Brushing (Caro Carito)
« Tu comprends, j’ai voulu me faire
un brushing pour cet entretien mais ce foutu engin était cassé. Je suis arrivée
avec une tête de folle. Ils ne risquent pas de me rappeler !»
Un léger tremblement a parcouru son
corps râblé. Il pense à elle, sa femme. Marie-Christine. Des bouffées de
souvenirs l’envahissent. Il se souvient de cette colère alors qu’elle venait
d’ouvrir sa valise. « Mon
sèche-cheveux m'a lâchée ce matin, je ne sais pas comment je vais
faire» Ils rentraient
d’un séjour à Rome. Des années durant lesquelles ils avaient rêvé partir sans se
décider jamais. Et finalement... Il se tenait juste derrière elle, l’écoutant
s’irriter, l’observant passer une main nerveuse dans ses boucles rousses. Elle
n’aimait pas le gaspillage, supportait difficilement que les objets se cassent,
qu’il faille les jeter. Elle le ressentait comme un défi personnel, une attaque
à l’ordre réglé des choses. Une manie ancienne dont elle n’avait jamais pu se
défaire et que les enfants moquaient gentiment. « Maman est sentimentale... mais
pas avec papa. Ou nous. Uniquement avec les fourchettes à dessert et les
ampoules basse tension ! » Lui ne disait rien. Il maniait les outils, pas les
mots. Ce jour-là, il avait pris le sèche-cheveux de ses mains et l’avait
descendu à son atelier. Il l’avait dépecé, nettoyé, ausculté. Il lui avait
redonné vie. Étrangement, c’est entre ses quatre murs que leur amour semblait le
plus présent. Quand il se demandait pourquoi elle l’avait choisi, lui si
modeste, il revoyait les objets que ses mains avaient remis d’aplomb. Pour elle.
Parfois, il sentait qu’elle était là, que ses yeux gris se posaient sur son bleu
de travail, sur ses mains calleuses. Elle aimait le surprendre. Il jetait un
coup d’œil à l’épaisse alliance qu’il avait posé sur le rebord en se disant
qu’un bref instant il savait. Marie-Christine. Il la revoit encore. Une
valise éventrée sur le lit. Elle se tourne vers lui et lui tend le sèche-cheveux
« Prends-le. Je n’en aurais plus besoin là-bas, à la clinique. » Il s’en saisit
trop vite. Il ne peut s’empêcher de voir le bras mince sous la blouse. Il lève
les yeux, rencontre son regard gris. « Tu ne le jetteras pas ; il peut encore
servir à quelqu’un. » Elle répète. « Tu le donneras, hein ?...» Cette voix
suppliante, inconnue, le désarçonne. Il acquiesce en silence. Elle se penche à
nouveau sur le linge éparpillé sur l’édredon. Il contemple sa nuque fragile.
Elle a noué un foulard pour masquer son crâne à nu. Il sait désormais que cela
sera son dernier voyage. Elle ne reviendra pas.