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Le défi du samedi
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20 mars 2010

L’horloge céleste (Venise)

Mattéo est né dans un cri d’oiseau.
Dehors l’aube est encore noire, l’étable encombrée de paille se dénude devant les mains de cette femme dont la souffrance célèbre toutes les mères qui enfantent dans ce pauvre monde.

Une nébuleuse rouge amas de vie et d’hydrogène  ballotte en son sein tout le destin de Mattéo  en germination.

C’est un beau paysan de France qui pousse son cri  dans la grande maison de Savoie.

Alors qu’au même instant Thomas premier comte de Savoie  perd son onzième enfant,
la famille Jacquard de par cette naissance sort victorieuse de huit deuils en couche.

Mattéo balaie par ses cris la noirceur de l’étable.
L’enfant est sale et frais comme une poire piquée de fientes de pigeon.
Il montre son cul au sinistre de ce monde, gorgé d’espoir il sera plus fort que la mort.
Un grand saladier de vin chaud rit sur la table.
Le père Jacquard le tient dans ses mains maintenant comme une flamme qui vacille, fragile et fort comme la vie.

L’enfant prend la parole sans demander la permission à la grande maison de Savoie.

Assis sur son tas d’ordures le père entonne un chant qui raconte la paix, la lumière, la frayeur des moineaux.

Mattéo dort maintenant.

A coté de son âne, sur un long sentier de terre le vieil homme marche pieds nus dans ses sandales. Ici il n’y a qu’une saison.
C’’est l’hiver.
Il y a des ours et des loups qui rodent dans la vallée.
Les fermes ont poussé un peu partout.
Mattéo appelle les vaches du haut de sa dix septième année. Alors que des femmes passent sans bruit Mattéo songe.

Il avait  été frappé par la découverte fortuite de deux marque-temps travaillés à la mode italienne  que détenait son Seigneur cousin de Béatrice de Genève.
Il avait fait ses classes d’écuyer dans cette seigneurie. Alors tel un enfant devant un jouet Mattéo s’était promis de s’instruire à l’art de l’horlogerie.
C’était sans connaitre la colère du père Jacquard qui ne l’entendait pas de cette oreille.

Mais le sublime, comme  les grandes œuvres qui dompteront le temps, réclament un enfant.
Jeanne la pucelle n’avait que 20 ans, Alençon 22 ans, le roi de France 24 ans, Gilles de Rais 19 ans en cette saison.

Le monde appartenait  à la jeunesse bouillonnante de sève et pour qui l’inaction est un hiver. Dans son tempérament de feu et dans sa chair qui était toute santé Mattéo passait ses nuits à construire son horloge astronomique.
Cette horloge céleste était inconcevable en cette période ; c’était comme frapper  monnaie,  installer une controverse en Dieu et les plans divins.

Sa maison natale était tournée vers l’éternel.
La bible grande ouverte enluminée de marguerites lui rappelait qu’il ne pesait pas plus que quatre grains de sable.
Il était écrit que si l’enfant se fâchait c’était l’hiver pour tous.
Pour le père Jacquard le bonheur était là à portée de main sur fond d’arbres et d’oiseaux, il tenait dans sa main tremblante comme l’eau claire un petit bonheur.

Mais voila que son fils s’entichait  pour une gâte-minutes. On arriverait tous ensemble au nouvel an, bon dieu !! s’entendait-il dire.

Son fils était en train de se faire avoir pour un monde carré bossu qui ne vaudrait pas pipette.
Il ferait bien de se décuchaiser avant qu’il y ait le feu au lac.

J’ai eu une rude journée Mattéo, dit le père en s’adressant au fils.
Je ne veux plus que tu me causes de ton horloge et que tu parles comme à Paris.
Voici de vieux outils faits à notre main, la berclure, la cradzette, le rongeon, j’voudrais pas qu’ils s’évanouissent comme la brume en mai.
Ça faisait pas rêver Mattéo qui avait renoncé à rejoindre son seigneur pour partir en terre sainte. Son père lui demandait de sacrifier ses rêves et de regarder ses ecaffes beuses de godasses infâmes, de parler de brises nouilles en parlant de dentier et choper la courante en buvant cette piquette.
Mattéo ne renoncerait plus à rien et tiendrait tête à son vieux.
Le néant ou l’inventivité sont de la même race.
Mattéo les avait chevillés au corps ; c’était son seul bien qui donne force et présence à sa vie.
Être vivant c’est être soi, seul dans son genre.
Alors Mattéo brise la roche bientôt du haut du clocher de ton village et du beffroi d’alentour. Ton horloge s’imposera aux riches comme aux pauvres en partage.
Même à ceux qui n’ont aucune raison personnelle de prêter attention aux heures. C’est peu de dire qu’il fait beau dans la tête de Mattéo ce matin.

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Commentaires
Z
j'aime cette histoire à relire pour mettre en lumière certains coins obscurs. j'aime l'idée du fils qui relève la tête et refuse le destin qui lui est tracé
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T
Je suis sous le charme de la musique de ce texte...
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C
Oh, je me suis mal exprimée pour Jacquard... Je sais que c'est un nom de famille. Je voulais dire qu'il me faisait immédiatement penser au créateur de la machine à tisser, pas à un créateur d'horloge.
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V
je suis agréablement surprise que vous ayez vu cette sensibilité qui est la mienne (le rapport à la création);jacquard est un nom de famille aussi!
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C
Vous aimez écrire sur la création, les créateurs...<br /> Jacquard (mais peut-être n'est-ce pas la bonne orthographe), pour moi, lyonnaise, c'était la machine à tisser. Finalement, ça rejoint ce défi du temps tricoté.
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V
C'est bon, la transmission...
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B
Une histoire très bien écrite ! bravo Venise.
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J
Ah, voici qui est mieux ! Merci beaucoup aux admins.<br /> <br /> Je relirai la tête et les yeux reposés.
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M
Un récit très prenant qui nous fait superbement remonter le temps ! Un grand bravo à toi Venise !
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P
Venise, c'est le privilège des intuitifs ! Ou la manière que vous avez eue de conter.<br /> Cette idée s'est insinuée en moi à la lecture de votre texte, peut-être ayant dû retravailler la mise en page ai-je eu plus de temps pour la laisser germer que si je n'en avais fait qu'une seule lecture ?
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V
papistache comment avez vous deviné que ce texte prend racine dans mon histoire !!
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P
Un de vos parents ? On dirait une chronique familiale transmise oralement et parvenue jusqu'au XXIe siècle, jusqu'à nous.
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V
Merci Papistache et Walrus.<br /> <br /> Merci à toi Venise pour ce texte dépaysant, pour ce combat afin de réaliser son rêve!<br /> Sourire<br /> Vanina
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W
"rétablies", excusez-moi.
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W
J'ai fait ce que vous demandiez, Papistache : suppression des espaces avant les points et les virgules, ce qui évite le renvoi de signes de ponctuation à la ligne.<br /> J'ai opté pour Mattéo (au hasard, je dois l'avouer).<br /> Comme pour obtenir le texte brut, je suis passé par une copie dans un fichier texte, j'ai éliminé les tabulations décalant certains paragraphes. Je ne les ai pas rétablis manuellement, mais si Venise le juge indispensable, je peux le faire.
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P
C'est mieux, je vais voir si je puis encore améliorer. Ne soyez pas désolée ce n'est que de la mécanique !
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V
je suis désolée !!
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P
Venise, votre participation est en .docx et je ne sais pas la mettre en ligne. Walrus le peut. Il la nettoiera en la découvrant, ou alors vous la renvoyez en .doc ou dans le corps du mail et je m'en charge.
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J
C'est pas pour me plaindre, mais la mise-en-page est très difficile à lire pour mes yeux.<br /> <br /> Mais ce que j'ai pu en saisir me semble bien apocalyptique, sinon un tantinet cryptique, un peu comme ce qui doit se passer dans la tête de Mattéo !
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