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Le défi du samedi
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10 avril 2021

La danse du serpent (Vegas sur sarthe)


Quand Germaine m'annonça qu'elle venait de s'acheter un Jodhpur, j'ai halluciné.
J'ai d'abord pensé à un nouveau canapé Ikéa mais on venait d'investir dans un Brâthult le mois dernier pour remplacer notre vieux Grönlid.
Alors j'ai imaginé un SUV qui serait subitement sorti chez Toyota mais Germaine n'a pas le permis de conduire !
« Tu vas passer ton permis ? » lui ai-je demandé sur un ton à la fois soupçonneux et horrifié.
« Mon permis de quoi ? » a t-elle très justement répondu.
« Un permis de conduire un Jodhpur » ai-je rétorqué tout aussi justement.
Germaine m'a lancé ce regard incrédule dont elle a le secret : »Un jodhpur, ça se conduit pas Môssieur, ça se porte ! »
J'en conclus qu'elle avait acheté une bagnole pour la porter … j'allais demander des détails quand elle a brandi fièrement son achat qui ressemblait de loin à une culotte de cheval.
J'étais abasourdi : »Tu vas passer un permis pour monter à cheval ? »
« Quel cheval ? » m'a t-elle demandé.
J'essaie de me la représenter en amazone, moulée dans ce truc à consonance suédoise quand elle me dit « T'as jamais vu de jodhpur de ta vie ? »

Je connais bien des choses vu mon grand âge mais j'avoue être dépassé aujourd'hui par tant d'inventions aux noms plus étranges les uns que les autres et qui disparaissent aussi vite qu'elles ont été créées.
« La culotte de cheval, c'est pas nouveau » lui dis-je, sûr de moi « mon oncle Hubert qui a fait sa carrière militaire dans les spahis en portait déjà dans les années 50 »
« C'était sûrement pas du Balenciaga » conclut Germaine avec une moue dédaigneuse.
Une odeur de carte bleue cramée me monte au nez ...
Pour moi – Balenciaga ou pas – une culotte de cheval c'est juste un pantalon large aux cuisses pour ne pas dire bouffant qui épouse cette excroissance graisseuse qu'on appelle cellulite et plus hypocritement culotte de cheval, non ?

Je ne m'aventurerai pas avec Germaine sur cette pente glissante par peur de représailles. Je me contenterai de lui dire que ça devrait bien lui seoir (seyant au participe présent) comme à toutes les femmes « pulpeuses » et qu'il ne lui manque plus que les éperons et la cravache ...
Quant au bourrin, je connais assez Germaine pour savoir qu'elle m'en attribuera le rôle et qu'il ne me restera plus qu'à hennir ou à braire comme un âne pour clore cette discussion.

Enfermée dans son dressing, j'entends Germaine fulminer et gesticuler en enfilant ce jodhpur.
Non, je ne lui suggérerai pas la danse du serpent – la Kalbeliya – pour aider à la manœuvre, je m'affalerai dans notre Brâthult en espérant des jours meilleurs … dans quel monde vit-on ?


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3 avril 2021

La poupée (Vegas sur sarthe)

 

Elle était mon e-doll, ma poupée virtuelle
sur les réseaux sociaux, moi je ne voyais qu'elle
je copiais ses postures et sniffais tous ses mots
les murs de ma chambrette en faisaient la promo

Et puis ce fut le drame, l'horrible tragédie
comment a t-elle chopé ma carte de crédit ?
En tombant tout à coup de son grand piédestal
elle a brisé ma vie et ma carte Vitale

J'ai fini à l'hosto au rayon Grabataires
le nez dans le ruisseau c'est la faute à ???
depuis je suis accro à l'halopéridol
c'est pas ma faute à moi, c'est celle à mon e-doll

 

 

27 mars 2021

Marginal (Vegas sur sarthe)

 

« Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles », Chaval sentait sous ses doigts quelque chose de dur, de compact et léger à la fois … il prit la chose, se releva en armontant son patalon, repoussa Catherine qui s'accrochait à lui et s'enfuit sans un mot en direction de Montsou.
A l'estaminet de Rasseneur, il saurait trouver Souvarine, le russkov qui savait tout. Un anarchiste ça sait tout.

« Quoque ch’est cha, biloute ? » lui demanda Chaval tout excité en exhibant fièrement son caillou.
Au fond du troquet le cordéoneux qui jouait du Pierre Bachelet s'interrompit et c'était une bonne chose.
« Quoque ch’est qu’te berdoules avec ta gaillette ? » s'enquit Rasseneur accoudé au zinc.
Souvarine palpait et soupesait la pierre d'un noir mat
aux reflets bleu ardoise ; il la rendit à Chaval en marmonnant : »Reprends ta gnognotte mon gars, ça vaut que t'chi »
Chaval insista, vociférant : 
« Sûr que si on creuse, y'en a des tonnes là dessous, un foutu pactole ! ».
Rasseneur ricanait : «Y'a rien là-dessous, gamin. Si y'avait ça se saurait »
« Si té cros que j'te cros » aboya Chaval en serrant sa houille comme une sainte relique « j'm'en vas creuser dès demain matin ».

A cet instant la huche s'ouvrit brutalement sur la Maheude et ses mioches cramponnés à sa blouse.
«Il a encore sauté ! » cria t-elle à l'assemblée.
« Qui ça ? Le Bonnemort ?» lança Rasseneur « y'a longtemps qu'son chifflet peut pus rin faire »
« Ferme tin clapet» répondit la Maheude «ch'est Linky qu'a sauté. Cha saute tout l'temps ».
Depuis que l'arrière-petit-fils Hennebeau avait fait équiper le coron des Deux Cent Quarante en compteurs communicants, tout partait en sucette.
On ne causait plus que de ça dans le coron et aussi de tous ces moulins à vent qu'il avait alignés sur la grande route de Marchiennes jusqu'à Montsou.

« Ces éoliennes ch'est du bren » avait conclu Souvarine «mais l'a bin fait son burre le Hennebeau ».
« J'rigolerai ben l'jour où y'aura plus d'vent » osa le petit Jeanlin dans les jupes de sa mère.
L'assemblée s'esclaffa tandis que Chaval sortait précipitamment avec son caillou. Catherine l'attendait dehors : «  Quoque ch’est qu'ce truc que t'es parti sans finir ton affaire ? »
Chaval eut un rictus mauvais et – brandissant la chose – il dit simplement : »J'appellerai cha du charbon de terre ».
Inaudible, Catherine murmura : « Cha march'ra jamais ».
Chaval ajouta « Ch'est pas ton Lantier qu'aurait trouvé cha... lui qu'a jarté à Flamenville faire le soudeur à l'aut' bout d'la France ! »

Dans l'estaminet le cordéoneux avait enchaîné sur l'air d'Emmanuelle … Pendu au mur depuis trop longtemps, le portrait de Zola émit un soupir avant de se décrocher.

 

20 mars 2021

Raser le bouc (Vegas sur sarthe)

 

Bonjour vous êtes bien au siège de l'entreprise Viollet Leduc, veuillez ne pas quitter...”
Ah ça! Non, je n'ai pas l'intention de quitter”

(Petite Chopinette d'attente en forme de concerto pour piano n°1 en mi mineur accompagnée d'un charmant message Chez Viollet, tout au maillet. Chez Leduc, jamais de stuc”

Bonjour... Viollet Leduc arrière-arrière-arrière-petit-fils mais appelez-moi Pierre comme la pierre... Que puis-je pour vous?”
Je suis madame Furiousse et je ne suis pas contente du tout”
Voyons ça... Furiousse ... Oui, madame Furiousse... nous venons juste de terminer votre chantier de reprise en étanchéité d'un toit-terrasse d'immeuble situé au 30 Avenue de l'Opéra avec ...”
Epargnez-moi la suite monsieur Leduc , je sais précisément où j'habite et je suis précisément furieuse”
J'ai bien noté madame, mais en quoi puis-je vous être utile?”
Comment ça, utile? Qu'est-ce que vous avez fichu aux angles du toit et jusque sur la façade?”
Je crains fort de ne pas vous suivre, madame Furiousse”
Je parle de ces affreuses choses, de ces excroissances immondes, monstrueuses! Qu'est-ce que c'est que ça?”
Visiblement, vous faites allusion à nos gargouilles, madame”
Des gargouilles? Qui vous a demandé d'équiper des gargouilles?”
Nous n'équipons pas madame, nous taillons des gargouilles depuis 1830 comme le faisait notre ancêtre Eugène et personne ne s'en est jamais plaint”
Mais moi - aujourd'hui au vingt et unième siècle - je m'en plains! Je me plains de voir ce bestiaire grimaçant et grotesque au dessus de ma tête, qui dénature l'immeuble et fait jaser tout l'arrondissement !”

Madame eut sans doute préféré des sculptures épannelées, à peine dégrossies comme on en voit de nos jours où seule compte la rentabilité et le tape à l'oeil.
La maison Viollet-Leduc ne travaille que dans le faste, madame … dans le faste and Furiousse si je puis me permettre ce trait d'esprit”

Un trait d'esprit? Où ça?”
Pardon … Madame semble ignorer que nous sommes tailleurs d'images de père en fils? J'entends déjà mon aïeul qui rigole si je puis me permettre ce trait d'esprit”
Un trait d'esprit? Où ça?”
Qui rigole madame... une rigole... Bref, pardonnez-moi cette saillie qui eut tant fait glousser mes pairs”
A propos de saillie, vous allez me faire le plaisir de raser toute cette ménagerie avant que je débarque chez vous pour faire un scandale”
Etes-vous sérieuse madame Furiousse? Raser les boucs, les dragons, les griffons, ces serpents qui sifflent sur vos têtes, ces oeuvres d'art qui dégorgeront et glouglouteront à la première ondée, épargnant murs et croisées?”
Parfaitement! Virez-moi ces glougloutonneries, ces grenouilles, ces citrouilles, ces choses sans nom dont je n'ai que faire et qui doivent coûter une fortune!”

En effet madame puisque toutes nos pierres calcaires viennent du bassin de la Seine”
Viendraient-elles de Mongolie que vous allez me virer ce bazar dès aujourd'hui”
Casser du pur liais-cliquard de Vaugirard ? Pas même en rêve, madame Furiousse. Songez que mon grand oncle Arsène se suicida après qu'on lui fit raser une gargouille en simple grès des Vosges au prétexte qu'elle ressemblait trop à Léon Blum”
Monsieur Viollet-Leduc, vous vous suiciderez ensuite si ça vous chante mais je vous attends dans l'heure pour raser tout ça”

Chère madame, puis-je vous faire part d'une bonne nouvelle qui vous ravira? Ce moi-ci, notre offre promotionnelle concerne justement la pierre liais-cliquard. Elle vous permet de bénéficier d'une remise substantielle de ... laissez moi calculer ...”

(Petite Chopinette d'attente en forme de fin du concerto pour piano n°1 en mi mineur agrémentée d'un charmant message Chez Viollet, tout au maillet. Chez Leduc, jamais de stuc”

Allo Leduc?”

(Petite Chopinette d'attente en forme de début de concerto pour piano n°2 en fa mineur suivie du message ... jamais de stuc... Chez Viollet, tout au maillet. Chez Leduc, pas d'aqueduc caduc chez l'archiduc...”

Madame Furiousse s'adressant à Monsieur Furiousse : ”Edouard ! Passez-moi cette masse que diable ”

 

 

13 mars 2021

Attention, c'est du Laclos (Vegas sur sarthe)


La définition exacte c'est « Qui ne vaut pas tripette » en huit lettres.
Instinctivement j'ai pensé à Germaine.
Elle rentre pile poil dans les cases … pour une fois qu'elle rentre dans quelque chose sans forcer à part dans la porte du garage.
Sauf que ça commence par un F et que ça ne peut être que moi qui l'ai mis là, ce F.
Si je change le F pour un G, ça bouzille le peu de mots que j'ai déjà eu du mal à placer et j'ai horreur de ne pas terminer les mots croisés ; ça me fout en rogne pour la journée et c'est Germaine qui déguste!
Faut dire que j'avais mis la barre très haut en m'attaquant aux mots croisés de Laclos sous l'oeil moqueur de Germaine.
« A quoi ça servirait que Laclos se soit décarcassé ? » disait-elle en parodiant une vieille pub des années 70.

Alors j'ai écarté Germaine au propre comme au figuré pour repartir sur des bases saines et j'ai trouvé Fusibles. S'il y a quelque chose qui ne sert à rien c'est bien le fusible.
« Ça fait que sauter » dit Germaine sans rien parodier, pas même une pub de Youporn.
Combien de fois ai-je dû farfouiller dans le coffret à fusibles de la bagnole après que Germaine ait essayé de brancher son fer à friser sur l'allume-cigare !

« Qui ne vaut pas tripette » … ça ne peut pas être Fusibles au pluriel sinon Laclos aurait écrit « Qui ne valent pas tripette ».
« Y'en a là dedans » dit parfois Germaine en me collant une pichenette derrière les oreilles ; c'est sa manière à elle de m'encenser.
Elle dit que je joue petit bras, que je babiole, que je broutille, ce sont ses mots pour dire que je vaux mieux et que je le vaux bien en parodiant une vieille pub cosmétique des années 70.
Elle en a une autre qui dit « On se lève pour Jeannette » mais je ne l'ai jamais comprise car notre femme de ménage ne s'appelle pas Jeannette et y'a pas de Jeannette dans notre entourage, y'a personne dans notre entourage.

Il y aurait bien le mot Bagatelle vu que sur ce terrain avec Germaine ça vaut pas grand chose mais ça commence par B comme Brimborion et en plus ça déborde des cases.
J'aimerais tant que ça déborde avec Germaine – pas seulement la casserole de soupe – j'aimerais qu'implose le couvercle, que s'échappe la vapeur pour nous emporter dans des volutes aphrodisiaques et … où en étais-je ?
J'ai trouvé Futilité en pensant toujours à Germaine, à ses Feux de l'amour, à son Euro Million, à son Pékin Express, à son Modes&Travaux, à son marché du dimanche matin, à ses raviolis du lundi, enfin à tous ces petits riens mis bout à bout qui ne font pas grand chose.

J'hésite encore car il y a le mot Fixation qui conviendrait bien et Fixation ça rentre dans les cases comme une cheville de 12 dans un carreau de plâtre, comme cette cheville trop longue qui traverse le mur quand Germaine se déchaîne avec le marteau en criant «Tu vas rentrer, salope ? »
Je hais tous ces mots crus qu'elle réserve à une pauvre cheville de 12 ...
Ça finit toujours par rentrer ; après tout c'est que du plâtre, du papier à cigarette dit Germaine quand les voisins se chauffent un peu trop et qu'on doit supporter leurs ébats.
J'aimerais tant que ça déborde avec Germaine.

Allez ! J'opte pour Fixation d'autant plus que ça finit par N comme le mot Fin et ça m'arrange.


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6 mars 2021

La concierge est dans l'escalier (Vegas sur sarthe)


Chaque lundi matin c'est le jour d'encaustique
de la loge au dernier la concierge à genoux
se plie à l'exercice pour le moins coquinou
d'une posture osée sinon acrobatique
 
Escaliers et paliers auront droit au cirage
et gare aux casse-pieds qui l'enjambent en pestant
aux vauriens facétieux, aux voyeurs insistants
Carmen échevelée les attend au virage

Il faut la voir cambrée, offerte, à quatre pattes
d'un poignet vigoureux astiquant le vieux chêne
que les talons pointus d'insolentes gretchens
ont violé durement au bras de névropathes

Avant que ne la prenne une traître sciatique
elle rêve de lui, de ce beau Monsieur Serge
pour qui - chaque lundi que Dieu fait - elle gamberge
en frottant de plus belle, frénétique, pathétique

Chaque lundi matin au 3 rue Saint Martin
de sa loge au dernier, qui c'est-y qui astique ?
C'est Carmen à genoux, posture monastique
sa croupe généreuse et son oeil libertin

27 février 2021

Le didgeridoo pour les Nuls (Vegas sur sarthe)

 

Selon un célèbre DJ féru d'instruments de musique – le DJ Ridoux – l'instrument du même nom fait partie des instruments « avant » comme le larynx, contrairement aux instruments « après » comme le piano aqueux.

Le didgeridoo a été inventé par les aborigènes d'Australie – grands fumeurs d'eucalyptus – et popularisé dans la culture rock australienne par le groupe Assez d'Essais raccourci en AC/DC.
Son usage remonterait à l'âge de Pierre bien qu'on ignore l'âge de Pierre.
L'instrument a été baptisé ainsi par des colons blancs qui avaient déjà nommé la trompette Tutut, la guitare Glingling et la batterie Boumboum ...

Le didgeridoo – le didge pour les non-Nuls – naît d'un jeune eucalyptus rongé de l'intérieur par les termites.
Il est d'origine australienne car c'est le seul endroit de la planète ou les termites peuvent bouffer de l'eucalyptus vivant.
Une fois bouffé, on le coupe puis on barbouille son embouchure de cire d'abeille sauvage. (Préférer Murray's Beeswax chez Amazon)

Le joueur de didgeridoo fait vibrer ses lèvres par une technique de respiration continue qui cesse au moment de l'asphyxie.
On utilise alors une autre technique de respiration dite artificielle pour ranimer le joueur.
Dans ces conditions on peut douter de son soi-disant effet pour le traitement de l'apnée du sommeil !

Le son de base s'appelle le bourdon en référence à la cire d'abeille. La fréquence du bourdon est de 65 Hertz, suffisamment éloignée du 42 Hertz pour qu'on ne la confonde pas avec le ronronnement de la bourreuse dont j'ai parlé il y a deux semaines.
Au bourdon se superposent des vocalises comme des cris d'animaux, des injures aux belle-mères ou encore des tubes de Mike Brant selon le style de musique.

Plus l'instrument est long, plus les notes sont graves ; dans ce cas on l'utilise pour les cérémonies de funérailles.
On préférera les sons aigus pour accompagner les rituels de circoncision … mais rien n'oblige à le faire non plus.

Les airs les plus connus joués au didge s'appellent tout naturellement des tubes.

Par sa gravure « Made in China » sur le corps de l'instrument le faux didgeridoo se distingue de l'authentique didgeridoo qui est estampillé « Made in wood».
Méfiez vous des imitations

 

 

20 février 2021

« Qui pense peu se trompe beaucoup » (Vegas sur sarthe)


« Alors, nous avons parcouru laborieusement les douze pages de votre curriculum vitae Monsieur … Monsieur … peu importe pour l'instant.
C'est très conséquent mais notre premier souci c'est qu'on n'y comprend rien, c'est un vrai torchon et même douze torchons »
« Ah … désolé, j'ai la manie des gauchers, celle d'écrire de droite à gauche mais je peux vous traduire sans difficulté »
« Ça ne sera pas la peine. Résumez-le très succinctement de vive voix mais à l'endroit s'il vous plaît »
« D'accord. Je suis donc né en Toscane et j'ai commencé à gribouiller des choses à Milan et puis à Rome, à Bologne, à Venise, à ... »
« Je vous arrête, des ritals qui croquent le marmot il y en a plein la place du Tertre à Montmartre et sur la place Saint Marc … vous avez fait quoi d'autre ?  »
« J'ai joué un peu avec des grues puis des métiers à tisser »
« Hum ... »
« De là j'ai imaginé une machine à faire les spaghetti»
« Ça coule de source … et puis ?»
« J'ai conçu des scaphandres, des roulements à bille et des machines de guerre, des sous-marins, des chars d'assaut, des hélicoptères, des mitrailleuses... »
« Des mitrailleuses, ça c'est très intéressant ! Vous êtes comme le type qui a inventé la Kalachnikov ? »
«Ce type c'est Kalachnikov »
« Que voulez-vous dire ? »
« Je dis que c'est Kalachnikov qui a créé la Kalachnikov »
« Ah bon ? »
« Oui, c'est en kalachnikovant qu'il est devenu son inventeur … tout comme c'est en sciant que Léonard devint scie, comprenez-vous ? »
« Non »
« C'est dommage car vous auriez eu une bonne image de ma personnalité» 
« En tout cas vous pourriez intégrer notre programme de recherche de Force Spatiale Opérationnelle et ... »
« Je vous demande pardon mais je suis lassé de ces engins de mort, moi ce que j'aimerais c'est peindre une femme qui sourit »
« Une femme qui quoi ? »
« Quelque chose d'iconique, d'énigmatique, une oeuvre qui suscite l'émotion »
« L'émotion ? Ça ne marche pas et ça ne rapportera jamais rien. Dites nous quand même, tous ces signes bizarres à la dernière page ça veut dire quoi ? »
« C'est juste un code »
«Comme un code secret ? Vous êtes également cryptographe ? »
« Euh … non. J'ai fait ça pour le fun sans savoir si ça servira un jour, je l'ai appelé le code De Vinci »
« Bon et bien tout ça est intéressant mais plutôt décousu et assez farfelu … Si vous pouviez réécrire votre curriculum vitae à l'endroit, on vous rappellera plus tard »
« Plus tard ? C'est que je n'ai plus beaucoup de temps car je voudrais profiter de ce parachute pyramidal doré que je viens d'inventer »
« Un parachute doré dites vous ? Attendez une petite minute Monsieur … Monsieur comment déjà ? »

(Soupir)

13 février 2021

Tagadam Tagadam (Vegas sur sarthe)

 

Au pénitencier où j'ai la malchance de séjourner nous n'avons pas un grand choix d'activités sportives, en fait il n'y a qu'un choix possible : la fabrication de masques jetables ou le concassage de pierres pour le chemin de fer.
Alors j'ai choisi le grand air plutôt que le confinement, je dirais que j'ai enfin trouvé ma voie, une voie ferrée comme moi mais lesté d'un boulet de trois ans.
Jusqu'alors j'avais rêvé d'embrasser une carrière de baveux ou d'avocat mais à la vue de celle qui se dresse devant moi – un mur de calcaire siliceux de cinquante mètres de haut – je réalise que je suis à tout jamais passé dans l'autre camp.
La ballastière ça n'est pas une matonne qui surveille les taulards, c'est juste un rocher qu'il s'agit de hacher menu ; l'ingénieur appelle ça concasser et c'est bien vrai qu'on a l'air de cons cassant la roche en petits morceaux de trois à cinq centimètres.
L'ingénieur appelle ça la granulométrie, moi j'appelle ça du foutage de gueule ! Manquerait plus que ça qu'il nous oblige à les mesurer quand on sait à quoi ça va servir au bout du compte !
On dit que le ballast ça sert à caler les traverses des rails pour que ça fasse un bruit envoûtant genre tagadam tagadam qui plaît tant aux gonzesses des trains de nuit qu'ont du vague à l'âme et aux gonzes qu'ont une seule envie … les sauter !
C'est pas ça qui me donne du coeur à l'ouvrage ; avec ou sans tagadam j'ai envie de sauter toute la rame jusqu'au conducteur, c'est vous dire à quel point Germaine me manque.
Si elle me voyait cassant du caillou alors que je ne sortais même pas la caisse du greffier, elle ne reconnaîtrait pas son mec.

Aujourd'hui j'ai eu une promo, j'ai été muté au compactage.
Le compactage c'est pas des cons qui font des paquetages.
J'explique : Faut pas croire qu'on balance le ballast comme ça sous les rails sans compacter et que ça va durer à perpète ; pour compacter on enfourche une bourreuse.
Allez pas vous imaginer des trucs salaces, la bourreuse c'est juste une grosse machine à bourrer le ballast, un engin vibreur qui vous refile un Parkinson et qui vous fait perdre vos ratiches si vous fermez pas votre clapoir.
L'ingénieur dit que c'est normal et que 42 Hertz c'est la fréquence idéale pour vibrer le ballast mais lui et moi on n'est pas sur la même longueur d'onde et j'ai toujours pensé que Hertz c'était juste un loueur de bagnoles.
Dieu seul sait pourquoi j'ai commencé à m'intéresser aux fréquences et surtout à celles qui font du bien. C'est devenu une passion.
J'adore en particulier le 432 Hertz qui était le LA de Beethoven, Bach, Mozart et quelques autres ; c'est la fréquence la plus chaude pour se connecter à ses émotions, bien loin de celle de la bourreuse, alors faut pas s' étonner que ça vous remue les tripes au point d'en chialer.
J'aime aussi le 741 Hertz – c'est un SOL – qui vous flingue les vilaines toxines du corps et puis le 963 Hertz – c'est ainsi et c'est un SI – qui vous … pourquoi je vous bassine avec tout ça ?
Ça vous intéresserait ?
Alors j'en causerai peut-être si je descends un jour de cette bourreuse.

 

 

6 février 2021

Le chakra Sacré (Vegas sur sarthe)


Ce matin au comptoir du bar Chez Kévin & Kevina, Paulo a la mine des mauvais jours.
« T'as pas l'air en forme, Paulo ? »
« Non … d'ailleurs tiens Kévina, sers-nous donc deux aligotés mais des vrais, hein … avec un zeste de ton gel hydro-alcoolique »
« Alors qu'est-ce qu'y t'arrives Paulo ? »
«C'est l'Henriette, depuis qu'on a reconfiné le troupeau elle est pas dans son assiette »
« L'Henriette c'est la blanche avec une tache sur le cul ? »
« Non, l'Henriette a pas de tache sur le cul, c'est ma femme, espèce de beuzenot ! »
« Ah … et  tu l'a traînée chez le toubib ? »
« Ouais, il lui a prescrit de la lithothérapie »
« C'est quoi ce médoc ? »
« Faut porter une pierre autour du cou, il a dit une abalone ou comme qui dirait un ormeau »
« Un ormeau ? Tu veux dire comme si on portait un mollusque en pendentif ? »
« Ouais c'est un peu ça, mais y'a pas d'odeur ... c'est une pierre qu'y z'appellent aussi une oreille de mer »
«Alors c'est mieux d'l'avoir en boucles d'oreille, pas vrai Paulo ? »
« J'sais pas, c'est sensé donner des vibrations énergétiques »
« Et alors, tu la sens vibrer l'Henriette ? »
« Bof … pas plus que d'habitude. Le toubib dit qu'ça doit lui activer le chakra Sacré au niveau du bas-ventre »
« Moi pour ça j'sors un vieux marc de Bourgogne, celui qu'mon père avait distillé pour fêter l'élection d'René Coty en 54 ! »
« Ah ouais, j'me rappelle ! On l'avait bien arrosé le Coty ! »
« Ouais … pour c'que ça a servi … et qu'est-ce qu'elle en dit de son ormeau l'Henriette ? »
« Et ben elle dit qu'c'est quand même malheureux qu'y faut qu'elle soit malade pour que j'y offre un bijou ! »
« Méfie toi Paulo qu'elle soit pas malade à tout bout d'champ. Elle pourrait faire une fixation sur les mollusques »
« C'est sûr ! D'autant qu'sa pierre y faut la purifier et la recharger toutes les semaines »
« Ah ? Y'a une pile ou une batterie dedans ? »
« Non … ça s'nettoie à l'eau salée et ça se recharge au soleil ou à la lune, c'est comme on veut ; ça dépend si on veut la recharger le jour ou la nuit »
«Donc ça marche comme ma clôture électrique »
« Ouais … ou bien y disent que ça se recharge en la posant sur une fleur de vie »
« Une fleur de vie ? Y s'foutrait pas un peu d'vot' gueule ce toubib ? »
« C'est écrit sur la notice … la fleur de vie c'est un symbole sacré mais ça marche pas si t'y crois pas »
« Mon pauv' Paulo, le jour où y faudra une notice pour siffler un vieux marc de Bourgogne, ce jour là les poules auront des dents ! »
« Alors tu crois qu'on s'est fait avoir ? »
«Vous verrez bien, en tout cas si l'Henriette se met à vibrer du bas-ventre, tu pourras m'prêter le bijou pour la Germaine ? »
« On verra ... »

30 janvier 2021

Rrrahh ! (Vegas sur sarthe)

 

Impatient de peaufiner ma technique au scrabble et surtout de pouvoir décoder les pensées de Germaine lors de nos échanges verbaux et autres Blablabla, je m'étais inscrit à un cours d'interjections.

Passés les Bonjour et les Merci des présentations d'usage, je progressais vite selon mon professeur Mademoiselle Angèle, une charmante et callipyge brunette qui exerçait chez elle au sixième étage de notre immeuble.
Jusqu'alors j'ignorais qu'il existât autant d'expressions de nos émotions spontanées mis à part les classiques Aïe, Merde et Putain qui ponctuaient mes coups de marteau lorsque je m'exerçais au bricolage.

J'entendais souvent Mademoiselle Angèle s'entraîner le soir et ses Oôôh, ses Aââh, ses Hardi et ses Taïaut avaient fini par devenir gênants, pourtant elle me fit commencer par des choses plus classiques, des Jarnicoton, Morguienne, Palsambleu ou Saperlotte que je recopiais sans grand enthousiasme car elles me paraissaient difficiles à caser dans la conversation courante.
Penchée sur ma copie Angèle émettait de temps en temps des Hum d'encouragement aussi lorsque j'eus suffisamment bavé sur ma feuille et lorgné dans son vertigineux décolleté, j'osai des Euh et des Fichtre que je traduisis de ma plus belle écriture.

Je fus alors invité à passer de l'écrit à l'oral ; j'appris que les Oh et les Ah se créent dans les formants, cette forme intérieure de la bouche qu'on nomme le bol vocal et que Mademoiselle Angèle se permettait d'arrondir d'un doigt à la fois expert et viril …
J'appris aussi à émettre le fameux point d'exclamation qu'on appelait jadis point d'admiration et dont Mademoiselle Angèle ornait ses Oooh et ses Aaah nocturnes.
On était alors très éloignés du scrabble mais ça ne me déplaisait pas.
J'appris une foule de choses et surtout que Non pouvait signifier Oui et que Au secours pouvait vouloir dire Super !
Aussi me jetai-je sur Angèle lorsqu'un jour elle m'envoya un Zut sauvage et rugissant à la figure.

Depuis ce jour Germaine et moi avons déménagé dans un tranquille petit pavillon de banlieue, loin des Vroom, des Tagadam, des Pouet-Pouet et autres Tûtûtû et je suis toujours aussi nul au scrabble, zut !

 

23 janvier 2021

Un sac de noeuds (Vegas sur sarthe)


Depuis le temps qu'il jouait avec sa toupie en bois de tilleul – un toton qu'il avait tété et suçoté quand il était bébé – Niam s'ennuyait grave dans la grotte familiale et son unique jouet avait fini par faire un trou dans la lourde table faite de « grès et de force » comme disait le père en grommelant ...
Le père, l'oncle et les grands frères de Niam partaient chaque matin à la chasse à l'aurochs – perdant ainsi leur place – pour rentrer brecouilles le soir tandis que la mère s'éreintait à piler des céréales à longueur de temps en attendant le retour pitoyable des branquignols.
Quant à tata Yoyo, la tante grincheuse et moustachue affublée d'un grand chapeau à grelots ne cessait de chantonner la même rengaine qui faisait 'ding ding di gue ding' en mâchonnant une peau de bison pour tenter de l'assouplir.
Il était grand temps que Niam se trouve un nouveau jouet car il était hors de question qu'il emprunte une des deux souillons de sa petite sœur France, des poupées qu'elle avait baptisées – Dieu seul sait pourquoi – de Cire et de Son.

Niam sortit un pied de la grotte pour aller-voir là-bas-s'il-y-était mais il n'y était pas et comme il s'ennuyait toujours aussi ferme il emprunta la piste de terre en promettant de la rendre à son retour.
Il passa devant la grotte de la voisine que sa mère appelait curieusement la Pétasse sans s'y arrêter car elle n'avait parait-il que des jouets pour les grands et pas mal de gestes obscènes aussi.
Plus loin il tomba justement sur les deux fils Pétasse occupés à pêcher des grenouilles-taureau avec du fil de chanvre et une sorte de moulinet en bois de moulinet … mais brecouilles eux aussi, ils lâchèrent leurs gaules en pestant pour aller bander leurs arcs à bonne distance de Niam.
Resté seul Niam entreprit de démonter le petit moulinet en bois de moulinet d'une des gaules et y enroula patiemment le fil de chanvre.
Ayant attaché le fil à son petit doigt – celui qui lui prédisait une trouvaille de génie – il projeta le moulinet au loin et lui imprima malencontreusement un mouvement de va-et-vient qui le fascina au plus haut point.
Il exécuta bientôt quelques figures acrobatiques et finit par en faire un magnifique sac de nœuds.
La sérendipité aidant, le yoyo était né et il le baptisa ainsi en pensant au va-et-vient rengaine des mandibules de sa tata sur la peau de bison …

Serrant son sac de nœuds contre lui tel un trésor, Niam reprit la piste de terre et la rendit comme convenu avant de remettre les pieds dans la grotte pour exhiber son nouveau jouet à la famille rassemblée.

Apprenant que l'objet venait de chez les Pétasse, le père fit semblant de monter sur ses grands chevaux de Przewalski – un nom à coucher dehors comme beaucoup d'animaux à l'époque – et déclara qu'il se devait de le rapporter à la voisine en mains propres et séance tenante, ce à quoi la mère répondit qu'il n'était pas question de séance tenante ni d'aucune autre séance non plus.
Si à cette époque on avait plutôt l'habitude de traîner les femmes par les cheveux pour leur apprendre la politesse, la mère de Niam ne s'en laissait pas conter ; les grands frères acnéiques ayant ricané un peu trop fort, la mère les envoya se coucher sans manger après quoi elle servit la soupe à la grimace, le plat traditionnel des grandes occasions comme celle-ci.
Niam récupéra son cher sac de nœuds et cette nuit-là il eut beaucoup de mal à dormir.  

16 janvier 2021

Fèques niouses (Vegas sur sarthe)

 

An de grâce 4 après Mauricette.
Il semble que la variante n°28 de la Covid 19.0 ne soit ni plus ni moins que la variante n°1.

La boucle semble bouclée et dans la petite bourgade de Pandémy-Moncul, victime collatérale d'un jumelage sauvage, deux clients masqués échangent des brèves derrière une barrière de gestes au comptoir du bar Chez Kévin & Kevina.

« T'as vu ça Paulo ? Après de patientes recherches Interpol vient de démasquer le patient zéro »
« Y z'auraient pas plutôt démasqué le patient Zorro ? »
« Déconne pas Paulo, c'est une info sérieuse »
« Bon, et c'est qui ? »
« J'te l'ai dit ...Zéro »
« Non mais c'est quoi son vrai nom ? »
« Il a un nom à coucher dehors … d'ailleurs y couchait dehors »
« Et c'est comment ? »
« Tu sais Paulo, coucher dehors ça doit pas être drôle »
« Non, j'te demande, c'est comment son vrai nom ? »
« C'est écrit Emilio Alfredo Diego Zéro »
« Ça fait beaucoup de 'O'. C'est louche. Et y faisait quoi avant d'coucher dehors ? »
« Parait qu'il avait monté une boîte de xylophones qui s'est cassé la gueule avec la crise »
« C'est pas un métier ça »
« C'est écrit Importateur de xylophones »
« Et c'est quoi un stylophone ? »
« J'en sais rien … Germaine ! Germaine tu pourrais répondre quand j'te … Oups … Je m'es gouré. Kévina ! Kévina, c'est quoi un xylophone ? »

Encyclopédie vivante et branchée, Kévina pose son torchon pour ouvrir une tablette grasse et crasseuse qui traîne sur le zinc de même couleur.
Quelques instants plus tard la réponse arrive, lapidaire : »Instrument de musique de la famille des idiophones »
« T'entends ça Paulo, c'est un idiophone »
« Idiot phone ! Ça m'étonne pas. Faut être beusenot pour se faire choper par Interpol »
« Ecoute ça encore … ce Zéro refourguait des marimbas colombiens en guise - en guise, en guise - de xylophones après les avoir traités au xylophène frelaté à la graisse de pangolin !»
« C 'est sûr qu'y faut être patient et nul pour faire ça »
« C'est bien à ça qu'on reconnaît un patient zéro chez Interpol, Paulo. Toi qui sait tout Kévina, tu connais la Colombie ? »
«Ouais. J'connais Shakira »
Un ange passe au dessus du percolateur, fredonnant des bribes de Waka Waka.

« Au fait tu lis tout ça dans quel canard ? »
« Dans Le Covide Libéré, Paulo. Y sont forts pour les détails»
« Ouais, moi j'lis le Covide Enchaîné, c'est moins détaillé mais c'est plus saignant»
« Tu sais Paulo, c'est kif-kif bourricot, libéré ou enchaîné t'es toujours otage des médias et de leurs fèques niouses »
« Tiens à propos d'fèques niouses, il est enchaîné ou déchaîné le MacDonald ? »
« Aucune idée … Kévina ! Kévina, t'as des infos sur MacDonald ? »
Deux secondes plus tard, la réponse arrive, concise et vénéneuse :«J'fais d'la cuisine de terroir moi, pas du Beurgueure amerloque ! »
« Laisse tomber Kévina, remets nous plutôt deux aligotés … mais des vrais, hein … avec un zeste de gel hydro-alcoolique »

 

9 janvier 2021

Sans respirer (Vegas sur sarthe)


Je me souviens parfaitement que nous étions le dimanche de l 'Epiphanie – ce jour si particulier où l'on tire à la fois les reines et les rois – aussi étais-je impatient de retrouver Germaine pour satisfaire goulûment à cette tradition quand le bel oiseau aux couleurs d'une compagnie battant de l'aile qui me ramenait d'un déplacement professionnel décida de chuter brutalement du septième ciel vers ce plancher qu'on attribue aux vaches à lait, drivé de la main novice d'un pilote que j'imaginais à la fois boutonneux, exsangue et cramponné à son manche, provoquant l'apparition inopinée mais non moins charmante de deux petites mais fières montgolfières appartenant ostensiblement à ma non moins charmante voisine qui entreprit de les remballer de mains expertes tout en m'expliquant par le menu l'origine du phénomène de pesanteur sur les corps célestes et ses conséquences fâcheuses dont elle mesurait le poids et la portance à chaque fois qu'elle prenait l'air mais qu'elle assumait orgueilleusement au nom de sa condition de femme libérée d'autant plus qu'elle se trouvait être directrice technique d'une grande maison de lingerie à laquelle on attribuait la découverte de cet objet pigeonnant dont j'ignorais tous les secrets et qui m'en révélait tant et tant (tant à gauche qu'à droite) au point qu'il me fallait dès notre atterrissage courir en acheter un exemplaire pour ma Germaine qui avait toujours rêvé de ressembler à Adriana Quarantedeux... voire plus et j 'en étais là de mes calculs lorsque ma pigeonnante voisine mit un point final à son discours ampliforme, nous offrant à tous deux l'occasion de respirer alors que quelques points que l'on qualifie de suspension m'auraient peut-être autorisé à prendre – si j'ose dire – les choses en main afin d'entériner sa théorie par quelques travaux pratiques.

Bref, si vous avez pu lire ce récit sans reprendre votre respiration, vous comprendrez aisément dans quel état je me trouvais et compatir aux efforts des deux ambulanciers du SAMU qui m'ont ramené à la vie sur le tarmac ...

2 janvier 2021

Du monde au balcon (Vegas sur sarthe)


Pour notre énième anniversaire de mariage je lui avait offert une magnifique ipomée bleue, une de ces plantes synonymes de déclaration d'amour d'après la jolie fleuriste qui est férue des choses grimpantes.
J' y avais même ajouté une jolie citation calligraphiée de Raymond Queneau que j'aime beaucoup et qui dit : « c'est en lisant qu'on devient liseron » car j'ai toujours été plus fort en écrits qu'en paroles.
D'ailleurs Germaine me disait toujours « Tu n'es pas très volubile » , ce à quoi je lui répondais qu'elle l'était pour deux, ce qui ne vous surprendra pas depuis que vous avez appris à la connaître ...
J'avais hésité à prendre des impatiens ou des immortelles mais la fleuriste qui est aussi philosophe à ses heures me l'avait fortement déconseillé.

C'est ainsi qu'une ipomée avait pris place sur notre balcon puisque Germaine ne supporte pas les plantes à l'intérieur au prétexte que ça salope l'appartement à cause de l'arrosage et de toute cette terre que le greffier gratte pour y pisser.
Donc l'ipomée grimpait puisque c'est sa nature le long de la gouttière qui descend des étages supérieurs et en quelques semaines à force d'arrosage elle finit par atteindre le balcon de notre affriolante voisine du dessus qui se trouve avoir également d'affriolants dessous, bref …

L'ipomée – vibrant et grimpant symbole de notre parfaite union des cœurs et des corps – en vint à s'immiscer chez cette « traînée » comme l'appelait Germaine, créant ainsi une sorte de liaison dangereuse, comme une corde à noeud que Germaine s'empressa de me soupçonner d'emprunter pour rejoindre la bougresse.
Les remontrances de Germaine ayant grimpé au rythme de la plante, je courus m'en ouvrir à la jolie fleuriste qui est philosophe à ses heures et très délurée le reste du temps.
Elle m'entraîna dans son arrière-boutique qui sentait la rose, le jasmin et plein d'autres fragrances insoupçonnées et … j'en ressortis comblé avec une énorme ortie décorative.
Perplexe, je rapportai l'urticant « symbole de cruauté » à Germaine qui s'empressa de la substituer à l'ipomée tentatrice.
 J'y avais joint une jolie citation d'un illustre inconnu qui disait : «L'amour est un jardin fleuri et le mariage un champ d'orties » dont Germaine ne prit pas ombrage, convaincue que notre nouvelle plante calmerait la hardiesse de la voisine du dessus aux jolis dessous … et c'est ce qui
arriva.
Depuis ce jour notre balcon est envahi, le chat fait la gueule et moi aussi.
La soupe de Germaine a désormais un drôle de goût mais quand on aime ne pardonne t-on pas tout ?

(Oui je sais, ne pardonne thon patou... ça fait un peu nourriture pour chat)


26 décembre 2020

Faut pas pousser mémé (Vegas sur sarthe)


Sur la porte de l'officine il y avait une grosse plaque mais différente de celles qui m'étaient apparues un peu partout sur le corps.
Il y était écrit en lettres dorées « Comte Potard, apothicaire »
Je me suis gratté la tête avant d'entrer.
Un grand type trônait derrière le comptoir avec un regard de cocker mais il n'avait rien d'un comte à part un gilet garni de petits boutons suspects qui ne m'inspirait pas confiance.
« Vous êtes vraiment comte ? » ai-je demandé en me grattouillant.
Il m'a toisé de toute sa grandeur : «Z'avez jamais entendu parler des Comtes d'apothicaire ? »
Je n'avais pas fait le rapprochement.
« J'espère que vous ne soignez pas que les calculs, je voudrais quelque chose pour arrêter de me griffer » ai-je supplié.
« Vous faites quelle pointure ? » me demanda t-il en s'approchant pour me prendre la main.
J'ignorais que les comtes – fussent ils apothicaires – avaient des manières si cavalières.
Cet espèce de grand comte n'avait ni queue-de-pie ni jaquette flottante et figurez vous qu'il voulait tout bonnement me refiler une paire de gants en latex !

« J'ai besoin d'une médecine pour soigner ces plaques rouges que j'ai chopées sur le corps » ai-je rugi en me labourant le dos de ma main libre.
Il lâcha enfin l'autre main : «Je vois... vous êtes en train de nous faire une poussée de fièvre ortiée »
Ce NOUS ne me disait rien qui vaille ; on n'avait pas gardé les gueux ensemble, ni les soubrettes.
J'étais perplexe : «C'est quoi une fièvre ortiée ? »
Sur les étagères trônaient des bocaux remplis de formol où ricanaient des crapauds à deux têtes.
Il prit un air inspiré, l'air du cocker devant une gamelle de croquettes pour  chat: «Nous désignerons ça par poussée d'urticaire
celle qui autrefois ravagea la mouquère »
J'étais perplexe comme je l'ai déjà dit : «Vous êtes obligé de vous exprimer en alexandrins ? »
Ignorant ma question il continua, le bougre : «Prenez donc ce flacon de poudre de calcaire
à laquelle j'ai joint la fleur de persicaire »
Ça commençait à être lourdingue toutes ces rimes en caire ; j'ai failli prendre un joker mais j'ai juste pris son flacon tout en m'épluchant les épaules.
« Ça coûte cher ce machin? » me suis-je inquiété en redoutant une rime en découvert bancaire.
« Une plaque » a t-il simplement lancé en entrebâillant son tiroir-caisse.
Décidément on nageait dans les plaques me dis-je en écorchant mes bras.

Alors je lui ai refilé une plaque d'une main tremblante – c'était toujours une de perdue – et j'allais sortir quand il m'a demandé : «Vous sucrez souvent les fraises ? »
Dans trente secondes il allait me diagnostiquer un Parkinson et me vendre une décoction à base de bébé crocodile et de bave de salamandre.
Je suis parti tout en m'arrachant la peau des fesses.
Croyez moi, je ne suis pas prêt de retourner folâtrer dans les orties avec Germaine !

19 décembre 2020

Belle époque (Vegas sursarthe)

 
Martine trottine.
Par la fenêtre d'un appartement cossu, Monsieur Bourgeois lorgne Martine traversant la place de la Concorde d'un pas léger pour enfiler la rue Royale.
Martine trottine... elle ne sait pas faire grand chose d'autre mais ça elle le fait bien.
« Petite main mais pied léger » se plaît à dire Monsieur Bourgeois quand Madame ne sait que vilipender « Martine mutine et gourgandine ».

Au numéro 16, Martine pénétrera chez Ladurée et comme chaque samedi vers 10 heures achètera les macarons préférés des Bourgeois... fleur d'oranger et rose clémentine.
Ce matin comme chaque samedi Martine fait halte au numéro 3 chez Maxim's car Martine tapine... elle ne sait pas faire grand chose d'autre mais ça elle le fait bien.
Elle y a sa « chambre d'amour » où Monsieur Toulouse Lautrec s'en vient parfois la croquer entre deux passes peu lucratives...

Sur le chemin du retour Martine trottine et s'empiffre quelques macarons en saluant le chasseur de l'hôtel de la Marine d'une oeillade assassine.
A la fenêtre de son appartement cossu Monsieur Bourgeois consulte sa montre de gousset ; Martine est en retard et il manquera quelques macarons comme à l'accoutumée.
Au petit salon, devant son thé réchauffé Madame Bourgeois fulmine : Martine lambine... elle ne sait rien faire mais ça elle le fait bien.

 

12 décembre 2020

Mon beau sapin (Vegas sur sarthe)


Dans notre petit salon où trône le sapin aux couleurs de Noël débarque une Germaine flamboyante et enrubannée...
« Comment tu m'trouves, mon biquet ? »
Je lève un œil... oui je sais, je pourrais me forcer à lever les deux.
« Ça change carrément de Noël dernier, ma biche »
« Tu crois quand même pas que j'vais faire tous les ans pareil ! C'est bien les hommes ça »
« Quand même ma biche, c'est pas un peu excentrique ces deux grosses boules tout en haut ? »
« C'est pas des boules excentriques, c'est des boucles Lola Van Der Keen à 90 balles»
« Ouais, et cette étoile sur la tête, c'est alambiqué, non ? »
« C'est pas une étoile, c'est un pic de chignon de chez Veranno à 60 balles »
« Ah... et cette guirlande mauve, je trouve ça inutilement compliqué »
« Quelle guirlande ? Un plumetis fuchsia de chez Moa à 85 balles»
« Ah quand même... et la paire de chaussons au pied c'est nouveau ?»
« Des Louboutin à 200 balles chez Vinted ! Môssieur appelle ça des chaussons »
Germaine fulmine et me toise du haut de ses escarpins rouges.
« Ma biche, c'est pas la peine de m'enguirlander, j'ai seulement cru que tu parlais du sapin»
(Soupir)
Un ange passe.
J'ignore qui a inventé cette image d'un ange qui passerait... celui-ci passe en rase-motte sur le sapin illuminé et disparaît en ricanant.
Germaine fait la gueule : « Je te parlais de ma toilette et je me demande bien pourquoi je te demande ton avis »
« Si tu veux un avis ma biche je dirai que la simplicité est la sophistication suprême »
«J'peux savoir à qui t'as piqué cette citation ? »
« C'est de Vinci »
« Vinci ? Celui qui gère les autoroutes ? »
« Non ma biche... Léonard de Vinci. Entre l'invention du parachute et celle du roulement à billes Léonard de Vinci a pondu des citations et même croqué la Joconde »
«N'importe quoi.  Il a bouffé la Joconde ? »
« Non, il l'a juste léchée... enfin il l'a peinte, quoi »
« Ouais, et le parfum ? Môssieur n'a aucun avis sur le parfum ? »
« Hum... j'y connais pas grand chose à part Nordmann et Epicéa »
« Mufle ! T'es incapable de reconnaître une eau de parfum Yves Saint Laurent à cent balles »
«Cent balles ! Ton eau de parfum doit venir du Saint Laurent à Montréal et y t'ont fait payer le voyage, ma biche »

La biche en question se retire dans la chambre avec sa guirlande et ses boules de Noël.
J'ose une dernière boutade : »Attention, tu perds tes aiguilles »
Germaine se retourne, offensée: »Ça risque pas... c'est des Louboutin, Môssieur »

5 décembre 2020

Une bonne grippe (Vegas sur sarthe)


« Alors docteur, c'est grave ? »
J'étais là depuis la veille mais le docteur eut l'air de me voir pour la première fois : »Qu'est-ce qui vous amène ? »
J'étais sûr qu'il poserait cette foutue question.
Comme à chaque fois je répondais « Le 37 » et on me disait que « 37 c'est rien du tout parce qu'il y en a qui peuvent monter jusqu'à 41 » et je répondais que c'était « le bus 37 qui m'amène parce que c'est le plus direct pour venir de chez moi à l'hôpital alors que le 41 passe par le centre ville qui est toujours encombré et... » et ça soupirerait et je reposerais ma question «Alors docteur, c'est grave ? »

Lui aussi avait soupiré : »J'ai du boulot et vous avez juste une bonne grippe »
« Parce qu'il y en a des bonnes et des mauvaises ? »
Il allait me répondre mais un feulement le fit se pencher sous mon lit.
Il se releva vite : »C'est quoi cette bête sauvage? »
« C'est Roupie. Il ne me quitte jamais »
Il s'emporta : »C'est pas une clinique véto ici ! » puis il fronça les sourcils : »J'espère que c'est pas un pangolin »
J'ignorais qu'il y avait des gens qui câlinent des pangolins : »C'est mon chat docteur. Vous êtes sûr que j'ai juste une grippe ?»
Eludant la question le docteur s'impatientait : »N'oubliez pas de régler 30 euros à l'accueil en sortant»
Les maux de tête m'avaient repris : »C'est pas une maladie infectieuse émergente de type zoonose virale au moins ? »
Il hocha la tête : »Non... ces trucs là c'est pas du 30 euros, c'est bien plus cher »
« Ah bon... »
Ça marchait donc comme ça les maladies.

Il revint vers moi en grimaçant : »Attendez une minute. Vous dormez bien ? »
« Euh... je pionce pas trop mal, enfin je somnole... »
Il insista : »Vous pioncez, vous somnolez ou vous roupillez ? Faut être précis ; on ne plaisante pas avec le sommeil, Monsieur»
Roupie ronronnait sur mon ventre.
« Ça dépend Docteur » - je ne sais pas pourquoi je lui avais mis une majuscule à cet instant - « vous savez on ne dort jamais vraiment avec un chat »
Il leva les yeux au plafond : »J'en sais rien, moi je dors avec une truie... »
J'étais tombé sur un docteur en veine de confidences intimes et il était temps que je règle mes 30 euros avant de reprendre mon 37 mais il insistait le bougre : »Pioncer ou roupiller, ça change tout, voyez vous ».
Roupie m'adressa un regard suppliant. J'avais oublié ses croquettes.
« Vous n'auriez pas des croquettes au poulet ? » osai-je.
Derrière lui l'infirmière pouffait. J'ai trouvé qu'elle pouffait joliment et Roupie la trouvait mignonne aussi.
La veille j'avais eu droit à une infirmière ordinaire. Pourquoi dit-on des femmes ordinaires qu'elles sont grosses alors que les femmes sublimes sont simplement plantureuses ?
Ça ne pouvait pas être elle, la truie qui dormait avec ce docteur ; celle-ci avait tout ce qu'il faut pour partager le lit d'un... mec comme moi ?
Lui, je ne l'écoutais déjà plus. Il devait s'imprégner de Good Doctor à la télé et se gargariser de termes savants alors qu'il ne m'avait attribué qu'une bonne grippe !
Roupie a sauté du lit pour aller se frotter aux jambes de la belle infirmière.
J'en aurais bien fait autant mais je me suis contenté d'inhaler son parfum en passant la porte.
« Je vous accompagne à l'accueil » a t-elle dit avec la voix de Lauren Bacall dans Le port de l'angoisse tandis que sa hanche frôlait la mienne.
C'est pourquoi j'ai du monter à 41... ce 41 qui passe par le centre ville qui est toujours encombré mais je m'en fichais, Roupie et moi on était aux anges.

28 novembre 2020

Y'a pas d'quoi (Vegas sur sarthe)


« Quoi ? »
« Mais j'ai rien dit »
« Hum... mais tu n'en penses pas moins »
« Comment tu sais que je pense ? »
« Quand tu penses tu remues les lèvres »
« Moi, je remue les lèvres ? »
« Parfaitement, tu as remué les lèvres »
« Comment peux-tu dire ça alors que toi tu grommelles du matin au soir sans penser à rien»
« Moi je grommelle ? C'est bien la première fois qu'on me traite de grommeleuse »
« Parfaitement, tu grommelles »
« C'est parce que je ne sais pas faire deux choses à la fois »
« Pourtant quand on remue les lèvres c'est pour exprimer ce qu'on pense »
« Oui et bien moi je pense d'abord et je parle ensuite »
« Madame ne fait jamais rien comme les autres, forcément »
« Et Môssieur ne supporte pas que je me démarque, que je me distingue, que je m'élève au dessus de la masse... »

(Soupir)

« Quoi ? »
«Je n'ai toujours rien dit »
« Tu parles ! Ton attitude parle pour toi »
« Quelle attitude ? »
« Cette façon que tu as de me regarder et de remuer les lèvres sans parler »
« Moi, je remue les lèvres ? »
« Parfaitement, tu as remué les lèvres »
« Je vais te tourner le dos et le problème sera réglé! »
« C'est ça... profite en pour prendre toute la couette et pour parler dans mon dos »
« Si je te tourne le dos, je ne pourrai pas parler dans ton dos »
« Môssieur joue sur les mots »
« Pour jouer sur les mots il faudrait encore que je parle »
« Je n'en démordrai pas, tu as remué les lèvres »

(Soupir)

« Quoi ? »
« Ah là c'est toi qui vient de dire Quoi »
« Ça doit être l'écho de ton dernier Quoi. Et puis je ne vois pas pourquoi je ne dirais pas Quoi moi aussi »
« Et pourquoi tu dirais Quoi ? »
« Euh... c'est un défi que je me suis lancé comme ça »
« Autrefois le samedi matin sous la couette Môssieur faisait autre chose que se lancer des défis »
« Oui Madame, je me lance des défis pour me démarquer, pour m'élever au dessus de la masse... »
« Très original. Félicitations »
« Y'a pas d'quoi »
« Comment ça Y'a pas d'quoi ?»

Moi, coi  (Soupir)

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Le défi du samedi
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