(Berthoise)
C'est l'histoire d'une attente.
Je t'attends, mon amour.
C'est l'histoire d'une attente qui se termine bien. Une histoire du quotidien. C'est l'histoire d'une angoisse.
Je t'attends, mon amour.
Dans la nuit. L'automne, il fait vite nuit. Tu sais bien que l'automne me pèse. Que la nuit m'est pénible. En automne. C'est la nuit. Je suis dans la cuisine. Je marche dans la cuisine. Je fais les cents pas. J'attends. J'attends ton retour, mon amour. J'ai préparé le dîner. J'ai dressé le couvert. Les enfants ont mangé. Je les ai baignés. Je les ai bercés, embrassés, couchés.
« Papa viendra quand il rentrera. »
J'attends. J'attends dans la cuisine ton retour. Je guette par la fenêtre. J'ai coupé la radio, l'égrènement des heures m'était insupportable. Savoir qu'il est vingt heures et que tu n'es pas là me ronge de l'intérieur. Je vais dans le couloir, je rejoins le bureau, je me plante devant la fenêtre du bureau et je regarde la nuit. Rien. Le passage des phares éclaire succinctement la route. Les arbres à la lumière des réverbères prennent des allures inquiétantes. Leurs branches dénudées agrippent l'obscurité. Je t'attends. J'ai pensé que tu avais du travail, beaucoup de travail. J'ai pensé c'est la pluie, quand il pleut, on va moins vite. Je t'attends. J'ai pensé qu'à cause de la pluie, il y a des accidents. Je t'attends. J'ai pensé...non, je ne l'ai pas pensé. J'attends.
Il est tard maintenant. Je regarde le réveil qui me dit qu'il est tard. Depuis longtemps déjà, j'attends ton retour, mon amour. Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas possible, ces idées qui me traversent l'esprit. Des idées tristes et sombres comme la nuit. On ne s'est pas disputés. Tu ne vas pas me quitter. Rien ne laisse présager une rupture soudaine. J'attends.
Je ne veux pas penser à cette idée terrible de grand choc, d'hôpital. Je n'y ai pas pensé.
Il n'y a plus de voitures qui passent maintenant sur la route. Seul le vent anime la nuit. Je guette par la fenêtre en marchant. J'arpente le couloir. Je passe de la cuisine au bureau, je regarde la nuit et repars d'où je viens. Je pense à notre vie. Nos habitudes, nos plaisirs, aux tics qui nous agacent, à cette façon que tu as parfois de ne pas répondre. Je t'attends. J'ai essayé de prendre un livre, de l'ouvrir, de suivre des yeux les mots. Rien. Tout mon corps est tendu vers la nuit où tu es, où tu vas, où tu viendras vers moi. J'attends ton retour mon amour.
Plus tôt, j'ai ouvert le portail. Pour t'accueillir. Pour gagner du temps. Je guette par la fenêtre.
J'entends. J'entends le bruit de ta voiture. Je sais que c'est toi. Je vois les feux qui s'avancent . J'entends le crissement des graviers dans l'allée. Ton pas lourd dans l'escalier. Je suis debout dans la cuisine. Je regarde la porte. Je te vois.
À travers la vitre, tu souffles, tu t'ébroues puis me souris. Tu ouvres la porte et me serres dans tes bras. Je pleure. Tu me serres contre toi. Dans ton vêtement mouillé par la pluie de la nuit, je verse toutes les larmes de mon attente. J'entends ton cœur qui bat. Je me serre contre toi. Après un long moment de silence où tu me caresses les cheveux, tu t'écartes en souriant.
« Bonjour mon amour. »