Seule à seule (Val)
« Soyez vous-même », qu’il a dit, le Monsieur.
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Voici près d’une heure que je te regarde, tout en essayant d’être moi-même, face à toi. Je dois bien l’avouer, je suis fascinée par tes yeux. Je vais même te dire : je ne vois que ton regard, dans tout ce vert. Mais quel regard ! Il me donne l’étrange impression que tu es vivante. Et ça me trouble.
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Pourquoi me regardes-tu comme ça, dis ? Pressens-tu mes réticences ? Comment le peux-tu ? Oh, tu sais, moi je ne te ferai aucun mal. Sois-en sûre. Ce n’est même pas que je ne t’aime pas, c’est plutôt que je n’ai jamais appris à t’aimer, toi et les autres.
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Au début, je disais aux gens mon détachement pour l’art simplement pour expliquer mon ignorance. Et puis je l’ai tellement dit que cette caractéristique me colle à la peau :
Val est brune, elle est gentille, elle a un blog et deux enfants, et elle n’est sensible ni à la poésie, ni au beau artistique.
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Alors, puisque l’on est seules, face à face, je vais te faire une confidence. Je pense que j’ai tout simplement peur de me séparer de ma prétendue frigidité à l’art, parce que je considère qu’elle me définit, tout comme la couleur de mes yeux ou mes plus ardentes passions. Je suis même parfois tentée par l’émergence de quelques émotions à la vue de beautés comme la tienne, mais je m’efforce de les refouler pour rester fidèle à l’image que j’ai donné de moi. J’aurais l’impression de me trahir en m’abandonnant à ton charme…
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Et puis, c’est tellement plus facile de feindre le manque d’appétit que d’avouer que l’on a faim, mais que l’on n’ose pas entrer dans ce restaurant, que l’on estime bien trop chic pour soi. On n’y serait pas à l’aise !
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Personne ne nous écoute. Et puis, ce n’est pas toi qui iras le répéter, n’est-ce pas ? Alors, je vais faire une exception aujourd’hui. Rien que pour toi. Parce que tu es belle et que tu me bouleverses. Je vais tout te dire.
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Jamais des yeux peints ne m’ont poignardé le cœur avec une telle intensité. Jamais !
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Et peut-être même que des yeux aussi saisissants que les tiens, comme ça braqués sur moi, pourraient bien me faire baisser les armes et regarder dans la direction que m’indiquent les milliers d’index, pointés vers toutes ces beautés que j’ignore.
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