L'ombre au tableau (Caro_Carito)
A A. en toute amitié.
Il la regarde. C. a toujours de drôles d’idées. Des sautes d’humeurs aussi. Elle a le chic pour les plans foireux. D’ailleurs c’est comme ça qu’il l’avait rencontrée, pendant une soirée foireuse. Ils étaient étudiants. Il avait bu ce soir-là. Beaucoup. Elle aussi mais l’alcool avait moins prise sur elle. Ils avaient dû se raconter des tonnes de conneries. Il était rentré dans son foyer sans penser que leur amitié avait déjà démarré.
Il jette un coup d’œil. Elle sautille dans tous les sens. Une dizaine d’inconnus hétéroclites sont rassemblés à la sortie du métro. Il ne connaît que sa coloc. Une grande bringue férue d’art et de peintres décadents C’est pas elle qui a ramené dans leur petit appart ce nu masturbatoire d’Egon Schiele ? Après tout, C. a toujours fréquenté des gens bizarres, des conférences obscures, des auteurs nébuleux. Ils parlent de psychologie et théorisent le monde. Comme elle, ils sont tous fauchés. On aurait pu croire qu’elle se donnait un genre. Mais il en était venu assez vite à la conclusion que, chez elle, c’était naturel.
Il aimerait savoir où va les mener ce pique-nique. Manger dehors en septembre, il n’y a qu’elle ! Heureusement il fait beau car C. n’a sans doute pas prévu de solution de repli. La bande est là au complet et sans retard notable. Première étape : s’entasser dans les deux petites voitures. Deuxième étape : dès l’arrivée à Ville d’Avray, débarquer paniers, boutanches et plaids. Il se demande bien pourquoi il accepte ses invitations. Elle lui a pourtant pété quelques câbles et des méchants. L’un surtout un matin alors qu’ils devaient assurer ensemble un vague taff de WE. Elle était partie en vrille, il avait faillir se barrer juste avant de la voir en larmes. Ce jour-là, il avait eu mal alors qu’elle sanglotait dans ses bras. Barjo, elle l’était restée, à coup sûr. Imprévisible ; si elle lui annonçait son intention de rentrer dans les ordres ou de partir en Afrique, cela l’étonnerait à peine. Il jette un coup d’œil à sa montre. L’après-midi est entamée mais des lampes ont été prévues. Pas de connerie notable en vue. Est-ce l’amour qui la rendrait enfin raisonnable?
Pas mal cette assiette de fromage et bien trouvée l’idée des salades et des pains variés. Il reprendrait bien celui aux noix. Le côte du Rhône est parfait. Il observe à la dérobée, celui qui l’a amené. C’est donc lui. Il a l’air sympa. Il en a rencontré des pires. Il se marre en douce. Il a, lui-aussi, présenté à C. quelques spécimens notables de foldingues. Quelqu’un lui passe le dessert, raisins et pommes, avec quelques chocolats et biscuits secs et remplit son verre. On sort un thermos de café et même une bouteille de cognac d'un des paniers en osier.
Il contemple les étangs de Corot. Il comprend que l’on ait voulu les peindre. Il ne peut s’empêcher de penser que c’est quand même con toute cette étendue liquide sans même une seule bouteille d’eau minérale à portée de main.