Un auteur à l’école (Val)
Je sais, je suis à la limite du hors sujet, mais parfois, quand l’inspiration n’est pas là, on peut peut-être ouvrir un tiroir de sa mémoire pour y piocher un beau souvenir tout neuf, même pas encore exploité pour un autre texte. Non ? On va dire que vous m’y autorisez ! Vous êtes tellement complaisants…
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J’étais en première littéraire. L’année du bac de français. Je trouvais les œuvres au programme pas très intéressantes, alors je lisais autre chose. Plein d’autres choses. Je ne me nourrissais que de bouquins et de tomates.
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J’étais en première littéraire, et, allez savoir pourquoi, ces élèves là n’ont jamais cours, il parait. Combien d’heures par semaine ? Vingt, peut-être ? Quand les autres séries s’en tapent pas loin de quarante ? C’est qu’il faut du temps libre, pour lire, non ? Ils l’ont jamais compris. Passons !
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Je passais mon temps au CDI, que je partageais, à une certaine tranche horaire, avec une classe de première technologique. Ils préparaient un bac gestion, il me semble.
J’étais intriguée, à chaque fois par la présence de livres à la couverture toute noire sur leurs tables. Des série noire ! Ils préparaient leur bac de français avec un roman de série noire !
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Je connaissais leur professeur, pour avoir assisté quelques fois à ses cours, que j’avais trouvée O combien intéressante. Mais, ce jour-là c’est plus la curiosité (ou la disette) qui a parlé :
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- Dis ? tu me le prêtes ?
- Quoi donc ?
- Ton livre. Tu me le prêterais ?
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Je n’ai eu aucun mal à ce qu’on me le mette entre les mains.
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J’ai lu ce bouquin en deux heures. Ça ne m’a pas suffit. L’élève en avait besoin pour le lendemain, mais j’ai réussi à m’en procurer un autre, puis un troisième. J’ai dû lire le roman six fois. J’y trouvais de nouvelles choses à chaque lecture. Comme je l’ai aimé !
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Je pensais que l’auteur était un génie. Déjà, pour reprendre Sophocle, et publier sa version d’Œdipe Roi, je pense qu’il faut être très habile. Il l’a été ! Je n’imagine pas que n’importe puisse s’y attaquer.
Il faut en être capable ! Il l’a été !
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Bon, vous aurez compris qu’à l’époque j’ai aimé son roman sans retenue.
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Et voilà qu’un jour, un élève de cette classe de première techo me fait savoir que sa classe avait écrit à l’auteur, en l’invitant à venir se faire interviewer par la classe, et que le monsieur avait répondu en acceptant l’offre et même en posant une date.
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- J’te dis ça au cas ou ça t’intéresse… sait-on
jamais !
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Et comment que ça m’intéressait de le rencontrer !
Déjà, le mec, rien que pour son roman, je l’aime ! Mais en plus, je trouve
ça très très classe, d’accepter une invitation d’une classe de lycéens.
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Pour assister moi aussi à la petite conférence, il me fallait deux accords. Car, bordel, j’avais cours (pour une fois que j’avais cours) ce jour-là. Et de maths, par-dessus le marché ! Avec le prof de lettres on aurait pu s’arranger …
Là, il a tout de même fallu batailler !
J’ai obtenu l’autorisation de m’abstenir de leçon de maths après moult pleurnichages. Je pense que le prof ne me l’a pas donnée de gaieté de cœur… je l’ai eu à l’usure.
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La seconde autorisation, celle de la prof de français de leur classe, je l’ai eue plus que facilement. Elle l’a offerte à qui n’en voulait… (bon, elle prenait pas de risques, hein ! On n’était pas plus d’une demie douzaine, à part sa classe, à vouloir rencontrer l’auteur !).
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Nous étions tous assis en salle de réunion. Il a frappé. Il est entré. Il a parlé, parlé, parlé. Certains lui ont posé des questions sur son œuvre, sur sa vie, sur ses projets d’écriture. Questions libres ! Je n’en avais pas. Je n’ai pas eu envie de lui poser des questions. Je l’ai écouté parler, parler, parler. Le temps s’est arrêté. J’ai tout bu ! Tout ce qu’il disait !
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On ne s’imagine pas qu’il y a un homme normal caché derrière un bouquin qu’on a aimé. Enfin, moi, je ne me l’imaginais pas. Comme c’etait abstrait, cette idée « d’auteur »…
Pour moi, avant, un auteur, c’était une sorte de personnage inaccessible, une entité seulement composée d’une plume et d’un cerveau.
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Comme c’est bon, de trouver en face de soi une vrai personne ! Un type qui sourit, qui parle, qui porte des jeans et qu’a un boulot, et aussi une voiture, et une femme, et des enfants. Un mec normal, quoi !
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C’est bizarre d’avoir retenu cela, non ? Je vous l’accorde. Mais c’est ce jour là que j’ai vraiment réalisé que les auteurs (aussi brillants soient-ils) étaient de vrais gens. Et même qu’ils pouvaient être des gens sympas !
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Je n’ai jamais relu le bouquin après cette rencontre. Je pense que je vais le relire d’ici peu. Ça m’a donné envie.
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En revanche, j’ai bien aimé cette classe de compta-gestion. L’année d’après, en terminale, j’ai assisté à quelques cours de philo dans leur classe.
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- Hey ? M’sieur ? On a une copine de TL qui veut venir, ça vous dérange pas ? Elle fait pas de bruit…
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