Braises (Caro Carito)
Sainte-Reine….. …..
Pirou
Plage
.
J’ai
reçu cette carte hier. Elle s’était glissée entre un catalogue et quelques
prospectus. Et une facture, je crois. J’ai d’abord cru que c’était une erreur.
Je l’ai retournée plusieurs fois dans mes mains mais mon nom était bien inscrit
en toutes lettres. L’adresse aussi. Il n’y avait même pas d’erreur à Janinscky.
Qui pouvait encore connaître mon nom de jeune fille… J’ai cru un instant à une
mauvaise blague…
Pas
de texte, juste quelques lettres hoquetantes, sous le timbre banal, tracées sur
la surface glacée. Là, j’ai vu qu’il ne s’agissait pas d’une carte postale mais
d’une photographie.
Plus
tard quand j’ai enfin trouvé quelques minutes apaisées dans l’envol permanent
qui règne sur la maison : portes claquées, rires et guerres fraternelles
factices, course effrénée entre les jumeaux et Mistigrette. Plus tard donc, je
me suis assise là où un peu de sérénité s’était réfugiée. Je voulais observer ce paysage brumeux. Eaux dormantes, frêle
esquif. Un phare juché au bout du monde. Pour te redécouvrir.
Car
c’est toi, n’est-ce pas ? Ta main carrée a tracé soigneusement l’adresse.
Dix ans sans nouvelles, dix ans jour pour jour. Postée de Pirou Plage. J’entends encore ce petit nom que tu me
glissais à la dérobée dans le creux de l’oreille. Pirou…
Et
cette tache grise qui rend mon prénom presque illisible. J’ai voulu croire à la
pluie. Je n’ai pas pu. Pas longtemps. Je t’ai deviné, quelques jours de
printemps plus tôt, dans la fraîcheur persistante des matins d’avril, te
dirigeant vers la boîte jaune. Le froid piquant t’a arraché une larme, ou serait-ce
une ombre du passé…
J’ai
encore en tête ton odeur de sel et d’herbe dure quand je me brûlais en embrassant
ta joue pour un bonjour. J’aurais voulu plus. Je sentais nos corps se durcir
puis s’éloigner. Gêne fugace. Nos paroles s’accrochaient, s’écorchaient. Enfin,
un souffle complice. Trêve.
Ce
jour-là. Dix ans déjà. J’avais posé ma main, un instant, sur ton bras. Tu avais
incliné ta tête vers moi. Je revois l’ombre grise de ton regard. Tu es resté
immobile. Aucun de nous n’a osé ce geste qui aurait fait flancher la balance.
Un léger bruit, l’instant s’est enfui.
Tu
parlais trop, de projets et d’impossible. D’un phare du bout du monde comme une
lueur dont le sillage apaise. Tes paroles se déversaient en flots tumultueux.
Je ne disais rien. Aucun mot n’aurait pu endiguer le courant de tes pensées. Je
devinais sans peine comment apaiser ton âme. Ton regard, tout en toi quémandait
une réponse, cherchait à m’arracher un serment, un demain. Comment promettre
sans me dédire. J’évitais ton regard, je me voulais transparente. Tu es parti,
me laissant ces derniers mots qui tremblaient presque. Dans dix ans, m’auras-tu
oublié, parce que moi… Dix ans déjà, ta voix frisonne encore en moi.
Je
suis toujours institutrice ; mon adresse est la même. Je n’ai jamais
quitté Sainte-Reine. Les enfants ont grandi, bien sûr. Au fond, rien n’a
vraiment changé.
Je
posterai cette lettre dès que la nuit viendra. Le village sera désert. Quand le
rectangle gris disparaîtra dans la fente della bocca de la verita, je frissonnerai.
Je sentirai comme parfois le poids de ton regard. Le regret mordra à pleines
dents, je sentirai le manque s’emparer de chaque parcelle de mon être. De toutes mes forces, j’éloignerai les
chimères assassines, les peut-être cruels, parce que je t’ai aimé.
Parce que je t’aime encore.
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V.
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Toute ressemblance entre les personnages est
peut-être fortuite. Ou pas.
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