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Le défi du samedi
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16 mai 2009

Conversation basique autour d’un jus de citron (Tiphaine)


Bobby retourna soudain Pamela sur le billard et la regarda droit dans les yeux.

- Au fait Pam, je me demandais, pour un aldéhyde de formule : R-CH2-CO-H… Je sais que le H en alpha du carbonyle est acide car l’attraction du carbonyle affaiblit la liaison C-H et l'ion énolate formé est stabilisé par résonance. Mais quand même… Si c'est le cas du H en alpha, alors pourquoi donc le H qui se trouve sur le C du carbonyle n'est pas acide vu que l’oxygène est électronégatif et décharge le C et donc affaiblit la liaison C-H ?

Bobby se défit vivement de l’étreinte de Pamela pour aller saisir sa citronnade givrée.

Il but deux gorgées pensivement… Pam ne disait rien… Il reprit alors :

- J'ai regardé dans mes bouquins, Pam, et à chaque fois ils parlent du H en alpha qui est acide , jamais du H sur le C du carbonyle, ça me laisse profondément perplexe... Dans un acide carboxylique, le H du OH est acide car le O très électronégatif affaiblit la liaison O-H donc… Est-ce que cette propriété acide dans l’aldéhyde n'est due qu’à la stabilité de l'anion formé et se peut-il que l'affaiblissement de liaison ne puisse avoir lieu que pour un H collé à l'hétéroatome?

Pamela rejeta sa longue crinière auburn sur son épaule soyeuse et dit d’un air las :

- En fait Bobby, c'est très simple, les stabilisations par effet mésomère sont beaucoup plus importantes que les stabilisations par effet inductif… Si je me souviens bien, on appelle ce genre de cas un équilibre céto-énolique. La forme déprotonnée est beaucoup plus stable sous la forme énolate mais cette forme n'est accessible que si un H en alpha part.

Bobby se rapprocha, intéressé.

- Donc, si je comprends bien, le proton en alpha est arraché plus facilement car l'anion formé est plus stable que celui qu’on obtiendrait si on arrachait le proton sur le C carbonyle? Mais ce dernier est quand même un peu acide non, ma Pam?

Pamela vit le trouble qui se reflétait dans l’œil de son compagnon. Elle prit une pose lascive et, dévoilant discrètement son voluptueux nid d’amour, elle poursuivit :

- Mon chou, il faut se dire qu'en chimie TOUTES les réactions sont des équilibres plus ou moins déplacés ! Cela veut dire que le proton du carbonyle pourra être également arraché mais la majeure partie des protons qui seront arrachés sur cette molécule seront ceux en alpha du carbonyle !

Bobby, dans un état second, rapprocha alors fougueusement son bassin de la bouche pulpeuse de Pamela et débita d’un ton saccadé :

- Pam… L'arrachement d'un proton… sur le C du carbonyle… conduirait… Ah… à un anion … dont la charge… négatiiiiive… serait sur le car….bone du carbonyle… donc… sur un ah… sur un ah…tome voisin… d'un ah… d’un atome électronégatif…ce qui est impossiiiiiiible !

Il explosa en elle et haleta :

- L'atome H du carbonyle d'un aldéhyde n'est absolument pas acide…

Pamela bougonna quelque chose d'inaudible et prit soudainement congé.

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9 mai 2009

Une autre vie (Tiphaine)

Si seulement j’étais né dans un autre quartier…
Si j’avais connu la soie plutôt que la merde,
Si ma mère avait collectionné autre chose que ses foutus amants, des tortues ou des porte-clefs, n’importe quoi d’autre...
Si je savais lequel l’a engrossée...
Si j’avais pas cru que c’était le père O’Malley,
Si je lui avais pas foutu mon poing dans la tronche,
Si on m’avait pas renvoyé de l’école…
Si j’étais pas tombé raide dingue de Cindy,
Si elle était pas tombée en cloques,
Si son père l’avait pas tabassée en l’apprenant…
Si elle avait pas perdu le gosse…
Si j’avais pas pété les plombs.
Si j’avais pas commencé à boire.
Si j’avais pas perdu mon boulot.
Si y’avait eu quelqu’un pour m’écouter…
Si j’avais eu quelqu’un à qui parler…
Si je savais comment faire autrement pour tuer le temps que d’aller chez Phillies,
Si je pouvais le tuer dans les bras d’une femme
Robe rouge…
Si c’était pour moi,
S’il n’y avait que moi.
Si y’avait pas les autres oiseaux de nuit…
Si j’avais les moyens de m’acheter un autre chapeau, un autre costume…
Si mes poches n’étaient pas vides,
C’est moi qu’elle regarderait.
C’est avec moi qu’elle finirait la nuit…
Sa main touche presque celle de l’autre…
Celui qui a le bon chapeau, le bon costume, la bonne attitude,
La bonne vie.
Si seulement j’étais né dans un autre quartier…
Si seulement j’avais eu une autre…- 
Patron !
- 
La même chose ?
- 
Non. Une autre…

2 mai 2009

Le pays de l'oubli (Tiphaine)

Editions « Défi du Samedi »

Collection « Yeux grands ouverts »

Le Pays De l’Oubli

Le pitch de Val : Antoine est un petit garçon dont le grand-père perd progressivement la mémoire. Nous le suivons pas à pas dans sa découverte de la maladie de celui qu’il aime.

L’avis de Papistache : On ne peut qu’être séduit par un jeune homme qui non seulement maîtrise l’usage de la négation mais en plus connaît le sens du mot « conscience »…

Le point de vue de Janeczka : Le travail d’illustration me semble particulièrement symbolique. Comment ne pas être sensible à ce qu’évoquent les confettis, sorte de trame figurative de tout l’ouvrage ? Et que dire du halo grisâtre qui entoure le vieillard et qui semble diminuer pour finir par disparaître à la dernière page ? Le lecteur lui-même est comme plongé dans une certaine amnésie puisque l’auteur joue avec sa mémoire visuelle en introduisant à chaque nouvelle illustration une référence plus ou moins marquée à des artistes tels Van Gogh ou Modigliani… Encore faut il retrouver les huit ! Vous êtes déstabilisé ? Alors laissez-moi vous poser encore deux questions : pourquoi la chambre bleue n’est-elle pas bleue ? Pourquoi le grand-père a-t-il des vêtements différents et ne porte-t-il pas de barbe sur la dernière illustration ? Ce dont vous pouvez être sûrs, c’est qu’il y a une réponse… Mais saurez-vous la trouver ? !

Le conseil de Papirate : Quoi ? Il vous plaît pas mon nouveau pseudo ? Vous croyez qu’il n’y a que Papistache ici à être Papy ? Vous croyez que ça m’amuse, moi, vos plaisanteries douteuses du genre « ouah le russe » ? ! Pas du tout ! Quoi ? Vous voulez que je vous parle du livre ? Vous n’avez pas un truc plus intelligent à me demander ?

25 avril 2009

On ne voit bien qu'avec le cœur (Tiphaine)

defitiph

18 avril 2009

Les mots ne s’usent (Tiphaine)

Tout le monde n’a pas la chance d’avoir un écrivain dans sa famille.

Moi, j’ai cette chance.

Et cette malchance aussi.

J’ai grandi dans un monde de mots et de livres.

C’est beau les mots, c’est beau les livres…

Je peux louer ou inviter un écrivain le temps d’un dîner ?

C’est bien vrai ? !

Alors j’invite papa.

J’invite papa.

Je ne le loue pas.

Papa ne se loue pas. Il ne sait pas se louer.

Je le loue moi, pourtant…

J’aime ses mots. Sans ses mots je ne serais pas.

Ses mots m’ont faite.

Ceux qu’il a écrits, et ceux qu’il n’a pas dits aussi.

J’invite papa.

Il est assis en face de moi. Il est intimidé je crois. Il regarde son assiette d’un air qu’il doit vouloir détaché. D’habitude, il lui suffit d’opiner à tout ce que je dis, il me sait bavarde…

Au téléphone, mon jeu c’est d’essayer de dépasser la minute de conversation avec lui. Rarissime. En général, j’ai droit à trente secondes au mieux. « Je te passe ta mère. Bisous. »

En voiture, je parle, je parle, et il répond parfois. Tant que nous abordons des sujets culturels, la conversation roule toute seule, comme la petite auto. Nous ne nous sommes jamais fait flascher. Aucun danger. C’est ce qui n’est pas dit qui illumine, qui irradie…

Sur la photo que nous enverrait la gendarmerie, on verrait un père et sa fille derrière un pare-brise. Bouches fermées. On pourrait croire que nous ne disons rien.

C’est faux.

J’invite papa.

Il regarde son assiette. Il sourit parfois parce que j’essaie de le faire rire, j’aime bien quand il rit. Y’a son sourire qui s’échappe soudain de sa barbe…

Quand je pense à lui je vois un immense bureau en bazar, des feuilles griffonnées partout, une équerre en plastique sur laquelle il a inscrit « papa », un stylo relié à un fil parce qu’il en a assez qu’on le prive de ses outils…

Je me suis emparée du stylo qu’il ne voulait pas me donner.

J’écris pour qu’il sache que je l’aime puisque les mots qui sortent de ma bouche sont trop violents pour lui.

J’invite papa.Il ne partira pas avant que je le lui dise en face :

Je t’aime papa.

Il est gêné. Il se retire derrière sa barbe. Il finit par parler, quand même :

- Il ne faut pas trop dire ces mots là, sinon, ils s’usent…

Non, papa, certains mots ne s’usent que si l’on ne s’en sert pas…

Je t’aime papa.

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11 avril 2009

L’As des As (Tiphaine)

Il était une fois quatre amis qui vivaient en harmonie dans une maisonnette au cœur de la forêt des Cartes Oubliées. Quiconque passait par là remarquait immédiatement l’impressionnant toit qui était couvert de tuiles décorées aux quatre couleurs. La petite porte d’entrée était surmontée d’une plaque en céramique qui indiquait à l’éventuel visiteur les formalités à accomplir pour en franchir l’accès :

Maison des As, Règlement :

1. Enlever son chapeau,

2. Ne parler que quand on y est invité,

3. Déposer armes et parapluies sous le paillasson,

4. Jokers, s’abstenir.

Les quatre As n’aimaient pas les visites imprévues et souhaitaient se prémunir à tout prix des bouleversements dont ils n’étaient guère coutumiers.

Un beau jour, en réalité, nous pouvons bien vous le dire, il faisait toujours beau dans la forêt des Cartes Oubliées mais c’est une sorte de convention littéraire que nous nous devons d’appliquer… Un beau jour, un étrange personnage apparut au bout du sentier. Un drôle de bonhomme, qui avait l’air d’hésiter à chaque pas et paraissait même parfois sur le point de rebrousser chemin. Bon gré, mal gré, il arriva enfin sur le seuil du logis et lut la pancarte avec une application touchante. Il enleva son béret rouge et son épée puis les déposa comme convenu, sous le paillasson. Débarrassé de ses attributs, il semblait encore plus intimidé…

Après quelques minutes, il se décida enfin à frapper. La porte s’ouvrit et l’individu sus non nommé pénétra dans un salon au milieu duquel une chaise avait été placée probablement à l’intention du visiteur. Il marqua un temps d’arrêt et son visage montra tous les signes d’un intense questionnement. Tandis qu’il se perdait en tergiversations, une voix l’interpella soudain en l’enjoignant de décliner identité et motif de la visite.

Il s’exécuta fébrilement en expliquant qu’il avait pour nom Tudinaire et qu’il était le valet de la Reine Denim (fort connue pour ses djinns mais là n’est pas la question). Cette dernière priait les quatre As de bien vouloir déterminer rapidement lequel d’entre eux était l’As des As car la forêt des Cartes Oubliées souffrait de plus en plus d’un cruel manque d’organisation. Il lui fallait un chef, d’urgence…

Dans la pièce voisine, planqués derrière un miroir sans tain, les quatre As regardaient leurs reflets en chiens de faïence… L’heure était grave… L’instant tant redouté venait de se produire… Il leur fallait élire un chef…

Le plus petit d’entre eux prit alors la parole :

- Tudinaire , voilà ce que tu diras à ta maîtresse. Il nous est impossible de choisir, nous avons déjà retourné la question plusieurs fois depuis plus de mille ans, chacun d’entre nous a l’étoffe d’un manageur de première main, c’est le peuple de la forêt des Cartes Oubliées qui devra trancher par l’intermédiaire d’un vote. Il aura lieu dans huit jours, sous le grand chêne, à midi pile…

La voix se tut subitement. Le Valet Tudinaire attendit un moment. En vain. La porte s’ouvrit et il crut comprendre que c’était là la réponse qu’il attendait. Il finit donc par partir, non sans avoir hésité à de nombreuses reprises…

Huit jours plus tard, les habitants de la forêt se réunirent au lieu convenu. Ce n’étaient que bruissements inquiets et frôlements de papiers à mesure que la rumeur enflait et que l’heure du vote arrivait... Placardée sur l’immense tronc, une affiche indiquait aux électeurs les quatre programmes des quatre candidats.

Pour mettre fin au suspense qui vous étreint indubitablement, nous vous livrons sans attendre les slogans tels qu’ils étaient accrochés sur les quatre branches du grand chêne.

- Votez pour l’As Ticot ! Vous serez dans le dico !

- Avec l’As Sassin, plus besoin de médecin !

- Avec l’As Pirine, vous aurez bonne mine !

- Votez pour l’As Oif ! Ouaf ! Ouaf ! Ouaf !

Les habitants de la forêt des Cartes Oubliées n’étant pas cabots, ils votèrent en masse pour Oif, son slogan ayant fait mouche.

C’est ainsi, chers amis des défis, que l’As Oif devint l’As des As ce qui illustre parfaitement le vieil aphorisme pékinois que d’aucuns attribuent à Confucius lui-même :

« Tire Li Pin Pon Sur Le Chihuahua ! »

4 avril 2009

L’asperge tatouée (Tiphaine)

Elle est allongée sur le lit, elle téléphone.
Le narrateur ne précise pas à qui.
Le lecteur est obligé d’imaginer.

Tu savais pas ?…. Ouais, c’est vrai… tu es partie trois mois !… Bon,  j’te résume ! Y'a un fournisseur et un (rires) et un client (re rires)  qui sont arrivés chez moi en même temps !… Y’a deux semaines… J’te jure !… Le fournisseur, il me passe un coup de fil pour me dire qu’il sera en retard parce qu’il doit galérer 2 heures avec un foutu programme  informatique, « faut valider valider valider » qu’il me dit, il arrêtait pas de répéter ça, il m'a tuée de rire au moins 4 heures, alors moi j’me suis dit que la voie était libre, que j’avais le temps de recevoir mon client, enfin, ma cliente, il veut que je fasse comme si (rires)…, bref, du coup j’l’appelle la cliente et c’est là qu’il me dit qu’il est parti au cinéma avec sa copine… Ah oui, l'excuse… « Ah ben c'est ça ! » que j’lui réponds au client, prends-moi pas pour une conne, c'est des choses auxquelles il faut penser quand même quand on a rendez-vous avec une dame, nan ? … Ben nan genre ya ça tu vois… J’te l’dis moi, j'étais choquée aussi…

Ouais, alors j’te raconte la suite, ça a foiré parce que le fournisseur il a fini plus tard que prévu, alors il arrive, comme d’hab, il fait sa livraison de capotes et de lubrifiants et moi j’ lui fais un ptit extra, rapide quoi… Putain ? ça va pas quoi ? … Ah oui effectivement je pensais que c'était plus clair que ça… Y’a d’autres  mots quand même… Va à l'école ! ... Nan, moi j’dis «dame de compagnie», faut pas confondre…

Bon, tu me laisses parler ou quoi ? J’lui dis que j’suis pressée, « vas-y bébé, vite ! », le truc habituel, quand soudain je remarque qu’il s’est fait tatouer son lutin chauve… (rires) Devine !… Tu trouveras jamais !… « c'est mieux qu'aux répétitions la déesse? », (re rires) j’te jure, c’est ça qu’était marqué !… Attends c’est pas fini ! Là-dessus arrive mon client qu’est soit disant une cliente, avec une heure d’avance, elle tombe sur le fournisseur avec l’asperge tatouée et elle crie : « C'est quoi ces trucs ? ! » Excédée !… Comme si j’étais sa seule copine genre ! Ah ouais t’as raison, faut pas l'inviter celle-là…(rires)…

Et puis v’là que la cliente elle se précipite sur la bête au long cou de mon fournisseur, elle zyeute ses roubignolles, enfin, je sais pas si elle les a regardées ou si elle les a juste broyées dans sa main, mais en tous cas le gars il hurlait comme un goret… « Oh ça y est bon ben j'm'en vais » qu’il disait le pauvre, alors il s’est barré mais il a repris ses lubrifiants et il m’a laissé que trois capotes… Nan !… Même pas ! Elles avaient déjà servi ! Je suis vénère parce que je croyais que c'était neuf moi, j’vais pas pouvoir les réutiliser… T’abuses là… on peut pas faire ça… Je maîtrise pas mais je maîtrise mieux que la finance… Ouais… Tu m’appelais pour quoi au fait ?… Ce soir ?… Ben ça tombe mal… Mon sèche cheveux m'a lâchée ce matin, je sais pas comment je vais faire… Et puis il fait sec là, il fait froid, j’vais me geler… Ouais… On fait comme ça… De toute façon on se voit là-bas !… Ah nan ! Recommence pas ! maman moi... enfin tu sais bien… J’ai pas le temps…

28 mars 2009

Veilleuse (Tiphaine)

C’est la nuit et je suis dans ma voiture. Les roues avalent les kilomètres, doucement. C’est curieux cette impression d’aller lentement quand on est lancé à plus de cent sur une route… Le vroum-vroum a endormi depuis longtemps mes lutins. Dans le rétroviseur, j’aperçois leurs têtes d’anges. Ils sont beaux quand ils dorment, on croirait qu’ils flottent dans le bonheur… Un sourire sur le visage de mon fils, un rêve de chocolat ? Ma fille suce son doigt, j’aime tellement le petit bruit qu’elle fait, elle le perd soudain, son petit corps s’agite dans son sommeil, puis elle le retrouve et s’apaise immédiatement.

Les roues avalent les kilomètres et la nuit tandis que la radio chante un air nostalgique dont je ne retiendrai pas les paroles. J’ai mes propres mots.

« Dormez petits lutins de mon cœur, maman est là qui veille, dors mon homme chéri, je sais le chemin »…

Ma 206 ronronne, un lapin là-bas, dans les phares… Il me regarde surpris et détale aussi vite qu'il était apparu. Sur lui aussi, je veille…

J’aime ce moment, au cœur de la nuit. J’aime être celle qui veille. Mon petit monde dort, à l’abri du froid du dehors, bercé tendrement par les vibrations de ma voiture grise.

Et moi, je ne sais rien de plus doux que leurs sourires confiants, je ne sais rien de plus beau que ces nuits de veille…

Tout à l’heure, ils ouvriront les yeux, ils auront de petites têtes ensommeillées, tout étonnés d’être arrivés, déjà. Tout à l’heure…

« Dormez petits lutins de mon cœur, maman est là qui veille, dors mon homme chéri, je sais le chemin »…

21 mars 2009

Hommage aux 64 défiants (Tiphaine)

   

    Un an de défis
    Vidéo envoyée par poutouland   

    Musique : Thelonious Monk - Locomotive   

14 mars 2009

Le génie Colog (Tiphaine)

Encore une sale journée… Le téléphone vient de sonner, six heures du matin, c’est pas une heure pour réveiller les honnêtes gens… Un minet avec une voix tonitruante me demande quelle est ma radio préférée. Je sais bien qu’il attend Skyrock, ce con… Avec ma gueule enfarinée, je grommelle : « France-Inter ». « Oh ! Quel dommage madame ! Vous venez de perdre 10 000 euros ! Bonne journée ! ». Et il raccroche avec un rire infernal… Connard… Si tu crois que je vais vendre mon âme pour ta radio de merde, tu te trompes… Tiens, ça me rappelle les patients de la clinique, quand j’étais internée. Tous les soirs, ils regardaient la roue de la fortune. Ils avaient décidé qu’il fallait m’inscrire d’urgence parce que je sais jouer beaucoup plus vite que la plupart des candidats. Hors de question que j’ai répondu ! J’irai pas m’protistuer à la télé ! Et eux d’insister : « Mais vas-y, tu pourrais te faire plein de blé… ».

J’irai quand ce sera José Bové qui présentera. Et Arlette Laguiller qui tournera les lettres.

Encore une sale journée…

Je me lève, puisque je suis réveillée… Faut bien… Je me demande bien pourquoi, quand même… A quoi ça sert ? Je suis en arrêt maladie depuis plus de six mois. Pas de boulot. Plus d’enfants. Plus de mari. A quoi ça sert de faire le lit puisque je vais le défaire ce soir ? A quoi ça sert de me laver puisque je vais me salir ? J’ai jamais compris ça… On s’essuie dans des serviettes, elles deviennent sales, on continue quand même à s’en servir, non ? Elles sont pas censées être propres vu qu’on s’est lavé avant ? Déjà que je comprends pas ça, je vois pas comment je pourrais comprendre le reste.

Ce monde est trop compliqué pour moi…

Pas le temps d’y réfléchir, dans une heure j’ai rendez-vous avec mon psy…

Je vais sous la douche. C’est mon quart d’heure quotidien de gloire. Mon pommeau, c’est mon micro. Je suis belle, je suis aimée et ma voix les subjugue…

Bordel de merde ! Qu’est ce que c’est que ce truc qui sort de la cuvette des toilettes ?

- Bonjour belle madame ! Je suis Colog, le génie des eaux, pour vous servir !

- Ouais… c’est ça… Casse-toi génie des zoos, tu trouves pas que je suis assez cintrée comme ça sans avoir besoin de subir ces hallucinations ?

- Permettez-moi d’insister, gente dame, vous n’hallucinez point !

Voilà-t-y pas que l’apparition s’approche de moi… Dis-donc… c’est fort quand même… Je peux toucher, ça sent, ça bouge, ça parle, c’est super crédible…

Je vais de plus en plus mal moi…

- Ma chère, que diriez-vous de commencer par votre premier vœu ? Demandez ce qu’il vous plaira, je suis à votre service !

Je vais lui répondre, peut-être qu’il me foutra la paix après ça… Qu’est-ce que je pourrais bien vouloir moi qui ne veux plus rien ? C’est pénible ces foutues déprimes, ça vous enlève le goût à tout…

- Tiens le génie ! Voyons voir si tu peux faire ça ! Voilà six mois que je me traîne une dépression sévère, ras-le bol, je voudrais vivre dans l’euphorie !

- Vos désirs sont des ordres ma tendre amie ! répond le Colog des lavabos.

Putain c’est pas vrai ! Qu’est-ce qui m’arrive ? !

- Hé ? Le génie ! C’est quoi ce bordel dans ma salle d’eau, tu veux me noyer ou quoi ? Mais… c’est du riz… et ces trucs là ? C’est de l’œuf ! J’y crois pas…

Tu sais que t’as un problème, toi ? que je lui dis, au génie.

- Madame, je vous prie de m’excuser mais nous sommes pressés par le temps, auriez-vous l’amabilité de passer à votre second vœu je vous prie ?

M’est avis qu’il a un grain, le génie, en même temps, si c’est une hallucination tout droit issue de mon cerveau débile, ça devrait pas m’étonner plus que ça…

- Ouais… Voyons… Tiens, je voudrais bien avoir du blé, ça me ferait pas de mal !

- Rien de plus facile ma belle ! Et voilà le travail !

Bordel de merde ! Mais pourquoi je n’ai pas réfléchi avant de parler ?… Comique le gars…

- Hé ! Le génie ! Tu portes bien mal ton nom ! Qu’est-ce que tu crois que je vais faire avec tout ce blé ? A ce rythme là je vais pouvoir ouvrir une épicerie ! Le riz et l’œuf, ça suffisait pas peut-être ?

- Ma douce, ne me gratifiez pas de votre courroux, il est parfaitement injustifié, je ne fais qu’accomplir vos désirs à la lettre ! Me feriez-vous l’extrême honneur de m’indiquer votre troisième souhait ?

Là, faut faire gaffe… De l’or ? Ouais… Il est capable de faire apparaître Jacques Delors dans ma baignoire, c’est pas une bonne idée…Un corps beau ? Non, pas envie de me transformer en volatile… Voyons… qu’est-ce qui me manque ?…

- Bon, le génie, tu déconnes pas cette fois-ci. Je voudrais juste un petit ami, je me sens trop seule…

- Délicieuse damoiselle, je m’exécute avec grand plaisir, vous avez des désirs si simples !

O.K…. J’ai pas l’air con, moi, avec mon petit tamis… Je sens que je vais craquer…

- Tiens le génie ! ça fait quoi un tamis dans la gueule ? ça fait mal ?

- Ne vous emportez pas belle enfant ! Je suis déçu que mes services n’aient pas l’air de vous convenir, je fais pourtant tout mon possible pour vous être agréable, je ne comprends guère votre hostilité ! Auriez-vous l’obligeance de prononcer votre dernier vœu, que je puisse regagner mon univers aqueux ?

La génie Colog veut regagner son univers à queues… Mon esprit est drôlement pervers ce matin … Quand je vais raconter ça à mon psy, il va vouloir m’interner à nouveau… Mauvaise idée, faut pas que je lui en parle… Cette hallucination est tout bonnement incroyable… On dirait un vrai, quand même… Et puis ce tamis dans mes mains, je ne l’avais pas avant… Je ne peux tout de même pas…. Non, j’peux pas… Qu’est-ce qui m’arrive ?… Je crois bien que je suis en train de perdre complètement la boule…

- Je vous prie de m’excuser mon cher ange, je m’en voudrais d’insister mais il est temps de vous décider !

- Si je te le dis, ce dernier vœu, tu vas t’en aller, tu vas me laisser tranquille, hein ?

- Hélas oui ! C’est le cruel destin des génies que de s’évaporer après avoir apporté joie et bonheur dans les demeures qu’ils visitent… Jamais nous ne récoltons de lauriers, toujours nous agissons dans la discrétion… Mais, revenons à vous, ma jolie fleur des villes, que souhaitez-vous ?

Vite… Trouver un vœu que ce sagouin ne va pas mal interpréter… Si je me débrouille bien, j’en serai débarrassée et je n’arriverai pas en retard à mon rendez-vous…Tiens, un super pouvoir, en v’là une idée qu’elle est bonne !

- Génie, y’a un truc dont j’ai toujours rêvé… Je voudrais voyager à travers le temps !

- Votre choix est original, je n’en attendais pas moins de vous ! Adieu ! Soyez heureuse !

Pfiout ! Il est parti ! Hé merde… Il a pas rembarqué son tamis et sa bouffe… Y’a quelque chose qui cloche… Mais…. Qu’est-ce qui se passe ? Mon dieu ! Je suis en train de rétrécir ! Haaaaaa ! Au-secours ! Je… Je suis minuscule… Je… Bordel de merde ! Qu’est ce que c’est que ce truc ? On dirait une grosse mouche grise ! Mais… ça vient vers moi ! A l’aide ! C’est en train de me bouffer ! Ce truc vient de m’avaler !

Il fait noir…

Cette bestiole doit avoir un estomac d’au moins douze kilomètres, à l’allure où je vais, j’suis pas prête d’en voir le bout…

Il fait noir…J’crois bien que j’suis dans une veine maintenant… c’est mon jour de chance…

Je savais bien que c’était une sale journée…

Pourquoi j’ai pas dit Skyrock ? Mais pourquoi j’ai pas dit Skyrock ? ! ! !

Il fait noir…

Je commence à trouver le taon long…

7 mars 2009

Même pas blonde‏ (Tiphaine)

Thème : La peinture n'avait qu'un défaut
Genre : un quatrain

On dirait qu’elle nous regarde la Joconde
Mais faudrait pas nous prendre pour des idiots
C’est rien qu’une peinture, elle est même pas blonde
C’est pas elle en vrai, c’est rien que des zoripeaux
7 mars 2009

Arrêter la pilule ou addictions amoureuses ?‏ (Tiphaine)

Thème : Arrêter la pilule ou addictions amoureuses ?
Genre : deux alexandrins

La pilule ? J’arrête quand je veux, dit-elle.
Mais c’est tellement bon, que j’attendrai demain !
7 mars 2009

Elle écrit tôt (Tiphaine)

Genre : un poème  de forme libre 
Thème : Elle écrit tôt

Dans le ciel de ses mots
Elle dessine des ombres folles.
D’indolents voyageurs
Juchés sur des nuages d’opale
Lui soufflent doucement…
… les chants emprisonnées de l’ambre.
Elle écrit tôt :
Le ciel n’attend pas.
7 mars 2009

Les désirs de Simone sont des ordres‏ (Tiphaine)

Thème : Rideaux pour fenêtres arrondies
Genre : une nouvelle en cinq lignes

Monsieur Tautavel était en nage, il suait à grosses gouttes. Il avançait
à une allure escargoline dans les rayons du supermarché. Les clients le
dévisageaient avec effroi, il faisait peine à voir. Les enfants se
reculaient avec dégoût, certains, même, pleuraient à chaudes larmes…
Monsieur Tautavel avait déjà passé plus de dix heures d’affilée au
milieu des rideaux, il n’y arriverait jamais, c’était sans espoir… Il
allait enfin renoncer quand une jolie caissière lui remit l’objet de sa
quête. C’est Simone qui allait être contente…

7 mars 2009

Pile poile‏ (Tiphaine)

Thème : Femme avec poil sur le ventre
Genre : une nouvelle en cinq lignes

Elle s’était réveillée nauséeuse, elle avait pris une douche rapide et
s’était ensuite regardée dans la glace. Horreur ! Là, au beau milieu de
son ventre, un poil hideux avait poussé pendant la nuit. Armée d’une
pince à épiler, elle avait tenté d’arracher l’odieux mais plus elle
s’acharnait, moins elle y arrivait. Quand les ambulanciers arrivèrent,
il ne restait déjà plus d’elle qu’une main tremblante au bout de
laquelle un gros ventre tombait…
7 mars 2009

Coucou 2‏ (Tiphaine)

Thème : addictions amoureuses
Genre : un haïku

L’amour serait-il
Névrose obsessionnelle ?
Il est. C’est tout dire.
7 mars 2009

Un haïku (Tiphaine)

Thème : A quoi servent les hommes
Genre : un haïku

Bien droits dans leurs bottes
Attendant l’assaut final
Les hommes soupirent

 
21 février 2009

Président, Directeur et Général (Tiphaine)

- Monsieur le Ju..., Monsieur le ju..., Monsieur le juge, Mesda..., Mesda..., Mesdames et Messe et Messe et Messieurs les ju..., les ju..., les ju..., les ju....

Tout à coup le silence se fait dans la salle, je dois être très très vieux, tout le monde me regarde avec de gros yeux en fronçant les sourcils. Je dois avoir fait quelque chose de très très mal. Je ne sais pas quoi.

Mon avocat ouvre à nouveau la bouche :

- Monsieur Sark..., Monsieur Sark..., Monsieur Sark..., Hum... Mon cli..., mon clicli..., mon clicli..., mon CLIENT est innocent.

Grondement de stupeur dans l’auditoire. Les jurés osent même quelques sifflets. Il me semble que ces gens ont été très mal choisis. Mon avocat a dit que c’étaient des humbles, que c’était bon pour nous, pour mon image, ce type est un incapable, je vais me faire laminer...

Il reprend péniblement et explique que le crime dont je suis accusé n’est pas abominable et qu’il demande mon acquittement. C’est si long. J’entends quelques ricanements, mais qui donc a pu inventer cette loi sur la discrimination positive ?, quelle connerie, un avocat bègue pour MOI, mais quelle connerie...

- Monsieur Sark..., Monsieur Sark..., Monsieur Sark..., mon CLIENT n’est pas un dicta..., dicta..., dictateur. Certes, il s’est peu à peu à peu à peu imposé comme... comme... comme empereur par la force MAIS il n’a pas zob..., zob..., zob..., zobligé qui que ce soit à à à à ...

Ce salopard va me flinguer, il faut que je l’oblige à se taire. Je me lève soudain et je hurle :

- Casse-toi pauvre con !

L’avocat et la cour me fusillent du regard, le juge appelle la garde impériale à son secours, ils veulent me ramener dans ma cellule à coup de Kärcher, je pisse dans mon froc, je crie, je hurle :

- Mère ! Mère ! Ils ne savent pas ce qu’ils font !

.

Dans le lit de ses parents, le petit surdoué est en larmes.

Sa mère le caresse tendrement :

- Ce n’est rien mon petit, c’est juste un vilain cauchemar...

Son père voudrait bien se rendormir :

- Ne t’inquiète pas, fils, plus tard, tu seras PDG comme papa .

L’enfant s’interroge à voix haute :

- Ça veut dire quoi, PDG ?

« Président Directeur Général », répond le père avec une pointe de fierté dans la voix.

Le petit sèche ses larmes d’un geste nerveux et retourne dans sa chambre.

La nuit est calme. Il aligne ses peluches autour de son lit, en rang. Il leur murmure des ordres invisibles, il les déplace ou les renverse en éclatant soudain de rire.

Président, Directeur et Général...

Il s’endort le sourire aux lèvres...

14 février 2009

Bis et Pépita (Tiphaine)

Je ne sais pas si vous connaissez la petite ville de Forges-Les-Os. Elle n’est pas très connue, à vrai dire. Quelconque est l’adjectif qui me vient à l’esprit. Une église qui n’a rien de particulier, une petite supérette à côté de la mairie, il y eut une poste avant l’époque de la décentralisation à outrance mais c’était il y a bien longtemps… Aujourd’hui, il ne reste guère que quelques rues sans âme véritable et une petite centaine de personnes qui attendent que le temps passe. Essentiellement des personnes âgées, les jeunes sont partis depuis longtemps à la capitale dans l’espoir parfois illusoire de trouver là-bas qui un travail, qui un amour, qui un semblant de vie. Forges-Les-Os végète et seuls quelques historiens se souviennent qu’elle fut la ville natale d’un inventeur de génie qui exporta sa science dans les contrées reculées de l’ancien empire Ottoman. Aucune plaque ne le signale d’ailleurs, Forges-Les-Os n’a ni passé ni futur. A peine un présent.

Que vous dire d’autre sur cet endroit oublié des dépliants touristiques ? Le maire est un homme sans histoire, depuis des générations on exerce ici cette fonction de père en fils et personne ne trouve rien à y redire. C’est dans l’ordre des choses. Le curé ? Cela fait bien longtemps qu’il n’y en a plus, les âmes ferventes prennent leur auto chaque dimanche pour la grande ville voisine. Le docteur ? Quel docteur ?

Non, Forges-Les-Os est une petite ville quelconque sans grand intérêt ni personnage particulièrement saillant.

A la réflexion, il y aurait peut-être bien ce Valentin Noli…

Valentin Noli n’est pas un facteur comme les autres. Non, ce n’est vraiment pas un facteur comme les autres… Pour commencer, c’est le seul facteur. Ah ! Vous devriez voir son vélo, vraiment ! Il est rose, comme son cœur. Valentin Noli est un doux rêveur comme on n’en fait plus. C’est miracle s’il fait une tournée sans une seule erreur de distribution. Mais Valentin est un gentil garçon, personne ne s’en est jamais plaint à la direction générale. Il faut dire que c’est le chéri de ces dames, plus d’une pense à lui en s’apprêtant le matin, choisissant avec soin le délicat déshabillé qui la mettra le mieux en valeur quand elle ira d’un pas négligent à sa rencontre. Ensuite, il ne leur reste plus qu’à entendre avec impatience que midi arrive enfin. Mais Valentin n’a jamais le temps de glisser ses délicates mains dans la moindre boîte aux lettres, ses admiratrices, dès « poltron miné », guettent sa silhouette gracile derrière les rideaux légers des maisons. Seuls quelques grincheux demeurent insensibles à son charme. Jean-Pierre Bachi-Bouzouk en est un. Réfractaire au plus haut point. A peine entend-il la joyeuse sonnette du vélo rose qu’il se précipite sur sa zapette et monte le son de sa télévision…  

Mais Valentin ne s’en chagrine pas. Il est d’un naturel heureux et confiant. Son voisin ne peut pas avoir un cœur de pierre, il est juste un peu… bougon. Un ours grognon à qui la vie n’a pas encore offert la chance d’être touché par la grâce de l’amour. D’ailleurs, il est un signe qui ne trompe pas, c’est un « bis » qui sépare leurs maisons et, chaque fois qu’il fait sa tournée, Valentin sourit tendrement en espérant qu’un jour ce bis se transformera en bise… et c’est avec entrain qu’il appuie allégrement sur les pédales de son engin, songeant avec délice comme il est bon d’aimer.

Car Valentin est amoureux. Amoureux fou. Ah ! La belle Pépita, la délicate, la mignonnette, la pucinette coquette de son cœur… Chaque jour, il lui conte fleurette et les yeux de la demoiselle s’allument, toute la rue des Mimosas s’embrase soudain de son sourire à couper le souffle. Et les dames de Forges-Les-Os se pâment d’envie derrière leurs fenêtres fleuries…

14 février. Aujourd’hui, c’est la saint Valentin. Notre facteur, comme tous les matins, se rend à la ville voisine pour chercher le courrier qu’il doit distribuer. 78 missives l’attendent avec impatience. Notre Valentin constate avec surprise que 77 lui sont adressées. La 78ème, il la connaît bien, c’est celle qu’il a adressée lui-même à la belle Pépita.

Enfer et stupéfaction ! Valentin revient à vive allure chez lui, étale brusquement son butin sur le petit bureau et l’examine avec un peu plus d’attention. 24 cartes, la plupart signées, envoyées par les quelques veuves et célibataires de la ville. Au hasard, il ouvre quelques lettres, les mêmes tournures enflammées reviennent, les cœurs brisés, les espoirs, les je t’aime absolus… Celles-là ne sont pas toujours signées, elles portent parfois un petit prénom féminin ou un indice sensé guidé notre facteur vers l’élue de son cœur. Les « je t’attendrai à minuit rue des Capucines » côtoient les « j’aurai ma petite robe bleue » et plus rarement les « je serai entièrement nue ».

Valentin n’en revient pas. Fébrilement, il recherche l’éventuelle lettre que sa dulcinée pourrait lui avoir adressée. Il trouve enfin. Elle ne l’a pas oublié. Juste trois petits mots au dos d’une carte. Il respire enfin. Il reprend ses esprits.

Il est bientôt dix heures, Valentin devrait déjà avoir entamé sa tournée. A quoi bon se presser, pense-t-il soudain. Il n’a qu’une seule maison à visiter.

Il entend soudain le son d’une télévision dans la maison voisine. C’est alors qu’une idée lumineuse traverse le cerveau du gentil facteur.

Puisque tout le monde s’accorde à dire qu’il est un étourdi notoire, pourquoi ne pas profiter de l’occasion ? Elle est si belle ! Il suffirait qu’il dise qu’il a égaré la tournée du jour, tout simplement…

Dans la salle à manger de monsieur Bachi-Bouzouk, le générique d’Amour Gloire et beauté retentit à tue-tête.

Il y a mieux à faire, songe Valentin Noli en regardant toutes ces lettres éparpillées devant lui, bien mieux… Il commence par faire le tri des adresses et ne retient que celles qui pourront convenir à la réalisation de son plan. Par chance, toute la ville l’appelle Valentin, très peu de personnes connaissent son nom de famille et 69 missives contiennent simplement l’adresse « A mon Valentin, 38 bis rue Saint-Eusèbe, Forges-Les-Os ». Décidément, la chance est avec lui ce matin. Il s’empare ensuite d’un blanco et d’un effaceur et, scrupuleusement, il élimine tous les « bis ».

Il est presque midi. Valentin enfourche son vélo rose et fait retentir sa sonnerie joyeuse. Aussitôt, son voisin se précipite sur sa télécommande et, les yeux rivés sur l’écran, il ne sait rien des 69 lettres que le facteur dépose dans sa boîte.

A midi 5, la rue des Mimosas s’enflamme et les dames de Forges-Les-Os enragent derrière leurs fenêtres fleuries.

A ses supérieurs, le lundi suivant, Valentin déclare le rouge aux joues : « Je suis vraiment désolé, je n’avais pas la tête à mon travail ce samedi... Quelques erreurs ont peut-être été commises... Quelques lettres égarées ? ». Aucune réclamation n’a pourtant jamais été faite depuis, pas la moindre plainte et Valentin est toujours le facteur bien aimé de sa ville.

A chaque saint Valentin, les dames de Forges Les Os rivalisent d’imagination, elles espèrent en secret être celle qui détournera le gentil facteur des bras de l’odieuse Pépita. En vain.

Cette année, Valentin et Pépita ont décidé de se marier, les hommes de la ville se réjouissent.

En secret.

Et monsieur Bachi-Bouzouk, me direz-vous ?

On murmure qu’il est amoureux et que, chaque nuit, une demoiselle l’attend « entièrement nue »…

En secret.

 

7 février 2009

Défi 46 (Tiphaine)

BACHI-BOUZOUK François : 1301 Forges les Os, 1346 Izmir

Chirurgien célèbre de l’empire Ottoman, il est l’inventeur du premier casse-crâne à ne pas confondre avec le casse-tête chinois et le kass- kouï ouzbek. Le casse-crâne, comme son nom l’indique, est une arme constituée d'une masse lourde et sphérique accrochée au bout d'un pieu plus ou moins long et destinée à briser les os du crâne qu’il soit casqué ou non.

Cette arme, à laquelle il donna son propre nom, connut un succès fracassant, de nombreux soldats têtus et criminels crâneurs l'adoptèrent avec enthousiasme

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Le défi du samedi
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