16 juillet 2011

Défi 59 – Edward Hopper (32Octobre)

 

Un jour dans la vie de Frankie ou une nuit.

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L’heure avance, le barman, Frankie, ne sait comment le signifier aux trois individus encore présents dans le bar. Des vrais oiseaux de nuit.
Son patron, Monsieur Paper, lui a bien recommandé, il y a une petite heure, comme tous les soirs, sans exception, de fermer à minuit précises. Lui viendrait rouvrir, comme tous les autres jours de l’année à cinq heures. cinq heures de fermeture, réglées comme du papier à musique.
Le barman sait tout cela et commence à bouillir intérieurement. Tout cela l’impatiente.

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La première fois qu’il voit ces trois individus, un couple et cet homme seul. Il remarque les coups d’œil que la femme lance à l’homme installé seul à l’autre bout du comptoir.

Quand Monsieur Paper s’en va, il pense que tout se passera comme d’habitude. Il déroule dans sa tête, le scénario qui a lieu tous les premiers samedis du mois. Et demain sera le premier samedi du mois d’octobre.

À zéro heure, lui Frankie, le barman fermera.
À une heure, Wilfried viendra ouvrir la porte de derrière, déposera un colis dans le bac à glace, refermera la porte.
À deux heures, Eugène ouvrira lui aussi la porte de derrière, laissera une enveloppe avec 1 000 $ en lieu et place du paquet, qu’il emportera et il refermera la porte.
A trois heures, Placid arrivera et commencera le ménage. D’abord la cuisine, puis la grande salle. Tout devra être terminé pour cinq heures, heure de retour de Monsieur Paper.
C’est ce que pense Monsieur Paper. C’est ce qu’ignore Frankie.

Nous serons le premier samedi du mois d’octobre dans moins d’un quart d’heure. Les trois individus sont toujours présents avec Frankie dans le bar.

 

Frankie s’approche du couple :

-        - Je ferme à minuit. Je vous offre le dernier verre. La même chose, je suppose.

Le couple ne semble pas l’entendre. L’homme et la femme se regardent, se sourient, l’ignorent.

Frankie s’approche de l’homme seul.

-        - Je ferme à minuit. Je vous offre le dernier verre. La même chose, je suppose.

L’homme ne semble pas l’entendre. L’homme le regarde, lui sourie, l’ignore.

Frankie se demande s’il rêve. Cinéaste averti, retour vers l’année 1997. Il plonge dans une scène du film The End of Violence de Wim Wenders.

L’heure avance.

Frankie ne sait plus à quel saint se vouer avec ces drôles d’oiseaux. Les trois personnages sont figés, comme les statues du musée de Madame Tussauds à New-York.

Minuit va sonner. Je dois fermer le bar. Monsieur Paper va me tuer. Je le soupçonne fort de différents trafics. Je ne veux rien en savoir. Je veux travailler et vivre, ne pas risquer ma vie.

Les trois personnages prennent soudain les visages de Humphrey BogartMarilyn Monroe et James Dean. Il voit son reflet dans la vitrine du bar : il a le visage d‘Elvis Presley.

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Un réveil sonne. Il est cinq heures. Frankie se réveille. Il doit aller prendre son poste au bar de Monsieur Paper. Prise de service à sept heures.

 

(après avoir écrit mon texte, j’ai découvert trois passionnants articles sur ce tableau :

http://laboiteaimages.blog.lemonde.fr/2011/03/27/le-grand-jeu-de-limage-mystere-5/
http://laboiteaimages.blog.lemonde.fr/2011/04/05/le-grand-jeu-5-la-reponse-nighthawks-parte-ouane/
http://laboiteaimages.blog.lemonde.fr/2011/04/17/nighthawks-parte-tou/
)

et dernière minute celui-là :

http://nighthawksforever.blogspot.com/

 

 


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21 août 2010

Chapitre 7 - Défi n°59, Les oiseaux de nuit... (Fafa)

 

- Bonjour Mademoiselle, je voudrais parler au juge Hais s’il vous plaît.

- De la part de qui je vous prie ?

- Lieutenant Roste.

- Un instant.

- ...

- Je vous le passe.

- Merci.

 

 - Lieutenant Roste !

 - Monsieur l’juge.

 - Quel bon vent vous amène ?

 - ...

 - Je plaisante, votre mandat de perquisition pour la BNG c’est ça.

 - Absolument. Sauf votre respect je commençais à trouver le temps un peu long.

 - Je comprends. Ecoutez je suis désolé mais je ne peux pas vous le donner. Vous n’avez aucun élément pour appuyer votre demande.

 - Monsieur l’juge, vous me connaissez, vous savez que je ne vous dérange pas pour rien. Si je vous demande un mandat c’est qu’il y a quelque chose de pas clair, je l’sens et vous savez très bien que j’ai le nez le creux pour les trucs louches !

 - Il n’empêche Lieutenant que je n’ai rien pour étayer cette demande.

 - Qu’est-ce qui se passe Monsieur l’juge ? Ce n’est pas la première fois que je vous demande quelque chose avec les mains vides et qu’au final je vous ramène une belle affaire !

 - Je sais, mais là je ne peux rien faire.

 - Vous ne POUVEZ ou vous ne VOULEZ rien faire ?

 - Doucement lieutenant, dois-je vous rappeler à qui vous parlez !

 - C’est si gros que ça la BNG ? Ou alors vous avez des actions chez eux !

 - Dernières sommations Lieutenant, vous êtes à deux doigts de l’outrage.

 - Je ne pensais pas que l’argent pouvait vous atteindre...

 - Là vous avez dépassé les bornes lieutenant, personne ne m’a acheté et personne ne m’achètera jamais, il y a d’autres poissons dans la mer, celui-ci est trop gros pour vous et pour moi c’est tout ! Je vous conseille d’être revenu à plus de raison la prochaine fois que vous me demanderez quelque chose, sinon je ferai en sorte que vos supérieurs vous rappellent à l’ordre plus formellement. Me suis-je bien fait comprendre ?

 - Parfaitement... Au plaisir Monsieur Le Juge.

 

 - Putain d’pognon ! Putain d’capitalisme de merde !

 - ... ?!

 - Durand, tu vas m’appeler la BNG et leur dire que le juge nous a filé un mandat pour fouiller tout leur siège et les labos !

 - Mais Lieutenant le juge ne vient pas de vous le refuser ?

 - Si, mais ils n’en savent rien. On va secouer un peu la fourmilière et voir ce qui en sort...

 - Entendu Lieutenant.

 

***

 

 - Un thé ?

 - Volontiers merci.

 

Le psychothérapeute quitta son fauteuil Barcelona et se dirigea vers la porte d’entrée du bureau derrière laquelle Il disparut pour ne réapparaître que dix minutes plus tard, portant un plateau sur lequel se trouvait une théière Oïgen, deux tasses et quelques biscuits disposés sur une petite assiette en porcelaine d’Imari.

 

 - Nous voilà fin prêt pour votre récit, dit-il en se rasseyant.

 

Il servit le thé, ne proposa ni sucre, ni lait, ni citron comme il se doit et attendit tranquillement que la jeune femme qui n’était plus allongée reprenne le cours de son histoire

 

 - ...

 - Je ne me souviens pas de grand-chose du parcours, j’étais endormie quasiment tout du long. Juste à un moment nous sommes passés sur un dos d’âne, j’ai ouvert les yeux et j’ai aperçu la vitrine d’un café qui faisait un angle de rue. Ensuite j’ai re-sombré.

 - Vous vous souvenez du nom du bar ?

 - Non je ne crois pas...

 - Dommage, sous hypnose nous aurions peut-être put le faire remonter...

 - Peut-être que le nom de ce café me reviendra plus tard...

 - SOURIS !

 - Qu’est-ce qui vous a pris de crier comme ça PHILLIES ?!

 - Excusez-moi, mais je vous ai programmé lorsque vous étiez encore sous hypnose avec un mot clé, « souris » en l’occurrence, pour qu’à chaque fois que je le prononce, le souvenir qui vous échappe ressurgisse aussitôt mais il fallait pour bien faire que je fasse un peu jouer l’effet de surprise à la première utilisation. Je crois que ça marche, vous m’avez appelé Phillies.

 - Phillies ? Oui maintenant ça me revient effectivement, un café assez vieillot avec une devanture en moulure et PHILLIES écrit en lettres dorées. Merci Docteur. Euh, Jean-François. Cela ne me dira malheureusement pas où ils m’ont emmené mais un indice au moins sur la direction prise...

 

Je commençais à me réveiller lorsque la voiture s’est arrêtée. Nous étions dans un parking souterrain totalement désert. La paire de bras inconnue et celle du chauffeur m’ont soutenu jusqu’à la porte d’un ascenseur et nous sommes montés au sixième et dernier étage.

 

J’avais la nausée et lorsque la cabine s’est immobilisée un peu vite j’ai vomi mon repas sur le pallier.

 

Là, sur le pallier, je me serais cru au labo, à la BNG, partout des sas, pas des portes. Ils m’ont emmené dans un box qui aurait pu être un cabinet de dentiste. J’ai été attaché par des sangles sur un fauteuil articulé qui a été mis en position table. Je leur demandais ce qu’ils allaitent faire, je suppliais de parler à Philippe...

 

 - Philippe ?

 - Oui, nous sommes, nous étions plutôt, comment dire... proches, il était un peu plus que mon patron ce pourri. C’est lui l’homme de la photo dans l’appartement. Quand je pense que cet enfoiré m’a...bref, vous voyez ce que je veux dire. J’avais confiance en lui, toutes les belles paroles, toutes ses belles promesses, une raclure qui marche pour les gros bonnets de la finance et un maquereau en plus ! Si je le coince je lui montrerai que moi aussi je sais faire des trucs avec des petites bêtes !

 - Des petites bêtes ?

 - Oui. Finalement Philippe est venu avant qu’on « m’opère », une fois que j’ai été bien attaché et qu’un bon calmant m’ait été administré, il m’a tout expliqué. Il m’a dit qu’il le faisait pour mon esprit de chercheur et que de toute façon, je ne risquais pas de le raconter après.

 

Vous voyez, la BNG a fait travailler énormément de chercheurs dans un tas de domaines très différents les uns des autres et comme pour moi, à chaque fois que les recherches aboutissaient, ils « volaient » les résultats qui tous risquaient d’aller à l’encontre des firmes qui se cachent derrière les bonnes intentions apparentes de la fondation.

 

Lorsqu’ils ont découvert l’état d’avancement de mon projet et surtout la partie production d’énergie que j’avais soigneusement caché jusque là, ils ont paniqué. Les firmes pétrolières, entre autres, ont vu leur avenir réduire comme peau de chagrin, toute la filière nucléaire itou, vous voyez la cata pour tous ces actionnaires. Ils ont décidé de faire appel aux oiseaux de nuit pour remodeler l’histoire à leur goût.

 

Il y a quelques années, un chercheur spécialisé dans les nano technologies a trouvé le moyen de créer de microscopiques robots, capables, après implantation dans la substance grise, d’aller détruire les plaques amyloïdes et d’autres, responsables de la maladie d’Alzheimer par exemple. Mais les laboratoires pharmaceutiques ont vu ça d’un très mauvais œil, leur ventes de soins palliatifs risquaient de chuter et leur dividendes par la même et comme ils comptent parmi les plus gros donateurs de la BNG, ils se sont arrangés pour « étouffer » l’histoire.

 

En lieu et place d’un remède miracle contre beaucoup de lésions cérébrales, ils ont mis au point le lavage de cerveau le plus efficace qui soit, jusqu’à votre intervention bien sûr ! Les nano robots isolent les neurones qui stockent les souvenirs à annihiler et empêchent ainsi le cerveau d’accéder à une partie de sa base de données. Mieux, ils sont capables d’implanter de nouveaux souvenirs, très simples, pour mieux faire passer la pilule à leurs patients. Ils appellent ça les oiseaux de nuit, ils passent sans plus de bruit qu’un froissement d’aile et après eux il ne reste qu’un trou noir comme la nuit.

 

C’est ce qu’ils ont fait avec moi. J’étais sensée me souvenir de mes recherches sur le traitement des déchets par les bactéries mais plus de l’application de production d’électricité.

 

 - Incroyable !

 - Je vous avais promis du lourd...

 - Comment peut-on en arriver là pour quelques millions d’Euros ?

 - Des milliards Jean-François, des dizaines de milliards d’Euros ! Certains sont prêts à tuer pour bien moins ! Mais grâce à vous nous allons pouvoir les stopper. Il faut que je réunisse quelques pièces à conviction et ensuite j’irai voir la police. En attendant je vais jouer leur jeu.

 

 - Depuis combien de temps avez-vous « disparu » ? Quelqu’un a bien dû s’inquiéter de ne pas vous voir et prévenir la police.

 - J’en doute. Vous savez, à part mon travail au labo, mes seuls moments de libre je les passais avec l’autre enflure. Mes parents, mes frères, ils n’ont pas reçu de mes nouvelles depuis belle lurette... Tout ça va changer.

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09 mai 2009

Hopper d'Ondine

Contraste entre l’éclat aveuglant du diner et la nuit sournoisement tapie autour, frontière perceptible entre le rêve éveillé et la brutalité de la vie quotidienne, murmures étouffés sur fond de solitude criée. Ces oiseaux de nuit n’ont rien des noctambules branchés qui se déversaient quelques heures auparavant en grappes collantes sur les trottoirs des métropoles. Ils veillent, ils attendent patiemment leur victime; elle ne viendra pas ce soir mais ils ne le savent pas encore.

Pour tuer le temps, ils avalent une pointe de tarte débordante de garniture, trempent leurs lèvres dans un café au goût approximatif. Pour tromper leur ennui, l’un feuillette un imprimé daté. L’autre engage la conversation avec le cuisinier, échange des statistiques de baseball, évoque avec nostalgie les géants d’antan. D’un œil de professionnel, il détaille la coloration des cheveux de la femme, remarque l’absence d’alliance sur son doigt, note les ridules qui griffent l’ovale imparfait de ses yeux, le maquillage trop généreusement appliqué, l’affaissement presque imperceptible de sa gorge.

 La fumée de sa cigarette enlace en une étrange danse lascive les relents de parfum bon marché appliqué il y a des heures. Il sent son désespoir trouble comme il reconnaît les effluves bruts de la peur, par strates sournoises d’abord puis avec une puissance fulgurante. Aucune musique ne vient troubler le raclement des tasses de porcelaine grossière sur les soucoupes, les toussotements discrets devenant ponctuation d’un dialogue désincarné. La nuit sera longue, blême, sinistre; elle laissera ses traces, fugaces, tenaces.


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Où es-tu oiseau de nuit chéri ? (Cartoonita)

Il est moche ce tableau. Et j’aime pas les expos. Je sais pas pourquoi il m’a donné RDV ici. J’espère qu’il veut pas acheter cette croute. Toujours des idées farfelues ce gus. Comme la fois où… nan, j’raconte pas ! Tiens, un SMS : « Sui devan lé oizo 2 nui. Té ou ? ». Ah ah, très drôle. Ben moi aussi, tu vois. Je suis même pile devant le magniiiiiiifique tableau. J’ai capté. Il est à la bourre et il veut me faire le coup du j’étais déjà là depuis l5 min, ça fait des plombes que j’t’attends, t’étais cachée où ? Il peut crever, je réponds pas mais qu’il se magne bordel.

Et vas-y que le binoclard reprend son patati-patata, de la tchatche d’intello à deux balles : « … le style et la pensée  hopperienne s’inscrivent, avec ce splendide tableau, dans le courant néo… ». J’t’en foutrais moi des néo-machin. Tiens, la rouquine en rouge de la croute, elle m’fait penser à la bombasse que le loup essayait de choper dans Tex Avery, ou alors la nana de Roger Rabbit. Mort de rire.

Nouvel SMS : « Dépéch cé gratos pr lé meuf juska minui ». Alors là, encore plus drôle. Gratuit mon cul. Comment qu’il m’a trop fait chier le gorille avant de me laisser entrer. Ben oui, j’ai RDV du con. Ouais, à la soirée spéciale « Les oiseaux de nuit ». Vâââchement spéciale, moi j’te dis !

Qu’est-ce qu’elle a encore me reluquer la vieille pimbèche ? Ah ça pour me fixer avec des grands yeux à chaque fois que je réussis une bulle de chewing gum ya du monde, mais pour me dire qu’est-ce qu’il glande mon « chéri d’amour », là y’a plus personne. Vieille bique ! Pfiou, je m’emmerde, je m’emmerde, je m’emmerde !

Et encore un SMS, ça n’arrête pas : « Ya DJ Bastardo il déchir grav!! » Hum, t’as raison mon lapin. Ça déchire grave, le bétov, le p’tit bac ou le truc muche classique qu’ils nous passent. Putain, on est le 1er avril ou quoi ?

Merde. Le cauchemar. Ya ma mater. Putain, il va déguster l’empaffé, c’est un traquenard ou quoi !

« Chérie ! Que fais-tu là ? Je savais pas que tu t’intéressais à Edward Hoppe. Ça me fait plaisir de voir que tu t’ouvres à la culture ! Je croyais que tu allais avec ton fiancé au nouveau night club qu’ils viennent d’ouvrir à Saint Germain. Comment c’est déjà ? Les oiseaux de nuit, oui… ». Vie de merde.

 

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Quelque part en ville... - Janeczka

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Remember (Papistache)

Oncl’ Owl, s’il te plaît, raconte ta première proie vivante.
— Little Tawny Owl, je t’ai déjà confié cent fois cette expérience.
— Oh ! Oncl’ Owl, encore une fois, s’il te plaît !
Et l’oncle, flatté de l’insistance de sa jeune nièce, une fois de plus, dévida le fil de son histoire.



J’effectuais mon premier vrai vol nocturne loin du tronc du vieux pin. Mon père m’avait guidé jusqu’au sommet d’un réverbère en aluminium qui jetait une lumière aveuglante sur ce lieu de rendez-vous des humains. Je ne distinguais presque rien, les éclairages de la ville me désorientaient.
Ouvre tes narines, me dit mon père.
Cette odeur, que je n’ai, depuis, jamais cessé d’associer à la chasse, m’emplit alors les sinus. Sous le lampadaire, un homme s‘appuyait. Je ne le voyais pas ; je le sentis. Une odeur aigre, forte, chargée d‘humidité. Sa transpiration. La transpiration de l’homme quand il chasse. De l’autre côté de la rue : ses proies. Appuyées à un comptoir. La lumière les noyait dans un halo éblouissant.
Attends, me dit mon père. Le chasseur est patient. Nous sommes chasseurs. Ébouriffe tes plumes et grave cette odeur dans ta mémoire.
J’ai obéi. En face, des éclats de voix, de grands mouvements de bras. J’ai cru qu’un des humains allait s’envoler. J’ignorais à cette époque combien ils sont lourds et lents et bruyants : j’apprenais. L’homme à la chemise bleue s’est éloigné en parlant fort. L’autre homme à chapeau était parti depuis longtemps. Un fade, sans odeur, sinon celle de la lavande. Un conseil : les hommes qui sentent la lavande, Tawny Owl, ne sont pas des chasseurs, ils ne nous offrent aucun  intérêt, à nous, les oiseaux de la nuit.

La femme. De l’eau coulait sur son visage. J’ai senti le sel. Elle s’est retrouvée seule. L’employé du bar a éteint la lumière. A ce moment, j’ai vu. Tout. Distinctement. L’homme sous le lampadaire a quitté le halo éblouissant et s’est approché de la femme qui hésitait sur le trottoir. Dans la poche du veston de l‘homme, sa main tournait et retournait un objet lourd.

Le chasseur à l’odeur forte a parlé à la femme. Elle a semblé réfléchir puis a avancé et l’homme l’a suivie, collé à ses pas. Dans l’ impasse. J’ai vu. La saleté. Les immondices. Les poubelles. La femme marchait devant.

La main de l’homme est sortie de sa poche. Un bruit sec. Un éclair. Une lame a surgi de sa paume. Il a saisi la femme par le coude et l’a frappée au cou. La femme a crié. Un peu. Elle est tombée. L’homme l’a retournée sur le dos. Il a plongé sa lame dans le ventre de la femme. Longtemps. J’ai senti l’odeur du sang. Un chasseur. J’ai senti sa sueur. Aigre, chaude, envoûtante.
Pas encore, m’a hululé mon père.

L’homme a fouillé le ventre de la femme. Il s’est redressé, a jeté son couteau vers une des poubelles, est parti en courant. Le couvercle de tôle est tombé. Une bande de rongeurs apeurés a bondi hors de la poubelle.
Maintenant, m’a dit mon père.


J’ai tué mon premier rat ce soir-là, Little Tawny Owl. C’est comme je te dis.
La petite hulotte s’était endormie. Le vieux hibou gonfla ses plumes. Le trou dans le vieux pin était confortable. Le jour serait long.

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Le risque en hoppérant… (Tilleul)

C’est bien ma veine ! Moi qui espérais me coucher tôt, voilà le couple là, sur le côté qui commence à se disputer… Ils en ont pour un bout de temps à se rappeler toutes leurs rancoeurs… « Psst ! Voulez-vous boire un dernier verre avant la fermeture ? Je vous l’offre ! Dépêchez-vous, parce que je vais rendre mon tablier ! »… Ils ne m’entendent même pas ! Mon dos commence à me faire souffrir ! Et l’autre en face, avec son air de dormir, je parie que c’est un détective privé ! Ca fait plus d’une heure qu’il n’a rien commandé ! Il ferme les yeux mais je suis sûr qu’il ouvre ses oreilles…

Mon collègue Albert m’a dit « c’est vraiment gentil de ta part de me remplacer ce soir ! J’ai un rendez-vous important. Tu sais, le mercredi, les oiseaux de nuit sont rares, tu pourras fermer la boutique assez tôt ! » Assez tôt ! Tu parles ! Il est plus de deux heures et ces trois clients n’ont pas l’air pressé ! En plus, ils ne sont même pas intéressants… un muet et deux qui s’engueulent à voix basse, comment voulez-vous que je tue le temps en conversant avec eux ? Et ma chérie qui doit m’attendre… Ce matin, en m’embrassant, elle m’a susurré à l’oreille « ce soir, c’est le jour des câlins… »

Je vais lui téléphoner pour la rassurer !

Allo ?... Allo?... Albert ?... Mais qu’est-ce que tu fiches chez moi à cette heure ?

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Le bar de l’Univers et les oiseaux de nuit (Joe Krapov)

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- C’était pendant l’horreur d’une indicible nuit

Et je me faisais chier dans un néant profond.

Il fallait à tout prix sortir de cet ennui :

A force de ramer, j’allais toucher le fond.

 

Faut vous dire, où j’étais, au début, y’avait rien,

Un no man’s land complet, que nib’, un grand trou noir.

J’étais dans mon plumard avec mon acarien

Qui m’a dit : « Fais què’qu’chos’ ! Boug’ toi un peu, gros lard ! »

 

« Ne pense pas, petit, que je suis avachi »

Répondis-je au ciron écrasé sous mon poids.

« Avant de me lancer, sais-tu, je réfléchis !

Construire un univers, je n’sais pas si tu vois,

 

C’est pas rien comm’ boulot ! ». J’ai rassemblé les planches,

Fait l’électricité, les vitres et le comptoir,

Le désir d’oublier, la soif et la pitanche

Et surtout j’ai conçu un extérieur bien noir.

 

Lorsque la ville dort mon bar, tout seul, scintille.

Mais ça manquait d’allure. En effet j’étais seul.

Alors j’ai inventé Leserpent, un’ vétille :

Un client à chapeau qui fait toujours la gueule !

 

On joue bien aux échecs, lui et moi, quelquefois

Mais ça nous prend des plombes et je n’suis pas patient.

Mais bon, ce soir, Champagne et mêm’ caviar, ma foi !

Je n’vous ai pas loupés ! Crénom c’que j’suis content !

 

Eve, ta robe rouge, on ne voit qu’elle ici !

Et toi, quelle élégance, Adam ! J’en suis jaloux !

Vous allez me peupler le monde que voici !

Faites-nous des petits, l’Avenir est à vous ! »

 

***

 

Quand le bar dût fermer, les trois clients sortirent.

Leserpent s’en alla griller une cibiche

Sous un vieux réverbère. Adam, plein de traczir,

Regarda dans les yeux clignotants sa Bibiche.

 

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- Croître et multiplier, d’accord, mais comment faire ?

Je ne vous connais ni des lèvres ni des dents ! »


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- C’est pas grav’mon Adam ! T’as la cote, et d’enfer !

Il suffit de me faire un peu de rentr’dedans !

 

Faut qu’on se trouve un page où s’envoyer en l’air,

Un petit « hom’ sweet hom ‘ » dit-ell’ d’un ton flatteur.

Nous aurons des enfants, l’écol’, le RER,

TF1, un 4x4 et un congélateur ! ».

 

Adam la regarda, l’air un peu consterné.

- L’autre type au comptoir était un peu moins gore !

Excuse-moi, poupée, je m’sens pas concerné

Par tes projets popotes ! Alors… Adios, Amor ! »

 

dds_59_04_Leserpent

 

Leserpent l’attendait en face du troquet.

Le juk’box entonnait l’air de « Brok’back Mountain ».

- J’ai bien vu que tu n’étais pas un paltoquet.

Ce monde est fait pour nous. Tant pis pour la cheftain !

 

Dans un autre univers ce sera autrement !

Quand l’Acarien les pousse à inventer le monde

Qu’Ils fassent blanc ou noir, c’est toujours très dément

Mais ce scénario-ci… il n’est pas trop immonde ! »

 

***

 

Aujourd’hui, on oublie ce qu’on doit au passé,

Les leçons de Nature et les devoirs au Père.

Les bistrots sont immenses ; ils ont tous l’air glacé

De celui-ci que fit le peintre Edward Hopper.

 

dds_59_05_tableau_de_Hopper

 

Je me souviens encore de la gueul’ du patron

Qui avait inventé cet univers odieux.

Je me demande, quand j’ai bu quelques litrons :

« Se pourrait-il qu’un acarien pût être Dieu ? ».

 

Ces discours, après tout, ce ne sont que des vers

Et je ne suis pas philosophe de renom.

Quelquefois j’entre encore au bar de l’Univers.

J’aime à y boire et y entendre des canons !

 

N.B. Le canon s’écoute ici : http://www.onmvoice.com/play/5475

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Une autre vie (Tiphaine)

Si seulement j’étais né dans un autre quartier…
Si j’avais connu la soie plutôt que la merde,
Si ma mère avait collectionné autre chose que ses foutus amants, des tortues ou des porte-clefs, n’importe quoi d’autre...
Si je savais lequel l’a engrossée...
Si j’avais pas cru que c’était le père O’Malley,
Si je lui avais pas foutu mon poing dans la tronche,
Si on m’avait pas renvoyé de l’école…
Si j’étais pas tombé raide dingue de Cindy,
Si elle était pas tombée en cloques,
Si son père l’avait pas tabassée en l’apprenant…
Si elle avait pas perdu le gosse…
Si j’avais pas pété les plombs.
Si j’avais pas commencé à boire.
Si j’avais pas perdu mon boulot.
Si y’avait eu quelqu’un pour m’écouter…
Si j’avais eu quelqu’un à qui parler…
Si je savais comment faire autrement pour tuer le temps que d’aller chez Phillies,
Si je pouvais le tuer dans les bras d’une femme
Robe rouge…
Si c’était pour moi,
S’il n’y avait que moi.
Si y’avait pas les autres oiseaux de nuit…
Si j’avais les moyens de m’acheter un autre chapeau, un autre costume…
Si mes poches n’étaient pas vides,
C’est moi qu’elle regarderait.
C’est avec moi qu’elle finirait la nuit…
Sa main touche presque celle de l’autre…
Celui qui a le bon chapeau, le bon costume, la bonne attitude,
La bonne vie.
Si seulement j’étais né dans un autre quartier…
Si seulement j’avais eu une autre…- 
Patron !
- 
La même chose ?
- 
Non. Une autre…

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Chacun pour soi, et le silence pour tous (Val)

Elle :

Bon ça y est. Ça, c’est fait. Je ne suis pas mécontente que ce soit terminé, on étouffait, là-dedans. Je vois bien qu’ils me font la tête tous les deux, qu’est ce que j’ai fait, encore ?

 Ah, parfois il me fatigue, lui et son doublon ! Comme si c’était ma faute…

.

Lui :

Bon. Voilà. C’est passé…Il paraît que le plus dur vient après. On verra…

 Roger nous fait la gueule. Je le vois bien, il ne s’est pas assis à coté de nous. Remarque, je le comprends, elle a dépassé les bornes, cette fois-ci ! Roger va encore me taper une crise, comme quoi j’aurais dû faire comme lui et ne pas me faire chier avec une… pfff ! N’empêche, ce soir, en rentrant, elle va m’entendre ! Ah ça oui, qu’elle va m’entendre ! Y’a tout de même des limites, il a pas tort Roger sur ce coup-là !

.

Lui :

Quelle ingrate, putain ! Ça me rend dingue ! Et Georges qui lui dit rien… A sa place je l’aurais giflée devant tout le monde, la garce ! Elle ne mérite que ça, cette petite garce ! Pourquoi a-t-il besoin d’elle, Georges? Je ne lui suffits pas ?

 Petits, on avait promis…

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Lui :

Eh ben, un peu glauque pour une fin de soirée ! Les jumeaux Wilson , ces oiseaux de nuit, qui sortent de la crémation de leur mère en guise de derniers clients ! Et en plus ils se parlent même pas !

N’empêche, la belle fille, elle a pas dû passer inaperçue avec sa robe rouge ! Elle a dû se retourner dans son cercueil, la mère Wilson ! Ah, ah ah ! Elle a pas froid aux yeux, la gamine ! Remarque, elle a bien raison, c’est qu’il doit en falloir, du caractère, pour se farcir le jumeau collant de son mec à tout bout de champ ! Enfin, c’que j’en dis…

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Posté par valecrit à 12:00 - - Commentaires [24] - Permalien [#]
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