Un signe (Papistache)
Derrière
son guichet en orme ciré, l’hôtesse doit me prendre pour un cinglé.
C’est le dixième billet que je lui achète pour l’exposition temporaire
“Fleurs de peaux” au musée des Beaux-Arts de la ville de Ch***.
Jeudi
dernier, il pleuvait, le rendez-vous avec un gros fournisseur de ma
boite avait été annulé. Je suis commercial à la Solu-Paper-Tea, société
spécialisée dans la fabrication des sachets solubles de thés et tisanes.
J’ai déambulé dans les rues médiévales sous mon parapluie jaune et vert,
à l’enseigne de la boite.
L’affiche m’a attiré : “Pastels secs, Fleurs de Peaux de Zesheep”. Je suis entré... Les portes du musée s’ouvrent à
neuf heures. A midi, le gardien me pousse gentiment vers la sortie. A
quatorze heures, je tends ma carte bleue à l’hôtesse :
— Pour l’expo “Fleurs de Peaux” ?
— What else ?Mardi,
le musée ferme, j’aurais pu quitter Ch*** et appeler la boite ou
Monique, j’ai rôdé dans les jardins de l’évêché qui bordent la vieille
bâtisse où sommeillent les collections d’art de la ville. Je n’ai pas
réussi à sortir le téléphone de la poche de mon caban.
Mercredi.
Je suis là, dès l’ouverture. L’hôtesse me tend un billet avec
réticence. Je lis sur son front le lourd cheminement de sa pensée. Elle
redoute un acte de vandalisme ou un vol spectaculaire. Elle a tort.
Je
n’en veux pas aux œuvres accrochées. Une seulement m’attire. J’ai
l’impression qu’elle vit et change à chacun de mes passages.
Je quitte le musée chaque fois plus fort que lorsque que j’y suis entré. Ce regard me donne une pêche d’enfer.Hier,
mercredi, j’ai cogité toute la journée. J’ai foulé chaque centimètre
carré du jardin de l’évêché. Il est petit. Si ce matin, je perçois, le
moindre signe, je plaque tout : boulot, épouse, appart, relations... Je
fonds sur les Marquises.
Bientôt
quarante berges, je ne vais pas attendre d’être usé pour emboîter mes
pas dans les traces de Gauguin. Un signe, un seul et... je m’envole.