Coming out - Caro_Carito
Dans le
prestigieux studio d’enregistrement de « entre les guillemets »,
Alain Gentel, figure emblématique de l’audiovisuel français, officie dans son
rendez-vous mensuel. Une tension palpable règne dans les locaux.
Septembre. Effervescence
d’une rentrée littéraire.
A l’opposé de
l’équipe qui s’agite et arpente en tout sens le plateau télé, le patron affiche
une décontraction presque indécente. Son invité, il l’attend de pied ferme. Il
a réussi à imposer à sa direction férue de sondages son auteur fétiche. Une
rentrée sans goncourisé alignant des best-sellers à répétitions et des
reportages sur leur refuge germanopratin, c’est une première. Il s’est délecté
toute la semaine à annoter livres et interviews. Il a visionné des enregistrements
télé et radio jusqu’à plus soif. Il est fin prêt. Sa mine réjouie fleure le
plaisir de celui qui va se régaler une heure de direct durant.
Il ajuste sa
cravate, nettoie ses lunettes. Il s’autorise à tailler une bavette avec les
téléspectateurs invités et se dirige vers son fauteuil. Louis Lemal arrivera
deux minutes avant l’émission, un brin de superstition n’ôte rien au charme de
cet auteur et à la richesse de ses propos.
Il arrive enfin,
ses yeux clignant sous la clarté des projecteurs. Une chemise immaculée sur un
jean noir, l’allure juvénile malgré sa crinière blanche et sa peau striée de
petites rides. Un sourire et une poignée de main. Il s’installe.
Alain Gentel
attrape ses fiches fébrilement. Instant fatidique avant de plonger dans une
partie de ping pong racée où chacun des joueurs aligneront bons mots et
réflexions plus profondes. Une pensée peu poétique le traverse. Ce soir, il va
casser la baraque, il le sent.
- Cher
Louis, bonjour. C’est toujours un plaisir de vous recevoir ici. Et un privilège.
Louis Lemal
sourit.
- Votre
roman, « Rendez à César » a, comme toujours, rencontré son public et
été accueilli avec enthousiasme par la critique…
Un silence. Son
interlocuteur hoche la tête. Diantre, il l’a connu plus loquace. Une
angine ? Pourtant le temps est doux. Il attrape un de ses fiches,
légèrement déstabilisé et embraye sur le commentaire suivant.
- En
aparté, je dois vous dire que votre style est une pure merveille. Une phrase et
me voilà transporté dans la Rome antique avec une profusion de détails et cette
légèreté qui nous rend immédiatement l’intrigue familière.
Et c’est là que
devant le regard stupéfait de Alain Gentel, personnage chevronné du PAF, et un
public ébahi que Louis Lemal regarde ostensiblement sa montre et annonce :
- J’ai un
train pour Londres à prendre. Vous m’excuserez, n’est ce pas. Voyez-vous, il me
faut aujourd’hui rendre à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu et
à Edwige Laumonnier ce qui est à Edwige Laumonnier. Depuis 15 ans, c’est elle
qui se cache derrière ma signature et je n’ai pris ce rôle que suite à une
soirée un peu arrosée et aussi… Parce que, Edwige, tu me pardonnes, Edwige est
du genre réservée, nous avions passé un pacte un peu enfantin, je l’avoue. Mais
il est temps de mettre fin à cette amusante mascarade. Edwige.
Louis Lemal se
lève et s’avance vers une femme menue à l’allure de souris. Il attrape sa main,
l’assoit d’autorité à sa place et quitte le plateau non sans avoir serré la
main d’un Alain Gentel interloqué. A nouveau cette pensée traverse l’esprit du
présentateur vedette mais avec un brin de sarcasme et de déception : c’est sûr ce soir tu vas casser la baraque.
Il pose ses fiches et d’une voix douce s’adresse à
sa nouvelle interlocutrice : « Chère Edwige, nous allons mettre de
côté ce coming out qui va bousculer, à n’en pas douter, le microcosme
littéraire français. Je suis impatient de connaître qui est cette personne qui
manie la langue française avec autant de doigté. » Il s’interrompt.
« Dîtes-moi tout, Edwige, je peux vous appeler Edwige, car j’aime tant vos
romans, je les ai tant lus et relus, que j’ai l’impression de vous connaître.
Oui, racontez-nous… Cette part féminine qui est une constante dans vos
ouvrages…»