[4ème de couverture]
Collection Yeux grands ouverts.
« Petit Poucet » (à partir de huit ans)
Monsieur Victor est facteur au bord de la mer et passe tous les
jours devant les mêmes maisons. Un jour, il va faire une rencontre étonnante
avec Ludovic, un jeune garçon solitaire… Ils vont être amis, jusqu’à ce que Ludovic reçoive une
lettre…
Petit Poucet
Monsieur Victor est facteur. Il est assez vieux et va bientôt
s’arrêter de travailler. Il vit au bord de la mer, dans une petite maison
grise.
Tous les jours, en faisant sa tournée, il passe devant une grande,
vieille et belle maison. Elle a un immense jardin, un petit escalier de pierre,
quatre fenêtres en façade et elle est inhabitée. Il n’y a donc jamais de
courrier à y déposer, sauf à l’époque où des gens de la ville viennent s’y
reposer pour les vacances.
Un jour, en passant devant la maison, monsieur Victor voit un
enfant caché dans le jardin. Il s’appelle Ludovic. Personne ne savait d’où
venait le petit garçon, mais ce n’était pas grave : monsieur Victor et lui
sont devenus amis au fil du temps. Ludovic vit dans la grande maison
vide.
Tous les jours, Ludovic attend monsieur Victor parce que pour lui,
le facteur est quelqu’un d’important. Et monsieur Victor aime redevenir
quelqu’un d’important. Quelqu’un qu’on attend.
A chaque passage du facteur, Ludovic demande s’il a du courrier.
Monsieur Victor a trouvé cela amusant, au début. Puis, voyant que l’enfant est
de plus en plus triste, il a essayé de trouver une solution.
Il a suggéré à Ludo qu’il fallait avoir une adresse et une boîte
aux lettres, avec son nom inscrit dessus, pour recevoir du courrier. L’enfant
trouve la remarque juste, et admet sans honte face à son ami qu’il ne sait pas
écrire son nom.
Après son service, monsieur Victor revient vers la vieille maison
au grand jardin, et de là ils partent tous les deux se promener sur la plage.
Chaque jour, le facteur apprend à Ludo une lettre de son prénom. Ils écrivent
avec application, à l’aide d’un bâton, dans le sable, les lettres
simples.
En une dizaine de jours, Ludovic a appris à écrire son prénom. Et
il l’a recopié, en se concentrant, sur la boîte aux lettres verte :
L.U.D.O.V.I.C. Il pense qu’il n’a jamais reçu de lettres parce qu’il n’a pas eu
jusque-là de boîte, avec son nom écrit dessus.
Et tous les jours il attend impatiemment la venue du facteur. Mais
il n’y a jamais rien pour lui. Monsieur Victor lui donne des prospectus colorés,
des publicités pour calmer son impatience, mais Ludo, même s’il ne sait pas
lire, devine que tous ces papiers ne lui sont pas adressés personnellement. Il
n’est pas idiot.
L’enfant parle moins à monsieur Victor, et parfois, même, ne vient
plus se promener en fin de journée avec lui. Monsieur Victor, qui vit seul dans
sa petite maison grise, sent qu’il faut faire quelque chose de plus pour ne pas
perdre Ludo.
Un soir, il s’installe sur sa vieille table de cuisine démodée, et
étale devant lui un bloc de papier avec des lignes, une enveloppe blanche et un
stylo à bille bleu.
Il commence tout d’abord par l’enveloppe, sur laquelle il écrit
soigneusement :
LUDOVIC
Grande maison rue des Alouettes
Face à la mer
Monsieur Victor prend le temps d’écrire posément, de son écriture
penchée et un peu maladroite. Puis il passe à la lettre. Il n’a pas écrit depuis
si longtemps…
« Mon petit,
Je sais bien que tu ne comprendras pas ce que je t’écris, mais tant
pis. Te voir triste me rend triste moi aussi, et je voudrais te redonner ce
sourire que tu avais en arrivant ici. Parce que grâce à toi, j’ai retrouvé le
mien.
Et puis je vais t’écrire ce que je n’ose pas te dire quand je te
vois. J’ai peur pour toi, Ludo. Je ne sais pas d’où tu viens, et peu importe,
après tout. Mais je voudrais bien que tu t’arrêtes un peu ici, et que tu ne te
caches plus dans cette maison vide. La mienne est petite, mais on pourrait très
bien y vivre à deux, tu sais ? Je t’apprendrais les autres lettres de
l’alphabet, ou bien tu irais à l’école, et puis après on irait pêcher, ou bien
se promener. Tu aurais de nouveaux amis, aussi.
On serait bien.
Je ferais un effort pour la cuisine, même si depuis la disparition
de Jeanne, je me laisse un peu aller. Elle t’aurait adoré. Elle, elle aurait pu
te faire des gaufres, ou d’autres choses comme ça.
Mais on s’en sortirait tous les deux, ensemble. Tu ne crois
pas ?
Voilà, mon petit. Je vais m’arrêter là, car je ne suis pas habitué
à écrire des lettres. J’espère que celle-ci te rendra le sourire.
A demain, mon petit Ludovic.
Victor »
Monsieur Victor plie la lettre et referme l’enveloppe, qu’il met
directement dans sa sacoche pour la tournée du lendemain.
Comme d’habitude, Ludo se tient devant la grille, attendant le
facteur. Mais il n’a plus cette impatience des débuts. Il n’espère plus
vraiment.
Avec une certaine fierté, monsieur Victor retire alors la lettre de
sa sacoche et la remet à Ludovic. Très surpris, l’enfant demande plusieurs fois
si c’est vraiment pour lui. Il voit son prénom sur l‘enveloppe, identique à
celui écrit sur la boîte.
Mais il ne l’ouvre pas. Il la cache sous son t-shirt, contre sa
poitrine, l’empêchant de glisser avec son bras.
Il se met à rire, lance un grand « Merci ! » au
facteur, et court vers la plage. Monsieur Victor doit finir sa tournée. Il crie
à Ludo qu’ils se verraient tout à l’heure, mais n’a aucune réponse. L’enfant est
sans doute trop loin. Et puis il y a le vent, aussi. Content mais un peu triste,
le facteur reprend son vélo et part.
En fin de journée, comme toujours, monsieur Victor passe devant la
vieille maison au grand jardin et attend Ludo. Mais celui-ci ne vient pas.
Ludovic est reparti comme il est venu.
Le vieux facteur redevient silencieux. Il est blessé mais est aussi
inquiet pour cet enfant qui lui a donné tant d’amour sans le savoir.
Depuis, Monsieur Victor, tous les jours, s’arrête devant la maison
rue des Alouettes, et réécrit à la craie, sur la boîte aux lettres verte, les
sept lettres de l’alphabet qu’il préfère : L.U.D.O.V.I.C.