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Le défi du samedi
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13 février 2010

La gourmandise d’épices et l’alchimiste (Pivoine)

Elle n’avait pas le charme en dentelle grise de Bruges.

Ni la majesté des villes portuaires et commerçantes.

Encore moins la morgue des capitales.

Mais elle tenait, honnêtement assise, ramassée autour de ses canaux couleur de suif, de son castel comtal, de son Palais de Justice et de ses collèges pour filles et garçons, d’où s’égaillaient chaque soir des bandes d’adolescents rimailleurs et bien emmitouflés.

Le veilleur de nuit entamait sa ronde dans Sint Baafs Kathedraal (1), l’Agneau mystique luisait doucement, gardant ses secrets d’atelier, ses souvenirs de guerre, et ses sensations de vernis craquelant…  Les cheminées branlantes du Patershol  (2) crachotaient leurs billes de suif.  Noir de l’anthracite et des boulets. Bloch (3) enfournait ses premières pâtes à brioche, craquelins et couques aux raisins… Le Docteur de Mt-St-Amand saluait la maîtresse du Grand Béguinage…  Et fouette ! Cocher ! Gand, toute repliée sur ses velours gris, ses ouvroirs, ses borborygmes, la bière tiède et les filles à la cuisse moelleuse,  déroulait ses volets, un à un, fracassant des brumes hivernales…

Au 33 de la Parochiestraat (4), les servantes  avaient regagné, qui,  leurs cellules sous les toits, qui, un amant, souvenir de la Brasserie, tandis que dans la grande chambre du premier étage, récurée, cirée de la veille, toute trace de sanie et d’accouchement avait disparu, cédant la place au repos de la mère et aux soupirs vagues du bébé…

Au fur et à mesure qu’il s’éloigne de la bulle translucide et  du tunnel  blanc qui l’a propulsé dans un monde dont il ne mesure rien,  l’être démesuré se refait à la taille d’un enfant vagissant dans son berceau. Son amplitude sans fin se recroqueville. Les cloches des couvents se taisent ; les métairies,  le hurlement des fabriques, le givre sur les champs, les routes et le labeur du passé, toute mémoire  s’incarne dans  l’épaisseur d’une  vie à inventer…

C’est comme une main, inconnue, qui se serait emparée  d’ossements amoncelés là-bas, dans un verrou du temps, pour leur insuffler parole et couleur ici, dans ce coin oublieux, opulent et replié de la Flandre Orientale.

***

      (1) Cathédrale St Bavon, à Gand.
      (2) Le Patershol : quartier ancien de Gand.
      (3) Bloch, pâtisserie et salon de thé à Gand.
      (4) Rue de la Paroisse (adresse imaginaire, bien sûr !)

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Commentaires
V
C'est gentil de venir jouer avec nous, Pivoine!
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T
les volets fracassant des brumes hivernales...<br /> ça et les oiseaux du petit matin, voilà qui doit sonner le glas des ripailles nocturnes et donner aux noceurs le regret de n'avoir pas levé le nez plus haut que le coude !!
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P
Pierreline, je me suis souvent questionnée sur la naissance...
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P
Oh oh! Joye, en plus, j'adore "autant en emporte le vent" - et je parle du roman, hein, bien que j'aime le film aussi...
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J
Gand with the wind, quoi.<br /> <br /> ;-)
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P
Merci à vous tous et toutes pour votre lecture, c'aurait pu peut-être être plus mystérieux, j'aurais bien aimé faire un texte un peu à la Jean Ray, et puis, finalement, ce fut Gand... Tout simplement !
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Z
impressionnant de beauté d'un bout à l'autre
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M
Excellent texte à lire et à relire pour s'imprégner de toutes ses images et sensations !
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P
Penser la naissance comme un immense rétrécissement des sens, c'est vraiment ça l'incarnation. Passer de la démesure (ou la non mesure) de l'état de foetus à la "finitude" du corps du nouveau né, et son cortège de sensations sonores, tactiles, olfactives, gustatives, visuelles; c'est une très belle description de l'acte de naître. Bravo
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V
Qui pourrait te reprocher d'avoir choisi Gand pour ce thème de la main?<br /> Un texte à lire et relire pour en saisir toutes les images. Bravo
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K
Un très beau texte, offrande à tous les sens.
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P
Quelle renaissance pour accompagner votre résurrection parmi nous, Pivoine !<br /> Bonjour !
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W
Moi aussi je préfère, et de loin, Gand à Bruges. Sais-tu qu'Orsenna lui aussi adore cette ville ?
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F
L'espace d'un instant, je me suis retrouvée ailleurs, dans ce Gand que tu décris si bien.
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J
C'est luxuriant d'absorber la velouté de cette prose, Pivoine, j'ai l'impression d'être en vacances, en voyage..malheureusement, tout ce que je sais de Gand, c'est qu'il s'appelle Ghent chez moi, et que Charles V, remarquant sa beauté, a dit que la ville lui allait comme un gant. Enfin, je pense...<br /> <br /> En tout cas, merci pour cette ravissante introduction, la prochaine fois que je passe à côté, je m'arrête, c'est sûr !<br /> <br /> (oh zut, j'ai maintenant le mal du pays d'honneur)
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