Le dernier homme (Vegas sur sarthe)
Le dernier homme sur la Terre était assis tout seul dans une pièce. Il y eut un coup à la porte...
un
coup pourtant léger comme un froissement d'ailes de papillon mais, dans
l'absolu silence qui règnait ici, le coup lui fit l'effet d'une
détonation!
Il attendit une éternité, l'oreille tendue vers la
porte, retenant sa respiration à la limite de l'asphyxie; ses ongles
plantés dans les accoudoirs du fauteuil lui faisaient un mal de chien
et il fit un effort surhumain pour se détendre un peu. Ses pauvres
muscles étaient durs comme la pierre et malgré la chaleur qui règnait
dans la pièce une sueur abondante et glacée coulait dans son cou.
Dans le souffle
plus régulier de sa respiration, il sembla distinguer un autre souffle,
comme un écho lointain et plus aigu... mais ça ne pouvait être qu'une
hallucination de plus, comme celles qui le faisaient crier certaines
nuits depuis le cataclysme.
Il avait dû dormir longtemps tant la
lumière du jour était faible et il se força à bouger un peu, quitta le
fauteuil trempé pour déplier sa carcasse en grimaçant; dans quelques
heures il pourrait sortir respirer l'air frais de la nuit et, si les
fauves lui en laissaient le temps il irait jusqu'à la mare pour se
laver.
Ce bruissement d'ailes lui taraudait l'esprit au point qu'il
se risqua à déverrouiller la porte et l'entr'ouvrit avec d'infinies
précautions...
Elle était là immobile devant lui, nue tout comme
lui, un peu voutée et l'air abasourdi comme lui puisque c'était lui,
enfin son sosie féminin!
Elle avait les mêmes traits émaciés et sa
posture aussi, même si la poitrine était lourde et les hanches plus
rondes, et il vit aussitôt qu'elle reproduisait le moindre de ses
mouvements, comme si elle tenait la poignée de la porte avec lui; il
pensa d'abord qu'on avait apporté ici une glace magique qui reflétait
son image au féminin, mais comme il poussait un râle, la créature lui
répondit par le même râle!
Il n'y avait qu'elle et lui mais il porta instinctivement une main sur son bas-ventre, et elle en fit de même.
Décontenacé,
il ouvrit brutalement la porte et aboya: "Qui es-tu?"...La créature
répondait "Qui es-tu" d'un même timbre de voix, la même intonation; il
était face à un clône et si cette explication lui semblait la plus
rationnelle, elle ne le rassurait pas pour autant.
L'homme s'était
habitué à sa solitude et l'idée de partager avec soi-même lui faisait
peur; et puis partager quoi? ses maigres vivres, l'eau de la mare et
l'unique fauteuil de cuir?
Comme il s'avançait
sur le seuil de la porte, il eut soudain envie de toucher cet autre
soi, et avança la main vers elle, ce qu'elle fit aussi; une même lueur
d'incrédulité brillait dans leurs yeux, le battement des paupières,
jusqu'à la respiration étaient semblables.
Alors son index
effleurant l'index, il y eut un chuintement étrange comme une baudruche
qu'on dégonfle, la créature se volatilisa ne laissant dans la poussière
que l'empreinte furtive de ses pieds... et l'homme se vit seul face au
désert vide où une lune pâle vacillait.