Se sont écorché les chevilles
Lecrilibriste ; Vegas sur sarthe ; maryline18 ;
TOKYO ; Kate ; Walrus ; Laura ; Yvanne ; joye ;
Ilonat ; Joe Krapov ; bongopinot ;
Le cycle de la vie par bongopinot
En octobre les grains de blé mis en terre
On attend qu’ils se montrent en hiver
Et au printemps enfin ils grandissent
Puis les épis sortent de leurs graines
Après la floraison et la fécondation
Déjà juillet-aout commence les moissons
Les batteuses tournent à plein régime
Et voilà que toute la région s’anime
Une grande fête s’organise
On place les gerbes de blé dans les vases
C’est l’ouverture du banquet
Suivi de bruit de talons sur le parquet
Et le lendemain tous admirent le nouveau décor
Partout de jolis ballots d’or
D’où des bouts de paille s’envolent
Et là restent des tiges fixées au sol
Appelées éteule ou chaume
D’une somptueuse couleur vert-jaune
Des champs d’éteule à profusion
En attendant la prochaine saison
Et tout ce cycle recommence
Dans une lente dance
Le blé c’est tout une histoire
Et il aime redonner l’espoir
Les Moissonneuses (Joe Krapov)
Maintenant que j’ai assez de temps pour pouvoir regarder dans le rétroviseur je m’étonne d’avoir été accompagné, tout le long de mon chemin, par un fabuleux moissonneur.
C’est une espèce de Canadien errant. Il s’appelle Neil Young et on a absolument le droit, si c’est votre cas, d’être passé à côté de sa voix nasale, de son rock lourd, de ses interminables soli de guitare électrique et de sa production pléthorique. J’en connais beaucoup qui, dans un autre genre, n’ont toujours pas lu Proust, par exemple.
Et justement, on va rire, c’est dans une ville appelée La Madeleine, chez mon copain Jean-Baptiste B. que j’ai entendu pour la première fois «Uncle Neil» et ses premières galettes plus ou moins «country» ou «country-rock».
Le chef d’œuvre du bonhomme dans ces années-là était un album intitulé «Harvest», sorti en 1972. Il y enfonçait des portes ouvertes comme «Un homme a besoin d’une femme» c’est pourquoi je suis comme toi, «Vieil homme», je cherche «un cœur en or» et je ne me paie pas de «mots» avant de faire ma «moisson».
Il remet ça en 1992 avec un album intitulé «Harvest moon». Mais pour illustrer le mot «éteule» – Que reste-t-il après la moisson ? Des éteules et des chansons ! – j’ai choisi de vous traduire-adapter-massacrer une autre chanson de l’album «Rust never sleeps» intitulée "Thrasher" (La moissonneuse).
Sans prétention aucune, comme est le bonhomme qui ne craint pas, depuis le confinement, de se faire filmer en vidéo en train de gratter-chanter-pianoter… dans son poulailler ou sous le porche de son ranch !
La fin des glaneuses (Ilonat)
On chôme sur le chaume
Fauchés comme les blés
De gros ballots sont restés là en sentinelles
Esseulés sur l’éteule plombés par le soleil.
Rien à glaner !
Peau d’balle et balai d’crin
A peine quelques grains
Pour les corbeaux des jours mauvais
Et pour la poésie champêtre d’autrefois
Les accortes glaneuses penchées sur leurs javelles
Vous pouvez repasser
L’Angélus apaisant ne résonnera plus
Nostalgie nostalgie…
Chromos d’un autre temps
Elle dormait à moitié nue dans la lumière de l’été
Au beau milieu d’un champ de blé
Comme un p’tit coquelicot mesdames
Meules de paille meules de foin
La sieste du faucheur casquette rabattue
La faux posée à ses côtés avec sa pierre à aiguiser
Meules de paille meules de foin
Roulades et fou rires
Et peut être un baiser arraché à la belle
Meules de paille meules de foin
Et Fanfan la Tulipe narguant Tranche Montagne qui éructe
Adieu également les grands repas du dépiquage dans la cour de la ferme
Les tables installées sur des tréteaux, bruyantes et joyeuses
Plus rien de tout cela
John Deere et compagnie ont déjà tout raflé
Le bon grain et l’ivresse
Adieu veaux vaches cochons couvées
Glaneuses et va nu pieds, l’été fut chaud et sec
L’hiver sera morose
Inexorable (joye)
Le sol fertile se dénuera quand le printemps avide viendra lui voler son manteau de neige.
Le défilé des machines vrombira ; le vert gagnera sa bataille avec le noir.
Après une trop brève jeunesse innocente et fleurie, la maturité fera son labeur sous le soleil et quelques larmes de pluie si le propriétaire est chanceux.
Parfois, ça se noiera; parfois, ça brûlera; parfois un orage brutal viendra tout violer.
Le temps, la terre, la nature et le sort feront ce qu'ils peuvent.
La moissonneuse passera, elle fera la quête des graines.
Et l'éteule, ce sera enfin les champs au chaumage.
Sale Berthe (Yvanne)
Le mot « éteule » dans la proposition d'écriture de Walrus m'a interpellée. Je ne connaissais pas ce terme qui désigne, semble-t-il ce que nous appelons ici des balles ou des ballots de foin ou de paille.
Mais peu importe, cette photo affichée par Walrus m'a rappelé une histoire de mon enfance paysanne.
Déjà, dans les années 60, ces balles telles que nous les voyons aujourd'hui dans les champs et les prés n'existaient pas sous leur forme actuelle : impeccablement roulées sans un brin qui dépasse. Non, elles étaient façonnées par la main de l'homme et non par des machines infernales qui « pondent » comme des crottes des énormes masses de chaume ou d'herbe sèche.
Pendant les « grandes vacances » scolaires, j'accompagnais souvent maman au marché à la ville voisine. Nous n'avions pas de moyen de locomotion et empruntions un car qui effectuait un ramassage sur le trajet entre la Haute Corrèze et Tulle. Il était conduit par Géraud – son nom ou son prénom, je n'ai jamais su – un bonhomme toujours assis derrière son volant, qui ne parlait pas, ne se manifestait pas. A croire qu'il ne quittait jamais son siège de conducteur et par là-même son autobus.
Si Géraud restait vissé à son poste sans mot dire, en revanche sa femme ou bien sa sœur (je n'ai jamais su) mais je pense qu'elle était plutôt sa sœur car qui aurait pu supporter une telle mégère, arpentait le véhicule dans toute sa longueur pendant tout le parcours, fouinant, invectivant les passagers sans se gêner et avec une hargne, une vulgarité impensables.
C'était elle qui, à chaque station, encaissait la somme due. Elle se postait à l'entrée du car, toisait les braves gens qui la saluaient par politesse et auxquels elle ne prenait même pas la peine de répondre. Elle contrôlait le nombre de paniers, de sacs et gratifiait la pauvre paysanne encombrée de tous les noms d'oiseaux si elle jugeait que ses cabas étaient trop nombreux ou trop bruyants. Ils contenaient, en effet, la plupart du temps de la volaille. Elle s'en prenait surtout aux femmes qui « touchaient » les allocations familiales. Comment savait-elle ? Mystère. C'était là l'occasion pour elle de fustiger avec haine et avec des mots d'une grossièreté incroyable les pauvres mamans – dont la mienne – qui baissaient la tête, honteuses. Je lui souhaitais, dans mon for intérieur le plus de mal possible. Inutile de dire que les gens étaient contraints et forcés de prendre ce car puisqu'il n'existait pas d'autre moyen de se déplacer. La Berthe ne se privait pas aussi de mettre la main au pantalon des rares hommes qui voyageaient dans l'autobus. Certains lui rendaient la pareille et elle éclatait alors d'un rire gras tellement détestable.
Comment vous décrire le personnage ? Berthe – c'était son prénom – était une grande femme maigre, toujours vêtue en été d'un antique imperméable trop long qui fut sans doute noir en d'autres temps mais si lustré qu'il était difficile maintenant de lui donner une couleur. Elle avait aux pieds des chaussures en caoutchouc, les mêmes probablement qu'elle portait pour aller aux champs. Une vieille sacoche de cuir délavé barrait sa poitrine ou plutôt son absence de poitrine, lui servant à empocher la recette.
Le plus frappant pour moi était son visage. Elle avait la figure toute couturée – elle était tombée, enfant, sur une bouteille cassée par son père alcoolique, c'est du moins ce que l'on racontait. Dommage qu'elle ne se soit pas coupé sa langue de vipère ! – où brillaient deux petits yeux foncés inquisiteurs. Elle tressait ses cheveux en deux grosses nattes noires se rejoignant sur le haut du front et qu'elle devait huiler. On aurait dit deux serpents visqueux d'où émanait une odeur rance quand elle se penchait devant vous.
Je ne pouvais m'empêcher de la lorgner avec insistance, subjuguée. Maman me recommandait alors à voix basse d'arrêter de regarder ainsi « la sale Berthe » - c'est ainsi qu'elle la nommait, allusion à « sale bête » – afin d'éviter des remontrances carabinées.
Mais où sont les éteules de Walrus dans tout cela me direz-vous ? Nous y arrivons.
Rien n'arrêtait la bonne femme. Quand elle avait une envie pressante, quel que soit l'endroit sur la route, elle haranguait le chauffeur en occitan : ô Géraud, planta-te, ai envije de pissar. Le bonhomme se hâtait alors de trouver un dégagement pour se garer. Comme il n'y avait pas beaucoup de circulation à l'époque, c'était assez facile.
Ce jour-là, le père Géraud stoppa son véhicule le long d'un champ fraîchement moissonné. Les javelles de blé avaient été érigées en meules pour les protéger d'un éventuel orage ou tout simplement pour qu'elles sèchent mieux.
La Berthe se précipita, suivie par quelques ménagères. J'étais assise au fond du car d'où j'avais une vue imprenable sur tout le champ. J'assistai alors à un spectacle qui me réjouit fortement. La vieille bique se campa derrière le premier amas de paille venu, écarta les jambes sans se baisser – d'où l'absence certaine de culotte – et urina un long moment. Puis, stupéfaction, ouvrit son imperméable et s'essuya l'entre-cuisse avec son tablier.
Que se passa-t-il alors ? La meule s'écroula tout à coup sur la Berthe, la faisant tomber et l'ensevelissant. Je me demande si quelqu'un ou quelqu'une, posté derrière n'avait pas poussé le tas de paille pour qu'il s'effondre ainsi. Toujours est-il que la mégère hurlait si fort qu'on aurait cru à un égorgement. Personne ne se hâtait pour la sortir de là. Elle finit par émerger, aidée par deux âmes charitables.
Elle remonta prestement dans le car en soufflant comme un bœuf, les nattes défaites, la figure rouge, couverte de brins de chaume et chose surprenante, s'assit aux côtés de son Géraud, elle qui, habituellement, passait son temps à circuler dans le véhicule à l'affût de la moindre chose lui déplaisant. Elle en profitait alors pour distiller sa méchanceté.
Miracle ! Ce jour-là, elle n'ouvrit plus sa bouche fielleuse jusqu'au terme du trajet. Inutile de préciser que des sourires moqueurs furent échangés dans son dos. Pour ma part, je jubilais et par la suite, elle ne m'impressionna plus : je l'imaginais dans ses mauvaises postures et cela suffisait pour que je la regarde d'un autre œil que je ne pouvais empêcher d'être ironique.
L'art des éteules (Laura)
L’art des éteules
Pour tout vous dire, lorsque j’ai vu le nouveau défi de samedi, j’ai pensé à un des béguins de Cannelle, la citadine qui a fait souffrir les garçons amoureux d’elle dont ce fils d’agriculteur qui a voulu la coucher dans le foin[1], chanson qui m’a inspiré un poème[2].
Quand je me suis remise au défi, j’ai pensé aux meules de Van Gogh, de Monet et Millet dans le désordre chronologique mais ordre dans lequel j’ai pensé à leurs tableaux d’éteules.
Van Gogh parce j’ai suivi sa trace à Amsterdam[3], Auvers[4], St Rémy[5].
Monet parce que j’ai vu ses paysages à Giverny[6] entre autres.
Millet parce que Barbizon[7].
Les trois parce que j’ai lu des livres à leur sujet, vu des films, des tableaux, des expos, des musées, leurs maisons, leurs tombes.
Les trois à cause de l’art des éteules et l’art… de rien, des paysages que nous avons parcouru ensemble… et que je contemple maintenant seule et qui me tient, même difficilement, debout, de ce 2 e étage où j’ai déménagé et d’où je peux voir … la ville dans son étendue aux éteules … peut-être plus loin.
[1] http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2020/08/23/couches-dans-le-foin-6259068.html
[2] http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2020/08/23/mon-poeme-inedit-sur-ce-blog-couchee-sur-l-herbe-6259073.html
[3] http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2017/08/01/au-musee-van-gogh-d-amsterdam-j-ai-vu-butterflies-and-poppie-5967943.html
[4] http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2018/08/01/nous-avons-visite-il-y-a-15-jours-l-auberge-ravoux-et-la-cha-6069840.html
[5] http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2012/05/19/saint-remy-de-provence.html
[6] http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2018/08/01/nous-avons-vu-a-giverny-l-eglise-et-la-tombe-de-monet-a-give-6069836.html
[7] http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2018/08/05/la-maison-atelier-de-jean-francois-millet-6055449.html
Ça pique ! (Walrus)
Éteule, j'te demande un peu !
Je sais bien qu'Iowaboy est agriculteur ou un truc du genre, mais c'est un peu ténu pour introduire l'anniversaire de joye dans le contexte...
Bah, maintenant que je l'ai dit autant en profiter :
TRES HEUREUX ANNIVERSAIRE JOYE !
Bon, ça c'est fait, revenons à nos éteules.
En se promenant sur FB, mon épouse a appris que la maison de ma tante Georgette (récemment décédée) venait d'être vendue.
Il y a plusieurs années, nous étions passés voir à quoi ressemblait la rue de la Barette. Eh bien, à ceci :
La maison en question se trouve au centre de la photo. Ma tante, l'avait achetée (au grand dam de ma mère) à la mort de ma grand-mère. Le terrain à l'arrière est très grand et se prolonge jusqu'au pied du talus de la voie de chemin de fer reliant Houdeng-Goegnies à Bois du Luc et aujourd'hui disparue.
C'était pareil au temps de ma prime jeunesse. Par contre, a cette époque, le quartier résidentiel dont on aperçoit quelques bâtisses de l'autre côté de la rue n'existait pas : il n'y avait là que des champs.
En été, j'allais parfois passer quelques jours de vacances chez ma grand-mère et à cette occasion, j'ai encore vu faucher le blé manuellement par un gaillard armé d'une faux qu'il affutait régulièrement au moyen d'une pierre à eau qu'il sortait d'un étui pendu à sa ceinture. C'est vous dire si je suis jeune...
C'est à cette occasion aussi qu'en faisant voler au-dessus de ce champ un cerf-volant construit en papier peint par mon oncle (qui n'avait de Modeste que le prénom) que j'ai fait, via mes chevilles, connaissance avec les éteules et leur côté tranchant.
Faut dire qu'à l'âge que j'avais alors, il me faudrait attendre encore longtemps pour échanger mes shorts (on disait culottes courtes à l'époque) contre des pantalons.
À tes cheveux couleur d'éteule (Kate)
Cheveux couleur d'éteule
Ni entré dans le moule ni dans la meule
Ta chaumière et nos coeurs
Ressemblaient au bonheur
C'était sans compter
La vie et ses réalités
Nous n'étions plus en stage
Allaient s'accumuler tant d'orages
Cheveux longs belle gueule
Blondeur façon éteule
Si ta vie m'avait séduite
La mienne j'avais réduite
Si séduisant parleur
Non dénué de profondeur
Mais à Nanterre
M'a envahie la colère
Ces fenêtres nuages
M'ont mise en rage
Et dans ce hall
Ai dit adieu
À tes yeux de feu
À tes cheveux couleur d'éteule
Que j'ai laissés à elle seule
(photo collection personnelle)
VINCENT VAN GOGH (TOKYO)
Il a levé le menton vers le ciel, a rempli son gobelet de la couleur terre de sienne, s’est essuyé le front et il a commencé à peindre.
Il peint depuis l’âge de huit ans. Il peint pour ne pas boire, il peint pour oublier le visage de sa mère.
Le temps que sa main refroidisse, il pose son bras sur le chevalet il fait chaud.
Le dernier à qui il a tendu sa main manquait de poigne, il y pense en regardant les Éteules flambant sous le soleil d’aout.
Il garde encore cette odeur âcre et acide du corps de Marlene la gosse croisée hier au café.
Maintenant sa main est hésitante, il tremble presque et il ne sait plus si c’est la toile qui lui échappe ou s’il fait l’idiot volontairement devant ce champ coupé.
Il est à un moment de sa vie où la peinture remplit tout son espace., et pourtant personne encore n’a jamais entendu parler de Van Gogh Vincent.
Non presque personne sauf l’aubergiste qui le loge contre quelques toiles jetées dans la cave.
Ça peut paraitre bizarre, mais Vincent peint comme il respire, il peint sans réfléchir sans l’urgence de la beauté, il n’a jamais aucun regret quand le tableau est terminé.
Il sait que la prochaine fois son frère est prêt à l’interner, il redoute la déferlante chimique de sa dernière dose de cachets. Il ne veut pas de cette paix narcotique il préfère regarder les éteules dans le champ.
Il voudrait qu’on le laisse tranquille au milieu des corbeaux et des tournesols qu’il s’est promis de peindre demain.
Il se dépêche de dessiner les dernières touches, le soleil descend très vite derrière les collines d’ARLES.
Il vient de sortir une liasse de billets qu’il garde dans le fond de sa poche de son vieux pantalon. Il croit qu’il avait plus que ça.
Des larmes commencent à lui monter aux yeux. Il les a essuyées d’un revers de manche. Il fait basculer dans le creux de son avant-bras le chevalet.
Il se dit qu’une petite promenade ne lui fera pas de mal. Il marche le long de la voie ferrée.
Il lève à nouveau le menton et regarde les corbeaux qui le suivent comme s’ils allaient à son enterrement.
Il ne court pas , il ne court jamais . Il sait que ses toiles seront son linceul. Alors il fait la course avec le temps, il rafle toute la lumière.
Le sang rouge qui coule de son oreille , il ne le voit pas , il n’a jamais peint ce rouge vermillon , aujourd’hui c’est lui qui lui taille le portrait .