Nej ! Jeg ønsker ikke at tage en tabel i mig! (Tiphaine)
Quand le directeur du musée de Seebüll est venu jusqu’à moi avec son beau sourire dentifrice pour m’annoncer dans un français impeccable que j’avais le droit d’emporter un tableau, j’ai cru qu’il plaisantait tout d’abord.
Mais non…
Un reporter de DR1 filmait la scène avec enthousiasme, j’allais passer aux infos du soir, l’événement était de taille…
Emporter un tableau de mon peintre préféré, j’avais l’embarras du choix…
Mais non…
J’ai répondu dans un danois que je croyais impeccable, histoire de lui montrer mon agacement dans un langage que des milliers de téléspectateurs seraient en mesure de comprendre : « Nej ! Jeg ønsker ikke at tage en tabel i mig! ». Non, je ne veux pas emporter de tableau chez moi…
Ils m’ont regardée, désappointés. Ils se faisaient déjà une joie de ma joie, ils l’avaient imaginé, eux, le beau tableau que cela ferait, la petite française qui repart de la fondation Nolde avec une œuvre sous le bras…
J’ai refusé.
Je suis repartie, mais j’ai eu le temps de prendre ça :
La photo est chez moi.
Le tableau continue de s’offrir à tous les regards.
PS :
Si vous passez à Paris au grand palais entre le 25 septembre 2008 et le 19
janvier 2009 ou si vous patientez un peu et allez à Montpellier au musée Fabre
du 7 février au 24 mai 2009, vous aussi vous aurez le bonheur de rencontrer le frère et la sœur mais aussi l’enfant et l’oiseau, la vie du christ, le soleil des tropiques, la femme en hiver, les deux diables, les nuages
d’été…
Emotion - Veron
Matière .
Brocard précieux et imposant .
Étoffe d’un autre monde , des temps futurs .
Facettes.
Poids de la multitude . Force des traditions.
Zoom .
Inévitables révélations.
Aluminium à prix d’or cousu au fil cuivré .
Oublier.
Recyclage, chiffres, mise en œuvre….Peu importe .
Admirer l’ œuvre.
Garder l’émotion.
Dusasa I
par EL Anatsui
Nouvel An - Ondine
Ils en avaient rêvé pendant des années, chimère qui leur échappait constamment, faute de temps, d’argent, de conviction. De temps en temps, elle mettait dans le lecteur un disque et se laissait bercer par la musique. Les jours avaient chassé les nuits, tour à tour fastidieux ou fielleux, frisson subtil puis fossé profond entre deux êtres, deux vies. Un matin, sans crier gare, son cœur avait cessé de battre et elle s’était retrouvée seule, devant son visage flétri dans la glace, au vide qui l’avait envahie, aux illusions envolées.
Les premières semaines, les premiers mois, elle avait dansé un douloureux tango entre déni et rage puis avec conviction, elle avait fini par assimiler les pas d’une valse-hésitation qui la portait tantôt vers les regrets et tantôt vers les projets. En mesure avec la musique, son corps oscillait : un, deux, trois, un, deux, trois. Elle fermait les yeux et glissait, aérienne.
Un après-midi, elle s’était retrouvée dans une agence de voyage et avait réservé son billet, comme on retient sa respiration avant de plonger dans les eaux glacées. Huit jours, sept nuits, trois opéras de Mozart, présentés dans trois salles différentes. Un musicologue accompagnait le petit groupe, leur offrant au petit déjeuner causeries sur les lieux qu’ils visiteraient ou les œuvres qu’ils entendraient. À mi-parcours, le 31 décembre, ils passeraient quelques heures avec un professeur de danse qui leur inculquerait les bases de la valse viennoise et le soir, ils danseraient au Bal de l’Empereur. Elle en avait rêvé si longtemps…
Dès les premiers instants, elle avait été séduite par Vienne « la magique, la merveilleuse, l’éternelle », comme l’écrivait Hugo von Hofmannsthal. Chaque bâtiment semblait lui narrer une histoire : le Staatsoper, le Burgtheater, le Theater an der Wien, la maison de la musique, le Musée Léopold, le Musée du palais Liechtenstein. Un après-midi où elle explorait la ville seule, elle se retrouva Josefsplatz, son regard happé par la majesté de la Bibliothèque nationale autrichienne. Elle se rappela que le guide avait mentionné qu’on pouvait y retrouver une importante collection de livres en esperanto, une salle consacrée aux mappemondes, et d’autres où s’entassaient les manuscrits rares.
Elle poussa la porte et on lui remit un billet numéroté. Dans la salle des incunables, elle se révéla séduite aussi bien par le plafond et les murs ouvragés que par les livres précieux. Elle effleurait les titres du regard, n’osant y porter la main. Elle s’attardait près des globes terrestres quand elle entendit une étrange sonnerie insistante. Elle pensa un instant si quelqu’un avait déclenché par mégarde un détecteur d’incendie mais celle-ci se tut et qu’une voix joyeuse fit une annonce dont elle ne saisit que Willkomenn, meine Damen and meine Herren, million, Besucher et Heft. Elle jeta un regard interrogatif à l’un des employés, lui demandant ce qui se passait. Obligeamment, il lui expliqua : « Chère madame, nous accueillons aujourd’hui le millionième visiteur de notre bibliothèque et la direction de l’établissement offre au gagnant la possibilité de repartir avec un des objets faisant partie de nos collections. »
Complètement ahurie par l’énormité de la proposition, elle lui demanda de répéter.
— Et le numéro gagnant, c’est lequel?
Il réfléchit un instant avant de traduire.
— 1791. Qui sait? C’est peut-être vous?
Elle se mit à fouiller dans la poche de son manteau avec fébrilité.
— Je n’y crois pas. Vous êtes certain du numéro?
Il lui sourit un instant et la prit par le bras pour la mener au bureau du conservateur en chef.
— Bienvenue chez nous, chère madame. Prenez quelques instants pour vous asseoir. Pouvons-nous vous offrir un rafraîchissement?
— Non, merci, ça ira je pense, réussit-elle à balbutier.
— Alors, dites-moi, quelle pièce unique de nos collections souhaitez-vous faire vôtre?
Elle réfléchit un instant, un seul. Elle savait exactement ce qu’elle demanderait. Tout à l’heure, quand elle l’avait aperçu, elle avait cru que ses yeux lui jouaient un tour pendable. Elle s’était approchée de la vitre et l’avait longuement fixé. Le papier était jauni, traversé par des barres de mesure plus ou moins alignées. Le premier t du tutti ressemblait plutôt à un j tandis que les deux autres étaient bousculés d’un même geste. Sous la portée des basses, la première syllabe se détachait, forte, fiévreuse, farouche. Re… comme ré, réaliser, réagir, réfuter, révolte, répulsion, rédemption, requiem. Elle avait entendu l’orchestre gronder, l’énoncé repris en contrepoint par les autres voix. Elle s’était laissé traverser par l’unique souhait d’un Mozart rejeté par son milieu, les têtes couronnées qui l’avaient gentiment fait sauter sur leurs genoux jadis, un simple homme qui trouve le poids du génie si lourd à porter : « Exaudi orationem meam… exauce ma prière. » Devant la mort, il avait ressenti la même urgence que devant la vie, une impatience teintée de tendresse, une fureur de vivre mâtinée de sérénité, la peur se muant en grandeur, la solitude tendant vers la plénitude. Ces pages, elle les avaient laissées couler en elle des centaines de fois après la mort de son mari, joignant sa voix à celles des choristes, fondant sa souffrance dans le vibrato des violoncelles, dans le délié des lignes mélodiques.
Le conservateur écouta sa requête avec attention et demanda qu’on apportât le manuscrit. Quand elle posa la main sur le précieux papier, elle sentit les larmes couler sur ses joues flétries. Une de celles-ci se nicha dans le bas de la partition, y traçant une coulée plus pâle. Elle déposa le manuscrit et laissa enfin libre cours à sa douleur, trop longtemps réprimée.
Elle ferma les yeux et se concentra sur la ligne mélodique de la dernière page jamais ébauchée par Mozart. « Lacrimosa dies illa… Jour de larmes, ce jour-là. » Quand elle les rouvrit, elle était dans sa chaise berçante. Le séjour était plongé dans la pénombre. Elle se leva lentement et alluma le lecteur. Demain, elle demanderait à sa fille de lui acheter un billet pour Vienne.
Non d’un chat, que ce défi 28 est difficile ou… entrevue suite et fin - rsylvie
Les pupilles dilatées pour
mieux s’accoutumer à la pénombre,
il regarde la divine créature
langoureusement assise sur le sol.
Intrigué, il n’attend pas de
se faire prier pour entrer.
A pas feutrés, il avance. Doucement
pour ne pas l’effrayer, il progresse vers elle.
Quand soudain, Il lui semble
que quelque chose ne va pas.
Les lumières tamisées,
l’ambiance de la pièce….son instinct de chasseur ne peut le tromper,
il s’est laissé distraire par
les artifices de couleurs.
Il n’en croit pas ses yeux.
Tout autour de lui ce n’est
que tutus.
Des dizaines de ballerines
reposent dans des positions plus qu’équivoques.
A qui fera un grand écart le
plus maintenu, la pirouette la plus rapide, la révérence la plus gracieuse, les
pointes les plus fines….
Cela grouille de petits rats.
Il en arrive de partout,
Dans toutes les directions,
qu’il en perd l’orientation.
Et de se retrouver moustaches
dans plumes bleues et roses,
à rêver à je ne sais qu’elle histoire de « la belle et la bête ».
Loin de paraître déplacé dans ce musée de ballerines,
il saute d’entre-chats en pirouettes félines… et c’est alors que la magie opéra.
Félix est sur scène.
Le rideau s’ouvre.
La grâce de ses arabesques fait l’admiration de tous.
Depuis quand avait-on vu pareil ballet.
Un félin au pays des petits rats ?
-« … monsieur
vous allez bien ?
Tirez la langue ?
monsieur ouvrez les yeux » !
-« quoi encore!! le jeu du
chat et la souris. » ?
-«
un petit malaise, je pense » ?
-« non je crois plus tôt que
je me suis assoupi à force d’attendre.
D’ailleurs elle ne viendra plus ».
D’un bon Félix est debout.
Il s’étire mollement ,quand un billet
entre les griffes attire son attention.
Bleu comme les plumes des oiseaux de nuit, il se surprend
à rêver à cet étrange ballet dans un musée.
Il regarde le petit bristol .
Il
n’a pas rêvé !
mais laquelle choisir, toutes étaient si gracieuses, si félines.
Non vraiment il ne sait
laquelle prendre.
"Non d’un chat, que ce
défi 28 est difficile.
Mais combien plaisant" se dit-il en se léchant les babines
L’envers et l’endroit (Kloelle)
On aurait dit le bruissement de quelques pas pressés sur les feuilles mortes de l’allée ou le froissement incessant des pages blanches d’un écrivain en mal d’inspiration. En pleine nuit. Je me suis retournée dans mon lit, blottie fébrilement dans l’abri de chaleur qu’offraient mes couvertures. Le bruit n’était pas désagréable, juste inquiétant. Inquiétant comme cet homme au regard pénétrant qui m’avait suivie tout à l’heure, au musée.
- Ils disent que les œuvres appartiennent à tout le monde, c’est faux vous savez. Tous ces tableaux sont en attente, sur le départ, prêts à suivre le regard ou l’âme qui leur renverra l’image juste, la réplique de ce qu’ils sont.
J’avais laissé partir sa silhouette déformée sans lui répondre et elle s’était évanouie dans le petit salon des œuvres alpestres.
Je respirais rapidement. J’étais seule. Le bruit avait cessé. La fin
d’un mauvais cauchemar sans doute. Je me suis levée, j’ai ouvert la porte du
salon et elles étaient là, devant moi, terribles et pénétrantes, reflet inouï de ce que je suis.
Le Bœuf écorché de Soutine, l'Idylle de Picabia.
Pré-histoire (Pandora)
Il a d’abord pris peur quand la sonnerie s’est déclenchée lors du passage dans le portique de sécurité. Il a pourtant bien acheté son billet, payé avec du vrai argent, au tarif étudiant justifié par une vraie carte d’étudiant. Pas un de ces trucs plastifiés qu’on se fabrique tout seul en bidouillant sur son ordinateur, une véritable carte pour le thésard en maths qu’il est. Et la fréquentation des musées n’est pas réservée aux seuls étudiants en beaux arts tout de même… Alors quand tout ce monde s’est précipité vers lui lors du déchainement de décibels, il s’est franchement demandé ce qui lui arrivait. Puis un homme à lunettes en costume sombre, avec une belle cravate rouge ornée de petites statuettes s’est approché de lui en lui tendant la main :
- Félicitations Cher Monsieur, votre numéro de billet a été tiré au sort au grand jeu des musées de France.
Venant de l’entrée, le photographe officiel du musée se précipite pour immortaliser la poignée de main célébrant l’instant et fait crépiter son flash, figeant le jeune homme dans une pause d’éberlué au visage lunaire qu’il n’est pourtant pas à l’abri des murs de son laboratoire.
La caissière qui a reconnu en ce jeune homme intimidé l’habitué des dimanches matins de renchérir :
- Et il le mérite Monsieur le Directeur, il vient tous les dimanches !
- Nous avons en plus un amateur de culture. Le sort n’a pas été aveugle cette fois. Monsieur, vous êtes le grand gagnant, bravo.
Et tout le monde autour de se mettre à applaudir ce drôle de jeune homme en duffle coat.
- … Merci beaucoup. Je ne m’attendais vraiment pas à cela.
- … ? Soulèvement de sourcils interrogatif du directeur.
- … ? Haussement d’épaule interrogatif du petit étudiant.
- Mais vous ne voulez pas savoir ce que vous avez gagné ?
- Si bien sûr. Excusez-moi. C’est à dire que je ne m’y attendais pas…
- Vous avez gagné l’œuvre d’art de votre choix dans ce musée.
Il peine à intégrer vraiment ce qu’il entend mais ce qui ce sont les grands cris dans le public qui le font réaliser. Public qui dans l’intervalle a grossi de façon exponentielle, attiré comme les papillons par la lumière des flashs mais aussi et surtout bloqué par le petit cordon d’étranglement au portique.
- Vous voulez dire que je peux choisir ce que je veux ? Comme dans un supermarché ?
- Oui, on peut formuler ça comme cela. Je vais vous accompagner dans les allées du musée, et vous allez regarder tranquillement toutes les œuvres. Et je vous fournirai les explications que vous souhaitez pour que vous puissiez choisir.
- C’est à dire que dans ce cas je sais ce que je veux.
Et le petit étudiant de rougir de confusion
- Vous avez déjà décidé de l’œuvre d’art que vous allez choisir ? En 30 petites secondes ?
- Oui. C’est pour cette elle que je viens chaque dimanche. Je reste des heures à la regarder. A contempler ses formes généreuses, son port de reine, ses traits si délicats. C’est un tel chef d’œuvre…
- Oh, laissez-moi deviner… C’est une statue de l’aile romaine, non ?
- Non p…
- Un tableau de l’aile renaissance ?
- Non Monsi…
- Pas de la période romaine ni de la période renaissance, vous m’intriguez… Où est donc cette œuvre ?
- Dans l’aile préhistorique.
- Ne me dites pas que vous voulez notre Vénus ?
- Non, je vous parle de Justine (c’est le prénom qu’il y a marqué sur son badge), la gardienne. Je crois que je suis amoureux, et mon œuvre d’art préférée, c’est elle. Je la prends sans aucune hésitation !
Défi de Berthoise
Au Musée des Beaux-Arts de Lyon, je voulais revoir les tableaux de fleurs de 19 siècle.
A cause du commerce de la soie, Lyon avait privilégié les artistes qui donnaient dans les motifs floraux, car ils étaient repris dans les ateliers d'impression.
Je suis retournée sur la Place des Terreaux, je suis passée sous le porche . Mon amie qui connait toujours quelqu'un, avait prévenu et je devais me présenter aux caisses de la part de Mickey. On me donna un billet gratuit et je commençais mon exploration. A l'envers, ou à contre-sens, enfin je commençais par la période contemporaine et remontais le temps.
Je parcourus quelques salles pour arriver enfin devant le tableau que je voulais revoir.
Il était bien tel qu'il s'était fixé dans ma mémoire.
Grand, clair, avec ces femmes mêlées aux fleurs. Dans cette salle, il y avait une toile que je ne me rappelais pas avoir vu là. Aussi, quand on m'annonça que grâce à ce billet que je n'avais pas payé et qui était toutefois numéroté, j'avais gagné le droit de partir avec l'œuvre de mon choix, je n'ai pas hésité.
Je veux celui-là, les amants heureux de Courbet, que je pourrai renommer les amants comblés. C'est celui-là que je veux.
Pour le cou blanc et gras de la femme, pour sa pose alanguie, ses paupières mi-closes et l'esquisse de son sourire.
Pour les pommettes rosées de l'homme, ses cheveux en bataille, son épaule solide.
Pour les mains qui s'étreignent.
Pour leur contentement tangible, et leur quiétude devant un ciel plombé.
Voilà pourquoi à la tombola du Musée des Beaux-Arts de Lyon, j'ai choisi cette toile.
J'aime l'amour qu'elle évoque.
Poup'-Art aux journées du patrimoine - Sebarjo
Monsieur Paul Art Barok, jeune homme d'une quarantaine d'années,
engoncé dans un canapé au fond trop moëlleux – de ceux qui vous mettent les
genoux au niveau des oreilles - sirotait tranquillement un thé à la bergamotte
dans le salon douillet de sa vieille tante Mrs Robinson. Cette dernière
était entourée de sa cour vieillissante, composée de sa veuve de belle-soeur de
83 ans, de sa cousine de 85 ans toujours flanquée de son mari, le cadet de 78
ans. Il était presque 16 heures 30 et l'on n'y manquait jamais la
traditionnelle Tea time, même si la sortie de table venait de se
faire... Le café avait encore une fois été oublié au grand dam de Paul Art. Car
Monsieur Barok était plutôt caféine que théine, à tel point que ces meilleurs
amis le surnommait le Père Colateur... Malgré tout, il s'était habitué
au rituel de sa vieille famille... A la guerre comme à la guerre ! Et puis ce
n'était qu'un week-end tous les deux ou trois mois...
Paul Art était plongé dans ses pensées, se laissant envahir par les sons
du silence, lorsque par-dessus un flot de paroles, il entendit ces bouts de
phrases : .... journées ...moines... Jocelyn...
Aux regards de tous les membres de l'assemblée qui divergeaient vers
lui, il comprit, comme réveillé en sursaut, qu'on s'adressait à lui...
Il ne put que répondre ces bredouillements :
- Le moine
Jocelyn ??? Ah... un nouveau chartreux dans le diocèse, chère tante ... ???
- Mon cher
Paul Art, vous rêvez ! Encore plongé dans vos délires de polars ! M'enfin vous
vous prenez toujours pour Hercule Poirot ? Cela ne vous a pas passé depuis vos
piètres années d'études au collège ? Sept, si j'ai bonne mémoire... Non mon
cher neveu, il n'est nullement question de moine Jocelyn ou Cafdael. Je
vous disais simplement que cela me ferait un immense plaisir que vous daignâtes
nous accompagner au Musée de poupées, situé dans les vestiges du château de
Josselin, comme toute personne cultivée le sait. Car comme vous ne pouvez
l'ignorer, ce week-end ont lieu les journées du patrimoine... Et à cette
occasion, le musée qui nous intéresse, présente au public la totalité de ses
collections ! Soit environ mille spécimens, tous uniques en leur genre ! Je
vous rassure, il y en a pour tous les goûts mon cher Paul Art : faïence, porcelaine,
laine, cire, son, coquillages, crustacés...
- Et la
plage ensoleillée, c'est pour après ???
- Allons,
allons, il n'est plus temps de plaisanter ! Prenez votre veste de tweed et
empressons-nous de partir. Vous allez nous mettre en retard ! Vous n'avez même
pas encore touché à votre thé. Il vous manque peut-être votre nuage de lait ?
Et patatati et patata...
Avant la fin de tout ce radotage, notre Paul Art eût le temps de terminer
son thé et d'enfiler sa veste de tweed. Une demi-heure plus tard, soit environ
vers 17 heures, ils furent tous installés plus ou moins confortablement dans la
voiture de sa tante, une antique DS quasi-authentique. Pour être honnête, il
s'agit plutôt d'un bas de gamme qui fait mal au do... Un ersatz. Une ID,
qui est en fait bien loin de l'idée qu'on se fait d'une déesse...
Tout ce petit équipage avait réussi à se caser dans la vieille
automobile aérodynamique et aux fameuses suspensions hydrauliques. Un sacré tangage ! Au volant comme capitaine
au long court, se trouvait le mari de la cousine de sa tante, le moteur
personnel un peu trop imbibé de sherry... et à ses côtés, à la fameuse place du
mort, la belle-soeur de sa tante, déjà veuve rappelons-le... Coincé entre sa
vieille tante et sa cousine, Monsieur Barok était lourdement écrasé de gauche
comme de droite – il se dit alors que ce ne devait pas être facile tous les
jours d'être centriste... Il se sentait comme pris dans un étau qui avait le
désagréable désavantage de causer... Il comprit alors le sens profond des
expressions Aller de l'avant et être sur ses arrières...
Sa tante se délectait à l'avance de la visite qu'ils allaient faire. Et
elle en profita pour étaler ses goûts artistiques et toute sa confiture
pseudo-culturelle... un véritable coulis d'airelles ! Si on ajoute à cela le
roulis imprimé par la caisse quinquagénaire, Paul Art était sacrément bien
bercé. Cependant, des bribes de dialogue, attrapées au vol par ces oreilles mal
embouchées, le sortirent de sa demi-torpeur... :
(Sa tante ) : « .... L'année passée j'ai visité le musée du Velours,
formidable ! Croyez-moi c'est quand même autre chose que tous ces Louvres
et compagnie ! » A voir absolument, si vous ne le connaissez pas, ma chère
cousine ! »
Il ne pût s'empêcher de se mêler à la conversation, au bord de
l'effarement :
« Ah oui oui, c'est vrai. Tenez, moi je me souviens avoir visité
aux Pavillons-sous-bois, un merveilleux et charmant petit établissement, le
musée des Drapeaux. Magnifique ! Là c'est sûr, c'est autre chose que leur Prado
et autres dépotoirs de l'art ! »
Ce qui ma foi, relança bien la discussion entre la tante et sa
cousine... et replongea Paul Art dans son hypnose illusoire.
On approchait du but. Paul Art Barok pensa que peu de monde viendrait
visiter un tel musée. Des poupées ??? Qui cela peut-il bien intéresser ? Sa
tante... mais à part ça ? Ca serait toujours ça de gagné, parce que, c'est bien
joli les journées du patrimoine, mais en général, on passe plus de temps en
attente qu'en visite !
La voiture freina et s'arrêta sans se déglinguer.
Quel naïf ce Paul Art ! Il y avait un monde fou ! On se serait cru aux
fameuses Ballades
avec Georges Brassens qui
avaient eu lieu la semaine dernière à Rennes ! Il y avait parmi tout ce beau
monde, un bel échantillonnage de représentantes des 3 et 4ème âge, ajoutez à
cela, une sacré marmaille : des dizaines de rangs d'oignons de petites filles
modèles ! Mais finalement, pensa Paul Art, cette foule c'est une aubaine...
- Mince
alors ! On ne pourra jamais rentrer avant la fermeture avec tous ces gens ! On
n'a plus qu'à s'en retourner, maugréa-t-il, faussement déçu.
- Ne soyez
pas si triste mon cher neveu, lui répondit sa tante, il y en a qui viennent
simplement voir ce qui reste du château... Et ne vous tourmentez pas, à
l'occasion de ces fabuleuses journées du patrimoine, le Musée de poupées a eu
la bonne idée d'organiser une nocturne. Le musée sera ouvert jusqu'à 23 heures
! Alors vous voyez bien, il n'y a aucune raison de s'inquiéter.
En un jour pareil, l'entrée était gratuite. Mais il fallait quand même
faire la queue pour prendre son ticket. Ce qu'ils firent pendant près d'une
heure. Ensuite, on les conduisit dans une petite salle nommée Salon
Polnareff. Cela ressemblait plutôt à une salle d'attente de cabinet
dentaire, le samedi matin... mais en pire, car ici on vous infligeait en boucle
- ô divine musique d'ambiance – le refrain de La Poupée qui fait non...
C'était terrible ! Enfin, ils s'en sortaient déjà pas si mal car, à côté, il y
avait deux autres salons : Le Salon France Gall (en écoute Poupée
de cire...) et le nec plus ultra, le Salon Bernard Menez où
défilait inlassablement cette inoubliable romance, Jolie poupée...
Trois quart d'heure plus tard - il commençait à se faire tard - et Paul
Art avait quelques centaines de fourmis dans les jambes. C'est alors qu' un
guide vint enfin les chercher :
-Mesdames et messieurs, si vous voulez bien me suivre...
Avec cette chanson qui défilait en écho dans sa tête, Paul Art avait
envie de répondre Non non, non non non non...
Il se ravisa et suivit sa petite smala. Devant les vitrines exhibant
des centaines de poupées, il se fit tout petit... Ca changeait un peu de
registre ! Ca commençait fort avec la première salle, consacrée aux poupées de
coquillages... berniques, moules, palourdes, coques, praires, amandes,
bigorneaux, pétoncles... tout un inventaire digne d'un conchyliophile s'étalait
dans un enchevêtrement baroque devant les yeux ahuris de Paul Art Barok. Et, Il
y avait au total huit salles ! Nous voilà propres, pensait-il...
Il était 22 h 30 lorsqu'ils sortirent enfin de l'ultime pièce du musée,
la Salle des faïences ! Ouf nous allons enfin pouvoir rentrer, lâcha Paul Art,
si heureux d'en finir avec ce supplice, qu'il ne se rendît même pas compte
qu'il parlait tout haut. C'est alors qu'une voix microphonée fit l'annonce
suivante :
- Mesdames
et messieurs, il est l'heure à présent de vous donner le résultat de notre
loterie surprise... L'un d'entre vous aura la chance de repartir avec la poupée
de son choix si son numéro de ticket est tiré au sort.
- Vous
allez voir que ça va tomber sur moi chère tante, lança goguenard Paul Art.
- Le
Ticket gagnant est le... ... ... 12322 !
- Non, mon
cher neveu, c'est moi ! cria en pleurant de joie sa tante. Vous aviez le ticket
12321! Pour une fois le palindrome ne vous a pas porté chance !
Elle fut accueillie sur une estrade et applaudie par une foule jalouse,
médusée et même parfois à musée... Elle choisit alors une poupée en porcelaine,
un clown aux cheveux carotte et ébouriffés.
L'animateur en la circonstance lui demanda pourquoi ce choix un peu
surprenant. Il pensait qu'elle aurait plutôt élu une ravissante marquise en porcelaine.
Elle s'empressa de répondre :
- Parce que
cette poupée clownesque est à l'image de mon neveu. Et je voudrais, pour le
remercier de m'avoir accompagné jusqu'ici, la lui offrir...
Un tonnerre d'applaudissements retentit pour acclamer ce si beau geste.
On aurait pu se croire à la Nuit des Césars...
- Il est où
ce jeune homme bien chanceux ? reprit l'animateur.
- Là, entre
ma cousine et son indécrottable mari, et à côté de mon ex-belle soeur, veuve de
surcroît...
Et Paul Art fut poussée sur le devant de la scène par la cousine de sa
tante et la foule en délire... Le cauchemar se poursuivait...
EPILOGUE
Minuit trente, chez Paul Art.
- Mon cher
neveu, voyez comme cette poupée est ravissante sur ce guéridon ! Cela finit
d'habiller votre salon, s'enthousiasma la tante de Paul Art.
- C'est
trop ma tante, gardez-la donc, je ne peux pas accepter... une telle oeuvre,
d'une telle valeur ! (Il avait vu la veille, la même poupée en vente sur un stand de la Braderie
du Canal Saint-Martin, 5
euros à débattre !)
- Allons,
allons, cela me fait plaisir. Et puis comme ça vous penserez à moi et je serai
si heureuse de la retrouver chez vous quand je passerai à l'improviste. Elle me donnera envie de venir plus souvent
chez vous... Tenez, c'est décidé, je passerai chaque semaine pour l'admirer...
Et c'est cette nuit-là que Paul Art Barok décida de faire un tour du
monde en 80 ans... au moins !
Gigoletto - Caro_Carito
Tragi-comédie en une scène
Et plusieurs répétitions…
Gigoletto est parti. Il a jeté son sac de sport griffé Lacoste sur son épaule et a fermé la porte sur nos quelques semaines de vie commune. Non sans une certaine élégance.
Depuis ce dimanche d’abandon, la semaine a déroulé son ennui pluvieux. De pseudo-obligations en sorties mondaines, son prénom s’est effacé. Quant à son nom, l’avais jamais connu ? Ses traits s’estompent dans un halo de boucles dorées et dociles. Y perdre ma main était un jeu savoureux. De ces souvenirs sans esclandres - ce jeune garçon n’avait pas eu le mauvais goût de me faire une scène de boulevard ou de m’accuser de l’avoir abusé – ne me reste en bouche qu’un léger souffle d’amertume.
Matinée dominicale oisive. De ma terrasse, j’admire les flots de zinc qui s’étalent. Le disque pâle étouffe le dôme du Sacré Cœur d’une clarté éblouissante. J’entends vaguement les bruits de la rue Taitbout tandis que je sirote un café solitaire. Le bouquet acheté hier se creuse déjà sous le poids de la fatigue et des lourds roses. Un pétale se pose sur ma main. Rosé et tendre, il me caresse. Il est piqué de quelques marques. Comme sa peau lisse d’éphèbe éclaboussée de taches de rousseur. J’aimais effleurer son visage de mes lèvres, croquer les siennes, juteuses et gémissantes. Ma main aux fines ridules a froid malgré la chaleur de la porcelaine et des rayons de soleil. Dépouillée des ses bijoux, elle semble bien inutile. A peine quelques jours auparavant et elle musait, mutine, sur sa chair drue, taquinant un sexe tendu et malhabile. Ses caresses étaient pleines de fougue et de rires. Il avait, les premiers temps, gardé cette innocence de la jeunesse, comme s’il s’excusait de devoir encore apprendre. Bien vite pourtant, alors qu’il ne se croyait pas observé, un éclat de haine avait traversé ses yeux. J’avais alors deviné qu’il allait me quitter. La douceur et les présents ne pouvaient éclipser bien longtemps la fierté de se savoir posséder et, qui sait, le désir d’un sentiment plus fort. A vingt ans, on ne peut pas savoir que la tendresse a une saveur hors de prix.
Assez. Il est temps pour moi d’aller traîner mon vague-à-l’âme au Louvre. Je me lève et repousse la chaise. Les touristes ont déserté la capitale, les parisiens préférerons se presser sur les terrasses des cafés. Ou s’accommoderont des chaises métalliques du Luxembourg, avides des derniers feux de l’été. Oui, une visite au musée. Je prendrai ensuite un thé et un gâteau avant de rentrer dans mon salon déserté.
Face au tracé de mon Maître, Jean Auguste Dominque Ingres, je sens monter en moi une larme intempestive. Heureusement, une voix rompt le brouhaha ces curieux et annonce un n° dans les haut-parleurs. 3948 a gagné ! Une œuvre, n’importe quelle œuvre. Quel jeu stupide. Même la Joconde ? En un réflexe machinal, je tire le ticket d’entrée de ma poche. 3948 se détachait sur la mort de Sardanapale en arrière plan-glacé. Je lève ma main. Des officiels arrivent. Une foule pressante se colle à moi. J’aurais pu toucher cette excitation bruyante, les paris fusent, tous s’exclament, s’interrogent…
Tout se précipite alors très vite, je marche lentement à côté de M. le Conservateur et lui désigne un coin retiré de la salle des statues. La masse grogne, montre les dents et se disperse. M. le Conservateur semble soulagé. Nous passons dans ses bureaux pour que je lui laisse mes coordonnés et puisse signer quelques papiers.
Le colis arrive en fin de semaine. Je le déballe avec précaution. La statue apparait dans toute sa grâce. Je tourne autour, médusée, en admiration devant sa pureté antique. Je pose mes mains sur elle, j’exulte d’une joie d’enfant. Je la pose avec soin sur le socle que je lui ai réservé. Je m’accroupis soudain et frotte lentement ma joue sur ses fesses parfaites. Et je les revois tous, déambulant au saut du lit alors que je repose ensommeillée. Gigoletto I, Gigoletto II, III, les doués, les tendres, les éphémères, les cupides. Je laisse un chaste baiser en hommage à leur souvenir sur le fessier de terre cuite.
Désormais, je vais pouvoir jauger les doublures à venir à l’aune de la perfection.