Le quatuor d'Alex Zampieri (Joe Krapov)
Ce matin-là, l’homme de pouvoir était encore venu nous chercher des poux dans la tête.
Ce matin là, je m’étais mis en tête de changer de peau-sition.
Ce matin-là j’avais décidé de rendre mon tablier. Il fallait absolument que quelque chose changeât par ici !
Ce matin-là le vieux était encore venu les sermonner à coups de « Fais pas ci, fais pas ça !».
Cette fois-ci encore, il revenait à la charge à propos de notre nudité
Cette fois-ci encore le vieillard cacochyme qui ne se déplaçait qu’en compagnie des anges était venu jouer la charge de la brigade légère.
Cette fois-ci je devais faire quelque chose. Cet univers de stérilité et de débilité allait coûter cher à ma notation annuelle. Je sentais déjà se pointer l’accusation de gestion à la légère.
Cette-fois-ci encore il leur reprochait de ne pas consacrer assez d’énergie au temps de l’amour.
Ce n’était pas faute d’avoir fait des efforts mais allez vous faire un slip, vous, avec des feuilles de platane !
Ce n’était pas supportable d’entendre ce vieux sabot chaque jour dégoiser contre les tourtereaux. Bon, OK, leur ménage c’était peut-être un peu la fête du slip.
Ce n’était pas juste que cet univers-là m’ait été attribué. Passe encore que le mouton et le lion n’aient pas lu La Fontaine, on ne pouvait pas exiger des animaux qu’ils fussent gros lecteurs et affables de surcroît, que le cheval n’ait pas de sabots et ne veuille pas tirer la charrue…
Ce n’était pas très sympa d’appeler Eve « l’hôtesse de l’air » sous prétexte qu’elle en brassait beaucoup.
Sans compter qu’il aurait pu y penser avant à inventer le petit bateau ou le Wonderbra !
Sans compter qu’il s’en passait de drôles dans leur bosquet une fois que le vioque s’était esquivé sur son bateau flottant.
Sans compter que La Fontaine, c’est un autre monde parallèle qui en a hérité. Une drôle de planète, là aussi !
Sans compter qu’Adam ne semblait pas être le responsable, le gentleman-cambrioleur, tout juste un effet l’Arsène !
Pendant qu’il y était, à régenter la vérole du bas-monde, il aurait pu apprendre à Eve à me tricoter un Marcel si ça le gênait tant de voir mon nombril !
Pendant qu’il s’éloignait, Marcel, avec son cortège d’anges, j’ai écouté un peu ce que le sar Pèle-Adam racontait à sa croqueuse de pommes.
Pendant qu’il en était encore temps, je devais contacter le syndicat. J’ai allumé l’ordinateur.
Pendant qu’il se faisait engueuler à cause de son slip mini mini mini, j’ai fouillé dans ma mémoire.
Je n’ai pas pu m’empêcher de lui dire son fait en retour.
Je n’ai pas pu tout entendre parce qu’il y avait du retour d’écho dans les baffles.
Je n’ai pas pu m’empêcher tout d’abord d’aller lire « L’Echo du Divin ». C’est là que je suis tombé sur l’offre de stage « Prendre son temps » :
Je n’ai pas pu trouver tout de suite la façon de procéder. J’ai tout lu, tout vu, tout bu mais j’ai un mal fou à organiser les connaissances que j’ai gardées en mémoire.
- D’abord, si tu veux pas qu’on se balade à poil, le barbu, ce serait bien que tu baisses le thermostat !
D’abord ça s’est mis à siffler puis j’ai carrément le ciboulot qui est parti en balade.
« D’abord donner une formation philosophique de base ; aider à s’interroger sur sa propre pratique ; favoriser l’attention au présent »
D’abord, j’ai farfouillé à toute berzingue parmi mes feuilles.
Il faut dire les choses comme caleçon : la boule de feu qui nous tourne autour dans le ciel, sur le coup de midi, elle nous chauffe tellement la bedaine qu’on est obligés de se foutre à loilpé, ma bergère et moi !
Il faut dire que de temps en temps j’ai ce feu en moi, cette fièvre qui me pousse à m’isoler du monde qui m’entoure.
- Il faut dire les choses plus clairement, Bon Dieu ! » éructai-je devant ce gros foutage de gueule du monde.
- Il faut dire qu’ils seraient tous un peu perdus sans moi dans le petit jardin !
Et moi non plus je n’aime pas que les animaux et les gens qui passent dans le patelin lui voient la canicule !
Et moi, je dois le dire, j’aime assez ce que j’entends au-dessus de mon crâne !
- Et moi je te demande de te calmer ! » intervint l’Ordi. Mets-toi bien dans le crâne que tu représentes un type de divinité trop colérique pour l’Organisation. Lis le programme et tais-toi ! »
Et moi et moi et moi je ne peux pas noter les trucs dont je dois me souvenir sur une nappe de restaurant !
Bonjour l’ingratitude ! qu’il a fait comme ça. Je me casse le tronc pendant sept siècles de long pour vous mitonner un paradis aux petits oignons et voilà ce que vous me retournez comme image ! Des voleurs de pommes mal nippés qui font rien qu’à se promener à poil sans jamais rien glander ! Vous ne pourriez pas travailler plus pour gagner plus, rien qu’un peu, une fois ?
Bonjour le trip ! Cette musique c’est un peu le Paradis ! Dommage que je ne puisse la partager ni avec le mouton, ni avec le lion, ni avec Adam. Sans parler du cheval qui n’a même pas le téléphone sous la queue !
Bonjour le programme : « Analyse philosophique de la différence entre temps et durée ; réflexion sur le sens d’expressions communes comme « perdre son temps, prendre son temps, gagner du temps ». Redécouvrir les trois instances du temps : passé (mémoire), présent (attention), futur (attente) ; Lecture de quelques textes philosophiques sur le temps (Augustin, Plotin, Bergson). » Et ça avait lieu sur l’île de Bailleron, un endroit que je ne connaissais pas . Et ce stage durait… deux siècles ?
Bonjour le mode d’emploi ! Mais le plus difficile est fait : la pomme s’est décrochée.
Eve, je l’ai bien senti en entendant ça, a failli lui balancer son trognon de pomme à la tête. Elle n’aime pas qu’on se moque de son léger accent de Belge d’honneur !
Eve m’écoute parfois mais cette fille me semble un peu demeurée, toujours à bouffer des pommes et à me regarder d’un air bête comme si on n’avait jamais fait connaissance au pied de l’arbre. Déshespéride-errante, la fille !
Eve et Adam, ça leur laissait suffisamment de temps pour accomplir un maximum de conneries ! Mais vraiment, tout leur cirque de la piscine, le midi, ça me bouffait vraiment !
Eve l’a reçue sur la tête. Elle l’a ramassée et l’a balancée avec force à la tête du vieux qui l’a reçue en pleine poire, la pomme.
Je ne savais plus quoi répondre alors j’ai éclaté de rire, trouvant que sa haine de nous deux était ridicule. Le pauvre vieux à voix d’hélicon s’est cassé. Il fallait le comprendre aussi. Dans cet univers-ci, qu’il avait bien raté, du reste, Eve n’avait pas plus de sexe qu’une poupée Barbie ! D’ailleurs, personne n’en avait et surtout pas les trois anges sans corps au-dessus de sa tête ! Va t’en croire, croître et multiplier avec ça, toi !
Je ne savais plus quoi lui dire, l’autre jour, alors je lui ai posé la question de manière un peu abrupte et peut-être ai-je été ridicule :
- Eve, toi qui es promise à un grand destin, toi qui sais t’occuper des petits de l’homme et des animaux blessés, peux-tu me dire pour qui sont ces sifflements qui serpentent dans ma tête ? ».
Je ne savais plus si je devais l’accepter ce stage ou aller poser une demande de mutation auprès du syndicat. Finalement, comme il y avait un an de délai avant la date limite de dépôt des candidatures, je suis retourné dans mon atelier pour y réfléchir en travaillant à mon projet de Kärcher pour nettoyer les cochonneries des deux autres dans le quartier de la piscine.
Je ne savais plus pourquoi j’avais été planté là. Avec tout ce temps, j’avais oublié. Mais bon, ça y est, Eve a compris. Il est cinq heures, le pari pascalien s’éveille, pas dans le meme sens à vrai dire que celui de Blaise de Clermont. C’est du tronc qu’est parti l’ordre de faire tomber la pomme de la discorde. Le plus difficile reste à faire. Je ne sais ce qu’en retiendra l’histoire mais le fond de l’air est frais désormais : le vieux est parti plus fâché que jamais, le gentleman-cabrioleur et l’hôtesse de l’air viennent de découvrir la liberté grâce à ma pomme !