C'est l'heure d'aller réveiller mon Edgar, assoupi sur ses livres tout près du feu mourant. Dehors, les branches du vieux sycomore dénué gratteront contre les carreaux. La pluie, poussée par le vent qui la gronde, fera sa tape-tape-tape nerveuse. De loin, la cloche du beffroi sonnera mornement l'heure.
Je glisserai le long du couloir familier et, comme d'habitude, j'irai mettre une main blanche sur l'épaule de mon amour.
- Virginie, murmurera-t-il, est-ce toi ?
- Oui, mon amour, susurrerai-je, selon notre rite.
Mon souffle éteindra le bout de la bougie qui aura pleuré tard dans la nuit ses chaudes larmes de cire. Et nous irons, tous deux, lui et moi, retrouver notre lit étroit et refroidi, tout comme nous avons fait chaque nuit depuis la nuit de nos noces, depuis cette nuit où je suis morte dans ses bras, voici déjà deux cent soixante ans.
À moi de vous convaincre de l'utilité, non,que dis-je ? de l'extrême importance de subventionner ma petite invention, la MAP-O-MATIQUE, qui changera le monde tel que nous le connaissons. Pensez-y, mes amis : la possibilité de produire les images belles et intelligentes en même temps ! Cela révolutionnera le monde de publicité ! Plus jamais on ne sera chagriné ou embarrassé par la daube qui passe pour images publicitaires ! On aura droit à la perfection en chaque œuvre. Quel changement rafraîchissant, non ? Mais son utilité ne se limite pas à la publicité, bien sûr que non ! La MAP-O-MATIQUE nous permettrait aussi de faire des avances artistiques. Nous savons bien que dans chaque individu repose la possibilité d'un Degas, d'un Klee, voire une Cassatt ! Mais ô combien n'ont pas pu réaliser ce rêve visuel, faute d'un talent naturel ? Avec la MAP-O-MATIQUE, le monde serait débarrassé des essais embarrassants. Toute personne pourrait être reconnu comme génie ! Imaginez, plus de chagrin ! Plus de honte ! Et un monde sans chagrin et sans honte ? C'est un monde sans agression ! Et un monde sans agression est un monde sans guerre ! Oui, parfaitement, ça coupe le souffle ! Inspirée par une artiste connue et fort appréciée, la MAP-O-MATIQUE permet à n'importe quel nigaud de produire des collages époustouflants pour leur beauté, leur sensibilité, et - ne l'oublions pas - leur humour ! Vous vous rendez compte ? Avec la MAP-O-MATIQUE, il n'y aurait plus de chômage, car chaque personne sur la planète pourrait s'engager à produire de superbes représentations visuelles ! Cela aiderait aussi l'environnement car il n'y aurait plus besoin de gros livres. Tout le monde sait qu'une image vaut mille mots ! Avec la MAP-O-MATIQUE, l'encyclopédie ne compterait que quelques pages. Tout le savoir du monde serait communiqué rapidement, efficacement, et avec le sourire. S'il vous plaît, aidez-moi à changer le monde avec cette merveilleuse invention, la MAP-O-MATIQUE !
Emberlificotons, le héros de notre aventure n’en était pourtant pas à sa première !
Et
malgré cela, il s’était fait prendre comme un jeune débutant. Il était
retombé une fois de plus dans ses filets. Mais quelle mouche l’avait
piqué aussi, de répondre à cette fanfaronnade, lui qui a déjà bien du
mal à se lever le matin. Alors un défi ! Vous parlez d’une histoire.
D’autant plus qu’Emberlificotons
devait commencer une partition
qui serait finie
par un autre… seulement voilà,
après avait donné vie, accepter que ce soit un autre
qui finisse une si belle romance ?
C’était impossible…. Il connaissait la musique,
croches et doubles noires.
Tout cela sur une même portée
en ayant bien fait attention aux nombreux dièses
ou bémols en début de clé de sol. Mais peut-être était ce une clé de fa ?
Quoique les mélodies des frères Scot
des années sixties soient aussi mélodieuses à pianoter !
Pianoter vous savez, jouer avec les doigts
d’une blanche vers une ronde, sauter d’une branche à l’autre,
en visitant une noire ou deux au passage. Le tout sur un rythme soutenu,
pour ne pas tomber de l’arbre. Un accident est si vite arrivé.
On ne s’imagine pas combien cela peut glisser la mousse.
Surtout le matin, quand la rosée est encore fraîche et les feuilles
inondées de gouttelettes d’eau de rose.
Emberlificotons aime écouter la pluie le matin.
Seulement voilà il n’est pas du matin. Alors relever un défi un dimanche matin… quel dilemme ?
Que même un orchestre au grand complet ne pourrait débrouiller. Et cela,
Miss Marple l’avait compris aussitôt la première mesure jouée.
C’est pourquoi déclara-t-elle,
aussitôt après avoir pénétré dans la chambre du major, qui pendant
l’hiver 1828 ou en 29 au moment de l’expédition du grand nord s’était
pris les pieds dans une partition laissées traîner malencontreusement
par Félix, un jeune journaliste amateur de petits rats….
-« Ce ne peut être lui » !
Et tous, de se regarder en murmurant,
-« mais alors, qui avait massacré la partition » ?
♫Allez, cette affaire sera réglée comme du papier à musique, se
pensa Miss Marple.
-- Emberlificotons, lui fredonna-t-elle…
Leurs regards se rencontrèrent
comme
deux points d’orgue
au
milieu de la salle…
-- Yes,
Miss Marple ? lui gazouilla-t-il, son basso profondo faisant écho
comme de
l’eau
qui bruit
et qui chante…
--
Emberlificotons, aimez-vous Brahms ?
Le jeune compositeur, ne sachant
plus que faire de ses dix doigts
se précipita, ma pianissimo,
vers le clavier.
Miss
Marple, désaccordée par son impromptu,
ma non
troppo,
comprit ce
qu’orchestrait l’habile Emberlificotons,
Diamond Sally se releva du
plancher poussiéreux, les empreintes des doigts de Lefty LeTordu encore roses
sur sa joue soyeuse. Vingt paires d’yeux l’examinaient, luisants de mépris.
Depuis sept ans, Lily eut beau commander le respect total de toute la ville de
Gulchwood et ses environs, ce serait aujourd’hui le jour de son jugement.
Jamais plus une femme oserait s’établir régente d’une communauté dans ce coin
perdu du territoire Cheyenne, quelque sûre que soit sa main délicate sur ses
petits pistolets perlés, quelques belles que soient ses lèvres pulpeuses qui
crachaient par moments un juron élégant ou un mot de tendresse convoitée.Ses alliés, Pete le petit barman, et Pancho
le vieux Mexicain qui lui servait de confidant, avaient été dépêchés au bout
des cordes rugueuses, pendus par les sbires abrutis de Lefty. Leurs corps
tournaient encore sous le soleil cruel de ce midi fatal.
Avalant le sang qui coulait de sa
bouche de nouveau déchirée par la violence des hommes, Sally fit appel aux
dernières forces qui bouillonnaient en elle…
Le texte suivant est la transcription d'une
interview de Joye L’Iowagirl, réalisée par Sam D. Ledify, au mois de septembre
2008 à Champfleury, Iowa. À l'occasion de la sortie de son dernier blockbuster,
JE SUIS LA NOTHOMB IOWANIENNE, l'auteure
parle de ses plus grands succès littéraires, leurs origines, leurs
terminaisons, leurs thèmes, leurs versions, de sa conception de la langue
franco-étrangérophone, de la notion de la pluie et du beau temps, et aussi ses
propositions pour l’avenir de la littérature franco-iowanienne.
Sam D. Ledify: Parlez-nous d’abord de vos autres best-sellers. De quoi vous
inspiriez-vous ?
Joye L’Iowagirl : Bonjour Ledify, comment
allez-vous ? Il fait un temps splendide ici, n’est-ce pas ?
Sam D. : Oui, superbe, vraiment. Alors, vos
premières œuvres ?
JL : Ah, yes, bon, voyons. Ah oui, mon
premier roman était MADAME OTARIE, l’histoire d'une jeune femme mariée qui
n'est pas contente de son mari, John Lennon. J’explique dans le texte l’origine
donc de la célèbre chanson d’un groupe entièrement fictif, Les Bitèlze, où John
proclame au monde entier « Aillame ze Oual russe ».
Sam D. : Et votre inspiration ?
JL : Le cousin du mari de ma coiffeuse, un
gars qui s’appelait Gus Floubaire.
Sam D : Ah ! Tout s’explique ! Vous
en avez fait une suite ?
JL : Yes, tout de suite après, j’ai rapidement commis LETTRE PERSIENNES, qui
est ma fenêtre sur un monde vu par un étranger, Jeudoix Fairelaquieu.
Sam D. : Ah, oui fascinant, cela a vendu plus
d’exemplaires que tout autre roman écrit en français écrit par une Iowanienne.
JL : Oui, heureusement pour moi, Julien Green
est né à Paris, et l’époustouflant Jonathan Littel est né à New York, si je ne
me trompe pas.
Sam D : C’est clair que c’est vous l’auteure
iowanienne francophone la plus prolifique de tous les autres.
JL : Oui ! Comme on dit en français
« OUF pour moi ! »
Sam D : Racontez-nous les textes qui ont
suivi vos débuts littéraires glorieux, s’il vous plaît.
JL : Ben, mon troisième roman,
L'HYPER-GORIOT, fut une étude des vicissitudes d'être parent à trois
filles ados et ingrates et d’un père de famille déshonorée, celle de Zack
Balzac ; ensuite, ma première mémoire, À LA RECHERCHE DU PAIN PERDU.
Sam D : Que le public a dévoré !
JL : Que le public a dévoré, parfaitement.
Sam D : C’est à ce moment que vous vous êtes
lancée dans le cinéma, n’est-ce pas ?
JL : Oui, j’ai tourné un docu qui s’appelle
CANDIDE CAMÉRA, où un jeune homme naïf fait le tour du monde pour faire des
vidéos et qui revient marcher dans sa propre tourbe, au deux sens du mot !
Et après un petit psycho-socio-écono-drame, SHA NANA, l’histoire de la fille de
deux ivrognes qui trouve son destin en écoutant du rock-n-roll des années
cinquante
Sam D. : Ah, oui, tout le monde est tombé
amoureux de la petite Émilie Zoo, là !
JL : Oui, exact ! Elle était charmante,
faut l’admettre. Même moi, je l’adorais.
Sam D : Et le théâtre, vous avez fait
dramaturge pendant un moment ?
JL : Oui, et ma pièce favorite, je dois
l’avouer, c’est MOE LIERRE, l’histoire, comme vous le savez si bien, d’un
tartuffe essayant religieusement de tartuffer des tartuffiés.
Sam D. : Et qui a servi à lancer un livre de
cuisine aussi, n’est-ce pas ?
JL : Oui, Sam, c’est moi qui ai pu inventer
la tarte aux truffes, faite avec la rare Iowatruffe. Un délice.
Sam D. : Et vos textes philosophiques ?
JL : Récemment, je me suis dévouée à mes théories d’inexistentialisme, et
cela a porté des fruits.
Sam D. : Votre L'ÉTRANGEROPHONE raconte la
triste chute d’une anglophone qui a un accent horrible et qui est condamnée à
la peine de mort pour avoir tué la langue française. Avouez-le-nous, Joye,
votre Albertine Camufle, ne serait-elle pas un tantinet biographique ?
JL : Eum…non.
Sam D. : Et sur l’horizon ?
JL : Je me lance dans la poésie ! J’ai
deux poèmes épiques qui sortiront très prochainement : LES MANDARINS, au
sujet d'une femme qui tombe follement amoureuse d'un panier d'oranges et LA NAUSÉE, avec des rimes absurdistes basées
sur l'humour ensorcellant de Jerry Lewis.
Sam D : Waaaaaaouh ! Nous, votre public, nous sommes vraiment gâtés.
JL : À mon avis aussi. N’oubliez pas que je suis
l’Iowanienne préférée de tous ceux qui indiquent une préférence en littérature
franco-iowanienne. Je sais qu’ils ont un choix de lecture, et je les remercie
chaleureusement de m’avoir choisie. Au plaisir d’être relue !
Sam D : Au plaisir ! Au revoir, la
Nothomb iowanienne.
Samedi, à la brocante, j’achetai une belle tocante. Dimanche, encore, je
revins, pour trouver un magot aux confins. Lundi, dans le grand parking,
j’acquis un bateau de Viking. Mardi, je continuai, et trouvai un beau
porte-balai. Mercredi, pas de brocante,
je fis donc un tour chez ma tante. Jeudi, fauchée comme du blé, je filoutai une
bague en doublé. Vendredi, le temps de m’éprendre, c’était donc encore mieux
pour me rendre samedi, à la brocante…
Le soleil dardait ses rayons. La plage était noire de monde. Delphine
oignit tendrement de crème solaire le corps de son tendre partenaire, Rufus.
-- Dis, Rufus, tu pèses
combien ?
-- Ah non, tu ne vas pas
recommencer !
-- S’il te plaît, mon nounours,
dis-le-moi, combien de kilos ?
-- 110, je pense.
-- Kilos ?
-- Bah oui !
-- Et tu fais combien de
mètres ?
-- 1,70.
Rufus fit un petit gémissement
d’ennui. Depuis qu’il connut cette fille, elle ne faisait que lui poser ces
deux questions, encore et encore et encore. Mais bon, les mains que lui
massaient les deltoïdes lui firent oublier sa petite colère. Cette femme était
une trouvaille ! Elle cuisinait comme un rêve, elle ne se plaignait jamais
de son ventre qui, chaque jour, débordait de en plus le haut de son jean. Qui
plus est, elle ne demandait jamais qu’il bouge trop, elle lui apportait ses
repas, elle cherchait la télécommande, elle aimait bien qu’il s’endorme devant
la télé après deux ou trois bières…ah oui, se dit-il, juste avant de rendormir,
cette Delphine était une perle !
Delphine sentit que Rufus se
rendormait, mais elle sourit. Elle reprit de la crème solaire, afin de pouvoir
continuer son massage voluptueux.
-- Ouais, lui murmura-t-elle. Tu
es parfait, tu as juste la proportion parfaite, mon amour !
Car en massant, elle le voyait
déjà, sa chair marbrée et tendre, le jus qui ferait une sauce impeccable, les
rôtis, les steaks et les escalopes, les deux jambons énormes, et tout le bacon
qu’on ferait de sa grosse bedaine – la partie la plus demandée au marché noir –
une fois de retour sur sa planète natale.
J’allais sortir mes plus beaux mots pour confectionner une ribambelle de répétions, mais il me manquait le mot qui tue, qui s’insère doucement dans une kyrielle, qui se glisse et se love dans des vers sans qu’on s’en aperçoive, une sorte d’assassin verbal, discret, allant de victime en victime, suave, sûr de lui, un mot de la fine…
Je me disais, allez, va, tu peux ! Même si c’est juste un pis-aller.
Et allez hop ! comme ça, j’ai eu mon idée, j’y allais de tout cœur
Allez, viens, laisse-toi aller, ça ira, ça ira…
Déjà les gants de soie assoiffée de mon assassin, mon tueur à gages, mon guet-à-penser,
allant de victime en victime, suave, sûr de lui, de la suite dans ses idées, s’approchent de vous, jamais vous n’aurez pensé qu’il allait jusque là…halant de l’avant, beau, discret, ubiquiste, orbicole mais discret, sûr de lui, hâlé, à l’heure, et fin…