Flocon de coton blanc… un génie ? (Captain Lili)
Je
me lève et je me bouscule… et je reste accrochée à mes rêves de funambule,
comme d’habitude.
Dans le vague, j’ai bu mon thé
d’agrume. Savouré les tartines mielleuses et moelleuses qui l’accompagnent
chaque matin. J’en suis à l’étape maquillage et, bien sûr, je suis en retard. J’ai
perdu les minutes sous l’eau brûlante de la douche… Un doux reflet cuivré sur
les paupières, la bataille avec le mascara pour le poser sur les cils et non me
l’enfoncer dans l’œil, le rose à lèvres… et zip, je déraille !
Un gros flocon de coton blanc
s’échappe de la bonde de la baignoire avec des « blops », des
« ouch », des « ziiiiiiiiiiiii » et j’entends une voix
bonhomme de gros nounours s’exclamer : « aaaaah, ça fait du
bien ! Ils sont vraiment crades ces tuyaux, je n’en pouvais plus ! Je
suis sûr que j’ai des tâches grises sur mon bel habit blanc maintenant… Ah,
j’aime bien ce boulot mais alors les conséquences… et personne ne nous plaint
jamais… Enfin, occupons-nous de vous ! » Et je me retrouve face-à-face
avec une grande bouche, fendue d’un sourire qui va d’une oreille à l’autre (si
cette forme a des oreilles…). Je cligne des yeux trois fois, puis trois autres
fois, les frotte comme une lampe magique… le flocon de coton blanc m’attend, sagement
installé dans mon lavabo.
« Bonjour, je suis un génie, alors,
c’est quoi tes vœux Mamzelle ? » m’assène-t-il sans sourciller !
« Euh mes vœux quoi ? » balbutie-je… Il s’esclaffe gentiment :
« tu habites dans la lune, Mamzelle ? Tu es encore dans les brumes du
sommeil ? Je suis un génie, donc j’exauce des vœux. Quatre, pour être
précis. Et pour être encore plus précis, c’est deux gentils, et deux moins
gentils. » Je me surprends à rétorquer « c’est quoi, des vœux moins
gentils ? » Et le flocon de coton blanc, génie de son état donc, se
lance dans une longue dissertation sur les vertus comparées des vœux, exemples
tirés de son expérience à l’appui… Je suis toujours avec mon maquillage raté et
les minutes s’échappent de l’horloge à une vitesse !
« Et si on reparlait de tout
ça ce soir ? » est la seule phrase sensée qui me vienne, si tant
est que ce soit sensé de parler avec un génie… « Là, il faut que je file,
j’ai un rendez-vous important ! » « Plus important que des vœux,
Mamzelle ? Impossible ! Mais plus tu tardes à me faire tes vœux, plus
je reste à l’air libre, alors ça me va ! On va où ? »
On ???!!! « Ben Mamzelle, tu ne sais pas que les génies, enfin
surtout moi, c’est ma spécialité, ils ne disparaissent que lorsque tu as fait
tous tes vœux ? J’ai apparu, t’as gagné, et tu ne veux pas
jouer ? » Gagné, gagné… pour le moment, j’ai surtout un gros flocon
de coton blanc qui veut me suivre partout…
« D’abord, je n’ai pas frotté
de lampe à huile alors qu’est-ce que tu fais là ? Tu ne te serais pas
trompé de route par hasard ? »
Le génie reprend son air sérieux de
professeur et je réprime un rire tellement il en rajoute : « Je vois
qu’on connaît ses classiques, Mamzelle … Aladin version Disney ou version
littéraire ? Moi pour que j’apparaisse, c’est beaucoup plus complexe.
C’est un peu technique, c’est une conjonction précise entre le choix du rouge à
lèvres, le geste de la main, et l’heure… »
Bon, ben je crois que mon premier
vœu moins gentil, ça va être de reporter mon rendez-vous important… « Une
grève générale surprise, c’est possible ? Ça fera les pieds au prési-prince
pendant qu’on y est ! »
« Tope-la Mamzelle, j’adore
mettre la pagaille ! (il y a un POP dans une poussière poudrée) C’est
quoi, ton deuxième vœu ? »
Ouh la, il est rapide… Il y a trois
choses que je veux dans ma vie. Mais le monde aurait bien besoin de mes vœux
aussi…
« J’ai oublié de te dire,
j’exauce les vœux personnels : la paix dans le monde, la vie douce pour
tous, tout ça, ce n’est pas mon rayon. C’est beaucoup trop difficile pour un
simple flocon de coton blanc de mon espèce ! »
Je m’affale sur le canapé, et le
génie aussi. « Alors, alors, c’est quoi tes vœux ? On n’est pas
obligé de les faire tout de suite mais tu comprends, je suis curieux ! Ca
tourne souvent autour des mêmes choses, les vœux : amour, travail,
vengeance… Je fais la liste de ceux qu’on me demande, tu veux que je te la
lise ? » Et il sort un long, très long ruban bleu de ce qui doit être
une poche-portefeuille. « Euh, ça fait longtemps que tu es
génie ? »
Il se met à compter sur ses doigts
boudinés comme des cumulo-nimbus… « 10803 vœux exaucés, Mamzelle, et
aucune réclamation ! » Hum… pendant qu’il lit, je trouverai peut-être
les vœux 10804, 10805 et 10806… Je veux un amoureux, une santé du tonnerre et
vivre de mes écrits… Mais dans quel ordre de priorité ? Refiler mes
douleurs à quelqu’un d’autre, ce n’est pas un vœu moins gentil, c’est un vœu
très méchant ! A moins que je choisisse un dictateur ou un violeur
d’enfant ? Demander des douleurs à jours fixes, un quota pour une
année ? Ce que je voudrais le plus, c’est… « Dis, on peut faire un
vœu pour l’avenir ? »
… Epouser machin-chouette… avoir un lave-vaisselle… conduire une Porsche…
Le flocon de coton blanc lève la
tête de sa liste, sourit : « oui, mais par contre, je ne peux pas
faire tomber amoureux, c’est Cupidon qui a le monopole ! »
…
savoir chanter… posséder une Rolex…
Bon, qu’est-ce qu’il me
reste ? Ecrire en sachant que je vendrai quoi que je fasse, bof… Etre
écrivain, c’est autre chose…
« Oh je voudrais passer mon
automne au Canada ! »
« C’est
noté Mamzelle ! »
Oups, il ne me reste plus qu’un vœu
gentil et un vœu moins gentil… Une rupture de stock régulière pour de nombreux
livres un peu trop exposés, histoire que ça laisse de la place dans les librairies
pour ceux qui restent invisibles, que chacun ait une chance sans battage
médiatique ? Et puis, ce vœu pour l’avenir… « Je veux une belle histoire
heureuse », c’est une formule qui résume un peu tout ?
…
avoir tous les bisounours… que je disparaisse parce que je suis vraiment
collant…