Consigne 68 (Jo Centrifuge)
-Salut Pierre , ça va depuis hier? Motivé?
-Comme un lundi, P’tain toujours en retard ce bus!
-Ca a pas l'air d'aller très fort. Préoccupé?
-Rien d'important... Enfin si : j'ai paumé ma clé!
-De ton appart? Ca c'est la tuile. Moi ça m'est arrivé...
-Non, tu sais c'est la valise que j'ai trouvé dans la rue.
-Ah ouais, et il y avait quoi dedans au fait?
-Je ne sais pas ce j'ai fait de c'te clé, pourtant elle doit pas être loin...merde!
-...Bah! tu la retrouveras. Je sais pas si je l'ai pas v…
-P'tin, mais c'est pas vrai d'être aussi con...'Faut que je la retrouve! A tout prix!
-Oh tu m'écoutes? Je sais pas si chez moi tu l'as pas laiss...
-J'ai cherché partout...Mais rien à faire...
-...
-Pourtant je l'avais dans ma poche. C'est bien un monde ça!
-Wééé! Ah Ah! T'as vu mes nouvelles pompes, classe non?
-'Faut que je repasse mon appart au peigne fin. Je vais tout retourner.
-Elles brillent, hein? Et ben sans déconner : 30€, pas plus !
-Je retourne chez moi!
-Eh!... Mais!...Y'a le 36 qui arrive!... Eeeh? Tu viens pas au boulot?
Assis dans le bus qui
démarrait, je vis Pierre s'éloigner en courant comme un damné en direction de
son appartement, j'étais bien loin de me douter que ce serait la dernière image
que j'aurais de lui.
Ce fameux jour, il ne se présenta pas au bureau et je commençais à m’inquiéter.
Le soir, je rentrais hâtivement et, sans même embrasser ma femme, je me ruais dans les toilettes pour y retrouver, au milieu des revues entassées par terre, la fameuse clé. Dans mes doigts, elle était tout ce qu’il y a de plus banale, argentée, plate, sans gravure. Je la glissai dans ma poche et, presque soulagé, j’entreprenais de téléphoner à Pierre. Mais il ne répondit à aucun de mes appels.
J’aurais dû le raisonner.
J’avais bien tenté de lui faire comprendre qu’il me semblait avoir aperçu sa clé chez moi… Pourquoi il ne m’a pas écouté !
Durant la semaine qui suivit, personne ne le vit. Il ne répondait ni au téléphone, ni aux mails. Bien sûr, j’étais identifié comme « le collègue le plus proche » et donc assailli de questions, auxquelles je m’appliquai à répondre le plus évasivement possible. Pour finir, le patron, hors de lui, vint en personne me demander de joindre Pierre : « Prenez votre journée et allez chez lui. Si je ne le vois pas demain à 8 heures, c’est le licenciement ! »
Mais je ne suis pas marié avec lui, merde !
Dans le hall d’entrée, sa boîte aux lettres dégueulait de prospectus. Je montais les marches jusqu’à la porte d’entrée. Elle était entrouverte. L’appartement était sens dessus dessous. Renseignements pris auprès de la concierge, Pierre était parti comme ça, sur un coup de tête, une drôle de petite valise à la main. On ne lui connaissait ni amis ni famille.
La vieille dame de l'épicerie en face de l’immeuble me regardait avec de grands yeux tristes.
« Ah! Monsieur Pierre est si gentil! Je n'aurais jamais cru qu'il se drogue. Vous savez, lundi, il a du faire un « bade tripe ». Un dément ! Il cherchait partout dans le magasin une clé qu’il avait soi disant perdu… ».
Il avait fait le même cirque au bistrot du coin de la rue. Un client l’aurait aperçu en milieu de semaine, errant dans les rues. Mais personne ne pu me dire où le trouver à présent.
Pierre, tu m’emmerdes avec ta clé. Mais qu’est-ce qu’il t’a pris ? Maintenant le vieux va te virer. Tant pis pour toi.
Il était presque midi et je passais devant un magasin de maroquinerie de luxe.
« Oui, c’est une clé de valise blindée. Il y est implémenté un système de sécurité. La valise et la clé émettent toute deux en permanence un signal GPS. Je serais vous, je l’amènerais tout de suite au commissariat le plus proche. »
Et c’est devant le magasin que vous m’avez trouvé… Maintenant vous pouvez me le dire. Qu’est-ce qu’elle ouvre cette foutue clé ?
L’homme en noir éclata de rire et s’écria:
- Le paradis, mec. Ouais, c’est la clé du paradis !
Il arma la gâchette de son flingue.
- Passes le bonjour à ton pote !