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Le défi du samedi
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4 avril 2009

Brushing (Caro Carito)

« Tu comprends, j’ai voulu me faire un brushing pour cet entretien mais ce foutu engin était cassé. Je suis arrivée avec une tête de folle. Ils ne risquent pas de me rappeler !» 

Un léger tremblement a parcouru son corps râblé. Il pense à elle, sa femme. Marie-Christine. Des bouffées de souvenirs l’envahissent. Il se souvient de cette colère alors qu’elle venait d’ouvrir sa valise. « Mon sèche-cheveux m'a lâchée ce matin, je ne sais pas comment je vais faire» Ils rentraient d’un séjour à Rome. Des années durant lesquelles ils avaient rêvé partir sans se décider jamais. Et finalement... Il se tenait juste derrière elle, l’écoutant s’irriter, l’observant passer une main nerveuse dans ses boucles rousses. Elle n’aimait pas le gaspillage, supportait difficilement que les objets se cassent, qu’il faille les jeter. Elle le ressentait comme un défi personnel, une attaque à l’ordre réglé des choses. Une manie ancienne dont elle n’avait jamais pu se défaire et que les enfants moquaient gentiment. « Maman est sentimentale... mais pas avec papa. Ou nous. Uniquement avec les fourchettes à dessert et les ampoules basse tension ! » Lui ne disait rien. Il maniait les outils, pas les mots. Ce jour-là, il avait pris le sèche-cheveux de ses mains et l’avait descendu à son atelier. Il l’avait dépecé, nettoyé, ausculté. Il lui avait redonné vie. Étrangement, c’est entre ses quatre murs que leur amour semblait le plus présent. Quand il se demandait pourquoi elle l’avait choisi, lui si modeste, il revoyait les objets que ses mains avaient remis d’aplomb. Pour elle. Parfois, il sentait qu’elle était là, que ses yeux gris se posaient sur son bleu de travail, sur ses mains calleuses. Elle aimait le surprendre. Il jetait un coup d’œil à l’épaisse alliance qu’il avait posé sur le rebord en se disant qu’un bref instant il savait.

Marie-Christine. Il la revoit encore. Une valise éventrée sur le lit. Elle se tourne vers lui et lui tend le sèche-cheveux « Prends-le. Je n’en aurais plus besoin là-bas, à la clinique. » Il s’en saisit trop vite. Il ne peut s’empêcher de voir le bras mince sous la blouse. Il lève les yeux, rencontre son regard gris. « Tu ne le jetteras pas ; il peut encore servir à quelqu’un. » Elle répète. «  Tu le donneras, hein ?...» Cette voix suppliante, inconnue, le désarçonne. Il acquiesce en silence. Elle se penche à nouveau sur le linge éparpillé sur l’édredon. Il contemple sa nuque fragile. Elle a noué un foulard pour masquer son crâne à nu. Il sait désormais que cela sera son dernier voyage. Elle ne reviendra pas.

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Commentaires
A
"Lui ne disait rien. Il maniait les outils, pas les mots."<br /> <br /> Je sais pas pourquoi, mais ça m'a fait penser qu'il était peut-être muet. Je sais, c'est stupide, mais ça m'a émue...<br /> <br /> <br /> Du reste, le texte entier m'a émue. Bravo pour ce petit chef-d'oeuvre, donc ;-)
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J
Non, caro, surtout, ne change rien !
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C
J'avais deviné Joye parce que qui d'autre aurait pu voter pour Obama. :o)<br /> <br /> En fait même si le texte était une évidence... j'ai aussi hésité, j'ai failli le visiter version gore où au final on découvre qu'il l'a dépecé pour lui redonner vie (une version pandora quoi) mais non je ne le voyais pas faire ça.<br /> Promis prochiane fois je la jouerai plus cool.
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J
Pardon pour le mauvais pseudo, je ne me rendais pas compte que Canalblog l'avait gardé. C'est moi, joye, qui ai voté pour Obama, naturellement.
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V
Le dernier paragraphe, magistral, Caro. Je dirais bravo sauf pour le noeud dans ma gorge.
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P
oh quelle jolie narration pour un objet qui s'en ira vers une autre vie ...
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J
Caro_Carito et ses textes coups de couteau. Heureusement qu'on est dans le format court. Tu en fais six pages de ce script et on n'a plus d'entrailles tellement ça nous les remue ! ;-)<br /> Bravo, vraiment.
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M
Bouleversant !!!!
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Z
très beau et très dur ce texte qui nous renvoie à nos proches malades, ou révèle des peurs difficilement avouables...silence et recueillement
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V
C'est joliment bricolé Caro... pas encore des souvenirs pour moi mais du présent dans ma proche famille, alors ça résonne dur.
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P
Je ne devrais pas, mais ce sont des souvenirs qui remontent.<br /> Je ne devrais pas parce que votre texte appelle le silence et le recueillement mais je repense à cet album de dessins humoristiques de Claude Serre : "Le bricolage". Un homme feuillète un de ses nombreux ouvrage encyclopédique de bricolage, le titre : "la chirurgie esthétique".<br /> Je ne devrais pas, mais c'est peut-être une manière inconsciente de continuer à espérer.<br /> En tout cas, Caro, un récit très émouvant.
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T
Si triste mais si beau... Bravo caro!
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W
Dur dur Caro. Mais très bien écrit.
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V
Je suis sans voix...<br /> Merci.
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V
Caro il est très dur ce texte. Mais les émotions sont très bien rendues, il m'a noué la gorge.<br /> Bravo.
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