L'inavouable potomanie d'Emma (Val)
Emma n’avait que faire des voitures. Elle se moquait ouvertement de ceux qui bichonnaient leurs engins de tôle. Pour elle, c’était le comble de la beaufferie. Elle raillait également ces pauvres mecs qui se sentaient forts et bien montés en volant de leur grosse et puissante voiture en érection. Elle pensait volontiers que les grosses bagnoles bien tape à l’œil étaient le pénis de substitution des impuissants et de tous les frustrés.
.
Emma avait bien sûr une voiture, mais une toute petite, qui était simplement pratique. Pas jolie, pas rapide, pas équipée. Juste pratique. Ça tombait bien, c’était la seule chose qu’elle demandait à une voiture. Sa vieille Saxo avait le même statut que son robot de cuisine : une machine qui facilitait son quotidien. Une machine stupide, mais nécessaire. Ni plus, ni moins.
.
Elle n’avait rien demandé, cet après midi là. Elle voulait simplement rendre service… Une voiture pour transporter des objets sales, elle en avait une : la sienne. Peu lui importait qu’on charge son coffre de terre ou de ciment. Une bagnole, c’est comme un robot, ça se lave ! D’ailleurs, elle avait du mal à comprendre que ses amis se refusent à charger des choses salissantes dans leur bagnole. Une voiture, ça sert à ça, après tout !
En échange, sans qu’elle ne demande rien, on lui avait remis le sésame. Elle avait décliné, mais les amis avaient insisté pour qu’elle la prenne, au cas ou elle en aurait besoin…
.
Elle vit sa vieille Saxo partir, et regarda de plus près le robot dernier cri garé dans sa cour. Elle dut admettre que la « chose » était tout de même très belle, pour une bagnole. Une petite sportive allemande gris métallisé, aux lignes élégantes, mais un peu trop clinquante. Ses amis aimaient s’entourer d’objets de luxe qui faisaient leur petit effet. Elle faillit tourner le dos à l’engin avec dédain et rentrer chez elle lorsque soudain, elle fut prise d’une violente soif : il fallait qu’elle s’assoie au volant. Et vite !
.
Elle ouvrit la portière brusquement, s’installa à la place du conducteur, et sa soif était toujours présente. L’envie était trop forte. Il fallait qu’elle aille plus loin pour l’épancher. La clef lui brûlait les doigts comme une bouteille déposée sur une table nargue l’assoiffé. Presque malgré elle, elle l’enfonça et la tourna.
.
Quelques secondes plus tard, elle réalisa qu’elle était sur la route au volant de la belle allemande , comme on est surpris parfois en portant son verre à ses lèvres et en constatant qu’il est déjà vide. Il était trop tard pour faire demi tour. Quitte à apaiser cette soif soudaine, autant l’anéantir complètement.
.
Elle fit un tour en ville, et il fut plutôt décevant. Sa gorge restait sèche, presque douloureuse. L’eau tiède des ronds-points et feux rouges ne la désaltérait pas. Elle rêvait d’un verre d’eau glacée, rempli de glaçons, de ces gorgées qui donnent d’agréables frissons, mais aussi cette petite culpabilité de faire quelque chose de mauvais pour soi. Boire de l’eau glacée n’est pas très bon pour l’organisme, c’est bien connu. Mais c’est si tentant, quand on a soif…
.
Elle suivit les panneaux bleus et se retrouva sur l’autoroute. Sa soif diminuait. Maintenant, elle buvait par gourmandise. Les cent cinquante chevaux hennissaient sous le capot. Eux aussi, ils étaient assoiffés. C’était un cri de complainte qu’ils poussaient à chaque accélération. « Plus d’eau, donne-nous plus d’eau. Plus fraiche, encore plus fraiche, l’eau ! ». Les pneumatiques aussi semblaient boire le bitume. La voiture entière avalait la route d’une gorgée. Et Emma frôlait la potomanie. Elle but beaucoup. Beaucoup trop. Beaucoup trop vite. Elle but comme boit un adolescent qui découvre les boissons alcoolisées. Elle but de l’adrénaline jusqu’à l’ivresse.
.
La crise dura une bonne heure, et puis elle n’eut plus soif. Il fallait rentrer, à présent. La voiture avait beaucoup trop bu, et comme Emma tenait à sa réputation, elle avait pris soin de passer à la station service avant de rentrer. Elle rangea la belle sportive à l’endroit précis ou elle l’avait démarrée, eut la précaution de remettre le compteur à zéro et ferma la portière avec ce sentiment étrange qu’ont les fêtards les lendemains de cuite.
.
Quand ses amis revinrent, elle leur expliqua, l’air détaché, qu’elle avait eu une course urgente à faire, et s’excusa d’avoir touché au compteur… elle s’était trompée de bouton !
.
Le scénario, depuis ce jour, se répète régulièrement. Addiction honteuse, inavouable.
. La Saxo d’Emma, bizarrement, tombe très souvent en panne. Elle a de la chance, Emma, ces amis à la grosse sportive allemande lui prêtent volontiers la leur quand la sienne est immobilisée.
.
Emma ne se désaltère plus du premier frisson, celui de l’eau plate, même très glacée. Sa soif est devenue plus exigeante. Elle invente et teste désormais mille cocktails différents pour l’apaiser. Son préféré reste le subtil mélange de l’eau de pluie et de l’épingle à cheveux. Elle prise également les chemins creux par temps clair, mais les preuves de son vice sont plus longues à dissimuler après la crise.
.
Ses proches, ignorant son addiction honteuse, lui conseillent de changer de voiture, la sienne n’étant plus très fiable . C’est vrai quoi, une voiture qui tombe en panne tous les mois, c’est du jamais vu ! C’est pas qu’ils en ont mare de lui prêter la leur, mais la situation n’est pratique pour personne…
.
Emma leur répond innocemment qu’elle changerait bien de voiture, mais elle n’y attache que si peu d’importance…
Une bagnole neuve et clinquante, c’est le comble de la suffisance ! Et encore plus si elle est puissante
.
Non, vraiment, Emma préfère garder sa petite voiture pratique. Les bagnoles, c’est pas son truc. Elle, elle est si sobre comparée à ces insensés inconscients qui se croient invincibles, une fois au volant de leurs pénis en tôle…
.