Rapt (Ondine)
Mon inaccessible amour,
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La
photo que tu as prise du phare ne me quitte pas. Le jour, je la glisse dans mon
portefeuille, le soir, sous l’oreiller. Comme je me languis de toi, de ces
trois jours passés loin de tout, de tous, vécus dans l’instant. Temps volé,
envolé. Je me fais violence. Je tente d’oublier, de me perdre en cet ailleurs.
Cette
nuit, comme toutes les nuits depuis que nous avons réintégré nos vies
respectives, les heures s’effilochent, douloureuses. De temps en temps, j'ouvre
les yeux, pour comprendre si l’obscurité se prolonge ou s'achève. J'appelle
l'heure bleue, comme une condamnation, comme une délivrance, mais elle se
refuse à moi. Une fois, cinq fois, j'ai failli descendre, pour t'écrire, pour
oublier, pour me sentir mourir à petit feu. Dix fois, cent fois, j'ai senti la
morsure de la douleur, celle de respirer loin de toi, de te sentir présent en
moi, de ne pas pouvoir accepter les roses et négliger les ronces. Mille fois,
dix mille fois, j’ai tourné sur moi-même, un volcan en irruption dans mon corps
et ma tête. J’ai essayé d'éteindre le feu, sans succès.
Je me suis rappelé cette aube blafarde alors que, légèrement frissonnante, je
m’étais enveloppée dans ta chemise, m'imprégnant de ton odeur, l'imprégnant de
mon odeur. Je pensais aux matins où tu allais la remettre, qu'elle deviendrait
pour toi à la fois carapace et réconfort. J’ai imaginé ton trouble poindre
quand tu repenserais à cet instant précis, la gourmandise de mon regard,
l’insolence de mes jambes à peine couvertes, au milieu d'une réunion officielle.
Combattre le souvenir pendant que l’on convainc le client.
Emportée
par le feu qui couvait en moi, j’ai rêvé d’entendre ta voix, là, sur le champ.
J’ai souhaité que le soleil se lève sur la mer, que tes mots glissent dans mon
oreille, ton souffle contre le mien, couvrant le bruit des vagues, du vent.
J’ai voulu contempler ton écriture, en détailler les aspérités, laisser le
geste couler sur moi, en moi. Un fugace instant, j’ai senti ton odeur, le grisant
de ton parfum s’amalgamant au grain de ma peau. Mes doigts se sont accrochés
aux draps, dans l’espoir de déchiffrer ton corps robuste, en aveugle, avec
tendresse, avec douceur. Ma main n’a trouvé que le creux de ma hanche. Dérive,
délire, désir...
L'heure bleue a enfin accepté ma douleur en offrande. Elle m'a enveloppée de
ses bras protecteurs. Tu t'es fondu en elle et je me suis endormie. Quelques
heures à peine plus tard, j'ai cru être réveillée à coups de pieds. Je ne
pouvais pas déjà te quitter, après avoir perdu toutes ces heures à te
retrouver. Une envie de vomir m’a assaillie, mais je me suis levée, lentement,
douloureusement, en souhaitant que dans la clarté du matin ma peine s'allège.
Ondine
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Toute ressemblance entre les personnages est
peut-être fortuite. Ou pas.
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