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Le défi du samedi
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18 avril 2009

Participation au défi 56 (Stipe)

C'était encore mon bureau. Mais plus pour longtemps, puisque j'étais en fin de bail et que McKelvey devait fignoler les derniers détails de mon expulsion. Vu que l'air conditionné avait rendu l'âme, il y faisait aussi chaud qu'en Enfer. Une mouche se traînait sous mon nez. D'une chiquenaude bien appuyée, je la rayai du tableau, et j'étais en train de m'essuyer les doigts sur mon pantalon quand le téléphone sonna.
Je décrochai.
- Mouais, grommelai-je.

- C'est moi, m'appris la voix. Je passe diner ce soir, je dois te présenter quelqu'un.

C'était toujours simple avec lui, pas de chichis. Du genre à te retourner une réponse positive au carton d'invitation que tu ne lui avais jamais envoyé.

Je passai à l'échoppe en bas pour m'approvisionner en vin. Pour la bouffe je pris des cacahuètes mais aussi quelques sandwichs, des fois que son quelqu'un ne sache pas se contenter d'arachides.

J'avais pas l'air, mais mine de rien ça me faisait plaisir de le revoir. Et puis sa voix avait été plutôt rassurante. Enjouée? Peut-être bien…

Il se pointa très tard, mais pas en retard étant donné qu'il ne m'avait pas précisé d'heure. J'avais été tellement surpris, au moment même où il avait franchi la porte, de déceler comme un sourire sur sa tronche ravagée par les excès que j'en avais oublié le quelqu'un en question. On s'était embrassés comme deux vieilles canailles et on s'était mutuellement assurés qu'on allait pas trop mal.

Puis il me désigna la raison de son invitation. Une espèce de putain pulpeuse tant que cadavérique, fagotée dans des haillons provocants. Son visage n'était que son propre reflet et manifestait aussi peu d'expressions que le paillasson qui lui servait de présentoir.

Alors il était venu pour ça, pour me montrer qu'il trompait Linda avec un rejet de la rue?

- Je te présente Lady Dess. Lady, je te présente mon vieil ami.

- Enchanté.

En réponse, un hochement de tête. J'avais bien fait de prévoir large sur le vin, j'allai en avoir besoin pour que cette soirée ressemble à quelque chose de plus gai qu'une veillée funèbre.

Comme prévu, en fait de diner on passa notre temps à vider une bouteille de whisky dans un premier temps puis quelques autres d'un vin français dans les temps suivants. La lady se contentait de tremper ses lèvres dans le verre qui n'était pourtant pas si crasseux que ça.

Charles me parla de lui, du fait qu'il se sentait vieillir, de son argent claqué aux courses, du relatif succès de son dernier bouquin. J'avais fini par en oublier la présence de quelqu'un, au point que je faillis ne pas même m'apercevoir quand elle s'était levée pour prendre congé. Sans même un signe ostentatoire de salutation, elle se dirigea vers la porte et juste avant de refermer celle-ci derrière elle, elle prit la peine de considérer mon existence.

- Au revoir. Nous aurons l'occasion de nous rencontrer à nouveau…, me murmura-t-elle dans une voix à mi chemin entre le rauque et le sensuel.

Puis elle s'éclipsa définitivement.

- Qu'est-ce qu'elle a ? je demandai. J'ai dit une connerie, je l'ai vexée?

- Elle avait sûrement une urgence, elle a des astreintes.

- Charles. C'est quoi cette putain que tu m'as ramenée?

Il nous resservit du vin et toussa la fumée de sa clope dans un crachat catarrhal.

- C'est ma nouvelle quête. Je l'ai dans le sang. Je ne pense plus qu'à elle. Je n'ai plus d'espoir et j'ai plus de soixante-dix années au compte-tours. Tiens, c'est elle qui sera l'héroïne de mon prochain bouquin. Tu comprends, Lady Dess je l'ai dans le sang, c'est ma dernière compagne.

On était tous les deux saouls comme des routiers et pourtant il me restait suffisamment de lucidité pour voir sur son visage cassé ce mélange de satisfaction et de mélancolie, de peur et de sang-froid.

On se finit au vin et à la cacahuète, à se parler de nos vies. Surtout de la sienne. Au moment des bilans il ne reste jamais assez de vin dans les verres pour faire passer le goût de l'amertume.

Il repartit raide bourré. Je ne le revis jamais.

Pulp, son dernier bouquin, raconte l'histoire d'un privé chargé par Lady Death, plus communément appelée La Faucheuse ou La Mort, de retrouver Louis-Ferdinand Céline afin de se "l'offrir".

Charles Bukowski avait tout juste terminé l'écriture de Pulp lorsqu'une leucémie l'emporta au royaume des poivrots. Par cette œuvre ultime, il signa son épitaphe d'une dernière pitrerie, donnant le premier rôle à cette Lady Death qu'il avait effectivement dans le sang. Sang-froid ou culot, il avait pensé à me présenter sa dernière compagne. De mon côté, j'avais pensé à oublier de lui dire que je l'aimais beaucoup.

Tu parles d'un dernier souper de cons…

Les premières phrases de ce texte sont des vrais zestes de Pulp.

 

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Commentaires
T
du sang frais, du rouge, et du noir, du bien épais sur les bords, fluide au milieu, du qui coule et roucoule un esprit délictueux...<br /> <br /> yep yep!<br /> bien content que tu aies rejoint cette joyeuse bande de scribouilleurs (tu verras, on y est bien traité - c'est-à-dire de tous les noms, mais bien)<br /> <br /> et puis, je sais pas pour toi... mais moi ça me rappelle à mes vieux "samedi est à vous" ousskon attendait fébrilement le choix du public pour savoir si notre feuilleton favori allait gagner ses faveurs et du même coup le petit écran noir et blanc.<br /> <br /> tu prends quoi ?<br /> une sévère, sûrement !<br /> ;o))
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J
Bel hommage qui nous montre que finalement Bukowski est bien plus fréquentable que Gainsbourg. La dernière fois que je l'ai vu, celui-là, il brûlait des billets de cinq cents euros ! S'rend pas compte, lui, que c'est la crise ! Faudrait pas que lady Death les relâche trop souvent ! Déjà que Tiniak et Rimbaud sont encore à faire les zouaves quelque part ! Et George Sand qu'a pas voulu r'monter avant qu'on ne lui donne le bonjour d'Alf raide !<br /> <br /> Bienvenue à bord !
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P
belle ambiance, même si j'avoue ne pas bien connaitre bukowski... du coup je ne peux sans doute pas apprécier comme il se doit ;o)<br /> Un plaisir de te lire ici en tout cas!
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J
J'adore! l'ambiance, les descriptions... et Bukowski, bien sur.
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V
Bravo! J'aime beaucoup également! Bienvenue, Stipe, je suis enchantée... et pressée de vous relire ici!
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T
J'aime vraiment bien ! Merci Stipe!
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P
Plus qu'une rencontre c'est un hommage.<br /> Bienvenue Stipe.
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J
Merci pour la présentation !
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