Participation de Tata Béa
Ce que m'ont appris les livres ... d'eux
Ploc, ploc, ploc...
Les gouttes gouttaient lentement, d'un rayonnage à l'autre dans le silence de la nuit.
« Tiens, il pleut... » pensais-je dans l'innocence du sommeil. Plac, plac, placplacplac... « Ah mais non il ne peut pas pleuvoir sur moi ! » réagis-je dans la panique du réveil.
Mais j'avais la joue mouillée, la tête mouillée, le cou mouillé...De l'eau me tombait dessus et aussi à côté ! D'un bond je fus hors du lit, dans la flaque. Splach, splach, splach « Il y a de l'eau partout ! » pataugeais-je désespérée dans le froid du désastre.
Quand je fis de la lumière (en entrouvrant les volets) je vis l'eau qui dégoulinait le long des murs, depuis le plafond entier, sur le sol, le lit...sur ma bibliothèque ! Elle ruisselait, dégouttait, pleurait de sa rage impuissante à se laisser tremper sans rien faire.
Mes livres s'avachissaient, s'ouvraient, se tordaient sous le poids de cette eau intruse.
J'ai pensé à toutes les bibliothèques dont j'avais lu les destructions : Alexandrie, Rome, celle du « Nom de La Rose », celle, reconstituée, dans le « Jeu de l'Ange ».. mes bibliothèques fantasmées, disparues, rêvées dans ces livres qui s'abimaient sous mes yeux.
Les livres forts, ou futiles, militants, dispensateurs de savoir, de douceur, de beauté, d'exemples. Ceux qui avaient calmé mes angoisses, provoqué mes émois, nourri mes curiosités, ils étaient de papier, fragiles et destructibles : pages de chiffon, remplies de signes noirs, symboliquement protégés par leurs couvertures fanfaronnes ou sobres.
Ils pliaient devant un simple filet d'eau, laissant fuir de leurs pages l'encre de la connaissance.
J'avais de l'eau sur les joues.
Code en cloche (Tata Béa)
Dilong, dolong, dolong..
Énergiquement secouée par sœur Marie-Pierre la cloche s'étouffait, s'emmélait le battant, se saturait l'airain et éteignait in petto nos conversations.
En rangs par deux, cheveux rattachés, lacets noués et col redressés nous attendions.
Diling, diling..
Perlière et délicate, imperceptiblement agitée la clochette nous faisait avancer, silencieuses et sages.
Ding, ding ..
Donnant le ton, un « la » clair, le clocheton nous lançait sur les mesures du benedicite, voix juvéniles et dociles.
Diling, diling..
Cueillant la dernière note, la clochette nous enjoignait de prendre place devant la table mise, déplier nos serviettes, poser nos mains de part et d'autre des assiettes.
Diling, diling... « Bon appétit Mesdemoiselles » « Merci ma Soeur »
Libérait nos paroles, ouvrait nos bouches, animait nos mains, permettait les bavardages, les rires ..
Jusqu'à l'interruption du clocheton
Ding, ding..
Invitant à se lever, à chanter les grâces, avant de quitter la salle à manger, silencieuses et souriantes.
Les coups de cloches, clochettes, clochetons, codes simples et sonores, tour à tour impérieux ou discrets, stridents ou emphatiques, rythmaient nos vies d'enfants.
Enfants de grand chemin (TataBéa)
Judith : Je l’ai bien fait ,
dis ?
David : Mais oui c’était très
bien..
Judith : Parce que c’était la
première fois, j’ai fait tout comme m’a dit Gaëlle, alors c’est vrai c’était
bien ?
David : Mais puisque je te dis
que oui , allez , grouille on va pas rester ici toute la journée non
plus !
….
Judith : Pourquoi c’est
toujours toi qui fait David ?
David : Mais parce que c’est
comme ça : je suis David !
Judith : C’est plus rigolo
d’être David, parce que moi ça m’amuse pas de rester là étendue à attendre le
bonhomme !
David : Oui mais c’est comme
ça qu’on fait ! Mamie a dit que c’est comme ça, alors tu le fais ..
jusqu’à ce que tu sois trop grande, comme Gaëlle, et que ce soit une
autre !
Judith : Mais ça fait
peur ! Parce que je dois rester les yeux fermés et pas bouger quand il y a
un bonhomme qui s’approche.
David : C’est exprès ..
T’inquiète pas je surveille, t’as vu d’ailleurs dès qu’il te touche ..
pfouiiit !
Judith : Ha oui, je l’ai bien
entendu le caillou : pfouiit.. plonc ! Et toc le bonhomme il tombe,
il a failli m’écraser.
David : C’est le risque !
Mais on a quand même fait 230 balles aujourd’hui
Judith : Et une montre !
David : Quoi une montre ?
Tu sais bien que Mamie veut qu’on prenne que les sous ! Les montres et les
trucs comme ça .. c’est un coup à nous faire repérer !
Judith : Mais je la garde pour
moi !
David : Rien du tout, faut
être honnêtes : tu la jettes avant qu’on arrive, dépêche-toi, je vois la
maison ..
Mon cadeau de fête : (TataBéa)
Alex m'avait tendu fièrement le prospectus en disant : « Bonne fête, ma chérie ! », je n'en croyais pas mes yeux : un safari ! Mon mari venait de m'offrir un safari pour ma fête ! J'étais folle de joie, j'en rêvais depuis si longtemps ! Le lendemain matin arnachés comme il se doit nous avons retrouvé le guide devant notre porte à 6 heures du matin, les fusils, les couteaux et les sacs furent rapidement casés dans le coffre du véhicule gris camouflage. Deux minutes après nous prenions la direction du poste de sortie de zone couverte.. Après avoir présenté nos laisser-passer et marqué de nos empreintes rétiniennes le bloc de départ horodateur, la lourde porte translucide s'est soulevée pour nous permettre de gagner la zone ouverte. Nous avons roulé deux ou trois kilomètres dans une atmosphère brumeuse les vitres s 'embuaient régulièrement sur l'extérieur au contact de nappes humides et un peu collantes, aucun bruit ne nous parvenait au travers de la carrosserie blindée. Notre guide n'avait pas dit un mot depuis la maison, il nous signala simplement que nous arrivions à la première zone de chasse : « La Défense-RER » disait un vieux panneau bleu et blanc. Le guide immobilisa le véhicule devant un porche métallique, se tournant vers nous il expliqua : « si vous descendez là vous pourrez surement voir la première ethnie, ils dorment là-dedans le jour et sortent en général sur la dalle le soir, en faisant doucement vous pourrez les observer de près, mais soyez prudents, les Rakaïs sont violents, en cas de menace n'hésitez pas à tirer ou fuyez si vous avez le temps! Moi je reste là je vous attends, prenez les armes, mettez vos masques et n'oubliez pas le bip d'ouverture pour rentrer dans le véhicule ». Le cœur battant nous sommes entrés dans le souterrain par un escalier métallique, au fond du passage nous avons tout de suite aperçu un groupe entassé assoupi. Les mâles comme les femelles étaient vêtus de noir, blousons, bottes, pantalons déchirés et vieux mais noirs, les femelles avaient autour du cou de drôles de colliers avec des rivets métalliques auxquels étaient reliées des chaines. Je serrais la main d'Alex à travers nos gants, d'un commun accord nous avons rebroussé chemin, nous aurions préféré les voir en action, là ce n'était pas très intéressant. De retour dans la voiture, nous avons demandé au guide quelles autres ethnies il y avait au programme, nous pourrions repasser à La Défense RER au retour en espérant voir des Rakaïs réveillés. Remettant le moteur en marche il soupira « si vous voulez on peut aller voir les Freaks, ce n'est pas loin » nous avons repris la route pour gagner une zone moins dégagée, nous roulions au milieu de bâtiments gris souvent à moitié écroulés, ça et là on voyait parfois des humains courir entre les ruines à l'approche du véhicule « des Solos » commenta le guide, « ils sont très craintifs, mais beaucoup de clients aiment bien traquer cette ethnie, c'est une chasse sportive, et puis ils font de beaux trophées sans être dangereux, vous en voulez un ? » Alex me jeta un regard interrogatif « Non, tu sais bien que je préfèrerais une tête avec des cheveux longs et blonds pour le salon, si possible un mâle, ceux-là me semblent tous bruns et rabougris.. » Mon chéri m'embrassa sur la tempe en souriant « comme tu veux, c'est ta fête après tout » « Si madame préfère les longs cheveux .. vous trouverez ça chez les Freaks, à MichelAngeMolitor, c'est là que nous allons », nous nous sommes immédiatement équipés prêts à descendre. Dès que le véhicule se fut immobilisé nous avons sauté dehors. Les nappes brumeuses nous brouillaient la vue mais nous avions repéré un groupe vêtu de couleurs vives qui chantait en agitant les bras et secouant la tête, leurs cheveux étaient longs mais collés et raides. Je m 'embusquais derrière un pan de mur et visais tout de suite un jeune mâle qui s'était immobilisé, je fis feu, sa chemise claire s 'étoila joliment et il s'écroula au milieu des cris et de la débandade de ses congénères. Je pris mon couteau et m'avançais vers ma proie, Alex m'appela, il avait sorti son e-magineur, je pris la pose fièrement : un pied sur le dos du freak, je relevais sa tête en le tirant par les cheveux, j'exultais ! Dès que l'image eut été fixée je me hâtais de découper la tête pour la porter dans le sac, il ne fallait pas qu'elle s'abime, elle s'ornait même d'un duvet de barbe !
Je rêve d'une cabane... (Tata Béa)
J'ai mis le toit
On ne met pas d'abord le toit !
Mais je mets ce que je veux moi :
Un ballon
Un guéridon
Des bonbons
Un édredon
Et puis mon cœur,
Pour attendre le tien.
J'attends jusqu'à demain
Vers quatre heures !
Il y aura des gâteaux
Puis des abricots
Ensuite bien au chaud
On pourra faire dodo
Une cabane avec des rideaux..
Un petit coin à moi
Pour te revoir , toi
Mais on ne fait pas, comme ça
Une cabane dans la rue, là
Allez, ouste.. c'est pas beau !
Drôle de décès du Duc (TataBéa)
Le duc Pierre du Rocher, enfila son imperméable sable et descendit en catimini l'escalier de marbre.
Une fois dans la rue il hâta le pas, rasant les murs, évitant les éclaboussures lumineuses des lampadaires. Son désir le taraudait comme un caillou dans la chaussure : il voulait revoir son Agathe !
Enfin l'auvent d'ardoise apparut surmonté de sa lanterne rubis, se faufilant dans l'impasse bordée de fleurs pétrifiées, le duc maigrichon frappa les quatre coups convenus à la porte de son paradis. Une jeune servante, accorte comme il se doit, le fit entrer dans un couloir tendu de toile aigue-marine chichement éclairé et dallé de faux galets. Le duc senti monter d'un cran sa tension, il chercha de ses petits yeux émeraude les signes d'une impatiente attente, mais le couloir était désert. La sémillante servante désigna sans un mot l'escalier de granit qui s'élevait vers le premier. Pierre rectifia son nœud papillon, saisit fermement l'onyx du pommeau de sa canne et en entreprit l'ascension.
Avant d'arriver devant la porte convoitée, il imagina son Agathe : ses seins d'albâtre, sa peau douce et marbrée, le moelleux de sa chair, la délicieuse poigne qui le saisirait pour l'attirer en elle, il se sentirait encore une fois perdu et heureux dans cette opulence ! Ah quelle différence avec son altière et minérale duchesse !
La sueur au front, il toqua à l'huis de sa pierre précieuse, la voix rocailleuse et chérie le pria d'entrer.
A peine eut-il refermé la porte qu'il se précipita entre les seins plantureux , y enfouit son visage chafouin, y oublia enfin les tracas de la Bourse, le cours des mines de phosphates et les regards sulfureux de ses associés !
« Mon Agathe sanglota-il ...trop tard ! » Elle le fixa d'un œil de jais, le saisit par les épaules et l'assit entre ses cuisses, un râle s'échappa de la gorge menue.. Pierre du Rocher venait de rendre l'âme dans la jouissance et la souffrance étranglé par la baleine du soutien-gorge turquoise qu'elle n'avait pas ôté.
« Collector »* (TataBéa)
En ce moment je collectionne les emmerd'
En d'autres temps j'ai collectionné les amants,
Encore avant je collectionnais les bêtises
.. Evidemment ceux-ci expliquent ceux-là, peut-être !
Echantillons, trucs, ou bidules..
Ecoutez ..ça, c'est pas moi !
Entreposer dans des cases, des boites ou des cahiers
Etiqueter des choses pareilles
Et différentes, en plus .. non vraiment !
Epousseter, trier, classer
Etre à l'affût, sur les marchés
Ebay ou les brocantes
Echanger, marchander, soupeser
Etudier les cours, compter, valoriser
Ecumer les greniers pour quoi ?
...Espace vide dans un album !
Excusez-moi, je m'égare, j'ergote
Amas d'inutilités
Syndrome d'accumulation
Allégorie de vanités
Stigmates de possession
Anesthésie de la créativité
Je HAIS les collections !
*L'araignée, le bouchon, le cendrier, le décalco, l'estampe, le flacon, la girouette, le hibou, l'image, le jouet, le képi, le lépidoptère, le muselet, le napperon, l'oiseau, le porte-clés, la quille, le réticule, le stylo, la tortue, l'uniforme, le verre, le whisky, le xylophone, le yatagan, le zéro .. tous « collector » !
Tricheuse (TataBéa)
Moi je vais vous dire je pense à rien.. bon d'accord j'ai triché parce que j'ai pas de bougie et que la semaine dernière c'était l'anniversaire de mon grand mais on avait mis des trucs qui font des étincelles ! J'allais pas, en plus, aller chercher des bougies quand il fait jour, soleil et chaud ! Faut pas abuser les défieurs du samedi !
Si j'avais eu une bougie, chandelle ou cierge ( fais comme tu veux !) J'aurais, je le sais, fait comme d'habitude : trempé mon doigt dans la cire chaude, soufflé dessus pour faire refroidir et puis retiré délicatement pour voir mes empreintes digitales en creux.. Vous n'avez jamais fait ça vous ? Moi c'est depuis toujours, dans les églises et les chapelles où me trainaient mes mère, grand'mères, et tantes. À la procession du « mois de Marie » (le mois de mai ndlr) où on me faisait défiler en robe bleue et voile blanc chantant des « Ave Maria ».
Dès que mon chaperon avait les yeux baissés en contrition ou levés en adoration, je prélevais une goutte de cire sur mon index, pour l'en retirer au moment exact où elle était assez dure pour avoir fixé mon identité et assez molle pour ne pas se fendiller.
Je me rends compte qu'au lieu de m'unir au peuple de Dieu, à la sainte famille et à l'Église catholique je me préoccupais de ma petite identité personnelle, je refermais les voiles de ma mantille, j'introspectais plutôt que de m'élever dans la grandeur de Notre Seigneur..
Petite flamme vacillante, soufflée par les vents matériels de la société individualiste; mon âme a fondu dans le feu des passions terrestres, s'est tordue dans des bras chauds et charnels, mais il me reste, au bout des doigts, la douce coque de cire gardienne d'une inimitable identité.
Archéologie du cœur... (TataBéa)
Archéologie du cœur
Cœur d'archéologie
Pleurs étouffés
Peur criée
Malheur frôlé
Joueur lassé
Langueur étirée
Moiteur chiffonnée
Saveur relevée
Sueur effrénée
Vigueur espérée
Douceur murmurée
Bonheur partagé