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Le défi du samedi
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14 novembre 2020

Leçon de choses (Yvanne)

 
Le Michou de chez Pénichou – 7/8 ans environ – garde les vaches dans le Pré Long près de la ferme de ses parents. Aujourd'hui, sa nouvelle amie la Parisienne Claudine – même âge - en vacances au village l'accompagne. Les enfants jouent dans le ruisseau, s'éclaboussent, courent après les libellules, attrapent des écrevisses.
Les vaches paissent tranquillement quand soudain l'une d'entre elles grimpe sur le dos de sa voisine.
Claudine, surprise et effrayée s'approche de son petit compagnon et hurle :
- Elles font quoi là ? Elles sont folles, tes vaches.
Michou éclate de rire et explique à Claudine, dans son langage fleuri de petit paysan que les mamans-vache manifestent ainsi leur désir d'un papa pour avoir ensuite un veau.
Claudine sent confusément que Michou sait des choses. Des choses intéressantes dont elle se doute mais qu'en petite fille bien élevée, elle ne peut éclaircir en posant des questions aux adultes ou à ses amies.  Une idée lui traverse la tête. C'est le moment d'en savoir davantage.
- Ah ! Et comment il s'y prend le papa-vache ?
- Ben, il la b. tiens !
- Quoi ? C'est quoi ça ?
Michou rit de plus belle et se moque de la naïveté de sa copine.
- Tu veux que je te dise comment ? Je sais pas moi. Il la prend voilà tout.
Claudine est perplexe. Elle voit bien que Michou se paie sa tête. Elle n'insiste pas. Mais tout de même, au bout d'un moment elle revient à la charge.
- Alors, il est où son ombilic à la vache ?
- Mais qu'est-ce que tu racontes ? Comment tu dis ?  Frolic ? Basilic ?
- T'es trop bête ! Om-bi-lic.
- C'est quoi ce machin ? Qu'est-ce que ça mange l'hiver ? demande Michou goguenard.
Claudine soulève son tee-shirt et exhibe fièrement son nombril, sûre d'elle et de son savoir.
- C'est par là que naissent les bébés. L'ombilic. C'est ma mère qui me l'a dit.
Michou est quelque peu décontenancé devant les affirmations de la gamine. Mais brusquement il se tord de rire :
- Elle se fout de toi, ta mère.  Les bébés, même ceux des animaux, sortent pas par l'ombonilh, imbécile, mais par la fente...
- Quelle fente ? Il est complètement fou, s'exclame Claudine vexée.
Michou, madré pour son âge, voit là l'occasion de satisfaire une certaine curiosité. Un demi-sourire aux lèvres, il s'avance vers sa copine et lui souffle à voix basse – c'est comme ça que ça se passe dans son entourage -
- Baisse ta culotte ma jolie. Je veux bien la voir moi, ta foufounette et même lui faire un bisou.
Il n'en croit pas ses yeux. Il pensait que Claudine « jouerait les peureuses comme toutes les femelles «  - c'est son père qui le dit – Mais non. La petite s'exécute sans un mot et se tient devant lui, bravache. Que faire ?  Pour ne pas être en reste malgré une timidité soudaine, il descend son short.

Fort occupés par leurs observations réciproques, les enfants n'ont pas vu arriver la mère Pénichou.  Cette dernière se met à crier :
- Ah, les polissons ! Je le savais bien qu'à Paris, on ne savait pas se tenir. File chez toi dévergondée. Je vais en toucher deux mots à tes parents moi quand ils viendront prendre le lait. Et toi, le Michou, grande bestiasse, tu vois pas que la Blanchette « est à bœuf » ? Totor va être content.Va me la chercher que le cul lui démange.

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10 octobre 2020

En Avignon (Yvanne)


Mon Jacquemart et sa Jaquote conversent dans la tour surmontée d'un campanile, place de l'Horloge en Avignon. Comme dans chaque couple il y a parfois des disputes. Il se trouve que l'expression « ce que femme veut... » ne se vérifie pas toujours. Voici l'exception qui confirme la règle puisque, à ma connaissance, ils n'ont, à ce jour, jamais quitté leur beffroi.

    - Tu as mis ton chapeau-cloche mon Jacqueminet ?
    - Voyons Jaquote ! Regarde mieux : il s'agit d'un casque !
    - Oh, tu sais, je ne vois pas une grosse différence entre un chapeau et un casque. Et d'ailleurs, pourquoi portes-tu ce couvre-chef ?
    - Les pigeons, ma mie. Les pigeons. Ils trouvent plaisant sans doute de me chier sur la tête toute la journée. Ils me saoulent.
    - Je te comprends. Et si on partait mon Jacqueminet ? On pourrait déménager à la cloche de bois. Ni vu, ni connu, je t'embrouille.
    - Tu en as de bonnes ma Jaquote ! Et qui sonnera les cloches ? C'est mon travail.
    - Ton travail.  C'est toujours le même son de cloche. Et moi alors ? Tu penses à moi quelquefois ? Tu ne m'aimes pas voilà tout.
    - Je n'ai pas envie de me faire sonner les cloches par ce foutu sacristain bossu. Il me déteste. Je ne comprends pas pourquoi. Peut-être veut-il ma place.
    - Et bien voilà mon Jacqueminet. Cède-la lui. Juste pour cet après midi. Il sera ravi et nous, nous irons nous taper la cloche ce soir. C'est oui ? C'est oui. Fabuleux !
    - Comme tu y vas ma mie ! Il ne faut pas acheter la cloche avant la vache.
    - Je t'en prie mon Jacqueminet ! J'ai tellement envie d'une bonne omelette aux truffes !
    - Ben y a quelque chose qui cloche ma Jaquote...
    - Allons bon. Et quoi donc ?
    - Ma jambe droite, là. Elle se pourrit. Ce bois de figuier ne résiste pas à la pluie quand elle vient du Nord. Je crains de ne pouvoir marcher.
    - C'est pas grave du tout. Tu iras à cloche-pied. Et puis je te tiendrai le bras. Regarde, j'ai tout prévu : j'ai mis ma belle casaque jaune et j'ai cueilli une rose pour mettre dans mes cheveux. Tu ne me trouves pas jolie ?
    - Oh si ma mie. Tu es magnifique. Encore plus que la fée Clochette. Mais je ne crois pas que je puisse abandonner mon poste. N'y pense plus.
    - Allez Jaqueminet ! Fais-le pour moi. Rien qu'une fois. Je t'en supplie.
    - Non, ma mie. Ce n'est vraiment pas possible. Et que ferons-nous si je ne retrouve pas ma place ? Y as-tu songé un instant ?  Veux-tu que nous soyons ensuite, toi et moi de la cloche ?
    - Oh et puis, j'en ai assez. Tu me donnes le bourdon tiens. Marre que tu me mettes sous cloche. Cloche toi-même !
      

5 septembre 2020

Sale Berthe (Yvanne)

 

Le mot « éteule » dans la proposition d'écriture de Walrus m'a interpellée. Je ne connaissais pas ce terme qui désigne, semble-t-il ce que nous appelons ici des balles ou des ballots de foin ou de paille.
Mais peu importe, cette photo affichée par Walrus m'a rappelé une histoire de mon enfance paysanne.

Déjà, dans les années 60, ces balles telles que nous les voyons aujourd'hui dans les champs et les prés n'existaient pas sous leur forme actuelle : impeccablement roulées sans un brin qui dépasse. Non, elles étaient façonnées par la main de l'homme et non par des machines infernales qui « pondent » comme des crottes des énormes masses de chaume ou d'herbe sèche.

Pendant les « grandes vacances » scolaires, j'accompagnais souvent maman au marché à la ville voisine. Nous n'avions pas de moyen de locomotion et empruntions un car qui effectuait un ramassage sur le trajet entre la Haute Corrèze et Tulle. Il était conduit par Géraud – son nom ou son prénom, je n'ai jamais su – un bonhomme toujours assis derrière son volant, qui ne parlait pas, ne se manifestait pas. A croire qu'il ne quittait jamais son siège de conducteur et par là-même son autobus.

Si Géraud restait vissé à son poste sans mot dire, en revanche sa femme ou bien sa sœur (je n'ai jamais su) mais je pense qu'elle était plutôt sa sœur car qui aurait pu supporter une telle mégère,  arpentait le véhicule dans toute sa longueur pendant tout le parcours, fouinant, invectivant les passagers sans se gêner et avec une hargne, une vulgarité impensables.

C'était elle qui, à chaque station, encaissait la somme due. Elle se postait à l'entrée du car, toisait les braves gens qui la saluaient par politesse et auxquels elle ne prenait même pas la peine de répondre. Elle contrôlait le nombre de paniers, de sacs et gratifiait la pauvre paysanne encombrée de tous les noms d'oiseaux si elle jugeait que ses cabas étaient trop nombreux ou trop bruyants. Ils contenaient, en effet, la plupart du temps de la volaille. Elle s'en prenait surtout aux femmes qui « touchaient » les allocations familiales. Comment savait-elle ? Mystère. C'était là l'occasion pour elle de fustiger avec haine et avec des mots d'une grossièreté incroyable les pauvres mamans – dont la mienne – qui baissaient la tête, honteuses. Je lui souhaitais, dans mon for intérieur le plus de mal possible. Inutile de dire que les gens étaient contraints et forcés de prendre ce car puisqu'il n'existait pas d'autre moyen de se déplacer. La Berthe ne se privait pas aussi de mettre la main au pantalon des rares hommes qui voyageaient dans l'autobus. Certains lui rendaient la pareille et elle éclatait alors d'un rire gras tellement détestable.

Comment vous décrire le personnage ? Berthe – c'était son prénom – était une grande femme maigre, toujours vêtue en été d'un antique imperméable trop long qui fut sans doute noir en d'autres temps mais si lustré qu'il était difficile maintenant de lui donner une couleur. Elle avait aux pieds des chaussures en caoutchouc, les mêmes probablement qu'elle portait pour aller aux champs. Une vieille sacoche de cuir délavé barrait sa poitrine ou plutôt son absence de poitrine, lui servant à empocher la recette.

Le plus frappant pour moi était son visage. Elle avait la figure toute couturée – elle était tombée, enfant, sur une bouteille cassée par son père alcoolique, c'est du moins ce que l'on racontait. Dommage qu'elle ne se soit pas coupé sa langue de vipère ! – où brillaient deux petits yeux foncés inquisiteurs. Elle tressait ses cheveux en deux grosses nattes noires se rejoignant sur le haut du front et qu'elle devait huiler. On aurait dit deux serpents visqueux d'où émanait une odeur rance quand elle se penchait devant vous.

Je ne pouvais m'empêcher de la lorgner avec insistance, subjuguée. Maman me recommandait alors à voix basse d'arrêter de regarder ainsi « la sale Berthe  » - c'est ainsi qu'elle la nommait, allusion à « sale bête » – afin d'éviter des remontrances carabinées.

Mais où sont les éteules de Walrus dans tout cela me direz-vous ? Nous y arrivons.

Rien n'arrêtait la bonne femme. Quand elle avait une envie pressante, quel que soit l'endroit sur la route, elle haranguait le chauffeur en occitan : ô Géraud, planta-te, ai envije de pissar. Le bonhomme se hâtait alors de trouver un dégagement pour se garer. Comme il n'y avait pas beaucoup de circulation à l'époque, c'était assez facile.
Ce jour-là, le père Géraud stoppa son véhicule le long d'un champ fraîchement moissonné. Les javelles de blé avaient été érigées en meules pour les protéger d'un éventuel orage ou tout simplement pour qu'elles sèchent mieux.

La Berthe se précipita, suivie par quelques ménagères. J'étais assise au fond du car d'où j'avais une vue imprenable sur tout le champ. J'assistai alors à un spectacle qui me réjouit fortement. La vieille bique se campa derrière le premier amas de paille venu, écarta les jambes sans se baisser – d'où l'absence certaine de culotte – et urina un long moment. Puis, stupéfaction, ouvrit son imperméable et s'essuya l'entre-cuisse avec son tablier.

Que se passa-t-il alors ? La meule s'écroula tout à coup sur la Berthe, la faisant tomber et l'ensevelissant. Je me demande si quelqu'un ou quelqu'une, posté derrière n'avait pas poussé le tas de paille pour qu'il s'effondre ainsi. Toujours est-il que la mégère hurlait si fort qu'on aurait cru à un égorgement. Personne ne se hâtait pour la sortir de là. Elle finit par émerger, aidée par deux âmes charitables.

Elle remonta prestement dans le car en soufflant comme un bœuf, les nattes défaites, la figure rouge, couverte de brins de chaume et chose surprenante, s'assit aux côtés de son Géraud, elle qui, habituellement, passait son temps à circuler dans le véhicule à l'affût de la moindre chose lui déplaisant. Elle en profitait alors pour distiller sa méchanceté.
Miracle ! Ce jour-là, elle n'ouvrit plus sa bouche fielleuse jusqu'au terme du trajet. Inutile de préciser que des sourires moqueurs furent échangés dans son dos. Pour ma part, je jubilais et par la suite, elle ne m'impressionna plus : je l'imaginais dans ses mauvaises postures et cela suffisait pour que je la regarde d'un autre œil que je ne pouvais empêcher d'être ironique.

 

 

25 avril 2020

Chacun son clochemerle ! (Yvanne)


C'était réglé comme du papier à musique. Tous les samedis que le bon Dieu fait la tante Marguerite, dite Guite  et l'oncle Léger – qui pesait bien son quintal ! - dit Zé,  venaient à la ville. Ils entassaient dans l'Acadiane les corbeilles de légumes qu'ils produisaient, des œufs, quelques volailles et lapins vivants enfermés dans des  panières en osier. A six heures pétantes – l'oncle n'en démordait pas -  été comme hiver, ils prenaient la route pour le chef lieu, distant d'une quinzaine de kilomètres.

L'oncle aidait sa femme à s'installer sur la place de la cathédrale et de là, reprenait le volant pour aller se garer au plus près des urinoirs. C'était un impératif : sa prostate vous comprenez...L'odeur prégnante d'ammoniaque qui se dégageait des lieux d'aisance ne le gênait pas. Et pour cause : après avoir acheté le journal, il se confinait dans sa camionnette. Il n'en sortait que pour soulager sa vessie. Et ceci assez souvent ! Il  ne se préoccupait pas non plus des regards intrigués  et même quelquefois interrogateurs que lui lançaient certains passants. Cela l'amusait beaucoup et il ne manquait pas, lors de réunions de famille de raconter des anecdotes salées concernant les pissotières et ses fréquentations. Il en voyait des choses l'oncle Zé depuis son Acadiane ! Des jaloux sans doute n'hésitaient pas à le traiter de voyeur. Allez savoir !

Pendant ce temps, la tante vendait sa marchandise à ses pratiques. Mais la pauvre femme devait attendre que les bourgeoises veuillent bien se présenter. Et vous savez ce que c'est : le samedi, on fait la grasse matinée, on traîne et la plus grosse affluence a lieu autour de 10/11 heures. Guite avait beau serrer les cuisses, se dandiner d'un pied sur l'autre, au bout d'un certain temps, elle n'y tenait plus. Sentant sa culotte se mouiller, elle demandait à regret à Germaine – elle est bien brave la Germaine mais on ne sait jamais ! - de lui garder son étalage et elle fonçait chez moi.

J'habitais tout près de la place du marché et j'étais habituée à voir débouler tous les samedis matin la tante, la main comprimant son entre-jambes. J'avais à peine le temps d'ouvrir la porte que déjà Guite courait vers les toilettes en maugréant : « ah, ma petite, si c'est pas malheureux de te déranger comme ça ! Mais que veux-tu : je n'ai pas de quéquette – oui, la tante appelait un chat, un chat – et je ne peux tout de même pas m'accroupir derrière les piliers du porche de l'église. »

Après avoir lâché un jet puissant et sonore dans mes toilettes, la tante repartait, soulagée vers ses cabas me disant : « à tout à l'heure. » En effet, elle revenait chez moi pour les mêmes raisons avant de regagner son village, l'oncle refusant obstinément d'arrêter l'Acadiane au bord de la route. Ce n'était pas un mauvais bougre l'oncle. Il n'était pas macho non plus. Mais allez lui faire comprendre que ce n'est pas parce que les femmes n'ont pas de prostate qu'elles n'ont pas envie de pisser. Et comme les hommes, de plus en plus souvent en vieillissant. Non, ce n'était pas concevable pour Zé.

Un samedi comme les autres, la tante se présenta chez moi dans la matinée. Elle avait du mal à contenir un rire et elle me faisait des clins d'œil que je ne comprenais pas. Elle me dit « ne ferme pas la porte, ton oncle arrive. » Je n'étais pas autrement surprise. Quelquefois, Zé venait jusque chez moi quand il s'ennuyait un peu trop dans sa fourgonnette. La tante se dirigea, comme d'habitude à toute allure vers les toilettes pendant que j'attendais Zé en haut de l'escalier.

Je vis alors arriver un Zé tout penaud qui passa devant moi sans mot dire. La porte refermée, il me demanda si je ne pouvais pas faire sécher un peu son pantalon. Je remarquai alors que ce dernier était trempé jusqu'à mi-jambes. Ses chaussures dégoulinaient d'eau. Comme je le plaisantais «  ben alors, tonton, c'est-y que tu aurais besoin d'un tuteur ? «  il me tourna un regard noir et s'exclama : « ces cons de la Mairie, ils ont enlevé les pissotières. Ils ont mis à la place des choses à la turque . J'ai tout fait comme ils disent, tiré sur la chaînette et voilà pas qu'il m'est arrivé dessus des trombes d'eau. Sont pas près de m'y reprendre !  Et j'irai pisser juste à côté pour les emmerder. »

18 avril 2020

Malgré tout, la vie (Yvanne)


Non, je ne sauterai pas la haie ! D'abord parce que j'ai perdu ma souplesse d'antan (!) et ensuite parce que c'est interdit. Enfin je me l'interdis. Si je commence à mettre un pied en dehors de mon chez moi, je suis perdue. Va savoir si je me contenterais du kilomètre réglementaire, frein momentanément consenti à notre liberté,  pour le bien de tous ! Quand j'emprunte un chemin je ne sais pas où il m'emmène et m'entraîne. Peu m'importe. Je le suis, c'est tout, perdue dans mes rêveries. Alors, vous pensez : je ne me soucie alors ni de la distance parcourue, ni de l'heure à ma montre.

Mais lassée d'entendre les discours très souvent contradictoires des « logues », je me réfugie, comme chaque jour depuis un mois, à l'ombre de mes troènes pour prendre l'air. La nature, goguenarde, n'en finit pas de s'y montrer sous des verts insolents. Le soleil a chauffé ses rayons comme en plein été. Les fleurs des tulipiers et camélias quittent comme à regret, pétale après pétale, les branches des arbustes pour joncher le sol de rose, de rouge et de blanc couleur de lin et de nacre. L'or des forsythias  rivalise avec celui des tulipes et le vieux pommier laisse craquer ses bourgeons pour délivrer ses délicates fleurs blanches teintées de rose vif. Un enchantement !

Et quel tintamarre autour de moi ! Les oiseaux n'en finissent pas de lancer leurs trilles, de voleter de ci, de là emportant dans leur bec des brins de laine de verre arrachés sous les avants toit de la maison. D'autres ont fouillé le compost à la découverte de quelques vermisseaux qu'ils s'empressent de  distribuer à leur marmaille affamée. La haie bruisse et palpite de vie. Je frémis de ce printemps splendide qui fait la nique à la peur des hommes.

A  mes pieds, la terre silencieuse et souveraine éclate de pousses tendres et fragiles dont la vigueur, cependant, s'affirme jour après jour, incroyable miracle sans cesse renouvelé.  Bourdons et papillons  se posent, repartent, reviennent dans une danse folle, agacés par les senteurs puissantes et sucrées émanant des fleurs de troène. Sur les fils, là-haut, au-dessus du rosier grimpant, rouge du sang de ses roses épanouies au parfum capiteux, roucoulent deux tourterelles en mal d'amour.  

J'observe, fascinée, ma voisine l'araignée, emmaillotant patiemment un moucheron dans sa toile. Je caresse distraitement les pages du livre ouvert devant moi. Je n'ai pas lu une seule ligne. La nature n'est-elle pas le plus beau, le plus complet, le plus mystérieux des ouvrages ? En même temps  je m'interroge sur les capacités de l'homme à s'en faire une alliée. Aurions-nous atteint les limites de notre royaume ? Prenons garde !

Le poète « à la veste de soie rose »est parti cette nuit retrouver un paradis perdu.  Un paradis où il chanterait pour l'éternité « les mots bleus, ceux qui rendent les gens heureux. »  Je le souhaite mais existe-t-il dans un ailleurs un autre paradis ?  Je crois que nous devrions, tout d'abord préserver celui dans lequel nous vivons - même s'il n'est pas parfait – et que nous nous escrimons à anéantir en le saccageant toujours un peu plus.

Mon jardin est mon paradis  que la nature rend lumineux en ces jours de tristesse. Que c'est bon de s'y exiler quelques heures pour écouter l'hymne à la vie !
Demain il fera beau.  

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11 avril 2020

Madame Carrier (Yvanne)


    • Oh, pardon !

Josy referme doucement la porte du salon. Elle s'apprêtait à faire le ménage dans cette pièce comme chaque lundi, suivant les instructions de son employeur, Monsieur Carrier. Mais elle a été coupée brutalement dans son élan. Josy s'appuie contre le mur du couloir et réfléchit : que faire ? Le salon est occupé et ce qu'elle a aperçu la laisse pantoise. Elle ne peut  quand même pas entrer. Elle reviendra plus tard pense-t-elle. Peut être la personne entrevue sera-t-elle alors plus présentable. Ou aura déguerpi.

Tout en s'affairant dans la cuisine, Josy se pose des questions. Que fait cette femme dans la maison ? Qui est-elle ?  Pas possible : Carrier aurait-il déjà trouvé quelqu'un ? Son épouse  vient juste de refroidir : à peine trois mois depuis son décès. D'une longue et cruelle maladie comme on dit. La pauvre. Ces hommes. Tout de même !  Et le genre de la remplaçante ! L'image de la jeune femme – car il s'agit d'une jeune à n'en pas douter – s'impose à son esprit. Elle a vu, de ses yeux vu une silhouette allongée sur le sofa. Le beau sofa que Madame Carrier  avait choisi elle-même quelques mois avant son décès et qu'elle aimait tant. Un canapé de cuir pleine fleur, aux belles lignes et très confortable. Blonde aux longs cheveux défaits, la demoiselle, avec une bouche rouge et pulpeuse comme celle de Marilyn et d'immenses yeux bleus qui la regardaient tranquillement. Nue, entièrement nue avec de gros seins. Une prostituée sûrement. Quelle indécence ! Et puis Carrier ne lui a rien dit à sa poule ? Il sait pourtant bien que le lundi est le jour de Josy. Qu'a cette créature à traîner encore dans la maison à cette heure ?

Josy s'énerve. Elle n'aime pas être contrariée dans son travail. Et puis, si la pauvre madame Carrier, si gentille, si douce découvrait ça !  Même morte elle ne mérite pas que cette gourgandine trône ainsi chez elle. Sans aucune gêne. Sans aucun scrupule. Sa rage se tourne maintenant contre son patron. Mais comment ose-t-il ce saligaud ? Il n'attendait que ça : le départ de sa malheureuse épouse  pour assouvir ses bas instincts sans doute ! Dégoûtant.

Josy guette l'arrivée de la jeune femme.  Elle finira bien par sortir du salon quand même ! Elle ne la saluera pas. Ah ça non ! Une heure passe et rien ne bouge. Josy bout d'impatience. N'y tenant plus, elle marche d'un pas décidé dans le couloir. Elle ne va pas pas passer toute la journée à attendre que la...chose se décide à partir.  Et puis hein se dit-elle je vais aller passer l'aspirateur dans le salon. Si la traînée campe toujours là, elle fera son travail en l'ignorant. Le silence n'est-il pas le plus grand des mépris ?

Josy frappe assez brusquement à la porte. Écoute. Rien : pas un bruit. Elle recommence une deuxième, puis troisième fois. Pas davantage de mouvement à l'intérieur de la pièce. Faut-il insister ? Elle dort peut être, cette...cette...Manquerait plus que ça tiens !  Je vais la réveiller moi ! Ou bien, elle fait semblant de ne rien entendre. On va voir . Là, c'est trop.

Cette fois, Josy ouvre en grand la porte du salon, le traverse et se plante devant le canapé. La créature gît toujours dans la même posture. Mon dieu, mais elle est morte, on dirait. Qu'est-ce que je fais ? Je ne vais tout de même pas lui fermer les yeux ? J'appelle Carrier à son cabinet – ben oui, Carrier est dentiste -  et je file. Il n'aura qu'à se débrouiller. Moi, je n'ai rien vu hein ! Je ne veux pas me mêler de ça. Déjà que les flics me connaissent à cause de mon fils, ce crétin qui circule sans permis...

Josy ne peut résister à une certaine curiosité cependant. Je vais regarder de plus près quand même. Après tout, cette personne a peut être besoin d'aide. Je ne peux pas me tirer comme ça. A moins que...Une idée germe dans la tête de la femme de ménage. Elle se penche et surprise ! Elle éclate de rire devant sa découverte : la remplaçante de Madame Carrier, dans le cœur et surtout  - qui l'eût cru – la libido de Monsieur Carrier est une vulgaire poupée gonflable.

4 avril 2020

Le Parisien (Yvanne)

 

  • Qu'est ce qu'il fait chaud aujourd'hui ! Pfff ! Va faire orage avant ce soir tiens !

  • Eh bien, Maria, t'en as beaucoup à cueillir des haricots verts ?

  • Pas de trop. ( des fois que la voisine en voudrait ) Ils vont me coûter une fortune en eau ma pauvre Lucette. Mais il faut bien que je fasse quelques conserves pour la petite.

  • Ah oui, la Françoise ! Ça se passe bien à Paris ?

  • Pas trop bien, pas trop bien : les grèves n'en finissent pas. Les étudiants lancent des pavés sur les policiers. Si c'est pas une honte cette jeunesse ! La Françoise ne peut plus aller travailler au central téléphonique. Il y a des piquets devant la porte il paraît. Alors, elle a pris le train et est arrivée hier au soir.

  • Je l'ai pas vue dit la Lucette en se redressant, soudain intéressée.

  • Elle dort. Je l'ai trouvée fatiguée, mauvaise mine. Ils veulent tous aller à la ville, ces gosses. Fonctionnaires. Comme si c'était la solution miracle de monter à Paris.

  • Tu vois Maria : on des bouseux ici, des sous-développés, des pas intelligents mais on y revient vite à la terre dès que ça chauffe un peu. M'est avis que c'est qu'un début. Toi et moi on le verra pas, on est trop vieilles mais un jour, il faudra que ça change.

  • Hé, t'as pas tort Lucette. Ma Françoise, j'aurais bien voulu qu'elle marie un gars du coin Té, le Jean-Yves par exemple. La famille possède une belle propriété, juste à côté de la nôtre. Et c'est un garçon bien comme il faut le Jean-Yves : vaillant, fort...

  • Oui mais il est pas beau le pauvre avec son bec de lièvre que je sais pas comment ça se fait qu'on l'ait laissé comme ça. Et pour la propreté, c'est pas le top comme ils disent. Allez, je vais faire un peu de soupe. A bientôt.

 

Le lendemain les deux femmes se retrouvent, chacune dans son jardin comme la veille. Mais la Lucette a pris la mesure de la situation chez les voisins. Et elle pense que ce n'est pas brillant tout à coup. Elle n'est pas méchante ni jalouse Lucette mais enfin, elle la trouve bien arrogante Maria qui expose ses biens chaque fois qu'elle ouvre la bouche. : «  et nos truffes par ci, et nos canards gras par là ... »Aussi, elle est bien décidée à lui tirer les vers du nez pour lui rabaisser un peu son caquet.

 

  • Bonjour Maria 

  • Té, salut Lucette. Ça va depuis hier ? Tes salades « montent » pas ? Les miennes, je vais devoir les donner aux poules.

  • Elles prennent le chemin (des fois que la voisine en voudrait) Juste assez pour moi et les enfants. Dis-donc, j'ai aperçu ta Françoise ce matin. Qui c'est ce garçon avec elle?

  • ...

  • Elle a trouvé un copain on dirait.

  • Ils m'ont salué. Il a l'air bien élevé...

  • M'en parle pas tiens. J'en suis malade. Et l'Ernest, mon fils, va péter les plombs je t'assure. Y'a que la Simone, ma bru qu'est contente. M'étonne pas. Cette mijaurée. Elle glousse devant le Parisien. Elle fait des manières. Tu veux que je te dise : elle a même pas vu que sa fille portait le baigneur dans le tiroir. Elle met des robes longues maintenant la Françoise. Et très larges. Mais on me la fait pas. J'ai deviné.

  • Oh ! Si vite ? Z'ont pas perdu de temps. Je croyais que maintenant, ils avaient inventé le bonbon pour pas faire de bébé. Ils sont venus pour les noces ?

  • J'en sais rien. Et t'as vu à quoi il ressemble le Parisien, Lucette ? Tiens, j'en ai honte.

  • Ben... J'ai pas compris ce qu'il avait autour du cou ? Des colliers ? Comme les filles ? Il s'habille drôlement non ?

  • Ah, tu trouves ? J'ai jamais vu ça : ce pantalon large qui traîne dans la poussière, et d'un rouge que ça pique les yeux, cette chemise qu'on dirait un parterre de fleurs …

  • Oui, c'est la mode. L'Antoine, là, de la télé, il porte la même.

  • Mais le pire, c'est les cheveux. Je te jure, j'ai envie de prendre la tondeuse pour les moutons. Doit sûrement avoir des poux, il se gratte tout le temps. Je comprends pas ce qui a pris à la Françoise de ramener ici cet outil. Un rastaquouère, voilà ce que c'est, un rastaquouère qu'on sait pas trop d'où il sort. En plus, il s'appelle Renato. Renâââto, qu'elles disent la mère et la fille comme si elles suçaient une gourmandise. C'est un prénom chrétien, ça, Renato ? Il paraît que ses parents viennent de Calabre. De l'Italie quoi. Y a pas assez de Français? Et de garçons chez nous ?

  • Elle l'a connu comment le Renato  en question ? A son travail ?

  • Non. A un endroit qu'on nomme le Mimi Pinson à Paris. Un bal, je crois. Elle en parlait tout le temps quand elle venait en ouikinde. Une réussite. Ah ça oui, une vraie réussite !

  • Et...si je ne suis pas trop curieuse, il fait quoi le fiancé ?

  • Ah ça, c'est pas pour dire mais il a une bonne situation. Il est actionnaire.

  • Quoi ? Tu veux dire fonctionnaire ?

  • Non pas ! Il a un métier dans les autos. Chez Renault. Et il va passer actionnaire.

  • Ah bon ! C'est pas mal ça ! (la Lucette n'y connait rien aux actionnaires de chez Renault)

  • Peut être. Mais tu sais, j'aurais préféré...un d'ici qui ne ressemble pas à ce pangolin.

  • Je te comprends ma pauvre Maria. Mais vois-tu, la misère n'est pas toute chez les riches.

 

15 février 2020

Il y a écossais et écossais (Yvanne)


Maman adorait l'écossais. Je veux parler de la couleur bien sûr. M'en suis-je coltinée des vêtements à carreaux ! Et ma sœur aussi puisque la plupart du temps, elle usait les miens devenus trop petits.
Des jupes, des vestes, des blouses. Oui, des blouses que l'on portait alors obligatoirement à l'école primaire et même au collège. Maman avait du goût et savait marier la couleur écossaise avec de l'uni. Elle trouvait beaucoup de qualités à ces coloris mêlés : bleu, rouge, vert. Outre qu'ils lui plaisaient, elle disait qu'ils étaient peu salissants. Ce qui n'est évidemment pas négligeable quand on élève une troupe de 5 enfants. C'est bizarre : je ne me rappelle pas avoir vu mes frères vêtus de tels habits. Ils devaient bien en posséder aussi. Ou peut être portaient-ils uniquement des vêtements unis, l'écossais étant une fantaisie pour filles dans l'esprit de notre mère.

Pour Pâques, dans les campagnes corréziennes en tout cas, on renouvelait quelque peu sa garde-robe dans la mesure de ses moyens pour célébrer le printemps. Il était de bon ton d'arborer des tenues neuves à la grand-messe de  ce jour là. Les coquettes les plus riches se paraient de chapeaux quelquefois tarabiscotés qui provoquaient les moqueries des jaloux.

Maman, malgré ses faibles ressources,  ne voulait pas être en reste. Surtout pour ses enfants. Elle se rendait à la préfecture faire des emplettes et ramenait invariablement des coupons de tissu écossais pour nous, les filles. Nous allions alors chez Léonie, la couturière du village pour prendre nos mesures. Et il n'était pas question de choisir un modèle dans les rares catalogues que la brave femme possédait. Il fallait tirer le meilleur parti de la toile afin qu'elle puisse coudre plusieurs vêtements avec le moins d'étoffe possible. Ce qui fait que je portais toujours la même forme.

Je me souviens de l'histoire de la « jupe Sheila », vous savez la vendeuse de bonbons auvergnate devenue chanteuse à succès. Son look : des couettes et une jupe écossaise rouge et noire. J'en rêvais ! Et miracle, Maman avait trouvé le textile à la couleur tant convoitée.  Pour une fois, j'allais être « dans le vent ». Quand j'ai demandé à Léonie de couper la cotonnade en biais pour une imitation en règle de la jupe de la vedette, j'ai essuyé un refus catégorique de la part de ma mère. Il fallait qu'il reste assez afin de confectionner aussi une robe pour ma frangine. Quelle déception ! J'ai donc porté une « jupe Sheila » qui n'en était pas vraiment une.

Le Sud Ouest attire depuis des années, pour l'immobilier,  la clientèle outre-Manche. Aussi, dans un petit village de ma commune de naissance, sur huit feux – c'est ainsi que l'on appelle les maisons habitées – trois foyers abritent des anglais pour deux d'entre eux et un couple d’écossais pour le troisième. Ils sont les bienvenus parce qu'ils redonnent vie à des ruines la plupart du temps. Et puis, grâce à eux bien souvent, les villages se repeuplent.

Parlons donc de cet Écossais devenu Corrézien. Il paraît qu'il est très mal élevé de demander à un porteur de kilt s'il va, en-dessous de sa jupette, cul-nu. Pour comparer, cela ne viendrait à l'idée de personne d'interroger une dame pour les mêmes raisons : elle serait, à juste titre, outrée.
Je bride donc ma curiosité vis à vis de ce voisin  mais je crois deviner cependant. Tout l'été, le brave homme à la queue de cheval se promène dans son jardin seulement vêtu d'un string. J'en tire les conclusions qui s'imposent quand il arbore fièrement à la fête du coin son costume traditionnel. Ou bien, pour plus de virilité et pour faire la nique aux français, et surtout aux françaises, cède-t-il à la tradition de son pays d'origine.

4 janvier 2020

PLUMES (Yvanne)


Plume d'oie
Plume-doigt
Pour l'écriture.

Plume de palombe
Plume de colombe
Pour la paix.

Plume fusain
Plume dessin
Pour la beauté.

Plume d'ange
Plume louange
Pour le paradis.

Plume de soie
Plume à soi
Pour la douceur.

Plume de paon
Plume d'argent
Pour l'éventail.

Plume d'autruche
Plume de greluche
Pour le cabaret.

Plume de corbeau
Plume à chapeau
Pour damoiseau.

Plume de casoar
Plume de briscard
Pour oncle Edgard.

Plume de défi
Plume poésie
Pour le samedi.

28 décembre 2019

Partie de chasse. (suite de : « histoire de truffes ») (Yvanne)

 

Paulo et Jacky au téléphone :

 

    • Hé Jacky, écoute un peu !Tout à l'heure, en cavant à Cantegril, j'ai aperçu le Louis.

    • Encore ! Ça ne lui a pas suffi ? Il lui faut peut être une autre leçon. On va s'en charger mon Paulo.

    • Non. Non. Il ne faisait que passer. Il allait chasser.

    • Tout seul ?

    • Oui. Pas rancunier, il s'est arrêté pour me faire la conversation. Tu me croiras pas : il m'a même demandé si ma truffière “donnait”bien. Il se fout de ma gueule.

    • Tu es sûr qu'il allait à la chasse ? Je suis un peu surpris : il fait partie de l'équipe à Pierrot. Et en général, ils chassent en fin de semaine.

    • Justement. Il les a lâchés : “tous des cons qui ne pensent qu'à la picole.” Il n'a pas envie de se faire trouer la peau qu'il dit.

    • Et il chassait quoi ? La bécasse ? Ça m'étonnerait : il ne s'intéresse qu'au gros.

    • Tu as raison : il allait au sanglier.

    • Tout seul ? Tu plaisantes ?

    • Non Jacky. Il m'a raconté qu'il avait repéré un énorme mâle dans les fourrés de la Besse. Il compte bien l'avoir avec l'aide de son Taïaut. Je pense plutôt qu'il veut le chouraver aux autres.

    • Il est quand même fort ce Louis. Son chien est aussi bon à la chasse au gibier qu'à celle des truffes. Ses anciens potes vont le regretter.

    • Ma parole, tu l'admires ! Tu dirais pas la même chose s'il te volait tes canards. Dis-donc, Jacky, je pense qu'il se promène toujours là-bas, à la Besse. T'as pas envie de te distraire un peu ?

    • Je ne demande pas mieux. Mais attention quand même : il a son flingue. Et comme il n'est pas fin...

    • Rejoins-moi à Cantegril. J'y vais de ce pas.

    • Qu'est-ce que t'as en tête ? Fais pas l'andouille Paulo.

    • Viens je te dis.

    • J'arrive.

Un peu plus tard...

    • T'en as mis du temps. Dépêchons-nous avant qu'il se lasse de faire le pied.

    • Je me demande bien ce que tu trafiques Paulo. Je suis pas tranquille.

    • Conneries. Tiens, le voilà ! Le cul en l'air. Je sais pas ce qui me retient de lui coller mon pied aux fesses.

    • Qu'est-ce qu'il fabrique ?

    • Il renifle la terre pour chercher l'odeur du cochon. Il se relève. Pas de doute, la bête a passé ici. Suivons le chien à distance.

    • Si tu me dis pas ce que tu mijotes, je fous le camp.

    • Ho Jacky, t'as pas la trouille quand même ? T'inquiète, ça craint pas. Mais je lui garde un chien de ma chienne au Louis. Toutes ces belles truffes qu'il m'a volées ? Tout cet argent perdu à cause de lui ? Il faut qu'il rembourse un peu et à ma façon. Je veux pas lui faire de mal mais me venger. Jusqu'à ce qu'il comprenne.

    • Tu peux faire ce que tu veux Paulo. Il a la chapardise dans la peau cet animal.

    • On verra bien. Regarde ce fourré où Taïaut vient de s'engouffrer. Le sanglier bauge là. Va te planquer derrière ce gros châtaignier et laisse-moi faire. Voilà le Louis qui s'amène. Je file.

 

Au bout de quelques minutes, une pétarade éclate. Ô la belle bleue ! La belle rouge ! Et puis la verte ! Un superbe feu d'artifice s'élève au-dessus des buissons d'épine. Un sanglier, noir comme le charbon, déboule à fond suivi par le chien qui hurle à la mort tandis que le Louis qui en a vu 36 chandelles, laisse tomber son fusil et évite de justesse la charge de la bête. Effaré, l'homme regarde à droite, puis à gauche et comprenant soudain sans doute, siffle son Taïaut, prend la tangente, la queue entre les jambes. Comme son chien.

 

Paulo, sans plus attendre, rejoint son copain écroulé de rire et explique, goguenard :

- Il me restait quelques pétards de l'arrosage du bac de mon fils Jérome.

 

7 décembre 2019

Joyeuses réminiscences (Yvanne)

 

Anamnèse ? Anamnèse ? Quésaco ? Jamais entendu parler d'anamnèse.

Heureusement il y a wiki. Mais que ferait-on sans wiki ? Exit le vieux dictionnaire qui semait des mots à tout vent. Je l'aimais bien pourtant mon Larousse illustré des années 60, à la couverture cartonnée orange. Doit être encore quelque part dans le grenier. Mais enfin aujourd'hui je succombe  facilement à la wikimanie . Plus simple.

 

Revenons à notre anamnèse et voyons ce qu'en dit l'encyclopédie universelle. 

 

    Médecine : antécédents médicaux. Pas matière à palabrer. Jusque là, mon moulin tourne assez bien. Profitons-en : ça ne va pas durer. 

    Psychologie : histoire du sujet. La nébuleuse. Laissons cela.

    Liturgie : fait référence à la mémoire du Christ ressuscité. Peut être intéressant mais à l'approche imminente de sa naissance, on ne va pas anticiper.

    Ésotérisme : recouvrer la connaissance totale des ses propres existences antérieures.

Voilà qui me plaît parce que j'ai vécu plusieurs vies. Pas sept ou neuf comme les chats. Mais au moins une, voire deux. De cela je suis certaine. Allons farfouiller dans les tréfonds de mon âme. 

 

Chaque fois que j'entends le mot « rouge »un déclic se fait dans ma tête. Eh bien oui, je vois souvent rouge. Et pour cause. Peut être étais-je un camion de pompier ? Amusant de faire peur aux gens toutes sirènes hurlantes ! Non, plutôt une Ferrari. C'est tout de même plus chic. Et puis non : je ne pense pas que j'étais une machine. Il en resterait des traces tout de même. Or, je ne connais rien, mais vraiment rien à la mécanique. Un cardinal ? La pourpre cardinalice m'eût bien allé au teint. Mais je n'ai jamais entendu sonner les trompettes de la renommée.

 

Suivez le fil – rouge. Figurez-vous qu'avant de naître Yvanne, je fus le petit chaperon rouge. Comme celui du conte de Perrault me demanderez-vous ? Sûrement. Y en a t-il plusieurs ? Foutaises. Le petit chaperon rouge, c'était moi. Et je m'appelais Cerise. C'est joli Cerise. Ma mère aussi voyait rouge. Si vous saviez comme elle était contente quand j'ai eu la scarlatine ! Bien entendu, elle m'habillait en rouge. Toutes les nuances de rouge. Elle disait qu'ainsi vêtue, je ne pourrai jamais me perdre dans la forêt. 

 

Je me promenais souvent dans les bois. Pas pour me rendre chez mère-grand  avec un panier au bras contenant la galette et le pot de beurre. Non. La pauvre vieille, Dieu l'avait rappelée à lui depuis longtemps. J'allais tous les jours dans la forêt pour rencontrer mon loup. Je me souviens , je chantais à tue-tête :  Loup, es-tu là ?

       Si tu n'y es pas

       Tant pis pour toi.

 

Mon bel animal ne ratait jamais nos rendez-vous. Comme j'aimais son poil noir et brillant, ses yeux

qui me dévoraient déjà, ses dents blanches quand il riait ! Peur de mon loup ? Jamais. Je me laissais embrasser, lécher, mignarder.  Tout. J'acceptais tout de mon loup. Et quand il me disait : « tire la chevillette, tire la chevillette », j'obéissais, ravie. Pour finir mon loup me croquait toute.

 

Je vivais dans un monde merveilleux. J'en rêve encore. Alors, l'anamnèse, vous pensez bien : c'est du pain béni pour moi. Merci Walrus ! 




30 novembre 2019

Histoire de truffes (Yvanne)


        — Té, Paulo ! Ça va ?
        — Adi Jacky ! Non, ça va pas p'tain !
        — T'es malade ? Tu es blanc comme un cabécou.
        —  Eh non, je suis pas malade. Quoique, si. Malade de rage tiens.
        — Oh ! Qu'est-ce qui t'arrive ?
        — Ma truffière p'tain. Elle a été visitée encore une fois cette nuit. Et drôlement cavée.   
      
Les deux copains se dirigent d'un bon pas vers la Vigne Haute pour constater les dégâts. Ils  suivent sur le causse, un chemin encore bordé de murailles en pierres sèches à demi-écroulées. Personne n'a songé à changer le nom de la parcelle. Autrefois, avant que le phylloxéra ne fasse des ravages, cette terre produisait un vin réputé dans toute la région. Aujourd'hui, son exposition, son sol caillouteux, « brûlé » dit-on parce que pas un seul brin d'herbe n'y pousse, favorisent le développement du célèbre tubercule que l'on appelle « le diamant noir. »

La truffière de Paulo s'étend sur une bonne trentaine d'ares, plantée de chênes rabougris, branchus depuis le pied, qu'il faut élaguer souvent pour laisser de la lumière aux tubercules. Une belle truffière. Qui « donne bien. »
        — Regarde Jackie. Il n'a même pas pris la peine de reboucher les trous ce salaud. Je comptais sur la vente pour me fournir en nouveaux plants et cultiver la terre de Peyrefiche. C'est foutu. Bordel de bordel.
        — Il n'a pas eu le temps d'aller jusqu'au bout du champ. La mouche se promène. T'en fais pas mon Paulo, il en reste encore, va !
        — Je suis à peu près certain que le Louis de Cantegril a fait le coup. Il paraît que son chien a un nez formidable. Pourquoi l'a-t-il dressé : il ne possède pas le moindre petit bout de truffière ? Il chaparde. Il paraît qu'il fournit certains restaus de Sarlat en douce. Je vais le tuer ce con. Cette nuit, je viens avec le 16. Je te jure Jacky : s'il se ramène, je le descends.
        — T'es fou ? Je vais t'accompagner ce soir. J'ai une bien meilleure idée. Je le connais le Louis : une paille en croix, il rentrerait sous terre. On va lui foutre la trouille...
          
En fin d'après midi, Jacky arrête son 4/4 devant chez Paulo. Tout fier de sa trouvaille, il brandit sous le nez de son pote un bras terminé par une main, le tout plus vrai que nature.
      — Hein ? Qu'est-ce que tu veux faire de ce truc ? T'as trouvé ça où ?
      — T'occupe ! J'ai déniché l'affaire chez mon voisin, le sculpteur parisien. On va rigoler.

La nuit venue, juste assez claire pour encourager le malfrat, les deux comparses se rendent à la truffière. Ils n'attendent pas longtemps. A peine Jacky caché derrière la grosse pierre servant au bornage et Paulo à l'affût dans le bois qui jouxte la parcelle, un bruit de pas sur le chemin les alerte.
Un homme, grand et sec, coiffé d'un chapeau lui couvrant presque tout le visage s'avance prudemment. A son épaule pend une musette. Son corniaud lui emboîte le pas. Il s'agit bien du Louis. Le chien, subitement, s'écarte et fonce sur le gros os de bœuf que Paulo a pris soin de poser en bordure du champ. Louis l'appelle doucement mais la bête se régale et feint de ne pas entendre.

En grommelant, le voleur se dirige droit vers la partie qu'il n'a pas explorée la veille. Comme l'avaient prévu les deux amis, il commence à creuser en reniflant chaque poignée de terre, juste sous le chêne, à côté du bornage. Soudainement, il se redresse, recule, tombe, hurle pendant que le membre en plâtre que Jacky brandit au bout d'un bâton s'agite sous son nez. Il bondit dans les broussailles comme s'il avait le diable aux trousses oubliant son couvre-chef, son sac et son chien.
        — Il va avoir une attaque plaisante Paulo.
        — Ça l'apprendra à nous prendre pour des truffes ce cochon !
    
 

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