Le passage (Kloelle)
Ses
mains ravinées s’activent autour de la chaudrôle. Son visage a cette
expression raide et sévère que je ne lui connais pas. Elle a saisi ses
longs cheveux dans un filet à la maille sombre et étroite et c’est,
sans prendre le temps d’un regard en ma direction, qu’elle compte et
recompte, en scandant leur nom avec une précision que je juge insensé,
chacun des ingrédients composant son breuvage.
- 17 pétales de Walrus Alchimus.
- 8 feuilles de Papistachus Oolong
J’essaye
de ne perdre aucun de ses gestes, je sais leur importance et pourtant
mon regard glisse, aguiché par les flammes qui lèchent sa robe. C’est
la première fois que je suis autorisée à pénétrer dans la haute pièce,
celle du fournil. Joya se fait vieille et c’est moi qu’elle a choisi.
Moi, l’étourdie, la rêveuse, la moins appliquée de ses élèves. Je
sursaute, elle vient de saisir bruyamment la grande spatoile et tourne
avec vigueur dans le sens contraire des flux célestes. Je ne sais d’où
lui vient cette force, cette capacité soudaine à redresser son corps
chétif pour broyer les éléments. Elle me parle sans me regarder, je
sais ses yeux ivres sans les voir.
- Les fleurs de Janess sont fragiles, tu devras les avoir cueillis le jour même, sur la colline aux sept cratères.
Ses
bras semblent danser à l’intérieur de la sphère de cuivre. Je l’écoute
mais ne la regarde plus, je suis éblouie par les halos fauves qui se
reflètent sur le cuivre brillant. Celui-ci a la forme d’un chalune des
basses montagnes et celui-là.. .celui-là….laissez moi chercher….
- Klôl….Klôl, ne te laisse pas distraire. Donne moi l’oranbol, le bleu, avec les brins de Valère.
Des
brins de Valère aux marbrures caramel, je me demande où elle a pu en
trouver de si beaux. Elle tourne toujours, elle compte, elle s’enflamme
presque à faire corps avec la chaudrôle. C’est drôle cette odeur de
pêche écrasée, c’est merveilleusement doux aussi.
Joya s’est
arrêtée. Elle s’est assise à même le sol comme vidée de toute énergie
et a ouvert vers moi son regard bleu, brillant et apaisé.
-
Vas-y…Qu’attends-tu ? Prends une calouche et porte le nectar à tes
lèvres. Tu es maîtresse en ces lieux maintenant, à la prochaine
rotation des 5 lunes c’est toi qui prépareras le charme de vie…