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Le défi du samedi
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29 mai 2009

Bis repetita (Caro carito)

C’est toujours la même chose

Depuis 15 ans.

Depuis ce premier jour.

 

J’avais immédiatement senti l’assaut des odeurs. Je suis comme ça. L’odorat sensible, les sens à cran. L’éclairage était dense et d’un jaune pisseux. J’ai hésité. Après tout, seules quelques semaines de mon temps seraient voracement dévorées. A l’évidence, l’emploi du temps plombait les traits de l’équipe. Leurs voix monocordes paraissaient venir d’outre-tombe.

Au bout d’un mois, il me suffisait de jeter un regard au miroir de ma chambre d’étudiant pour voir cette même ombre brouiller mes traits : yeux en creux, joues hâves. Je me rasais maladroitement. La chaleur intense de ce mois d’août n’avait pas quitté la nuit. Une sueur sourde collait à chaque centimètre carré de la ville. J’enfourchais mon vélo, sachant que en quelques coups de pédales, en dépit de la douche que je venais de prendre, mon T-shirt serait transformé en un suaire humide.

Dans le hall, je n’eus pas besoin de regarder l’horloge pour savoir, que l’agitation ambiante était inhabituelle. Mais plus que tout, cette atmosphère métallique me prenait à la gorge. Un médecin me reconnut. Il me héla. J’entrais dans la ronde. S’ensuivirent des gestes mécaniques, cette routine à laquelle je m’appliquais journellement était devenue un fanal. Je surnageais à l’angoisse ambiante.

Soudain une main me tira. Des ordres brefs. Ascenseur, couloirs. Nous précédions les brancardiers. Au fur et à mesure, les remontées poisseuses des blessés s’estompaient, balayés par le désinfectant qui imprégnait les murs et les sols. L’une des infirmières vérifia ma tenue.

Je l’ai déjà dit, je suis un homme sensible. Pas extra-lucide. Sensible. En pénétrant dans la salle d’op, je l’ai entendu. Distinctement. Avec cette netteté un peu affolante des apparitions qui s’invitaient dans ma vie. Je savais cet homme entre la vie et la mort. Je captais l’écho des sons mats de son corps, ce tambourinement implacable. Il m’emplissait de sa rage, de cette furieuse envie de ne pas interrompre la course. Déjà j’emboitais le pas à l’équipe. Juste derrière le mentor, l’homme en blouse blanche et aux mains qui plongent la lame à même la chair vive. Ce fut le premier jour, dépucelage au goût âcre qui me laissa sans forces au bout des quatre heures d’opération. J’en sortis épuisé mais certain d’y revenir encore. Je ne pouvais laisser échapper l’appel de ce souffle.

 

Depuis ce premier jour.

Depuis 15 ans.

C’est toujours la même chose.

Une des infirmières vérifie ma tenue et en pénétrant dans la salle d’op, je l’entends...

 

Un homme, une femme, un enfant sont étendus là et je sens battre leur vie. Les yeux ouverts, je plonge à cœur nu.

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Commentaires
C
Tiniak, tu peux t'essayer aussi à la lectorale de ce texte.
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T
J'arrive de la letorale de Caro'... voix claire, pour un étrange contraste avec le texte écrit.<br /> <br /> @Joe Krapov : Tja klar ! ... for as long as "no one can succed like Dr. Robert" ... hé hé.
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J
Ah Caro ! Tu n'as pas besoin d'être chirurgienne, c'est ton stylo qui te sert de scalpel et à chaque fois la frappe (chirugicale ?) tombe juste où il faut tout en respectant le timing adéquat. Une vrai tenniswoman de la salle d'opération !<br /> <br /> @Tiniak<br /> Mash ? 1970 ? Bist du der alt(e) Man, Dr Robert ?<br /> Tsi hi !
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C
Disons qu'il y a la tonalité des musiques et surtout le premier.<br /> <br /> Non je ne suis pas chirurgien. Loin de moi l'idée de la médecine... Ca ne m'a jamais effleuré l'esprit.<br /> <br /> Mais je suis fascinée par ce fragile battement dont dépend notre vie. Et puis j'ai approché (hélas) ces hommes qui plongent dans votre corps pour vous donner une seconde chance ou une meilleure vie, pas de mon plein gré mais j'ai bcp de respect pour cette vocation.<br /> <br /> OK pour la lectorale mais demain ou après-demain
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C
C'est un texte qui m'est difficile à cause de mon histoire perso mais c'est un texte fort.<br /> A cause du coeur, j'aurais dit "Colleen" pour l'inspiration, mais l'écriture, la moiteur, me font plutôt penser à "Wolf"...
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T
Caro, c'est magnifique! Tu es chirurgienne? Pour pouvoir si bien décrire cette atmosphère?
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M
Oh, Caro quelle écriture, quelle force !!!<br /> J'en reste toute "retournée" et admirative de ton style !<br /> Un texte marquant !
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R
j'atteris juste, là...<br /> mais j'ai bien entendu smash ?
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T
... la mort empressée qui pédalait vers son service hospitalier...<br /> <br /> alors, j'appuierai encore P. WOLF ; parce que !<br /> <br /> les amis l'ont déjà dit, mais je souligne : un vrai coup de sang parcourt cette écriture.<br /> <br /> et (puisque Joe n'est pas encore passé) j'ose dire que, cette fois encore, tu ne t'es pas viandée dans ce texte qui se M.A.S.H !!
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J
Il me donne des frissons, ce texte...<br /> Je dirais Colleen, pour la musique.
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B
Oui, impressionnant.
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P
La vache, quel hommage au chirurgien. Superbe.
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V
Piouh, ça me scotche d'entrée de jeu...
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P
Oui, je l'entends également ce cœur qui bat...<br /> Un texte à la respiration haletante.<br /> A entendre de vos lèvres, que donnerait-il ?
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J
Wow. Fortissime, caro. Bravo !
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Z
tès beau ce texte qui prend à la gorge<br /> bravo
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V
Bravo, Caro. <br /> J'ai un gros coup de cœur pour ce texte. Quel morceau, dis? <br /> Je dirais le premier. Non?
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