jamais eu d’autre but que celui de découvrir ce qu’étaient ces fameuses millettes, que le scribe décrivaient petites, qui semblaient être le plat principal d’un repas frugal.
Était-ce un fruit disparu ? Une pâtisserie ? Il n’en n’avait jamais rien su, n’avait jamais remis le doigt sur la moindre piste. Pourtant, il s’en souvenait. Il avait lu « millettes ». Il en était certain. Ces millettes venaient le hanter la nuit. Il n’en trouvait pas le sommeil.
Toute son existence, il avait couru après cette idée fixe : savoir. Obsession de toute une vie. Ses nombreuses et importantes découvertes ne l’avaient jamais consolé. Il mourrait sans avoir percé le secret de millettes.
La mort le prenait alors qu’il éprouvait ce terrible sentiment de l’inaccompli. Une vie sans avoir trouvé, c’est une vie pour rien, se disait-il. Il avait vécu pour ne pas trouver ce qu’il cherchait depuis toujours.
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Quelques cinq mille ans plus tôt, à la bibliothèque du temple de Thot, le jeune Mehdi, douze ans, corrige sa dictée avec le prêtre chargé de son éducation. Il serait scribe comme son père, mais d’ici là, il devrait encore travailler et s’instruire quelques années : il avait écrit « en millettes » plutôt que « en miettes ». Son erreur avait fait sourire le prêtre. Mais le parchemin était à refaire.