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Le défi du samedi
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9 juin 2009

désolé (tiniak)

Cette fois, il était vraiment seul. Tout seul. Il le savait, l'avait souhaité ; il avait tout fait pour et ça y était. Le reste de l'humanité avait quitté la Terre, sans regret. Le reste de l'humanité, il s'en foutait. Pas plus ni moins qu'elle s'était foutue de lui, toute sa vie.
Un analyste-programmeur, spécialiste des formules infralogisticielles séquencées, c'est bien payé, mais c'est invisible. Pour une fois, cette discrétion forcée l'avait servi au comble de ses espérances. Célibataire sans enfants, bientôt sexagénaire, stérilisé à vingt-deux ans conformément à la procédure qui régissait les "boules noires", il était assis là, dans cette salle où gargouillaient les nanômes filant le long de leurs vénules derrière les revêtements muraux. Et il soupirait d'aise.
Il se rappelait avoir vaguement lu, vu ou entendu quelque chose concernant le dernier gardien du phare d'une côte ouest-européenne. Un propos avait retenu son attention : "... c'est comme dans la chanson que fredonnait ma grand-mère... La solitude, ça n'existe pas..." Il avait souri, il s'en souvenait. Cela correspondait tellement à son sentiment profond.
Oh, il avait bien éprouvé quelque amertume dans sa jeunesse, après le fiasco d'une ou deux amours fades et molles, à se retrouver seul encore. Mais ça lui avait vite passé. Assez vite, somme toute. Même le tatouage sur sa carotide, qui signalait sa stérilisation, lui était devenu proprement indifférent.
On avait peu à peu cessé de le convier de ci de là, de lui proposer un café, un prochain séminaire. Il émanait de lui une évidente solitude qui tuait dans l'oeuf toute compassion, sympathie, instinct grégaire. On l'évitait naturellement, sans calcul, et l'isolement qui en résultait lui convenait.
Peu de temps avait suffi à le rapprocher de la solution.
Il avait embobiné un technicien du programme Ultima de telle sorte qu'il fût choisi, comme par hasard, pour être le dernier "gardien du phare". Le dernier !
Le dernier vaisseau avait quitté la Terre, il y avait de cela moins de deux heures, emportant son dernier lot d'espérances humaines. Puisqu'ils étaient tous si certains de refonder leur cirque de vie ailleurs, grand bien leur fasse ! Lui était persuadé du contraire.
Il demeurerait seul sur Terre. Le dernier de ses congénères.
Il sortit une tablette et s'apprêtait à y inscrire quelques pensées, quand... mais oui ! on frappa à la porte. Ici ? Au troisième sous-sol ? Section 26, corridor 9 ? A la porte de cette insignifiante salle de régulation des flux ? Mais oui, on frappait !
L'incroyable était insupportable !
Il se leva, s'approcha de la porte vibrant sous les coups. Dans ce tintamarre, des cris étranglés, désoeuvrés; paniqués s'échappaient d'une gorge féminine et geignarde. Il y avait des "au secours", des "s'il-vous-plaît", des "répondez, je vous en supplie".
Il ouvrit.
La femme, plutôt jolie malgré son regard effaré, se confondait en excuses et explications diverses qu'il n'écoutait pas. Quand son interlocutrice marqua un temps d'arrêt dans sa logorrhée, il ne trouva cependant rien d'autre à dire que "pardon ?". Elle répéta plus sommairement dans un soupir navré :
"- J'ai raté la navette !!
- C'est bien dommage, rétorqua-t-il, plein d'une morgue désolée."

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Commentaires
T
A quoi ça sert de garder un phare si tout le monde est parti, hein?<br /> La fin me plaît beaucoup, désolée pour la morgue...
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P
ah zut il n'est plus seul, mais c'est elle que je plaint : un analyste-programmeur, ça ne connait pas grand choses aux femmes !!! lol
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T
Aïe! La pauvre! Elle va devoir tout lui apprendre!
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T
que de débats, je découvre, autour de ce texte.<br /> j'en suis heureux, on est là pour ça, hein.<br /> <br /> "L'enfer, c'est les autres (en attendant Godot)... personne n'est parfait", je prends.<br /> <br /> La fin comme début de la fin, oui... si le chat de la voisine de Papistache veut bien faire des claquettes.<br /> tsi hi!<br /> <br /> merci pour vos regards, les Aminches.
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C
En gros tu nous fait un remake sartrien, type l'enfer c'est les autres....
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J
Super, Tiniak ! Moi je lis la fin comme le début d'une comédie sentimentale américaine. Du genre "vu la situation on peut bien se donner sept ans de réflexion vu que si certains l'aiment chaud, personne n'est parfait !"
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J
- Monsieur Beethoven ! Monsieur Beethoven ! Ouvrez ! Il est sourd ma parole ?<br /> - Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?<br /> - Ouvrez-moi, monsieur Ludwig, j'ai raté le dernier métro !<br /> - Bon ! OK ! Vous dormirez dans mon lit pour cette nuit, Mademoiselle Elise.<br /> - Mais vous n'allez tout de même pas dormir dans la baignoire ?<br /> - Je ne dors jamais la nuit. Je fais ma correspondance.
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J
Y a toujours une bonne femme pour troubler son monde!<br /> Tres bien decrit.
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V
La pauvre...<br /> <br /> Sinon, j'aime beaucoup. Bravo!
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J
Papistache : On ne peut pas tenir ce qu'on n'a pas dans la main. Un monde sans Beethoven serait un autre monde, mais pas très différent pour ceux qui ne l'écoute pas.
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P
J'aime bien ce texte. Et j'espère que quand je serai le dernier, y aura une nana pour rater la navette.
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P
Joye, vous n'auriez pas stérilisé la mère de Beethoven ni interdit son père de procréation ?
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J
Je pense que tiniak a soigneusement construit son texte juste pour ce moment de rencontre impossible.<br /> <br /> Ce que nous en faisons fait partie du plaisir à le lire.<br /> <br /> Tu penses bien qu'elle est seule, qui plus est ? Il y a ses copines dans le couloir, je parie. Elles pourront faire de ce mec impossible - « Le reste de l'humanité il s'en foutait  » leur joujou/marionette/esclave...<br /> <br /> Mouahahahahaha !<br /> <br /> ;-)
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W
Je vois que Joye est pour les solutions radicales.<br /> Mais en aura-t-elle le temps, Joye ?
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J
Papistache et Walrus : Pensez-vous que ce genre de personne devrait se reproduire ??? Le mec que tiniak nous décrit n'a rien pour faire vivre l'humanité, me semble-t-il (en dehors des accoutrements biologiques et nécessaires) :<br /> <br /> §<br /> Il émanait de lui une évidente solitude qui tuait dans l'oeuf toute compassion, sympathie, instinct grégaire. <br /> §<br /> <br /> M'est avis que la nana finira par l'assassiner.<br /> <br /> ;-)
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W
Voilà, celle-là, la pomme qu'elle cache derrière son dos ne lui servira pas à grand-chose !<br /> <br /> Mais Papistache, l'espèce elle-même croit-elle à son avenir ?
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P
C'est exactement pareil avec le chat de ma voisine, figurez-vous que depuis qu'elle l'a fait castrer les minettes ne viennent plus l'aguicher sur sa terrasse : une histoire de phéromones, parait-il. Résultat, il est tout seul à se lécher... (à se lécher quoi) en attendant le départ de la dernière minette (euh navette).<br /> <br /> Personne ne croit plus à l'avenir de l'espèce alors ?
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J
Ah !<br /> <br /> Tout d'abord, pour la forme, ton texte est digne de prendre sa place parmi la sci-fi publiée. La narration coule, on suit facilement, on sait qu'on parle d'un futur lointain, mais encore compréhensible en termes du présent. En quelque sorte, j'ai pensé à Wall-E (c'est un compliment, tiniak, j'ai beaucoup aimé ce film) mais aussi à Gattaca qui est un de mes films préférés (et je ne suis pas super, super fan de sci-fi, je t'assure).<br /> <br /> La caracterisation est aussi fine, tu as bien cerné ton protagoniste, et tellement bien que je plains la pauvre femme qui tombe sur lui !!! Aïe !<br /> Tu prépares soigneusement cet évènement pour ton lecteur.<br /> <br /> Pour le fond, oui, tu dis aussi des choses importantes sur la solitude et la stérilité à plusieurs niveaux.<br /> <br /> Alors bravo !!! <br /> <br /> Et c'est sympa d'avoir ce beau bijou tout seul (ah symbolisme quand tu nous tiens !) à nous aujourd'hui !
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M
Oui mais que de possibles...<br /> <br /> et autre message ? Ah ces femmes, toujours en retard !
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P
ainsi donc il y a toujours une gourde de bonne-femme pour venir troubler la sérénité de ces messieurs...?
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M
On suit bien la trame de l'histoire malgré le manque de navette !!!
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V
C'est ballot! Quoique, femme à navette...
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V
Que d'ironie dans nos textes, globalement...
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