Ivresse des cimes (Moon)
Dix jours que nous tenons dans ce vent terrible... La lumière sur les sommets est sidérante. Mais que c'est dur ! Le camp 1 a été atteint sans difficulté, nous avons tous une solide expérience.
De là nous sommes montés en journée et redescendus pour dormir afin de dompter les globules rouges !
L'ingénieur météo nous a ensuite annoncé une accalmie et nous en avons profité pour rejoindre le camp 2 à 6400 m. La face sud sera impossible : trop de glace ! Je dois renoncer encore une fois...
Avec Ed, nous décidons de tenter la grande arête Est et nous atteignons le camp 3 où il faut refaire la préparation finale. On nous prédit 3 jours sans vent, il faut partir maintenant.
Un peu mal à la tête le jour du départ mais je me dis que je n'ai pas assez dormi, c'est tout.
L'arrête semble interminable et le bivouac à 7400 est le bienvenu. Je parle par radio avec Kristina à Katmandu. Elle me dit que tout va bien pour elle. Elle a hâte que je redescende. J'avoue que moi aussi. Je pense à Phil qui doit être content, de là haut. Tu vois Phil, je suis revenu. Tu n'es pas tombé pour rien. Si j'arrive en haut, je marquerai ton nom dans la neige.
Bon sang, j'ai peur, le parcours qui nous reste est pourri : pas de neige, de la roche de mauvaise qualité. Ed a l'air plus en forme que moi. Il a bon moral.
Bivouac à 7900. C'est pour demain.
Quand Ed m'a réveillé, j'ai regardé l'heure. Je n'arrivais pas à comprendre la position des aiguilles. Je ne lui ai pas dit. Nous avons attaqué aux piolets. Quel bruit, mes oreilles sont un peu cotonneuses !
Tiens mon gant est tombé quand j'ai attrapé à boire. Ed est au dessus. Il me regarde et me demande pourquoi je n'ai pas sorti un autre gant... J'en ai un autre ? Ed me dit qu'il faut redescendre, que je n'y arriverai pas. Je ris bien ! T'es fou ? Il nous reste 150 mètres. De merde d'accord ! Allez, avance ! je crie dans le vent. Le vent ? Ah ben oui tiens, il est revenu... Mon crampon a glissé. Qu'est-ce que je dois faire ? Ed a l'air inquiet. Je me demande pourquoi... Je pensais pas que 150 mètres, c'était si long.
Ah, ah, 150 m aux calanques ! Jolie mer en dessous, on ferait bien un petit plongeon, non ? Allez chiche ?
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Dix jours que je suis dans cet hôtel bruyant. Je n'en peux plus ! La prochaine fois, je resterai en France pour l'attendre. Enfin, non je suis idiote, ça me fait plaisir de penser que je le retrouverai très vite après le sommet et que nous serons ensemble pour partager sa victoire. Pas comme la dernière fois où je voyais sa photo de partout, ses images à la télévision mais qu'il a fallu patienter quinze jours pour qu'il soit dans mes bras.
Je lui ai donné les bulletins météo au début mais là, je n'ai plus de nouvelles depuis leur départ du camp 3. Grégoire m'a appelée du camp de base pour me dire que les bivouacs avaient l'air de bien se passer.
Je ne sais plus quoi faire de mes journées, j'ai testé toutes sortes de nourriture : les momos tibétains, la pizza italienne de Maximo, les dal baths népalis, les pancakes du café américain... Je vais prendre trois kilos si je continue. Je voudrais bien avoir des nouvelles...
Je suis même allée tourner le moulin à prières du temple tibétain voisin et je regarde par la fenêtre les cerfs volants des enfants au dessus des toits.
Tiens, si je goutais à la boulette que Paul m'a trouvée hier. Il est gentil, il m'a dit : tiens si tu veux faire redescendre le stress, essaie ça ! Je suis pas experte en roulage moi. D'habitude, j'ai un homme pour ça. Mais bon, j'arrive à faire un petit truc un peu tordu avec deux feuilles. Ca sent super bon, on en mangerait ! Mon doudou, tiens bon là-haut ! Tu es bientôt au bout de tes rêves. Tu dois penser à Philippe.
Ouch ! C'est fort ce machin ! Oh, j'avais pas remarqué le gecko au dessus de moi au plafond. T'as raison mon gars, bouffe les moustiques ! Ce foulard de soie que j'ai acheté au marché hier, il me semblait pas qu'il était si doux ? Je te le mettrai autour du cou quand tu arriveras, comme les Tibétains... Il fait chaud, non ? Non remarque, il y a à nouveau du vent. J'espère les cerfs volants vont pas emporter les geckos trop haut. Moi, j'aimerais bien voir un gecko sur une trottinette mais parfois ce sont les libellules qui étendent leurs grandes ailes comme des foulards de soie.
Mais c'est quoi ce bruit ? Y'a de la musique à côté ? Non c'est assez près... J'ai pas allumé la télé ? Mais non, c'est mon portable ! Allo ! Qui c'est ? Tombé ?