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Le défi du samedi
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15 novembre 2008

Dryade et grillade ? (Joe Krapov)

I.

Ce matin, il a posé deux cordes supplémentaires sur sa lyre.
- C’est idiot un instrument à neuf cordes alors que la gamme ne comprend que sept notes ! » lui dit-elle.
- C’est, répond-il, en hommage aux neuf muses. » 

Il vient toujours faire le Jacques non loin d’elle. Quand il joue de son instrument les rochers et les arbres se déplacent pour venir l’écouter. Elle ne reste pas de bois non plus, même si elle est nymphe des arbres. Mais elle sait. Epouser cet homme qui l’aime et qu’elle aime tout autant, ce serait aller vers leur bonheur mais aussi très rapidement vers leur perte. 

Tout en eux, dès lors, passe par les regards. Ils s’estiment, ils s’admirent, il s se savent faits l’un pour l’autre mais elle ne lui cédera rien. Tant pis pour l’histoire et la légende. Il restera un Argonaute, celui qui, par son chant, fit taire les sirènes. Elle restera anonyme

 

II.

Ce matin, il n’est pas encore là. Elle l’attend, sans inquiétude, silencieuse, sereine. Soudain arrive ce raseur d’Aristée. Lui, c’est le dieu du stade, le roi de toutes les courses aux J.O mais, comme dragueur, un relou de première.
- J’ai perdu, mon Eurydice, deux centièmes par rapport à ma performance d’Athènes, aujourd’hui. Ne veux-tu pas me servir de lièvre pour le marathon, cet après-midi ?
- Je ne suis pas ton Eurydice ! Et encore moins ta cocotte ou ton lapin, espèce de zatopèque !
- Ne te fâche pas, Eury ! Je sais que tu en pinces pour l’autre muzikos mais je peux quand même tenter ma chance puisqu’il n’y a rien eu entre vous !
- Casse-toi, pauvre congre ! 

Pourquoi le déteste-t-elle ? Pourquoi a-t-elle toujours un pressentiment, un ressentiment contre ce type ? Pourquoi est-il toujours, aussi, présent dans ses visions funestes ?

 

III.

Ce matin-là, elle assiste dans sa clairière à une drôle de scène. Un véhicule étrange s’est posé pendant la nuit dans son petit coin ombreux et idyllique de leur beau pays de Thrace. Trois guerriers bourrus en sont sortis, accompagnés d’une mortelle en robe rose. Ils ont dressé une tente et prennent présentement leur petit-déjeuner.
- Divin, ce yaourt au miel, les copains !  lance la jeune femme à l’étrange coiffure retenue par deux bouquets de fleurs d’églantier. Qu’est-ce que tu manges, toi, Jurassic ? »
- Je trempe une tartine de moussaka dans du thé aux graines de pita gore. »
- C’est bon ? » demande Luna.
- C’est pas pire que le Maroilles dans le café noir des Ch’tis ! »
- Est-ce qu’on aura le temps d’aller en ville acheter de l’ouzo avant de repartir ? » demande Central qui a toujours été le plus raisonnable des frères Park.
- Je ne sais pas, répond Isaure. Déontologiquement, a-t-on le droit de ramener du nectar et de l’ambroisie des pays mythologiques ? Je ne suis pas sûre d’ailleurs que nous soyons arrivés au bon endroit. C’est quand même la première incursion de Tornado dans un pays de légende ! »
- Moi, je suis sûr que oui. Je fais toujours confiance aux professeurs de l’Université de Rennes 3. »
- Attention, planquons-nous, voilà quelqu’un ! » 

C’est Aristée qui arrive avec des baskets neuves et un chronomètre qui fait bling-bling. 

- Incroyable ! C’est lui ! »
- Je n’en reviens pas ! Vous avez vu comme il lui ressemble, à elle ? »

 

IV.

Ce matin, Orphée lui a offert trois perles de pluie venues d’un pays où il ne pleut pas. Il ne dit surtout pas à Eurydice qu’il s’agit d’un cadeau d’Isaure Chassériau. Il ne dit pas qu’il a assisté lui aussi à l’enlèvement d’Aristée par trois guerriers bourrus et la déesse du voyage dans le temps. Il ne dit rien, il regarde Eurydice avec amour et inquiétude. 

Dans la première perle de pluie, elle voit l’horizon dégagé : il n’y a plus de course folle pour échapper au dieu satyre, plus de serpent qui la mord au pied, plus de séjour aux Enfers, plus de descente d’Orphée et surtout elle n’aperçoit plus ce moment trop cruel où, malgré ses injonctions silencieuses « Ne te retourne pas ! Ne te retourne pas ! Ne me quitte pas ! » cet idiot se retourne quand même. 

Dans la deuxième perle de pluie, elle voit Aristée sur la place d’une grande ville. C’est un peu comme dans ses anciennes visions des Enfers mais c’est très particulier. Les gens autour de lui sont vêtus bizarrement et il est le seul à griller sur un bûcher. Les trois soldats bourrus et la jeune femme en rose s’échappent dans le fond de la goutte d’eau en compagnie d’une femme qui a la même coiffure à frange qu’Aristée. 

Dans la troisième goutte d’eau on voit le jardin du Thabor à Rennes. La statue de l’enlèvement d’Eurydice qui trônait d’ordinaire à deux pas du kiosque à musique… la statue de Charles Lenoir n’existe plus. 

Ce matin, ils se sourient, ils se regardent, ils savent qu’ils vont s’aimer sans heurts jusqu’à la fin des temps. 

Et peu importe que le pays où il ne pleut jamais et d’où viennent les trois perles de pluie soit une terre de légende qu’on appelle Bretagne.

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Commentaires
J
Merci à vous d'avoir apprécié cette relecture fantaisiste de la mythologie gréco-latine. Bonne semaine à toutes et à tous !
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M
Une mythologie tout à fait personnelle ... j'aime beaucoup. La lecture dans les perles de pluie ... chapeau !!!
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W
La Bretagne, un pays où il ne pleut jamais...<br /> Heureusement que vous ajoutez que c'est une légende. Personnellement, j'irais jusqu'au mythe !
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J
On est transportes avec ce texte!
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P
Quel casting ! Prudence, prudence, avec toutes ces interventions dans le passé, déjà que la Bretagne est terre de légende, un beau matin les "défis du samedi" n'auront jamais existé.
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T
Joé a une façon toute particulière de revisiter la mythologie.... pour notre plus grand plaisir ;-))
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K
Il n'y a jamais de déception à te lire...
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V
J'imagine que vous vous êtes bien amusé à inventer et écrire ce texte, Joe.
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R
wahou <br /> "- Je trempe une tartine de moussaka dans du thé aux graines de pita gore. »<br /> - C’est bon ? » demande Luna.<br /> - C’est pas pire que le Maroilles dans le café noir des Ch’tis ! »"<br /> ça c'est la classe<br /> ou je ne m'y connais pas !!!!<br /> <br /> j'ai beaucoup aimé<br /> "des perles de pluie"<br /> et poéte à ses heures !<br /> vraiment, j'ai beaucoup aimé
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M
Quel joyeux mélange ! Sympa la mythologie revue et corrigée (en mieux)
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C
Ah, Joe, tu ne povuvis me faire plus plaisir vu mon amour pour les grecs... Même si la Bretagne, je ne suis pas à ce point fan. Tu les aurais mis chez les chti's
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V
est-il utile de redire toute mon admiration ...
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J
I.<br /> <br /> Bretagne ? Je me pensais chez les Grecs ! Non mais !<br /> <br /> II.<br /> <br /> Ne l'écoute pas, cette voix pipeuse venant d'Outre-Mer. C'est une jalouse en vie.<br /> <br /> III.<br /> <br /> Que fout la femme de Lot dans ce Gomorrhe ?<br /> <br /> IV.<br /> <br /> La gamme à huit notes, Octave, cela nous accorde une pour mieux lyre la petite musique de Joe Krapov<br /> <br /> Renvoi :<br /> <br /> Excellentissime, Krapov, cette tapisserie tissée des feuilles vertes et des yeux bleus.
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B
Encore une fois impressionnée par ton talent et ton imagination ... Un plaisir de te lire !
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J
Toujours épatée par ton imagination foisonnante.Tu n'es pas à la veille de perdre ta muse, toi.
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P
Et encore une fois c'est drôle et brillant... Je suis officiellement fan, Mr Krapov! <br /> (cet Aristée me rapelle quelqu'un...)
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T
Tiens donc! Isaure Chassériau est retrouvée... Est-ce la même? Celle qui a l'air nunuche, en rose, avec des couettes? Et les graines de pita gore... Pas trop indigestes? <br /> J'ai lu ton texte avec plaisir Joe!
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T
Un réel plaisir de retrouver tous ces noms qui ont bercé mes études et traversent sans cesse aujourd'hui les pages tournées des cahiers que je remplis. J'ai beaucoup souri aussi. Merci pour ce plaisir de lecture.
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