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Le défi du samedi
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23 mai 2015

Le cheval à bascule (Vegas sur sarthe)

Pourtant tout avait bien commencé.

Cette année là - alors qu'Al Capone et son mythe disparaissaient à la fleur de l'âge - naquirent David Bowie, Carlos Santana, Elton John et moi.

Fort heureusement ils n'avaient pas encore la notoriété qu'on leur reconnait aujourd'hui et donc ils ne firent pas d'ombre à mon arrivée.

A propos d'ombre, cette année là on la chercha beaucoup car ce fut une année de canicule, une année comme on les aime en Bourgogne, promesse de grands millésimes avec juste ce qu'il faut d'orages d'été pour relancer la végétation et obtenir une maturité inégalée des raisins.

Pas folle la guêpe, j'avais attendu début novembre et la fin des vendanges - cramponné à mon cordon ombilical - pour pointer ma tronche au sein de ma mère.

Ce n'est peut-être pas ce que j'ai têté de meilleur dans ma vie mais je n'ai pas protesté ni fait la fine bouche, d'abord parce qu'on ne parle pas la bouche pleine et parce que je ne parlais pas encore.

Quand j'ai commencé à le faire, tout le monde s'est pâmé, extasié alors que je n'avais rien d'important à formuler sinon quelques borborygmes qui signifiaient que j'avais faim ou sommeil ou les deux à la fois.

Déjà à l'époque une grande agitation régnait autour de moi, des choses que les grands appelaient des évènements et qui prouvaient qu'on était bien vivants.

Ainsi Fausto Coppi remportait son premier tour de France tandis que dans une autre discipline mais également en jaune Mao Tsé-toung proclamait la république chinoise alors que Boris Vian venait goujatement de cracher sur nos tombes... mais encore une fois je n'avais rien dit car on ne coupait pas la parole aux grands et puis je n'étais pas en âge d'avoir une tombe.

Je n'étais pas du genre à m'insurger et je suis resté assez longtemps ainsi d'humeur égale, flegmatique face aux petits et grands évènements qui survenaient, jusqu'à ce qu'on m'offre ce foutu cheval à bascule en sapin des Vosges.

Malgré bien des tentatives suivies de chutes spectaculaires je n'ai jamais réussi à le dompter, même en tentant de l'étrangler avec la corde de mon bilboquet tout aussi sauvage que lui puisque sa tige ne tomba jamais en face du trou!

A cet instant j'avais senti monter à l'intérieur de moi quelque chose de sauvage, une sorte d'agacement, d'irritation comme une vague d'exaspération venue du ventre et qui venait exploser jusqu'au sommet du crâne... alors j'ai jeté mon foutu cheval sauvage et mon bilboquet aux oubliettes, dans la cave comme on dit chez nous.

 

Le psy me regardait bizarrement: “Continuez”.

Plus tard, ça a été le tour de Margot.

Elle avait fait irruption dans ma vie avec le printemps et mes premiers boutons d'acné; ça faisait beaucoup de bouleversements à la fois et comme je ne pouvais rien contre le printemps et pas grand chose contre ces affreuses pustules (à l'époque l'acné se soignait avec du froid mais chez nous on ignorait les glaçons) c'est cette foutue Margot qui en a fait les frais.

Elle était gironde avec ses nattes blondes et ses grands yeux étonnés mais j'ai vite réalisé qu'elle aussi était indomptable, alors je l'ai rangée à la cave avec mon cheval d'où mes vieux sont venus la sortir en l'entendant chouiner.

Plus je grandissais et plus les vagues d'exaspération se rapprochaient et s'amplifiaient comme si mon ventre avait du mal à contenir une mer en furie.

Puis j'ai été appelé à troquer mes boutons d'acné contre ceux d'un treillis du 42ème régiment de transmissions à Rastatt en Allemagne où je passai une année à contenir mes vagues, bien aidé par cette infâme mixture qu'on appelle caoua mais qui contient avant tout des sédatifs.

Je contenais mes vagues et c'est tant mieux car j'étais trop éloigné de ma chère cave pour pouvoir y séquestrer tout ce qui m'exaspérait: rangers, MAS 36, casque lourd, tout un barda et aussi cette meute de sous-officiers qui aboyait comme de mauvais chiens et que j'aurais volontiers mis au trou.

On disait MAS 36 pour le fusil car parait-il les abréviations font moins peur aux appelés.

Enfin je fus libéré - comme on libère un esclave de ses chaînes - et, retrouvant ma chère cave j'entrai aussitôt dans la vie active après ces douze mois d'inaction.

 

La vie active est une manoeuvre compliquée qui consiste à se lever le matin et à se coucher le soir avec au milieu une alternance de moments d'agitation et de somnolence, de métro et de marche à pied, de grandes contrariétés et d'infimes satisfactions, comme le flux et le reflux des vagues d'un océan qu'on appelle carrière professionnelle.

Dans ce labyrinthe je croisais du matin au soir des Margot de tout poil - je veux dire des blondes, des brunes et des indéfinissables - des sténodactylos, des psychos, des intellos et des chefaillons, sortes de sous-officiers en uniformes d'actifs qui aboyaient comme de mauvais chiens ainsi que des tonnes de paperasses que j'étais censé trier selon d'improbables critères.

Autant dire que mes vagues d'exaspération avaient repris de plus belle et qu'on m'envoya souvent voir ailleurs si on y était!

Le psy avait l'air de dormir, pourtant il répéta: “Continuez”.

 

Pour calmer mes pulsions je trouvais un certain réconfort à “détourner” les plus belles paperasses que j'entreposais au fil des années dans ma chère cave, des bordereaux, des inventaires, des bilans, des tableaux d'amortissement, des récépissés, des fac-similés, autant de noms bizarres qui constituent le langage codé des actifs.

A chaque disparition de document c'était des suspicions, des remontrances et à chaque remontrance, c'était un dossier de plus qui venait alourdir mes étagères parmi les caisses de Chambertin et de Pouilly-Fuissé au point que la place vint à manquer dans ma chère cave.

C'était un signe. Il était temps pour moi de prendre ma retraite, comme on prend le dernier bateau du soir pour l'île d'Alcatraz, temps de quitter la vie active pour cette mer d'huile qu'est la non-activité.

Finies les contrariétés, les brimades, les ricanements mais finies aussi ces vagues d'exaspération sorties de mon ventre et qui venaient exploser jusqu'au sommet du crâne pour mon plus grand bien.

 

Cette fois le psy dormait tout à fait.

Depuis des mois et quand j'eus fini de brûler toute cette paperasse je commençai à m'ennuyer, j'étais comme mort.

Vous comprenez, je suis mort, MORT!!”

J'avais dû crier car le psy ouvrit les yeux, stupéfait de cette rafale soudaine dans le calme plat de son cabinet.

Je lui sautai à la gorge :”J'en ai marre!!”

Il se cabra comme l'avait fait jadis mon cheval sauvage en sapin des Vosges et tout en lançant quelques ruades pour me désarçonner il tenta de hennir, enfin... de crier, alors je serrai du mieux que je pus.

Combien de gens s'évertuent à couper le cordon avec leur psy, ce lien d'accoutumance, de dépendance, un piège, une foutue drogue.

Moi au contraire je serrais comme je pouvais l'invisible cordon de mes doigts.

On devrait toujours avoir une corde de bilboquet sur soi...

 

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16 mai 2015

Vous l'aurez voulu (Vegas sur sarthe)

Quelques jours après avoir pris possession de sa somptueuse villa,

Ernst Kazirra, rentrant chez lui, aperçut de loin un homme qui sortait,

une caisse sur le dos, d'une porte secondaire du mur d'enceinte,

et chargeait la caisse sur un camion.

Il n'eut pas le temps de le rattraper avant son départ.

Alors il le suivit en auto. Et le camion roula longtemps,

jusquà l'extrême périphérie de la ville,

et s'arrêta au bord d'un vallon.

 

(Dino Buzzati "Les journées perdues" in "Les nuits difficiles")

 

La caisse semblait lourde à porter, si lourde que l'homme dut la poser et s'asseoir dessus pour reprendre son souffle.

Comme il s'épongeait le front avec un grand mouchoir à carreaux en soufflant bruyamment, Ernst s'approcha de lui : “Je peux vous aider?”

C'était un petit homme ordinaire, bâti de guingois et très poussiéreux tout comme la caisse qui le supportait.

Le petit homme toisa Ernst, s'attarda sur l'élégant costume trois pièces et les chaussures vernies avant de bredouiller: “Euh... c'est mon défi”.

Il avait insisté sur le 'mon' avec un fort accent d'un pays d'Europe centrale... “croate ou serbe” songea Ernst.

Quel défi pouvait bien s'imposer ce petit homme ordinaire au point d'être obligé de charrier cette caisse assurément sortie de chez lui?

Et que contient-elle de si pesant?” demanda Ernst en décrivant un cercle circonscrit autour d'elle puisqu'elle était rectangulaire comme bien des caisses.

Le petit homme s'était cramponné à sa caisse comme à un radeau de survie avec ce réflexe qu'ont les gamins à qui l'on s'apprète à confisquer leur jouet.

C'est mon défi de la semaine passée qui a fait des petits” dit-il d'une voix basse, comme si on venait de lui arracher un inavouable secret.

Je ne comprends rien à tout ça” répondit Ernst, agacé par tant de mystère.

Le petit homme se glissa sur un bord de la caisse qui en comptait justement quatre: “Assieds-toi là sur un bord” dit-il “je vais tout t'expliquer”.

Le tutoiement surprit Ernst mais il s'assit tout de même sur un bord à côté du petit homme ordinaire, trop impatient de connaître son secret pour s'offusquer de tant d'impolitesse.

 

Ainsi le petit homme venait d'hériter par malheur d'une géode de Célestite qu'on appelle “Pierre des anges”, une pierre magique qui s'était mise à se reproduire à chaque lever du soleil.

Aux dires du garçonnet qui lui avait confiée, la pierre s'était “fâchée” alors qu'il tentait d'entrer en contact avec les anges au moyen de son smartphone... une sombre histoire de mise à jour d'un logiciel androïde à laquelle il n'avait rien compris?

Avant de risquer d'être enseveli sous une montagne de pierres ensorcelées le petit homme les tenait enfermées dans l'obscurité de la cave qu'il squattait jusqu'à ce qu'il apprenne la vente de la villa.

Il avait alors dû charger à la hâte toute cette encombrante famille et tentait maintenant de la mettre au frais mais surtout dans le noir en un autre lieu hospitalier.

Vous ne connaîtriez pas une villa inoccupée dans la région?” demanda le petit homme ordinaire sans se démonter, tout comme sa caisse.

Ernst n'en croyait pas ses oreilles, pas plus la gauche que la droite :”Et où ce garçon a t-il trouvé une telle pierre?” demanda t-il.

Le petit homme se gratta longuement le menton, fourrageant sa barbe de trois jours d'où quelques souvenirs finiraient bien par remonter en surface. Ernst s'impatientait, peu enclin à la pêche aux souvenirs.

Il a parlé d'un marchand... naturaliste... un certain Hertz... ou Hartz” finit-il par dire.

Ernst éclata :”Hartz? Alexis Hartz? Incroyable! Mais c'est mon beau-frère!”

Le petit homme avait fini de se gratter le menton, observait curieusement ce dandy en costume trois pièces et chaussures vernies qui gesticulait au bord du vallon et dont le beau-frère commerçait d'étranges pierres.

 

Le soir allait tomber sur les deux hommes singulièrement assis aux bords de la caisse quand Monsieur Hartz arriva sur un vélo d'un autre âge, un de ces vélos qu'on juge aux plaintes qui s'en échappent à chaque laborieux coup de pédale et qu'on s'attend à voir tomber en poussière...

Jetant à terre le vieux clou, il retira vivement les pinces qui emprisonnaient ses maigres mollets et tenta de recoiffer l'unique mêche de cheveux gris :”Ouvrez-moi vite cette caisse!” ordonna t-il au petit homme ordinaire.

Vous l'aurez voulu” dit ce dernier en jetant un regard inquiet vers le soleil toujours présent.

Pendant qu'il s'acharnait à déclouer un bord de caisse avec les moyens du bord, M. Hartz avait sorti d'une sacoche un bol de cuivre - peut-être de bronze - et une mailloche en bois, assurément de bois.

Que vas-tu faire?” demanda Ernst à son beau-frère tout en restant à distance respectable comme le font les gens en costume trois pièces et chaussures vernies.

Déjà le maillet tournait doucement sur l'arête du bol qui - vibrant sous le geste précis, circulaire et méthodique - libéra un son étrange, à la fois harmonique et inharmonieux.

Je dois nous réconcilier avec les pierres des anges” murmura M. Hartz en tournant le maillet d'une main comme pas deux...

 

Quiconque serait venu au bord du vallon ce soir là aurait pu observer l'étrange scène de trois hommes penchés sur une caisse d'où sortaient des fulgurances bleutées au son d'une singulière musique d'une richesse incomparable.

Sur l'horizon rougi du soleil couchant, un minuscule point noir se détachait, la maigre silhouette d'un gamin occupé à tapoter sur son smartphone.

Alors la musique mourut... un ange passait.

 

9 mai 2015

Le clou du spectacle (Vegas sur sarthe)

Approchez! Approchez!

Qu'est-ce que vous croyez? Que je vais vous faire les poches? Non, pas tout de suite...

N'allez pas vous mettre martel en tête... si je vous demande d'approcher ce n'est pas tant pour vous afin de mieux voir, que moi pour vous entendre.

A force d'avoir tiré sur la corde du tympan - depuis trente ans que je fais les marchés - j'ai le marteau de l'oreille collé à l'enclume, si vous voyez ce que je veux dire! Non?

Et bien ce charlatan de toubib dit que j'ai un problème d'apophyse mastoïde mais on n'est pas là pour se prendre la tête ou alors la tête d'un clou, Hi Hi, n'est-ce pas jeune homme?

 

Qu'est-ce que je tiens à la main, là?

Comment ça? Un bout de bois?

Mieux que ça, jeune homme. C'est une massue, comme un marteau vieux de 400 millions d'années... l'ancêtre de nos marteaux modernes.

Comment Monsieur? Euh, ça c'est une réplique! Si je possédais la massue originelle je serais riche et pas là à vous raconter mes “histoires”.

Tout ça pour vous dire que cet objet ne date pas d'hier! C'est dire s'il est utile, très utile, indispensable sinon pourquoi l'homme de Néandertal se serait-il décarcassé à l'inventer?

Comment Monsieur? Néandertal c'est seulement 250 000 ans?

Oui d'accord, j'ai un peu plombé les dates... c'est ce qui arrive à chaque fois qu'on en parle, on en rajoute un peu, c'est le défaut des bonimenteurs: on rabâche, on rabâche, on enfonce le clou, quoi... Hi Hi

A propos, qui a déjà eu à enfoncer un clou et pas l'outil adéquat sous la main?

L'outil adéquat... adapté, idoine, approprié quoi! Vous comprenez?

Comment jeune homme? Non, l'homme de Néandertal n'enfonçait pas de clous. Il aura fallu attendre l'âge du fer ou du bronze, enfin un autre âge quoi... Hi Hi

Comment? A quoi lui servait la massue?

Et bien il chassait le gros gibier avec la technique du lancer du marteau, comme en athlétisme avec un boulet au bout d'un câble.

Comment jeune homme? Si le câble existait au temps des massues?

Non mon garçon, le câble n'existait pas mais je connais un boulet tout près de moi!!

Comment petite? Il y en a un au fond de la mer dans... Le monde de Némo? Euh... je ne connais pas le nom de tous mes concurrents.

 

Revenons à notre marteau, ce précieux et indispensable outil dont aucun ménage moderne ne saurait se passer aujourd'hui sous peine de … devoir s'en passer.

Comment jeune homme? Si l'homme de Néandertal utilisait une liane à la place du câble pour lancer le marteau?

Ecoute gamin, le Néandertal et ses potes ont dû en avoir marre de faire des noeuds à leur liane jusqu'à ce que leur cousin d'Australie leur envoie des boomerangs pour leur petit Noël! Ca te va?

Mesdames, Messieurs, regardez bien avec quelle facilité je vais enfoncer ce clou de 4 cms dans ce bloc de chêne!

Comment Madame? Pourquoi le boulet du marteau ne fait que 4 kgs pour les femmes alors qu'il en fait plus de 7 pour les hommes? Heu... disons que c'est pour que les records de distance soient à peu près égaux...

Comment? Mais non! Je n'ai pas dit que les femmes lançaient plus mal que les hommes!

 

Revenons à notre marteau et à ce clou de 4 cms en acier galvanisé et comptez avec moi s'il vous plait... Un, Deux... je ne vous entends pas!

On n'est pas chez le commissaire-priseur! Ce qui se passe à l'instant ici c'est du lourd, du viril!

Allons! Un, Deux,Trois!

Et voilà, en troix coups seulement ce marteau incassable, indémanchable, équipé d'un noyau en graph...”

Comment Madame? En cinq coups? Mais j'ai compté jusqu'à Trois!

Comment ça j'ai compté deux fois puis trois fois? Est-ce ma faute si je ne vous entends pas?

Vous allez me rendre marteau à la fin!!

Non jeune homme! Ce n'est pas une blague vaseuse comme en fait votre père.

Comment Monsieur? Mais je n'ai pas dit que vous faisiez des blagues vaseuses! C'est votre gamin qui me le fait dire...

Comment ça? Si mes marteaux peuvent aussi enfoncer les “charlatans”? Mais je ne vous permets pas de toucher à un outil que vous n'avez pas payé!

Attendez! Ne partez pas Mesdames, Messieurs! Exceptionnellement aujourd'hui, le coffret de trois marteaux équipés d'un noyau graphite est à 49.99 euros!

Comment Monsieur? A 39.99 euros? Euh... D'accord.

 

 

2 mai 2015

Le bol chantant (Vegas sur sarthe)

"Quand j'ai connu M. Hartz, il était marchand naturaliste et faisait tranquillement ses affaires en vendant, aux amateurs de collections, des minéraux, des insectes ou des plantes. Chargé d'une commission pour lui, je m'intéressais médiocrement aux objets précieux qui encombraient sa boutique, lorsque, tout en causant avec lui de l'ami commun qui nous avait mis en rapport, et en touchant machinalement une pierre en forme d'oeuf qui s'était trouvée sous ma main, je la laissai tomber."

("Laura ou Voyage dans le cristal" de George SAND)

 

Au bruit qu'elle fit en percutant le séculaire parquet vermoulu, je l'imaginais déjà en mille morceaux mais il n'en fut rien.

Comme je me précipitais pour la ramasser, Monsieur Hartz me retint et m'expliqua qu'il fallait la laisser un instant reprendre ses esprits car il s'agissait d'une géode de Célestite qu'on appelle “Pierre des anges” et dont les cristaux aux reflets bleutés contiennent de rares minéraux utilisés dans bien des médecines dont le traitement des caries dentaires.

Comment un vulgaire caillou pouvait-il venir à bout de ce fléau que seule la roulette du dentiste savait anéantir dans d'horribles sifflements?

Pourquoi Pierre des anges? Quel drôle de nom” demandai-je en fronçant les sourcils.

Sa fréquence vibratoire se situe dans le spectre du Chakra alta-major et du Chakra laryngé” répondit-il gravement en ajoutant “... ce qui en fait un vecteur de communication approprié pour entrer en contact avec le royaume des anges”.

Pour moi tout ceci n'était que charabia et pataquès mais j'avais retenu l'essentiel: ce caillou d'apparence insignifiante permettait d'échanger des sms avec les anges!

Je ramassai délicatement le caillou magique et inspectai cette fente d'où pointaient des cristaux; ceux-ci restaient désespérément ternes, comme éteints.

Elle doit probablement être déchargée” dit Monsieur Hartz.

Et où met-on les piles?” demandai-je en la retournant en tous sens, ce qui n'en a aucun pour toute forme ovoïde qui se respecte.

Monsieur Hartz se mit à rire :“On la recharge en la plaçant tout simplement au centre d'un bol chantant”.

Je lui lançai un regard incrédule. Le petit homme me prenait pour un demeuré!

Dans un bol chantant?

Et pourquoi pas sur un tapis volant ou dans la gueule d'une chimère à queue de dragon?

 

Il était redevenu sérieux :”Le bol chantant est un bol tibétain que l'on fait vibrer ou chanter pendant quelques minutes. Pour une recharge complète de l'objet c'est à dire en quelques heures, on dispose trois cristaux de quartz autour du bol en prenant soin d'orienter les pointes vers le bol”.

Je restai la bouche ouverte tout le temps qu'il mit à fouiller dans sa caverne d'ali baba. Il en ressortit bientôt un bol de cuivre ou peut-être de bronze ainsi qu'une mailloche de bois.

Tu vas le faire chanter toi-même” chuchota t-il en me tendant la mailloche.

Comme je déposais l'oeuf magique dans le bol, je ressentis une soudaine et vive douleur derrière la tête, comme un coup de poignard au point que la mailloche m'échappa des mains et heurta le bord du bol.

J'ignore si Monsieur Hartz avait crié mais je crus bien que ma tête explosait!

Je fus surpris de me retrouver assis sur le parquet, le bol entre les jambes et l'oeuf brillant de mille éclats bleutés qui lançaient leurs éclairs sur les murs.

Monsieur Hartz s'était volatilisé et au plafond flottait un ange, une créature ailée et grimaçante ou peut-être souriante; je ne saurais préciser car c'est à cet instant que je m'évanouis tout à fait...

 

Quand je revins à moi, je constatai que l'oeuf de pierre avait fait des petits, cinq petites géodes aux reflets bleutés qui oscillaient joyeusement autour de leur “père” dans le bol chantant.

C'est alors que je réalisai que j'étais seul, désespérément seul dans une vraie caverne grande comme une cathédrale.

Les murs encombrés d'objets avaient disparu, tout comme l'ange au plafond et Monsieur Hartz.

J'étais seul avec un bol chantant, un oeuf de pierre er ses cinq rejetons.

Je réalisai à cet instant que j'allais vraiment avoir besoin de parler aux anges!

Je sortis mon smartphone de ma poche. Par miracle, j'avais du réseau. Je tapai ma requête “Chakra laryngé”.

La réponse me parvint, ou plutôt les réponses... trois mille quatre vingt résultats!

Je n'étais pas au bout de mes peines.

 

25 avril 2015

Les clés du 36 (Vegas sur sarthe)

Allo Ouatson? Cette enquête sur le cambriolage du Bureau des objets trouvés... ça avance?”

Euh... on a pris du retard inspecteur. Vous connaissez pas la dernière?”

L'expression 'Vous connaissez pas la dernière' fait partie des phrases qui ont valu à l'inspecteur La Bavure un traitement de choc anti-stress: “Dites toujours mon vieux”.

Et bien figurez-vous que ces ploucs avaient perdu les clés du Bureau des objets trouvés!”

(Soupir)

Et alors?”

Et bien quelqu'un les a trouvées et rapportées mais ils pouvaient pas les accepter puisque le Bureau était fermé à clé alors j'ai eu l'idée d'essayer les nôtres - celles du 36 quai des Oeufs Frais - puisqu'ils sont au 36 rue des Morillons, alors je me suis dit qu'entre 36 on pouvait...”

Arrêtez mon vieux. Cette enquête, ça prend tournure?”

Une belle tournure inspecteur. Ouatelse et moi-même avons commencé par l'historique de la rue des Morillons. Savez-vous que les morillons étaient des petits raisins noirs récoltés dans les vignes de Vaugirard et qui...”

Ca suffit mon vieux. On n'est pas là pour les vendanges! Quoi d'autre?”

Très intéressant, inspecteur. A quelques centaines de mètres de là se trouve l'église saint Antoine de Padoue!”

Et alors? Vous allez à la messe pendant l'service?”

Non. Saint Antoine c'est celui qui aide à retrouver les objets perdus! C'est marrant, non?”

Bon Dieu, vous avez que dalle sur le cambriolage?”

Euh... si, inspecteur. D'après l'inventaire il y aurait plus d'objets après le cambriolage qu'avant le cambriolage! C'est dingue, non?”

C'est quoi c't'histoire? Les voleurs apportent des trucs, maint'nant??”

Attendez, Ouatelse m'a fait une liste que j'ai... que j'ai perdue. Faudra que je lui demande de m'en refaire une à l'occasion”

Pourquoi elle est pas avec vous?”

Euh... Ouatelse est juste en face, au parc Georges Brassens”

Qu'est-ce qu'elle branle au parc? Elle bronze ou elle est partie s'bécotter sur les bancs publics?”

Non. Elle suit les traces, inspecteur... des traces de pneus”

(Soupir)

Allez-y, mon vieux... j'peux tout entendre”

Les types étaient à vélo ou à trottinette - on sait pas encore - alors Ouatelse est sur leurs traces”

Et vous pensez trouver quelque chose deux semaines après les faits? Vous débloquez mon vieux! Et dans l'Bureau c'était comment?”

Euh... Bien rangé inspecteur. Les robes de mariée avec les robes de mariée, les prothèses avec les prothèses, par contre j'aurais pas mis les statuettes religieuses avec les vibromasseurs... mais ça c'est un choix purement...”

Abrégez mon vieux! J'vous d'mande juste si c'était le souk ou pas et quels indices vous avez pu recueillir?”

Le premier indice inspecteur, c'est que les clés de notre 36 rentrent bien dans la serrure de leur 36!”

(Soupir)

Bon Dieu, on a du mouron à s'faire côté sécurité de l'état-major!! A part ça?”

Je me souviens des objets trouvés en trop, inspecteur: c'étaient deux masques de vélo et une pompe à Mickey”

Vous êtes sûr de ça?”

Excusez, inspecteur. C'étaient deux masques de Mickey et une pompe à vélo”

Deux cyclistes masqués! On progresse, Ouatson... on progresse. Allez récupérer Ouatelse et rentrez fissa”

On abandonne les recherches, inspecteur?”

(Soupir)

Ouatson! On dit abandonner quand on a commencé quelque chose...”

Euh... pour les masques et la pompe, inspecteur... on se demandait avec Ouatelse si c'était considéré comme des objets perdus ou des objets trouvés?”

Qu'est-ce que ça peut bien vous foutre?”

C'est rapport à l'enregistrement sur les registres, inspecteur”

(Soupir de fin)

 

 

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18 avril 2015

MST Option Blanc cass' (Vegas sur sarthe)

Quand Oncle Hubert nous réunit pour nous annoncer qu'il avait décroché une MST, on eut d'abord un mouvement de recul comme si un pestiféré débarquait dans la famille.

Cheu nous autres, on n'était jamais malade à part peut-être une fois quand le pépé avait eu sa drouille galopante à cause d'une orgie de pêches de vigne traitées anti-mildiou!

Quand Oncle Hubert a ajouté qu'il avait bien mérité sa MST, on a eu un second mouvement de recul en nous demandant bien ce qu'il allait dire pour sa défense et surtout si tante Anastazia était au courant des détails?

Quelle pouvait être la réaction d'une polonaise présentement occupée à la préparation d'un bortch aux haricots sur le délicat sujet d'une infection sournoisement contractée lors d'une chaleur extra-conjugale?

Il ne pouvait pas avoir berdauillé cette gouine de Rolande, ni la grosse Margot et ses relève-titi... donc, c'était la mère Fromageot, celle qui tenait l'écluse n°33 ?

Un troisième recul nous eut flanqués dans l'arrière-cuisine mais comme notre Oncle brandissait nerveusement quelques feuillets - sans doute les résultats d'un récent dépistage du sida - une des pages tomba, vivement ramassée par p'tit Louis.

Ça cause de nononque!” s'écria t-il crânement.

 

S'étant étranglé sur les cinq premiers mot “Cé-avec-une-im-mensse-zoie” je lui arrachai la page des mains en me raclant la gorge pour dénoncer l'infamie à haute et intelligible voix, et je lus:

C'est avec une immense joie, et beaucoup de fierté, que nous vous annonçons que vous venez d'obtenir avec succès votre Maîtrise d'histoire des Sciences et Techniques option Blanc cass'.

Afin de marquer ce moment important de la vie qu’est la fin de la période étudiante, une cérémonie de remise de diplôme est organisée le 18 avril 2015 à 16 heures à l'annexe de la mairie de Fouzy-sur-Bèze.

Elle sera suivie fort à propos d'un cocktail que n'aurait pas renié Félix Kir, notre célèbre chanoine et inspirateur de votre brillante thèse”.

 

J'avais tout lu d'une traite sans respirer et comme p'tit Louis demandait ce qu'était une option blancasse, la réponse arriva sous la forme d'une Master-calotte que lui administra Maître es Blanc cass' en personne!

Un bregognon pure souche pouvait -il ignorer ce qu'est un blanc cass', ne fusse qu'un drouilloux de cinq ans?

Je me souvenais avoir dû apprendre par coeur les proportions et les densités d'alcool du rince-cochon et même celles du 'Double K' créé pour la rencontre entre Nikita Khrouchtchev et le Chanoine Kir dans les années 60 (2 cl de crème de cassis, 4 cl d’Aligoté et 4 cl de Vodka)...

Tandis que p'tit Louis chouinait sur son ignorance, un immense soupir de soulagement souleva notre groupe... oubliées les Rolande, Margot et jusqu'à la mère Fromageot!

Tante Anastazia - du bortch plein les mains - était aux anges c'est à dire empressée à dégainer cette wodka frelatée coupée au méthanol qu'elle gardait pour les grandes occasions...

Ainsi nous avions un étudiant dans la famille, un étudiant de soixante balais et très mal fagotté mais très diplômé!

C'étaient donc ça ces soirées passées à aligner sur la table toutes ces fillettes de Chablis, de Meursault, à treuiller les cassis au pressoir, à se gargariser jusqu'à point d'heure et à ronfler chaque nuit comme une 241-P en gare de Dijon?

Tout ça pour décrocher une MST et aller faire le beau à l'annexe de la mairie de Fouzy-sur-Bèze samedi prochain!

De mémoire, je n'avais jamais vu autre chose que des Certificats d'Etudes primaires dans la famille et mise à part la “petite” croix de guerre du pépé en 14, on ne brillait pas en distinctions vu qu'on ne faisait pas de vieux os sur les bancs de l'école communale.

 

Oncle Hubert rayonnait: ”Tu repasseras mes culottes” lança t-il à Anastazia d'un air suffisant, l'air que prendrait dorénavant celui à qui elle s'adresserait en disant Maître et en tortillant son devantier.

P'tit Louis se fraya un passage dans le groupe pour toucher Le Maître: ”Alors nononque... t'es pas malade?” bredouilla t-il.

L'énorme rire d'Oncle Hubert nous plaqua définitivement au buffet où Anastazia servait des galopins de son infâme tord-boyaux.

Malgré l'heure tardive il nous restait à battre - les mains tournant en forme de coupe à hauteur du visage - notre traditionnel ban bourguignon «Tra, la, la, la, la, la, la, la, la, lère»...

Si nous allions être au plus mal dans une heure, Oncle Hubert n'était pas malade.

 

 

11 avril 2015

Rififi à La Fontaine (Vegas sur sarthe)

La Galeci, ayant pillé
Tout l'été,
Se trouva en garde à vue
Quand la crise fut venue:
Pas une seule piécette
aux cabinets, aux tinettes.
Elle alla crier Justice
Chez la Mifour, Qué Pastis!
Exigeant qu'à la fontaine
On balance sous huitaine
Du grisbi en abondance.
"Croyez-en mon expérience,
J'vous renverrai l'ascenseur,
le beurre et l'argent du beurre."
La Mifour est suspicieuse
C'est là son moindre travers.
“C'est quoi t'est-ce, ce revolver?”
Dit-elle à cette vicieuse.
- Ce n'est qu'un Smith & Wesson
qui n'a dessoudé personne.
- J'aime bien ceux qui innovent
Marre de la kalachnikov.

 

4 avril 2015

Ultimam time (Vegas sur sarthe)

Quand les ombres du style eurent quitté la table
que le dernier rayon du brillant Apollon
sur la pierre eut jeté son ultime jalon
il fallut accepter, subir l'inévitable.

La table refroidie - métronome des jours -
de l'équation du temps avait brouillé le jeu,
du combat Jour et Nuit on consentit l'enjeu
Hypnos avait sur nous posé son abat-jour.

Fixant de l'instrument, l'inutile gnomon
comme le naufragé son futile timon
on se prit à rêver de l'éternelle vie.

Mais en regardant mieux avec horreur on vit
qu'un esprit pernicieux - frénésie meurtrière -
y avait apposé au bas “Crains la dernière!”  

28 mars 2015

En avant, marche (Suite) (Vegas sur sarthe)

Et je trouverai la frangipane et le beurre en pot?” s'inquiète Blanche.


(Espace résevé au soupir d'espoir des enfants)

“Sans doute” répond la vieille sur un ton rassurant avant d'ajouter: ”sinon, ce sera pour une autre fois... ”

L'escalier qui vire à droite, comme dans tous les patelins de droite n'en finit pas de monter et de tourner comme une vis sans fin, au point que Blanche en a usé ses chaussures de marche jusqu'à la trame, surtout la gauche qui parcourt plus de chemin que la droite d'après la fameuse loi de Dahut.

Quelle camelote” râle t-elle en regrettant amèrement ses pantoufles de verre et de vair.

En chemin elle voit débouler trois fusées - Three, Little et Pigs - les trois petits gorets de retour de chez le roi Merlin où ils sont allés chercher de quoi ignifuger leur dernière baraque.

Pourquoi courez-vous ainsi?” leur demande Blanche.

Three ne s'arrête pas et crie: “Demande à Little!”

Little ne s'arrête pas et crie: “Demande à Pigs!”

Si les deux premiers dévalent les marches quatre à quatre, Pigs descend seulement trois à quatre à cause d'une patte folle et parce que c'est lui qui porte le bidon de trente litres de produit ignifugeant.

Pourquoi cours-tu ainsi?” lui demande Blanche en l'arrêtant.

Pigs la regarde, interdit: “Tu... tu verras bien quand tu seras là-haut” et il s'apprête à déguerpir comme si le grand méchant loup était à ses trousses.

J'aime pas les cachotteries” insiste Blanche “surtout dans les contes, alors dis-moi ce que vous avez vu là-haut!”

Pigs est verdâtre, limite avarié et suant le gras.

Ben mon cochon” lui dit Blanche “t'es pas beau à voir. C'est si terrible que ça là-haut?”

Pigs est décomposé façon sauté de porc aux olives: “Là-haut... y'a... un truc... y'a un farfadet!!”

Blanche éclate de rire: “Un farfadet? Déjà, l'autre jour c'était une meuf au bois dormant qui s'était faite planter avec une saloperie de quenouille... avant c'était un poucet qui avait fauché ses Boulutins à un ogre endormi! Vous fumez quoi comme substances, les gorets?”

Moque-toi bien” répond Pigs “Qui vivra verrat!” et il détale trois à quatre en grognant.

Un farfadet” plaisante Blanche en reprenant son chemin “et pourquoi pas un spectre ou un fantôme?”

 

L'escalier s'arrête au bout d'un moment - tout comme les contes - et c'est normal.

 

(Espace appelé palier et réservé à Blanche et aux enfants pour reprendre leur souffle)

 

L'escalier débouche dans une grande forêt de haricots magiques, celle-là même que les frères jumeaux Petit-Jean-comme-derrière et Gros-Jean-comme-devant étaient allés voir pousser l'an dernier aux Défis Du Samedi...

Les haricots grimpants ont si bien grimpé qu'ils cachent le ciel et forment une masse ténébreuse et inquiétante pour les couards et les pleutres mais pas pour Blanche.

Blanche y pénètre, serpentant entre les bouquets de Mangetout - Contender et Fins de Bagnols - les rames à écosser - Crochus de Montmagny - et les Coco paimpolais: “Nom d'un canard” plaisante t-elle pour dissiper une légère crainte “y'a de quoi faire du cassoulet pendant mille et une nuits, ici!”

 

A cet instant une chose rougeoyante, presque écarlate surgit et s'agite devant elle en vociférant: “Du cassoulet? Comment qu't'es chelou, bouffonne!”

Surprise par ce langage cavalier, Blanche monte sur ses grands chevaux: “D'abord qui es-tu, chose écarlate?”

La chose s'agite de plus belle: “J'suis Alice du pays des vermeils! Et toi?”

Moi, je suis Blanche mais on dit aussi Cappuccetto Rosso ou encore Petite cape rouge ou bien Petit...”

Zyva, comment tu m'vénères! J'le crois pas qu'tu serais une rouge comme mézigue?” interrompt la chose.

Euh... peut-être” avance Blanche, toute rouge.

J'te vanne, bouffonne mais j'te kiffe un peu quand même. C'est quoi ton taff?” demande la chose.

Blanche explique: “Euh... je cherche ingrédient ou deux pour ma marâtre... de la frangipane et un pot de beurre pour son masque de beauté et...”

Sa race! Tu jactes trop, bouffonne! Et pis tu trouveras kedal ici” ricane la chose.

Qu'en sais-tu?” réplique Blanche, courroucée.

T'as deux-de-tension ou quoi? Sérieux, c'est Lewis Racol - mon daron - qu'a fait tous ces trucs de ouf! C'est stylé, zarbi, trop mortel, y a un lapin blanc, un chat filozophe, un lézard ramoneur, une chenille foncedé mais y'a pas les ingrédients que tu cherches, bouffonne” répond la chose en s'agitant de plus belle.

Blanche est déçue mais pas résignée: “Et en cherchant bien?”

Laisse béton, bouffonne” réplique la chose “T'as deux options, pas trois: la prem's c'est qu'tu retournes d'où tu viens... la deuze c'est qu'on ferme le conte!”

 

Fermer le conte?” s'exclame Blanche “tu n'y songes pas! Il y a ici des lecteurs qui espèrent! Et puis ça va causer des frais”

La chose explose de rire et vire incarnat: “Des lecteurs? Ca c'était avant! Tu retardes d'un siècle, bouffonne! Today c'est Podcast, Blog et Streaming... les trois petits cochons qui gèrent la sphère numérique. Si tu kiffes ça, j'peux t'les présenter”

Blanche est désespérée, partagée entre rebrousser chemin sur ses chaussures usées et clôturer le conte sans préavis...

Ah si seulement sa great-mother était là pour la conseiller, la rassurer.

La chose cramoisie a disparu comme par enchantement, alors s'adossant à une grande rame à écosser - un tartan d'Edimbourg - Blanche s'endort, submergée par tant d'émotions.

 

(Espace de repos de Blanche, des lecteurs et de Vegas sur sarthe)

 

21 mars 2015

En avant, marche! (Vegas sur sarthe)


On se souvient que Blanche qu'on appelait Cappuccetto Rosso était partie chercher ingrédient ou deux pour sa marâtre afin de confectionner ce fameux masque de beauté de Cesare Frangipani à base de frangipane et de beurre en pot.
Chemin faisant et après bien des péripéties - ces histoires abracadabrantes qu'on raconte aux enfants pour les empêcher de dormir - elle arrive en vue d'un bien étrange patelin.

Avisant une femme assise là, elle s'approche, bien décidée à se rancarder sur ledit patelin quand la vieille l'apostrophe (avec deux points et des guillemets) :  “Commence par t'essuyer les pieds avant de monter au village, petite!”
Blanche examine ses pantoufles - cadeau de sa great-mother dont la droite est en verre et la gauche en vair pour ne pas les confondre - mais la vieille insiste: “J'ai fait les marches hier au dépoussiérant Please et je ferai pas ça tous les jours!!”
“Qui es-tu, la vieille pour m'apostropher ainsi?” s'étonne Blanche.
“Apprends que je suis concierge de mon état, petite... en quelque sorte en état de marches. Je sais tout, je raconte tout car mon domaine c'est ce patelin en escalier”.
Blanche est rassurée d'avoir rencontré celle qui va enfin l'aider à trouver ingrédient ou deux pour sa marâtre.
“Et comment fait-on pour arpenter le patelin?” demande Blanche.
“C'est facile” ricane la vieille “dès que tu auras pris la première marche, tu verras la marche à suivre”.
“Euh... c'est bien gentil mais la première marche est trop haute pour une petite fille” fait remarquer Blanche.
“C'est toujours comme ça la première fois, petite et puis tu n'as pas les bonnes chaussures” gronde la vieille “quitte tes pantoufles de verre pour des chaussures de marche!”
“Et où trouverai-je des chaussures de marche?”  s'inquiète Blanche.
“Chez le marchand de chaussures de marche” répond la vieille sans se démonter.
Dans les contes, ceux qui se démontent ne se remontent pas et c'est pourquoi les contes finissent par disparaître.

“Et où trouverai-je un tel marchand?” insiste Blanche.
“Je vais te montrer” chuchote la vieille concierge sur le ton de la confidence “laisse moi ouvrir la marche”.
Précédant Blanche, la vieille ouvre en effet la marche - la première comme il se doit - celle munie d'une petite porte de magasin de chaussures de marche.
“Y'a quelqu'un dans le giron?” crie la vieille.
Pour les novices, le giron est employé dans la formule de Blondel pour déterminer le confort d'un patelin en escalier, ce dont on se fiche royalement pour tous les patelins à plat.
Un petit homme - suffisamment petit pour se tenir debout dans la contremarche - sort du giron.
 “C'est pour quoi?” marmonne t-il d'une voix lasse.
“A ton avis?” répond la vieille “Tu t'es encore levé du mauvais pied, petit homme?”.
“Non...” dit-il en soupirant” c'est à cause de cette marche funèbre... ce matin on enterrait ma femme”.
“Première nouvelle” s'étonne la vieille concierge qui d'ordinaire n'ignore rien des évènements du patelin.

Déformation professionnelle oblige, le petit homme dévisage les pantoufles de Blanche.
“J'ai encore jamais vu ça” dit-il, ébahi “des pantoufles de verre et de vair”.
“Ce ne sont que des loups-bouquetins” précise Blanche.
“Si tu lisais un peu les contes, petit homme tu ne serais pas surpris” reprend la vieille” Trouve donc des chaussures de marche pour cette petite”.



Blanche est fin prête:”Et maintenant, que vais-je faire... de tout ce temps que...”
“Qu'est-ce que tu nous chantes?” coupe la vieille “paie et partons d'ici”.
Comme Blanche n'a rien pour payer elle refile un Bécaud au petit homme, au risque d'enfreindre les bonnes manières propres aux contes.
“Et maintenant?” reprend-elle, un peu vénale et bien plantée devant les marches.
La vieille soupire:”C'est pourtant fastoche. Il suffit que tu montes en marche!”

Blanche a un mouvement de recul: “Monter en marche? Mais c'est interdit”
La vieille la regarde, incrédule:”Ca fait quarante ans que je fais ça. Et vu qu'on n'a pas encore inventé l'escalator je ne vois pas comment on pourrait faire autrement, à part monter en marche dans un sens et  descendre en marche dans l'autre sens!”.
Blanche lève les yeux vers l'improbable sommet. Les cheminées des maisonnettes vapotent tranquillement. Une belle végétation rampe le long du limon en une large courbe qui vire à droite, comme dans tous les patelins de droite.

« Tu es à une heure de marche, en marchant bien » lui chuchote la vieille sur ce fameux ton de la confidence qui caractérise les vieilles concierges.
“Et je trouverai la frangipane et le beurre en pot?” s'inquiète Blanche.

Dans les contes, on réserve souvent un espace pour le soupir d'espoir des enfants.
(Espace)

“Sans doute” répond la vieille sur un ton rassurant avant d'ajouter: ”sinon, ce sera pour une autre fois... ou une autre Il était une fois”
 

14 mars 2015

Mille Et Une bornes (Vegas sur sarthe)

Le Palais de l'Empereur est si vaste qu'un homme ne peut parcourir toutes les pièces en l'espace d'une seule vie.
Des parties entières du Palais sont négligées et abandonnées et se mettent à mener une existence étrange, indépendante.

(Extrait de "La galerie des jeux" de Steven Milhauser)

 

 

La grande salle d'audience que nombre d'ambassadeurs ont renoncé à fréquenter a perdu tout écho, au point qu'on a dû la rebaptiser Chambre Sourde.
Le visiteur imprudent n'y restera d'ailleurs pas plus de dix minutes, vite incommodé par le bruit assourdissant de ses valves cardiaques, celui du flot sanguin dans ses vaisseaux et tous les bruissements des cloportes et des araignées tissant leurs toiles au plafond.
On y entend l'inaudible, un filet d'air dans ses poumons, le bruit de ses ongles qui poussent, jusqu'au souffle du temps qui passe... sans compter les Pssst d'un gardien muet pressé de fermer.

La salle des Citations - contrairement à la Chambre Sourde - résonne et raisonne en permanence, tellement que c'en est pénible... finalement comme la Chambre Sourde.
On y entend - venant d'un juke-box à citations de 1783 - des citations célèbres comme celle de l'Empereur:”Moi, Empereur... Moi, Empereur... Moi, Empereur... Moi, Empereur...” et bien d'autres comme celle de l'Impératrice et que les spécialistes en citations traduisent par:”Range ta chambre!”.

A deux heures de marche plus loin - soit trois cent deux consoles, cinq colonnes à la Une et vingt mille niches - se dresse la grande Bibliothèque, devenue l'Hippodromus depuis qu'on en a vendu les trois cent mille ouvrages pour en faire un haras de chevaux de courses.
Dans le bruit des sabots et du souffle des naseaux fumants, on peut y voir se mesurer des Rossinante, Tornado et autres Crin-Blanc et Etalon Noir bien que les paris y soient formellement interdits.
Un disc-jockey - platiniste préposé aux électrophones - y créée une ambiance flamenca des plus torrides: salsa du démon, rumba dans l'air, tango-tango,
etcætera et bien d'autres encore.

A trois nuits de marche dans un Palais qui en compte mille et une - en suivant des yeux les deux étoiles qui forment un bout de la casserole de la Grande Ourse - on arrive naturellement et fatigué à la Porte du Levant numérotée '21'.
Un homme-sandwich portant l'inscription 'le Valet Noir' - ou Black Jack - ne laisse aucun doute sur la nature de ce lieu de perdition.
Devenu le rendez-vous incontournable des mathématiciens et de financiers véreux, le '21' encaisse chaque soir à ses tables de jeu des millions de patacas destinés à sécuriser des lieux où personne ne pénètre jamais faute de temps.

On y joue aussi au Hachi-Hachi parmentier, au Koï-Koï carpé et au Mille-Et-Une bornes, entourés de discrètes hôtesses en tenue de camouflage maki-sushi.

Quant à la salle des Gardes elle est gardée de l'extérieur par de grands chiens jaunes à gueule baveuse et qui répondent tous - quand ils en ont envie - au joli nom de Sesame.
Elle est si bien gardée qu'on n'y trouve rien à part un astronomique trousseau de clés et quelques osselets d'un antique squelette qu'il serait vain aujourd'hui de vouloir faire expertiser, le dernier expert ayant lui aussi été dévoré.

Compte-tenu de leur durée, les visites guidées du Palais ont lieu une fois par an sous la conduite du dénommé Mathusalem pour un itinéraire improbable nommé “le petit bonheur”.
Aléatoire, l'itinéraire dépend du tirage au sort des clés de l'astronomique trousseau situé dans la salle des gardes et donc sévèrement gardé.

La salle des Médecines - anciennement salle des Tortures - est spécialisée dans le traitement des morsures par chien jaune à gueule baveuse. Elle n'est ouverte qu'une fois par an, tout comme le bureau des visites guidées.
On y traite tous les mordus sans distinction au moyen de deux médications issues d'une pharmacopée ancestrale: le Placébo et le Placémoche.

 

Que dire des jardins suspendus et des parterres par terre, des bosquets massifs et des massifs tout court, des canaux et artères, des cryptes et labyrinthes, des cascades et rocailles, des allées et venues, des fontaines et des puits-c'est-tout, livrés aux caprices d'une nature envahissante et que 2512 jardiniers payés en hyène tachetée ont fui comme la peste de Justinien en 541...

alors nous n'en dirons rien.

7 mars 2015

Un outil à damer le pion (Vegas sur sarthe)


Au comptoir se tenait une femme de paille - sans doute la fille de l'homme de paille - avec une puce à l'oreille.
Se tenir au comptoir, quoi de plus normal mais elle avait de la poudre aux yeux de merlan frit ou bien d'escampette - je ne saurais dire - car un pot aux roses, au lieu de la découvrir, la dissimulait un peu à ma vue.
Elle avait dû avoir du sex-appeal autrefois mais sans les piles, dans ses cheveux trônait un peigne à girafe avec un très long manche et du poil de la bête dessus.
Son accoutrement collait parfaitement au lieu: “Le bazar du bizarre” peint à l'encre débile pour décourager les lèche-vitrines.
La femme de paille avait dû retourner sa veste et du coup c'était une autre paire de manches; son haleine de chacal trahissait qu'elle était restée en carafe trop longtemps.
Comme le client juste devant moi ne payait pas de mine, elle l'éjecta ainsi que perte et fracas.

Moi, je cherchais un truc rare depuis des lustres - pas un luminaire à pampilles ni une suspension Citroën - un outil à damer le pion mais tout ce qu'elle me proposa était loin de me convenir: une perceuse avec des mèches en bataille, une planche à pain rassis dessus et frais dessous, pour la soif des poires coupées en deux et puis des vertes et des pas mures, une sorte de mystère et sa boule de gomme, une bouteille Thermos remplie de gaz à effet de serre, un almanach des Défis Du Samedi dédicacé et recollé par Thomas Chatterton lui-même en 1770.
Heureusement j'ai toujours été patient - puisque je n'ai pas su être médecin - et comme mon frein n'était rongé qu'à moitié, j'avais encore du temps à l'horodateur.

Dans l'arrière-boutique j'ai aperçu des jambes en l'air mais juste une partie... et au plafond un septième ciel en trompe-l'oeil avec sur le mur une photo de sainte Nitouche avec sa croix et sa bannière.
Il y avait sur un étal des étaux, des pièces pile et des pièces face mélangées, des roupies de sansonnet indonésien, des pilules dorées aux ultraviolets et un éphéméride figé sur son trente-et-un.
Plus loin dans un grand tiroir un polichinelle, un jeu d'échec noir mat et cousu de fils blancs posé sur une botte de foin tirée à quatre aiguilles... ou trois?
Encore plus loin une cloche à fromage qui sonnait les quarts de Brie et les demi-reblochons, un gros tarin de Bergerac, un enfant-du-bon-Dieu en panoplie de canard sauvage, un collier de perles du Bac de 68 et aussi un générateur de langue de bois des présidentielles 2012 avec ses piles.

Dans l'arrière-boutique les jambes en l'air n'étaient plus en l'air et j'entendis nettement le chuintement d'une douche écossaise qui devait fonctionner au champagne sablé... par contre sainte Nitouche avait perdu la croix et la bannière.

Timidement, j'ai demandé: ”Pourriez-vous me décrocher la timbale, là-haut s'il vous plait?”
La femme de paille a éclaté d'un rire sardonique: “C'est impossible, juste impossible” avant d'aller gronder un mérinos qui pissait partout.
Elle avait vraiment trop éclaté de rire et le mérinos avait pissé par dessus le marché, alors un type qui devait avoir une trentaine de balais est venu nettoyer tout ça.

Finalement comme mon frein était pas mal rongé et que je ne trouverais pas ici mon truc à damer le pion, j'ai pris la mouche... et la porte. Faut pas déconner!

28 février 2015

Prière de mettre au clou (Vegas sur sarthe)

On se souvient que le Créateur avait chassé Adam et Eve du jardin d'Eden en les condamnant à un Ave et trois Pater (Voir Genèse saison3, 22-24).

Il faut préciser qu'Adam était dur de la feuille - la faute à Eve et à ce “Love songs “ de Binyamiyn Biolay qui lui filaient des érections sénatoriales -  aussi se trouva t-il fort déconfit au seuil du jardin d'Eden avec un navet Maria et trois patères sur les bras.

“Pourquoi n'en ferais-tu pas un portemanteau?” suggéra Eve qui en était à sa seconde idée de génie depuis celle de la pêche originale.
“Il me semble qu'au singulier, on dit un porte mental” fit singulièrement remarquer Adam qui était plus syntaxe que bricolage.
“Ne me demande pas pourquoi” insista Eve “mais je trouve que portemanteau, c'est plus joli”

“Et un portemanteau pour porter quoi, Madame?” soupira Adam qui s'était soudain ramolli de la feuille et sentait venir l'embrouille.
“Pour porter mes manteaux, gros naze” répondit Eve, toute étonnée de formuler une lapalissade bien avant La Palisse lui-même.  
Le ton était monté mais sans nuisance sonore puisque les voisins n'avaient pas encore été créés ni l'amende forfaitaire à soixante huit euros.
“Et c'est quoi un manteau, Madame-je-sais-tout?” bougonna Adam.
“C'est c'que tu vas pas tarder à m'offrir pour couvrir ma nudité car j'en ai soupé d'porter cette tenue d'Eve!” répondit t-elle en se drapant dans un ressentiment qui se trouvait là.

Remarquons que si la tenue d'Eve est encore portée de nos jours, on ne sait rien de la tenue d'Adam.
 
“Et ça ressemble à quoi, un manteau?” s'inquiéta Adam à juste titre.
“Ça dépend d'la saison, gros naze” répondit Eve, songeuse.
Adam se souvenait que le Tout Puissant avait créé deux grands luminaires – lune et soleil – pour marquer les saisons:”Euh... t'es sûre que trois patères ça va suffire?”.
“Ca m'étonnerait” rétorqua Eve “si tu comptes un imper, un blouson et un ciré pour la pluie, un caban et un parka pour les grandes marées, un paletot et une gabardine pour la demi-saison...”
Adam avait blêmi:”Ah... parce qu'il y a aussi des demi-saisons? Ça doit être un truc de fille, ça”

“C'est quoi une fille?” ironisa Eve “et puis j'ai besoin d'une pèlerine pour l'arrière saison, d'une doudoune et d'une canadienne pour le froid sibérien... ”
Adam s'égosillait:” Une canadienne pour la Sibérie!! Tu cherches l'incident diplomatique? Tu perds la tête ma pauv' fille!!”

“En tout cas, tu peux préparer un chapelet d'patères avant qu'on finisse congelés au bord du jardin!”
“T'aurais pas plutôt une autre idée?” gémit Adam sans conviction car une troisième idée de génie aurait tenu du miracle et la multiplication des patères n'était pas inscrite au programme du Créateur.
“J'avais bien pensé à un dressing” murmura Eve “mais l'angliche n'existe pas encore...”
Adam soupira:”On va pas compter sur les angliches pour trouver de bonnes idées. Occupons-nous céans de ton foutu portemanteau”.
“Il me semble bien vert, Adam” fit remarquer Eve.
Vert Adam... Il songea que ça pourrait servir plus tard, mais à quoi?

Adam prit alors le navet Maria et y fixa les trois patères - Lapeyre, la fixe et la sintesprix - puis il grava cette inscription dans le vert: “Prière de mettre au clou”.
“Ça veut dire quoi, mettre au clou?” questionna Eve.
“Tu peux pas comprendre” dit Adam “ça touche au mystique... plus tard nos descendants appelleront ça le Mont-de-Piété”
“C'est plutôt sympa” admit Eve “et ça f'rait pas mal chez ma tante”.
“T'as pas d'tante, ma pauv' fille” répliqua justement Adam, car c'était vrai.
“C'est vrai” dit Eve, car c'était vrai.
Ainsi le portemanteau était né, j'étais né et c'était bien.


Aujourd'hui je comprends pourquoi on me regarde bizarrement... un navet gravé d'une inscription “Prière de mettre au clou”, c'est tellement éloigné de ce qu'ils font aujourd'hui chez Casto, là où les envies prennent vie.
J'en ai supporté des fringues au fil des siècles, des chitons, des toges, des gandourahs, des crinolines et des redingotes, des treillis, des caches-poussière, des fourrures et des machins innommables.
Et aussi des teeshirts et des trench coats depuis que l'angliche a été inventé.
Alors, ne me parlez plus de fringues, nom d'un saint Frusquin!

 

21 février 2015

Love songs (Vegas sur sarthe)

Quand Adam et Eve eurent bien secoué le pêcher original, le Tout Puissant les envoya se faire foutre sur Terre avec leur saint-frusquin.
A l'époque végétarienne, le saint-frusquin consistait en cinq fruits et légumes dont la fameuse pêche originale, la pomme, la poire, le scoubidou-bidou et la grenade mais ils emportèrent aussi quelques morceaux de Paradis.
On sait aujourd'hui que la plupart des morceaux de Paradis appartiennent à un certain Binyamiyn Biolay, notamment ceux qui évoquent le pêcher et la fuite qui s'ensuivit tels “Prends garde à moi” et “Tu pars comme on revient”.
Ca chantait entre autres: “Quand je suis nue quand je suis de dos... Alors prends garde à moi”.
De dos ou de face, Adam s'était fait avoir jusqu'au trognon et le jardin des délices n'était déjà plus qu'un lointain souvenir pour eux deux.
Ca chantait ça aussi: “Et depuis peu j'ai compris... Que chaque erreur avait un prix “, mais il était trop tard pour regretter, et de toute façon Eve chantait faux, à l'instar de bien des Eve.
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Ils se souvenaient du jour où Il les avait virés comme des malpropres, c'était pour la teuf à Valentin... le quatorze février vu qu'Il venait de créer Février et quelques nombres au hasard qu'on appelle maintenant Loto.
Adam et Eve dansaient sur “Love songs” et ce refrain “Hold me till the day is done“ - chanté par un chœur d'anges - auquel ils n'entravaient rien à cause de l'angliche qui n'existait pas encore, quand soudain le Malin était arrivé en serpentant.
Le plus rusé des serpents rusés s'était pointé avec sa minable pêche originelle... et on connait la suite.
Le Tout Puissant avait dit: “Allez... Filez, mignons!!” et les mignons avaient filé. Et cela fut ainsi.
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Ayant ramassé leurs morceaux de Paradis, Adam et Eve décidèrent de les mettre en lieu sûr dans un album collector, contrairement aux fruits et légumes qu'ils mirent en tubes pour ne pas les confondre.
Auraient-ils dû faire le contraire? Dieu seul le sait, encore que...
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Comme l'avait ordonné le Tout Puissant il leur restait à croître et à se multiplier - d'abord dans le plaisir pour Adam et ensuite dans la douleur pour Eve - alors ils croîssirent ou ils croîssèrent, en tout cas ils crûrent et ils se multiplièrent.
Ainsi naquirent vaille que vaille des petits bouts de paradis: Caïn-caha et Abel de Cadix dont les yeux de velours furent glorifiés par Luis Mariano, puis 130 ans après vint leur troisième enfant qu'ils baptisèrent Sept (Seth en hébreu) pour contrarier le Tout Puissant.
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Forts de leurs 130 ans - puisqu'ils avaient le même âge - Adam et Eve n'en oubliaient par pour autant leur cher Valentin qu'ils honoraient comme il se doit chaque 14 février.
Afin ne pas oublier ces 130 petits morceaux de bonheur, 130 peaux de serpent
- séchant tranquillement comme des chaussettes épinglées à l'aide de pitons - trônaient au manteau de la cheminée, et c'était bien...
14 février 2015

T'es à la bourre (Vegas sur sarthe)

Le champ du Mathieu, c'est un putain d'champ en dévers... tout l'monde le sait au village mais c'était ça ou mettre mes bourrins à la retraite et moi avec; alors j'ai accepté le marché.
Le pire c'est pas le dévers, c'est cet espèce d'épouvantail en fer blanc qui gueule toujours la même chose à chaque passage: »T'es à la bourre... 38ème rang... T'es à la bourre ».
Parait qu'il a été programmé pour ça et qu'y sait rien faire d'autre que compter les sillons.
D'abord cheu nous on dit pas « à labour » mais « au labour ».
Et pis y f'rait mieux de m'donner un coup d'main plutôt que d'rabacher comme un berlaudiau.
Y sait même pas qu'un “petit journal” cheu nous ça fait trente quatre ares et qu'on laboure jamais plus d'un p'tiot journal par jour, sinon ça s'rait plus un p'tiot journal, vindiou!
.
Y z'ont dit à la télé qu'y z'allaient rester là tant qu'on aurait la Menace... une sacrée embrouille qui menacerait nos terres, rapport à tous ces évènements qu'on nous cache.
Le père Martenot dit que c'est souvent comme ça avec les Menaces... faut pas tout dire sinon ça fait moins menace et on y croit pas.
On a rien pigé à leur politique agricole, à leurs petites et leurs grosses commissions, enfin toutes ces cagades qu'y font dans leur sénat galactique.
Moi, tout c'que j'sais - comme on dit cheu nous - c'est « qu'avant la Bonne-Dame de septembre, tu laboures quand tu veux mais après la Bonne-Dame c'est quand tu peux ».
J'lui ai parlé d'la Bonne-dame au clown blanc... mais ça imprimait pas.
J'l'appelle mon clown blanc mais à la télé y disent clône blanc.
Parait qu'y z'ont cessé d'faire la guerre dans les étoiles pour rev'nir nous protéger; vindiou c'était pas la peine.
Cheu nous, un beusenot qu'est pas capable d'atteler deux percherons, c'est pas de l'aide, d'ailleurs le Copain et l'Petrus y s'foutent pas mal de lui.
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Sûr qu'y a pas besoin d'un gros coup d'sabot pour l'esquinter, l'épouvantail en fer blanc.
Quand j'dis épouvantail... ça fait bien rigoler les corneilles !
A la prochaine rabasse, y s'ra tellement gaugé qu'y pourrait bien rouiller sur place.
Pourtant y'a aucun défaut dans ce tas d'ferraille, pas l'moindre p'tit trou où j'pourrais balancer un gatte-cul, histoire de voir s'il est programmé pour la danse de saint-Guy.
Parait qu'un clown blanc c'est très chatouilleux, c'est sophisquité et ça s'enrhume pour un rien.
Sa sulfateuse a pas dû servir beaucoup... y'a pas la moindre trace de bouillie bordelaise dessus.
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C'matin à la télé y z'ont décrété le niveau Deux !
J'savais même pas qu'on était tantôt au niveau Un.
Alors au d'ssus des champs, y nous z'ont lâché comme des cerf-volants qu'y z'appellent des drôles ou des drones, mais ça fait moins rigoler les corneilles, vindiou!
Ca sert à rien à part amuser les p'tiots et les p'tiotes... faut pas d'mander c'que tous les morveux vont vouloir pour leur Noël.
En tout cas avec le Copain à la charrue, le Petrus à la herse et moi entre les deux, on attendra pas leur menace pour retourner la parcelle avant les semailles.
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Hier j'ai surpris mon clown blanc dans la grange, cheurté sur la paille, à chouiner comme un gamin, que ça m'en a filé l'virot... ou alors c'est l'bruit qu'ça fait quand y rechargent leurs batteries, va savoir? On sait même pas si y font chabrot après la soupe.
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T'es à la bourre... 39ème rang... T'es à la bourre”.Oui je sais, je sais!
V'la t'y pas qu'au père Martenot, y z'y ont refilé une clowne blanche que c'est pas une denrée non plus.
Il avait espéré qu'elle servirait au moins à la maison mais elle est pas plus programmée pour plumer les patates que pour la polissonnerie.
Comme y commençait à l'embistrouiller un peu, y s'est pris un d'ces coups d'jus, pire que çui des clôtures à vaches!!
Ca lui a calmé l'Jesus et depuis, y dit comme ça qu'la menace c'est elle et pas aut' chose!
J'lui ai répondu qu'elle avait surement débranché son sexe à pile mais ça l'a pas fait rigoler.
N'empêche! Pourvu qu'y s'reproduisent pas...
7 février 2015

De la bonne graine (Vegas sur sarthe)


La coutume des haricots consistait à équeuter une montagne de gousses que le papi répartissait par grosses poignées entre nous tous - cousins et cousines - jeunes volontaires désignés d'office.
Le papi se réservait la tâche honorifique et tarabiscotée de les ranger verticalement - une fois équeutés - tels des petits soldats dans un régiment de bocaux à l'alignement millimétré.
En ronchonnant, chacun castrait son “mangetout” par les deux bouts, retirant un fil, recoupant les plus longs à la taille réglementaire sans les esquinter en se dépêchant lentement pour éviter une poignée de haricots supplémentaire.
Le papi ne jurait que par le Contender... “De la bonne graine” disait-il “ à l'inverse de vous!”.
 
Quand on est gamin et qu'on s'apprête à vivre les traditionnels mois de vacances dans la grande maison de famille bourguignonne posée à deux pas d'adulte du Canal du même nom - soit quatre ou cinq pas d'enfant - il y a de quoi être soucieux.
 
Le rituel dominical consistait à traverser les deux ponts pour jarter jusqu'à l'église située en haut du village avant le dernier coup de cloche et sans salir nos beaux habits.
La mamie rêvait d'un autre habit pour nous... soutane pour un garçon ou voile pour une fille mais la vocation ça ne vient pas toujours dans un missel garni d'images de communiants et le Patron - figé sur sa Croix et contraint de subir les sermons déjantés d'un curé loufoque - n'embaucha guère plus que quelques espiègles enfants de choeur.
 
L'usage du coucher consistait à entamer une seconde journée faite de batailles de polochons et diverses embistrouilles, et tout ceci à tâtons puisque l'ingénieux papi avait inventé l'extinction des feux télécommandée au moyen d'un interrupteur traîtreusement disposé vers sa chambre.
 
La traditionnelle pêche à la ligne était parmi les corvées les plus douces puisqu'en quelques secondes nous posions pliants, bourriches et épuisettes sur la berge devant la maison.
Armés de patience et de fourbes hameçons, nous taquinions tout ce qu'il y avait à taquiner entre deux passages de péniches chargées à ras bord et qui déclenchaient des tsunamis couleur café-au-lait où disparaissaient nos bouchons dans des relents vaseux qui viaunaient le gasoil...
 
Quand on est gamin et qu'on s'accroche la serviette autour du cou pour une de ces rituelles orgies qui s'étirent presque jusqu'à l'heure du souper sans pouvoir officiellement quitter la table, il y a de quoi être soucieux.
On vous y gueude au pâté en croûte, vous torture aux escargots persillés, vous condamne au doublé poisson-viandes avant les tourments salade-fromage-dessert tout en vous promettant aux calendes grecques ce fameux galopin de Ruchottes-Chambertin dont les grands se gobergent.
Pour peu que l'orgie dégénère on vous forcera à chanter en public l'immuable et planétaire classique de Guy Béart “Ma petite est comme l´eau, elle est comme l´eau vive, Na na nère...”
Pourquoi tant d'eau au pays du pinot noir?

La fin des vacances arrivait à grands pas - sonnant la fin des réjouissances - alors, au risque d'attraper la drouille et une tisane on sacrifiait à Notre tradition, celle qui ne figure dans aucune archive locale: on allait se gauger dans l'eau glacée du lavoir, là où on savait que l'horrible mélusine ne se risquait jamais!


Lexique de mes bourguignonneries:

drouille: diarrhée
embistrouiller: embêter
esquinter: abîmer
galopin: verre
gauger: tremper
se goberger: s'empiffrer
gueuder: rassasier
jarter: marche très vite
tisane: engueulade
viauner: sentir mauvais

31 janvier 2015

Mignonne, allons voir si la rose (Vegas sur sarthe)

Cette chansonnette entêtante me revenait parfois, une de ces choses qu'on écrivait jadis avec mes potes sur un coin de table et qu'on fredonnait aux filles, à la récré?
Quand on allait chez Natacha
on séchait le cours de géo
pour folâtrer avec son chat,
on découvrait la spéléo”.
Nos après-cours de géo étaient si loin et bien loin les frissons avec cette Natacha.
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Marguerite n'est pas du matin et comme elle lit tous les soirs au lit, je reconnais que ça laisse peu d'espace pour la bagatelle.
Je ne sais pas ce qu'elle trouve de particulier à ce Ronsard mais elle en a plein la bouche, alors forcément elle n'a plus faim. De plus c'est un langage d'un autre âge: “Mignonne, allons voir si la rose... bla bla bla... A point perdu ceste vesprée!”.
Pas facile de lutter contre un poète qui cause pas comme vous et moi.
J'ai quand même cherché 'vesprée' dans un dico et ça disait: “Nom désuet signifiant la fin de la journée lorsqu'il subsiste encore un peu de lumière, entre le coucher du soleil et la tombée de la nuit”.
Personnellement, entre le coucher du soleil et la tombée de la nuit je trouve qu'il y a assez de place pour la bagatelle.
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S'il lui vient parfois comme un caprice, c'est en catimini qu'elle consent au grand frisson et en prenant bien soin de ne pas déchirer son ouvrage (je parle du bouquin).
Elle ne s'effeuille pas Marguerite, elle se découvre. Elle ne gémit pas Marguerite, non, elle déclame!
Je me suis longtemps posé la question de l'utilité d'un marque-page jusqu'à ce que je me mette en ménage avec Marguerite, même si les risques de perdre la page sont rarissimes...
Faut dire que je suis également du matin.
Ce n'est pas une question de rythme biologique, c'est comme ça depuis ma naissance: le matin j'ai besoin de lumière, de m'étirer, de siroter ou de téter quelque chose, j'ai envie de manger mais j'ai d'abord envie d'un ventre chaud. Alors je hisse les couleurs à la gloire d'une journée qui pourrait éventuellement s'annoncer belle.
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Ce matin - tout comme ce jour triste embarrassé derrière les persiennes - j'étais en berne... alors je me suis habillé sans bruit et je suis sorti.
Sans calcul j'ai marché vers la rivière qu'une crue soudaine avait la veille transformée en torrent impétueux. Comme j'atteignais le petit pont de pierre, je l'ai reconnue - silhouette improbable - penchée au dessus de l'eau, celle qui m'avait éduqué à la spéléo, celle que je chantais en rigolant à la récré... Natacha!
Elle s'est redressée un peu et m'a souri d'un sourire las que je ne lui connaissais pas. A quoi bon parler, le tumulte était à la fois sous nos pieds et dans cette rencontre impromptue, dans ce contact furtif de deux mains oubliées et dans son étrange regard aux prunelles délavées.
J'ai cru entendre Marguerite: ”Elle a dessus la place Las ! Las ses beautez laissé cheoir !”
On se foutait bien de Ronsard. Elle et moi, on a passé le pont...
24 janvier 2015

Mille millions de mille milliards de neurones (Vegas sur sarthe)

J'ai la mémoire courte et même si les plus courtes sont les meilleures je me souviens avoir oublié en quelle version je suis... 1.2 ou peut-être 2.1
On dit que c'est stocké quelque part dans l'hippocampe.
Comment?
Ça prête à sourire? Oui je sais, ça fait ça la première fois mais les plus grands professeurs sont formels: on a tous un hippocampe dans le bocal.
Moi j'en ai un gros parait-il et ça m'arrange vu que les schizophrènes en ont un petit et que je n'ai pas l'intention d'être schizophrène en plus d'avoir la mémoire courte.
C'est marrant mais l'hippocampe - ce cheval de mer qui ressemble beaucoup à ce qu'on a dans le bocal - a lui aussi la mémoire courte car c'est le mâle qui porte les oeufs alors qu'on sait parfaitement que c'est le job de la femelle, bref.
Qu'est-ce que je disais déjà?
Sans doute un truc que j'avais sur le bout de la langue.
C'est fou ce que je peux avoir comme choses sur le bout de la langue, mais quand ça ne sort pas, ça ne sort pas...
Les mots de passe, par exemple.
Qui m'expliquera pourquoi je me souviens du passage de la petite souris pour la chute de ma première dent de lait au siècle dernier alors que j'oublie les mots de passe que j'ai choisis hier?
J'en avais un chouette - Alzheimer - mais je l'oubliais trop souvent ou bien je ne savais plus où placer le 'h' alors j'ai choisi Azerty... ou Qwerty, je ne sais plus mais je me souviens que ça finit par 'erty'.
Heureusement il y a peu de mots qui finissent en 'erty'... enfin je crois.
Parait qu'on a fait une découverte d'importance - la PP1 - une protéine responsable de ça: une véritable gomme à effacer ce qui n'est pas important!
On dit aussi que si on n'avait pas cette gomme, on aurait le bocal qui exploserait de trucs pas importants qu'on accumule dans le bocal.
Des chercheurs français auraient trouvé ça en bricolant des souris et ça m'arrange... j'aime pas les mulots à cause des tendinites au poignet.
Pour tout le reste, j'ai trouvé une application pour ça: je m'invente des souvenirs.
Fini le bourrage de crâne et puis j'en avais marre d'être obligé de réparer mes oublis.
Y a pas plus chiant que devoir réparer un oubli.
Vous en avez déjà réparé vous, des oublis? Vider l'eau du bocal, restaurer la version précédente, nourrir l'hippocampe avec les bons algoritmes... algorytmes... algorithmes... enfin, bref.
Alors que s'inventer des souvenirs, c'est génial. Vous devriez essayer.
Mon psy qui ne jure que par Nietzsche - un nom à vous dégoûter des mots de passe - dit que ça n'est pas grave tant que personne s'en aperçoit.
J'aime bien écrire des trucs qui commencent par 'je me souviens'... ça me rassure.
Je me souviens du goût de l'encre violette...
Ah non! Ça c'était mon défi du 3 janvier 2015, je m'en souviens.
17 janvier 2015

L'arbre aux gouttelettes (Vegas sur sarthe)

Hé Mathieu! Si j'te dis que le gouttelier a pleuré ce matin...”

(Il faut préciser aux citadins que l'arbre aux gouttelettes s'appelle un gouttelier)

 

C'est de saison, l'Henri... c'est d'saison... comme on dit chez nous: Rosée du matin, rosée du matin”

Non non non! C'était point d'la rosée! J'te dis que l'gouttelier a fait des perles”

Tiens? Félicie aussi”

Je sais que c'est à peine croyable. D'habitude les goutteliers sont tranquilles jusqu'à début mars, et ben les miens ont déjà fait des perles!”

Ouais... Félicie aussi, ça tombe début mars”

Oublie Félicie une seconde! Deux mois d'avance, vindiou... c'est pas normal. Tu m'enlèveras pas d'l'idée qu'y détraquent nos goutteliers avec leurs fusées, leurs pots cataleptiques et leurs rézosociaux!!”

Ça dépend l'Henri... ça dépend. Tes goutteliers, c'est d'la variété Chagrins du matin ou Espoirs du soir?”

J'ai que des Chagrins du matin, ceux qu'ont la peau rugueuse enfin des peaux d'chagrin quoi”

Des Chagrins du matin? C'est comme Félicie, elle est pas du matin... ni du soir d'ailleurs”

En plus - d'après l'Grégoire qu'est pépiniériste à Marsannay - c'est des “vinum clarum”, une variété qui gêle pas au point de rosée!”

Ouais... Félicie aussi... point de rosé. Que de l'alligator”

Tu veux dire de l'aligoté?”

Ouais mais elle dit alligator passque quand y te tient, y te lâche plus”

Fais pas la tronche, Mathieu! C'est juste que cette année on est pas gâtés par la nature”

Hum... Félicie non plus”

Tu crois pas que si j'leur mettais un grand coup de chaud au cul, ça les requinquerait??”

Ouais... tu m'donnes une idée, là... c'est pas con”

J'te leur colle le brasero bien chargé pendant une heure ou deux... et en voiture Simone”

Une heure ou deux... t'y vas fort l'Henri! Et elle en dit quoi la Simone?”

Hein? Comprend pas. C'est que j'y tiens à mes goutteliers... y m'coûtent assez cher toute l'année”

Ouais... Félicie pareil”

Vindiou! Tu m'gaves avec ta Félicie. T'as t'y seulement été voir les tiens si y z'avaient goutté?”

Pas la peine. Moi j'ai des Espoirs du soir, alors tu penses ben que j'vais pas m'emmerder à aller les voir le matin... même si j'ai rien à foutre le matin vu qu'la Félic...”

Ahh! Maint'nant, y en a soupé de ta Félicie!! Un Espoir du soir, ça pleure pas... au contraire ça rigole, alors tu f'rais bien d'faire pareil au lieu de chouiner tout l'temps!”

Ça rigole, ça rigole... ça dépend! Y a des Espoirs du soir qui rigolent pas, par exemple ceux qui sont attaqués par l'araignée du matin”

Ah ben ouais... une attaque d'araignée, forcément. Et pourquoi pas une explosion eunucléaire? Si t'imagines le pire...”

Ben le pire... j'lai sous les yeux du matin au soir, alors...”

 

Bon ben c'est pas tout ça mais j'vais aller bourrer l'brasero, à c't'heure!”

Attends moi! Y a longtemps que j'ai pas vu ça!”

 

 

10 janvier 2015

Matière à réflexion (Vegas sur sarthe)

Qu'on se souvienne ou pas qu'on appelait, Blanche laCappuccetto Rosso ou encore la Petite Cape Rouge, toujours est-il qu'elle était partie chercher ingrédient ou deux pour sa marâtre impatiente de confectionner le traditionnel masque de beauté de Cesare Frangipani à base de frangipane et de beurre en pot.

Ainsi donc chaque matin le miroir de la marâtre - son royal smartfaune- lui donnait des nouvelles fraîches de ses sujets ainsi que des nouvelles fraîches du temps qu'il fait et des recettes de beauté pour rester fraîche jour après jour car il y avait des applications pour tout ça.

Smartfaune, Ô mon beau smartfaune, dis-moi qui est la plus gironde?” interrogeait tactilement chaque matin la marâtre puisqu'elle avait un doigt pour ça.
Le miroir était trop poli pour être honnête et la marâtre trop imbue d'elle-même, fière et vaniteuse et aussi trop bête et méchante pour réfléchir autant qu'un miroir.
C'est le miroir qui se mire dans la reine et pas le contraire se répétait-elle, mais si le royal
smartfaune ne répondait pas à cette question c'est qu'il n'y avait pas encore d'application pour ça et la marâtre fulminait chaque matin depuis que le conte existait.

Le roi Merlin - dit l'enchanteur et par qui les envies prennent vie - l'avait maintes fois prévenue: “Ô marâtre! Ce smartfaune dernier cri “Made in Empire du Milieu” vous perdra. Vous en deviendrez esclave, vous en oublierez le héraut qui sonne, le crieur qui crie, le bonimenteur qui bonimente, la cire qui cachette en cachette, le coursier qui course, l'oiseau qui touite au printemps et aussi les...”

Ô toi dont les envies prennent vie quand pour d'autres c'est fastoche” fulmina la marâtre “tu disais déjà ça pour ma quenouille sans fil, mes loups Boutin de sept lieues, mon épilateur Excalibur, ma lampe halogène de chez Aladin mais aucune des catastrophes que tu m'as prophétisée ne s'est jamais produite!!”

Lorsqu'il était désenchanté l'enchanteur se transformait parfois en cerf vidé et c'est ce qu'il fit.
Comme il regagnait ses bois - ce qui est une bonne chose pour un cerf, même vidé - le royal
smartfaune se mit à émettre une troublante musique.

Smartfaune, Ô mon beau smartfaune, quel air me joues-tu? Dis-moi tout, car je suis la marâtre et je dois tout savoir!” ordonna la marâtre.

Ô marâtre, puisque vous voulez tout savoir j'ai la puce qui sautoie, la mémoire qui flanchoie et aussi la batterie qui merdoie” répondit le smartfaune qui se sentaitde moins en moins royal.
C'est pas cool” répondit la marâtre désabusée et, du doigt qu'elle avait pour ça elle s'empressa de poster un courriel à l'Empire du Milieu avant que son smartfaune ne se pâme.

A mille sept cent lieues de là - soit huit mille kilomètres car la lieue était à 6.47 kilomètres à cette époque - un philosophe de l'Empire du Milieu, affecté au service après-vente déchiffrait entre deux parties de mikado un étrange courriel venu du château de Stauffenburg en Basse Saxe.
Avec celui de Harry Potter, celui de la Belle, celui de la princesse Kaguya et celui de Shrek, ça commençait à faire beaucoup de problèmes autour du merveilleux
smartfaune dernier cri “Made in Empire du Milieu”!

Avec toute la philosophie propre aux sujets de l'Empire du Milieu, il estima que cette marâtre se prenait le chou pour peu de choses et se contenta de lui renvoyer un lien wiki vers Freud et Jung accompagné d'un coupon de réduction sur l'achat d'une horloge * comtoise connectée...

 

A dix lieues de là, Blanche - qu'on appelait toujours Cappuccetto Rosso ou encore la Petite Cape Rouge - croisa un cerf vidé qui ruminait dans sa barbe mais elle se garda bien de le questionner, de peur d'être hors sujet.
Elle se rendait tout droit chez sa great-mother-fucker, sans passer par la case Départ, sans recevoir vingt mille sequins, sans ces foutus miroirs que tout le royaume avait reçu en étrennes... et elle se dit que c'était bien.

 

* l'horloge comtoise est celle qu'on trouve dans les contes (connectée ou pas)

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Le défi du samedi
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