La théorie d'ensemble (Virgibri)
Un plus un
Egale nous
Je n’aimais pas les mathéma
Tics
Je m’allonge
Et me projette maintenant
Nos formules me plaisent
Et m’apprennent
A tenir
Droite
Tu es ma médiane
Ma femme aux ronds et aux déliés
Au périmètre infini
Mon cercle sans fin
Mais au si joli début
Mon centre
Pourtant je n’aimais pas
Les mathématiques
Ou plutôt
Je ne les comprenais pas
Toi
Je te comprends toute
Et dans ton entièreté
Une plus une
Mon tout
L'ultime vœu (Virgibri)
J’allais avoir dix-huit ans. Le bel âge, celui que l’on envie peut-être en vieillissant. Je n’ai pourtant jamais trouvé, à l’instar de Paul Nizan, que la jeunesse était un cadeau.
J’allais avoir dix-huit ans, et aucune envie de les fêter. Ma mère y tenait, parce que mon père ne voulait pas me les gâcher. Il y aurait vu le signe que sa maladie m’empêchait d’être heureuse, ou quelque chose de cet ordre-là.
Mes parents –mais seule ma mère me l’a dit en leurs deux noms- allaient donc m’offrir une fête. Un repas. Je pouvais inviter qui je voulais. Comme elle travaillait en journée dans un commerce des Champs-Elysées, et en soirée dans un restaurant, tout se passerait en ce lieu : je ne voulais pas faire dépenser trop d’argent pour cet anniversaire au goût déjà amer.
Nous étions une vingtaine, je crois. Si je regarde les photos, la première pensée qui me vienne à l’esprit, c’est que plus aucun d’entre eux n’est près de moi. Tous ont disparu, pour une raison ou pour une autre. C’était pourtant ma sphère amicale, mon roc, les gens qui m’empêchaient de sombrer cette année-là dans la déprime ; ceux qui m’avaient soutenue pour passer le Bac, et m’encourageaient encore pour la Prépa. Pas un seul n’a disparu du socle de ma mémoire. Je pourrais encore pleurer d’en avoir perdu certains.
J’allais avoir dix-huit ans. Je souris sur les photos, pour faire bonne figure. Je me trouve pâle, et un peu fermée. Il paraît que j’étais jolie.
J’allais avoir dix-huit ans, un âge que l’on fête. Mon père était à quelques rues de là, dans une chambre d’hôpital.
Une photographie me rappelle qu’il y a eu un gâteau. J’en ignore la saveur. Je serais bien incapable de dire aujourd’hui à quoi il était. Mais ma mère, en l’apportant à bout de bras, retenait ses larmes. Elle aussi, elle aurait voulu qu’il fût porté à quatre mains. Cette image-là, je l’ai gravée.
J’ai vécu ce moment comme au ralenti. Tous les visages tournés vers moi, sachant tous ce qui rendait mon regard triste –pour ceux qui savaient voir.
On m’a demandé de faire un vœu, avant de souffler mes bougies.
J’y ai cru.
J’ai fait un vœu. Et j’ai soufflé, comme s’il y allait de ma vie.
Une semaine plus tard, jour pour jour, mon père mourait.
Je n’ai plus jamais voulu de bougies sur mes rares gâteaux d’anniversaire.
3 – 1 = 2 = 1 + 1 = 1 (Virgibri)
La chambre se situait au rez-de-chaussée. Je savais qu’il était là, car j’avais vu, de dehors, la lampe de chevet allumée. Le réceptionniste regardait la télé en somnolant. Il n’avait pas prêté attention à mon passage, et encore moins à mon immobilité, dans le hall.
Je l’avais observé, portant un débardeur au blanc douteux, sa calvitie recouverte par une mèche grasse. L’archétype même du réceptionniste miteux.
Je m’étais assise sur un fauteuil défoncé, dont je sentais les derniers ressorts attaquer mes muscles fessiers et mon dos. Je tenais mon sac serré contre moi. Contre mon ventre. Mon ventre. Il l’avait réchauffé. Empli. Fécondé.
Et puis tout avait été vide.
Il était dans la chambre 3. Des bruits d’émissions télévisées minables parvenaient à moi. Comment était-il descendu si bas ? Lui. Lui, l’homme qui avait posé ses mains sur moi et m’avait promis une si jolie vie. Lui qui devait conquérir le monde. Avec moi. Avec nous.
Il était dans la chambre 3 et regardait sans doute la télé. Avait-il une bière à la main, aussi caricatural que le type de l’accueil ? Non, impossible.
Je me suis levée lentement, comme pour vérifier cette contre-vérité. Le sac toujours collé à mon ventre. Mes mains se crispaient sur les anses. Le réceptionniste n’a pas bougé d’un pouce, et a à peine levé les yeux sur moi.
J’avançais avec précaution dans le couloir. La moquette, bien qu’ancestrale, atténuait mes pas.
Chambre 1. Peinture écaillée sur la porte. Le pas de celle-ci est décoloré. La moquette n’est même plus visible. Un homme semble ronfler à l’intérieur. Ou alors je confonds avec quelqu’un, dans une autre pièce du couloir.
Chambre 2. Elle est entrouverte légèrement. J’aperçois une femme en nuisette, assise sur un tabouret, les yeux dans le vide, et fumant une cigarette fine et longue. Sa bouche est épaisse et très rouge.
Chambre 3. J’y suis. Je colle mon oreille contre les éclats de bois de la porte. Je colle le sac contre mon ventre, encore. C’est une jolie besace vernie, un peu fatiguée, mais qui a cet aspect patiné par le temps que beaucoup de maroquiniers tentent en vain de donner à leurs produits.
Chambre 3. Pas de bruit particulier. Je peux encore faire demi-tour. Mais je n’ai aucune hésitation. J’attends juste la bonne respiration. Le souffle juste. Celui qui est au-dedans de moi me le donne.
Chambre 3. Je fais glisser délicatement la fermeture usée de ma besace. Ma main droite y plonge en douceur. J’ai le temps. Je ne suis pas pressée. J’ai déjà beaucoup patienté. Le sac est maintenant suspendu à mon avant-bras. J’avance la main gauche et la pose sur la poignée ronde et cuivrée de la porte.
Chambre 3. Je serre cette poignée qui ne me résistera pas.
Chambre 3. Nous allons entrer tous les deux ; il me verra ; et mes ongles vernis, écarlates, luiront dans la chambre. Il ouvrira sans doute la bouche pour parler, mais je ne lui en laisserai pas le temps.
Chambre 3. Ma main droite caresse la crosse.
Chambre 3. J’ouvre la porte.
Ma besace de carmin verni tangue sur mon avant-bras.
Achevez Ludwig (Virgibri)
Chère Elise,
Gnagnagna, tactactac, il aurait fallu des mots, plein de mots, des marteaux, des clous et des vis et des vices, pour défaire cet air de mon esprit et vous sortir de ce carcan musical bien pensant.
Gnagnagnagnagnaaaaa, tralala, tralala, une chanteuse avant moi vous a déjà rompue, et je l’en remercie. Il est fort regrettable que l’on ait choisi votre air en guise de musique d’attente sur de multiples répondeurs car aujourd’hui, je ne peux plus en entendre les premières notes sans frémir d’impatience.
Tactactactac, piout piout, Elise, remuez-vous, sortez du lot, bougez vos abdos, faites quelque chose !
Poinpoinpoinpoin, piout piout, y aurait-il moyen de vous remixer, Esile ?
Allez, dormez sur vos deux oreilles, Elise et Ludwig : je ne toucherais pas à ce monument, malgré tout…
Mes pensées (Virgibri)
Elle a disparu. Qui ? Virgibri.
Elle se balade sur le chemin de l’amour. Il est tout en rondeurs, en sinusoïdales, en courbes. Parfois, forcément, elle se perd à humer les fleurs qui le bordent. Ou à regarder en l’air, au cas où quelque chose lui tomberait sur la tête –car trop de bonheur pousse à la méfiance, à force.
Elle a disparu, vraiment ?
Non, elle se promène juste, pas très loin, et jette des brassées de fleurs odorantes autour d’elle, en silence.
Mensualités (Virgibri)
Depuis quelque temps, j’égraine les secondes, j’acrobate les minutes, je mordore les heures, j’arrose les jours pour qu’y poussent des fleurs.
Depuis quelque temps, je combats le temps. Il s’étire en longueur devant mon écran, à tel point que je ne vois aucun de ses bouts.
Depuis quelque temps, je fais pousser devant chez moi l’espoir d’heures volées au quotidien. Les bulbes tardent à monter au balcon de mes espérances.
Depuis quelque temps, mes nuits sont plus courtes que les battements de mes journées.
Depuis quelque temps, je regarde mon corps s’écouler, partir vers un autre fleuve, plus au sud, et mes yeux pétiller au champagne de mes envolées.
Depuis quelque temps, il me suffit d’entendre un rire éclater au bout d’un fil pour arrêter le temps.
Depuis quelque temps, j’ai mis le passé de côté, pas très loin, mais de côté, pour marcher sur un sentier de traverse qui avance.
Depuis quelque temps, je souris bêtement à mon fond d’écran, lisse mais profond, qui me rassure lumineusement.
Depuis quelque temps, je gangrène l’attente, je pourchasse les dates, je projette les semaines, je mensualise l’amour.
Depuis quelque temps, je dévide la bobine du rêve ; aucun nœud à y faire pour l’arrêter mais beaucoup à recoudre.
Depuis quelque temps, je suis la maîtresse de l’âge d’or, je suis la trentenaire éternelle, je suis le tourment temporel qui s’allège.
Depuis quelque temps, je suis gérante du bonheur au compte-goutte, comptable des mots doux, répertoire des abonnées présentes.
Depuis quelque temps, je me dis que j’attendais depuis si longtemps, que j’en ai oublié le goût âcre des jours sans rien ni personne à attendre.
Depuis quelque temps, je prie pour que l’on me laisse le temps d’en profiter, pour voir pousser les fleurs et les cueillir à quatre mains, parce que le Temps, le Temps file si vite, parce que le Temps, le Temps est si court, parce que le tant, le tant peut être si long…
Effleurements (Virgibri)
Tu m’as tendu la main
Dans un silence
Je l’ai prise
Sans la toucher
Depuis
Nous marchons ensemble
Comme deux oiseaux
Que le vent a portés
Donner et recevoir (Virgibri)
Il y a les gisants et les vivants
Tous ceux qui nous frôlent
Les inquiétants
Les apaisants
Les discrets
Au milieu des gisants
Je trônais
C’était il y a longtemps
Un temps où les appareils photos cliquaient
Où les fenêtres s’obturaient
Un an après la répartition de ses cendres
Devant une plaquette dorée infâme
A son nom, avec ses dates
Je m’étais dit que non
On ne se réduisait pas à ce paquet sombre
J’avais décidé de goûter la vie
Même dans ses amertumes
Tous ses goûts
Sans excès
Chaque détail importait
J’étais au milieu des gisants
Il y a longtemps
Armée de mon boîtier
J’ai trouvé les morts beaux
Une sorte de romantisme
Exacerbé
De la vie dans la pierre
Des femmes de toute beauté
Des inscriptions passionnées
Des amours mortes
Et encore si vivaces
Si l’on pouvait dire
De moi
Elle a aimé
Ou plutôt
Elle a beaucoup donné
Et a su recevoir
Mais je ne sais où je me poserai
Pas de lieu-clef
Pas grand-monde pour me causer
Au-dedans de la pierre
J’étais au milieu des gisants
Il y a longtemps
Moi la demie vivante
Mes yeux vibraient
Mes yeux cadraient
Mes yeux fuyaient
La mort
En la figeant
En noir et blanc
Elle a beaucoup reçu
Et a tellement donné
Qui sera là pour l’écrire
Ou
le murmurer
Tous mes papiers (Virgibri)
Sur mes papiers virtuels, j’écris des mots de nuit, des mots d’orage, des mots de pluie.
Sur mes papiers de cœur, il y a des hirondelles, du miel, des odeurs de sapin, quelques grammes de cannelle et un grain de poivre. Ah, l’aigreur du piment…
Sur mes papiers calque, je dessine les contours de mes vides, comme un aigle dans le ciel.
Sur mes papiers buvard, j’attends que tout s’absorbe, aussi patiente que la buse le long de la route. Han, les taches restent.
Sur mes papiers à bonbons colorés, j’écris le vol rapide du colibri, les ailes du papillon, le rayon de lune ou de soleil, et pffft ! tout s’envole sous l’empressement du vent à jouer avec eux.
Sur mes papiers chiffon, j’essuie mes larmes, de joie ou de chagrin ; j’arbore certaines fleurs entre deux fils ténus ; je caresse l’épais feuillet et lui fais de l’œil, telle une pie prête à voler…
Mais j’endors mes plumes, les range au fond des trousses et des pots à crayons. Hum.
Garçon, du papier et de l’encre !