Pensées (Stella No.)
"Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l'hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige"
Tel un mantra, je me répète ces quelques vers que ma mère se plaisait à réciter quand elle était contrariée. Je ne parviens pas à me souvenir de la suite et ça m’agace considérablement.
Remarquez : au moins j’oublie de penser à ce qui me préoccupe vraiment.
"Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l'hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige"
Ma valise est prête, je suis attendue à 16h. L’opération a lieu demain. J’ai peur. Je ne peux pas me défaire de l’idée que même si elle est censée me sauver la vie, cette intervention peut aussi me l’ôter.
"Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l'hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige"
J’ai pris quelques feuilles et mon stylo préféré. J’ai décidé d’écrire une lettre à ceux que j’aime. Je voudrais y coucher les mots d’amour que je ne leur ai jamais dit, par pudeur, par idiotie ou parce qu’on pense qu’on a toujours le temps.
C’est en lisant le livre de David Servan-Schreiber « On peut se dire au revoir plusieurs fois » que j’ai pris conscience de tout ce que je ne leur ai jamais dit.
Et si ils étaient amenés à les lire ces lettres ? Par quoi commencer ?
"Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l'hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige"
Une pour mon mari, une pour ma mère, une pour ma belle-mère, un mot pour mes frères, un mot pour ma sœur de cœur. Et la plus dure, c’est qui me déchire le cœur : une lettre pour ma fille. Pour la fille qu’elle est mais aussi celle qu’elle deviendra. Sans moi. J’ai peur, je pleure.
"Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l'hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige"
C’est l’heure. Les lettres sont posées sur ma valise dans la chambre d’hôpital. Je les ai mises dans une enveloppe où j’ai inscrit « au cas où ». Avec des petits cœurs dessinés. Pour adoucir leur chagrin. Ou le mien ?
"Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l'hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige"
Je ne me souviens toujours pas de la suite, mais j’ai survécu. Ma famille, mes amours ne m’ont pas quittée. Et les lettres sont restées sur la valise. Sans les relire, je les ai rangées précieusement. Pour me rappeler de dire ces mots avant que la fin ne survienne.
"Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l'hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige"
Maintenant, il ne reste qu’à guérir. Et à aimer.
Des oiseaux dans la tête (Stella NO.)
On disait souvent d’elle qu’elle était étourdie et tête en l’air.
Elle se répliquait que sa tête était en fait pleine d’oiseaux colorés qui piaillaient des sons doux et féériques.
Ses oiseaux l’emmenaient dans des contrées magiques où elle pouvait côtoyer le mystère et le merveilleux. Elle y vivait des histoires fantastiques et se nourrissait de ses rencontres avec des êtres sacrés.
Ils lui apportaient bien-être et sérénité. Et quand les autres lui disaient qu’elle était ailleurs, elle ne pouvait s’empêcher de répondre « je suis ».
Ils ne la comprenaient pas mais force leur était de constater qu’elle semblait vraiment heureuse. Ce qui leur semblait n’être qu’illusion lui importait tellement qu’elle envisageait de partager son intimité secrète afin de leur apporter autant de bien-être qu’elle en éprouvait.
Alors dès quatorze ans, elle se mit à écrire. Jour et nuit, dans une frénésie de mots maladroits, elle coucha sur le papier ses mondes intérieurs et ses voyages avec les oiseaux. Il y eut ainsi Paula, la journaliste1. Premier essai non concluant, lui laissant un gout amer et le désir de murir. Les cambrioleuses de haut-vol, Alie et Angie2, ne la satisfirent pas plus. Il y eut ensuite la talentueuse Hannah3 qui la bouleversa. Quinze ans plus tard, elle écrivit Ilyana et son pacte avec Hadès4. Puis vinrent les deux sœurs Ella et Adèle5, la sorcière Eléa6, l’impulsive Jane7, ou encore Esaelle8, la métamorphe.
Toutes ces femmes sont des parties d’elle-même. Toutes ces femmes sont elle. Paula, l’intrépide. Alie et Angie, les machiavéliques. Hannah, la gentille dont tout le monde abuse. Ilyana et Eléa, dont la magie survient dans leur vie si paisible. Ella et Adele, les jumelles qui vont vivre la même situation si différemment. Jane, la sage cédant à une impulsion qui va bouleverser sa vie. Esaelle, celle qui rêve de sortir du rôle que sa tribu lui a imposé par sa lignée.
Toutes ces femmes se sont elle. Ce sont celles qu’elle rêverait d’être, ce sont celles que les oiseaux colorés lui montrent jour après jour, nuit après nuit. Autant de vies qu’elle aurait voulu vivre. Autant d’histoires qui la font tenir le coup. Parce que dans la vraie vie, il y a ceux qui lui font du mal, les désillusions, et puis cette fichue maladie qui lui ronge les organes.
Les rêveries l’apaisent mais ils lui laissent aussi parfois un sentiment de désolation. Doit-elle cesser de rêver ? Doit-elle dire aux oiseaux de partir ?
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1 Trafic en méditerranée, par Stella No. 1997
2 Duo en sursis, par Stella No. 1998.
3 Pour le pardon d’Hannah, par Stella No. 1999
4 Les enfants de l’enfer – Tome 1 : Le pacte. par Stella No. 2012
5 Penragons, par Stella No. 2012
6 Coven, par Stella No. 2012
7 Impulsion, par Stella No. 2013
8 Berkesaï, par Stella No. 2013
Edition : Dans mon ordi.
Le prince (Stella No.)
Texte qui fait suite au défi 283 : http://samedidefi.canalblog.com/archives/2014/02/01/29040194.html#c60244538
Pour la deuxième fois, Stella tentait de fuir à travers la forêt recouverte de neige. Dès qu’elle avait vu le second message inscrit sur le parchemin, la boule s’était de nouveau éclairée et l’avait projetée face au vieux bonhomme. Tout en courant, elle se remémorait la scène.
- Peut-être nous ferez-vous l’honneur de rester un peu plus longtemps cette fois, Enchanteresse ?, déclara-t-il.
Pour toute réponse, Stella poussa un cri d’effroi et se jeta sur le vieux sorcier. Ce dernier fut soufflé par la force de la jeune femme et dut prendre quelques instants pour respirer. Lorsqu’il se redressa péniblement, Stella avait disparu dans la tourelle. Il pénétra à son tour dans le château et se rendit à son cabinet. Attrapant quelques potions sur une étagère, il prépara une drôle de mixture dans un petit chaudron. Quelques instants plus tard, il positionna ses mains au-dessus du récipient et murmura : Ostende mihi. Une image de Stella apparut alors à la surface et le sorcier put ainsi suivre sa course effrénée à travers le château. Elle suivit sans le savoir le chemin qu’il avait balisé pour elle. Compte-tenu de sa vive réaction lors de sa précédente visite, le vieux sage avait organisé un trajet qui semblerait sécurisant pour Stella. Il avait prévu ses réactions et s’amusait de la trouver si prévisible. Elle, l’enchanteresse qui était censée les protéger ! Quoiqu’il en soit, le plan fonctionnait à merveille et si cela continuait ainsi, l’enchanteresse resterait.
Stella s’était facilement retrouvée à l’extérieur du château, les gardes devaient être occupés ailleurs car cela avait été bien plus rapide que la première fois. Elle avait décidé d’éviter la grande route car les habitants l’avaient dévisagée avec curiosité et elle avait eu peur qu’ils ne l’arrêtent dans sa fuite. Cette fois, elle se cacha derrière le seul bosquet encore fleuri malgré le froid, patienta quelques instants et escalada une petite pente qui lui permettrait de prendre un peu d’altitude. Elle ignorait comment repartir de cet endroit étrange et prévoyait de se cacher plutôt que d’être aux prises avec l’homme en robe noire. Du haut de la petite colline, elle eut une vue splendide sur la ville, le port et le château. Si elle n’avait pas eu aussi peur, elle aurait été émerveillée par ce monde médiéval qu’elle découvrait. Très haut dans le ciel, un dragon volait d’une drôle de manière. Etonnamment elle ne craignait pas cet animal et reporta distraitement son attention sur la forêt qui s’étalait à ses pieds. La neige lui permettait de distinguer clairement les chemins très fréquentés et les allées délaissées. Elle pouvait apercevoir des habitations dont s’échappaient des volutes de fumée et une autre qui semblait vide. Une seule habitation abandonnée. Stella s’interrogea quelques instants sur la possibilité d’un piège mais elle entendit crier des gardes non loin d’elle. Bravant le froid – quelle idée de la transporter dans ce monde sans chaussures et sans manteau ! – Stella courut en direction de la cabane abandonnée. Ses pieds s’enfonçaient jusqu’aux chevilles dans la neige et très vite, elle commença à ressentir des picotements très douloureux dans ses orteils et dans ses doigts. Ses poumons semblaient prendre feu et elle avait l’impression que chaque ahanement s’entendait à des kilomètres à la ronde. Alors qu’elle hésitait à traverser une clairière qui l’aurait laissée à découvert, Stella crut apercevoir de drôles d’animaux en pierre. Elle secoua la tête en se morigénant et s’élançant franchement. Elle cessa de respirer jusqu’à ce qu’elle fut de nouveau à l’abri des arbres. Elle ne devait plus être très loin de la maisonnette à présent mais elle entendait toujours les gardes et s’inquiétait des animaux qu’elle pourrait croiser. Tout semblait si étrange dans ce monde. Elle aperçut enfin le perron salvateur et s’immobilisa. Il n’y avait aucune fumée s’échappant de la cheminée, pas de traces de pas dans la neige et aucun mouvement à travers les vitres. Stella avança lentement vers la maison tout en essuyant ses empreintes dans la neige à l’aide d’une branche d’arbre. La porte de la maison n’était pas fermée, elle n’émit qu’un petit grincement en s’ouvrant. Stella s’adossa à la porte en soupirant et ferma les yeux quelques instants. C’est alors qu’elle entendit un petit craquement suivie d’une bouffé de chaleur. Son cœur eut un soubresaut mais elle ouvrit les yeux. Elle ne pouvait plus fuir. Aveuglée par la lumière du feu dans la cheminée, elle mit quelques instants à percevoir la silhouette accoudée au manteau de la cheminée. Stella se précipita pour ouvrir la porte mais se trouva face à une dizaine de gardes royaux. Poussant un bref cri de surprise, elle referma le battant et se prépara mentalement à affronter ce qui se passait à l’intérieur de la maisonnette. Cette dernière était d’ailleurs étrangement bien arrangée. L’unique pièce était agréable et bien rangée. Il était fort probable que cette cabane ne fut pas abandonnée tout compte fait. Stella posa enfin son regard sur l’homme face à elle. Plutôt bel homme, brun et grand, il souriait doucement et semblait attendre qu’elle prenne la parole.
- Qu’est-ce que vous me voulez ?, demanda-t-elle avec hargne.
- Peut-être pourrai-je commencer par me présenter ?, suggéra-t-il.
Ils commencent tous leurs phrases par « peut-être » ici ou quoi ?, pensa Stella avec mesquinerie. Puis elle acquiesça lentement.
- Je suis le Prince Heren de Teraliel et j’ai besoin de vous.
- De moi ?
- Comment vous appelez-vous ?
- Ah, heu oui… Heu, je m’appelle Stella No de… heu… France.
- Stella No. de France, c’est un plaisir de vous trouver enfin. Garenel vous a longtemps cherché.
- Garenel ?
- Le sorcier que vous avez molesté.
- Je ne… Je ne comprends pas ce qui se passe ici ! Je veux rentrer chez moi.
Le prince regarda longuement le brasier avant de tourner vers elle un visage ravagé par l’angoisse.
- Mon peuple est en danger. L’oracle a dit que vous pouviez nous aider. Je vous demande de considérer ma proposition.
- Quelle proposition ?
- S’il vous plait, restez ici quelques jours. Garenel vous expliquera notre monde et notre culture. Il vous parlera de l’Empereur Noir, notre ennemi. Si tout ceci parvient à vous convaincre de vous joindre à nous, vous pourrez nous montrer votre magie.
- Je n’ai pas de magie !
Le prince en fut stupéfait.
- L’oracle ne se trompe jamais. Se peut-il que vous n’ayez jamais utilisé la magie ?
- Dans mon monde, la magie n’est qu’un conte.
- Un conte ? Quelle hérésie ! La magie vit dans le cœur de chaque homme !
- Chez vous peut-être !
- Alors comment explique-t-on ce qui vient de vous arriver, dans votre monde ?
- Un cauchemar !, s’insurgea Stella.
Le Prince partit d’un éclat de rire qui fit trembler la masure. Stella se sentit happée par une étrange vibration qui semblait provenir de son propre cœur. Spontanément, elle reprit la parole :
- J’accepte de rester deux jours.
Elle fut si surprise qu’elle plaqua les deux mains sur sa bouche en écarquillant les yeux. Le Prince interrompit son hilarité et lui asséna très sérieusement :
- Voyez, Stella No. de France, il y a de la magie dans votre cœur. Je suis ravi de faire de vous mon invitée pour les deux prochains jours.
Se déplaçant avec agilité vers la jeune femme, il lui attrapa la main gauche encore posée sur ses lèvres et la lui baisa délicatement.
- Bienvenue à Teraliel, Enchanteresse. Le dragon nous attend pour rentrer au château.
Apprendre à chier sur les piétons en 12 leçons seulement (Stella No.)
Sommaire :
Préface : De l’importance de perpétuer le rite par Harold The Seagull.
Leçon 1. L’alimentation adéquate pour un largage de qualité : la production doit être à la juste consistance pour bien adhérer.
Leçon 2. La gymnastique du bassin : bien relever l’arrière-train améliore la circonférence des éclaboussures.
Leçon 3. Epreuve de tir : plusieurs sessions d’entrainement du haut de la Tour Eiffel afin de tester votre habileté et acquérir une technique imparable.
Leçon 4. Repérer une cible statique : identifier les cibles idéales selon des critères précis (vêtements couteux, en groupe, cheveux bien coiffés…).
Leçon 5. Cours de physique météorologique : dompter les vents et autres conditions climatiques afin d’obtenir un rendement idéal.
Leçon 6. Repérer une cible en plein vol : épreuve en réel avec défi à relever. Objectifs : toucher un enfant, un adulte et un vieillard en un minimum de temps.
Leçon 7. Infiltration et discrétion : apprendre à se déplacer silencieusement afin de se placer incognito sur une corniche, un toit ou tout autre support suspendu.
Leçon 8. Le silence : dompter les roucoulements pour ne pas vous trahir.
Leçon 9. Vol en formation : apprentissage des manœuvres et des techniques de vol en groupe, idéal pour larguer en toute discrétion.
Leçon 10. Technique du bombardier : peu importe la cible, on largue encore et encore. Nécessite une grande maitrise des sphincters.
Leçon 11. Technique du « piquez-fuyez » : passer d’une altitude élevée à la cible en quelques secondes, larguer le produit à la dernière seconde.
Leçon 12. Technique du « bord de toit » : parvenir à se déplacer sur une petite surface afin de se retourner face au mur et larguer son chargement sur les passants.
Remerciements
La valise (Stella No.)
Il était une fois une jeune femme très banale qui rêvait d’un peu d’aventure. Elle se nommait Stella et ne faisait rien qui ne sorte de l’ordinaire. L’adage « métro – boulot – dodo » lui convenait tout à fait, bien qu’en réalité, elle prenait le bus, était étudiante et dormait très tard car passait ses soirées à réviser.
Quoi qu’il en soit, Stella était une grande rêveuse. Elle croyait au prince charmant, aux sorciers et aux vampires. Elle lisait Harry Potter en retenant les formules magiques et connaissait toutes les répliques de Twilight. Chaque nuit, elle s’imaginait princesse, guerrière ou espionne. Chaque nuit, elle sauvait des gens et se battait contre les méchants. Le matin venu, Stella s’éveillait avec la désagréable sensation que les rêves étaient bien plus satisfaisants que la réalité.
C’est ainsi que chaque soir en attendant le bus, elle s’amusait à imaginer l’aventure qu’elle vivrait avant de s’endormir. Stella était persuadée qu’en construisant une histoire, elle avait des chances d’en imprégner ses rêves.
Ce jour-là, elle patientait près de l’arrêt de bus en créant un monde fabuleux peuplé de métamorphes et d’elfes quand un jeune homme en costume l’interrompit :
- Veuillez m’excuser, mademoiselle.
- Oui ?
- Pourriez-vous garder un œil sur ma valise s’il vous plait ? Je dois faire un saut au distributeur automatique et j’irai plus vite si je ne suis pas encombré. Ça vous ennuie ?
- Heu… oui, non, pas du tout. Je jetterai un œil.
- Merci, j’en ai pour cinq minutes.
Stella avait été un peu interloqué par cette demande et n’avait pas vraiment réfléchi avant d’accepter. Sur le coup de la surprise, elle avait accepté de veiller sur la valise d’un inconnu. Tandis qu’il s’éloignait d’une démarche étrangement sautillante, elle prenait conscience de ce que cela représentait comme risque. Son esprit fantasque commençait à échafauder différentes théories : et si il était un terroriste et qu’une bombe se cachait dans la valise ?
« Voyons, Stella, se morigéna-t-elle, comme si des terroristes allaient faire exploser une bombe dans une petite ville lambda ! ».
Et si en fait, il y avait de la drogue dans cette valise ?
« Un trafiquant ne laisserait pas sa marchandise comme ça à une inconnue ! »
Et si, il y avait un trésor dans cette valise ?
« Et alors quoi ? Tu deviendrais gardienne d’un trésor, c’est ça ? Pauvre fille, si c’était le cas, tu serais accusée de recèle et tu serais dans de beaux draps ! ».
Agacée contre elle-même, Stella secoua légèrement la tête et scruta la direction vers laquelle l’homme était parti. Personne. Haussant légèrement les épaules, elle regarda l’heure : le bus n’allait plus tarder à présent. Si l’homme ne revenait pas, elle monterait dans le bus. Tant pis pour sa valise !
Mais lorsque le bus passa, Stella ne put se résoudre à laisser la valise ainsi. L’homme lui avait confié et lui avait promis de revenir vite. Il le fallait. Ou alors… c’est que quelque chose d’inhabituel était en train de se passer dans la vie si ordinaire de Stella.
Trois bus eurent le temps de s’arrêter près d’elle avant qu’elle n’empoigne la valise et la ramène chez elle. Stella savait qu’elle prenait des risques mais elle était persuadée qu’elle ne devait pas s’en séparer.
Elle tira le lourd bagage jusqu’à son immeuble et gravit péniblement les quatre étages. Une fois entrée dans son appartement, Stella accomplit un rituel quotidien : les clés dans la coupe à fruits, le manteau sur la patère, les ballerines jetées sur le sol, le sac à main sur le canapé et enfin, pour la première fois de sa vie, elle se trouva face à un objet étranger sans savoir qu’en faire.
Stella tourna autour de la valise, scrutant ses moindres recoins. Il n’y avait pas de cadenas. Un simple fermoir classique. Et si elle n’était pas fermée ? Peut-être trouverait-elle les coordonnées de l’homme en costume ? Peut-être comprendrait-elle pourquoi elle ne parvenait pas à se détacher de l’objet ?
S’agenouillant sur le sol, Stella posa doucement la main sur le bagage. Une petite secousse la traversa de part en part, tandis qu’une douce chaleur irradiait ses doigts. Un observateur extérieur se serait surement interrogé face à l’état quasi hypnotique dans lequel semblait se trouver la jeune femme.
Stella finit par se sortir de cet état cathartique et ouvrit la valise. Cette dernière n’était pas verrouillée et malgré sa lourdeur, elle ne contenait qu’un petit globe en verre. Stella saisit délicatement le précieux objet et le porta à la hauteur de ses yeux. Elle l’approcha très près afin de pouvoir distinguer ce qu’elle contenait.
En plissant légèrement les yeux, elle put apercevoir la réplique d’un village moyenâgeux, avec son château, ses villageois et un dragon. Stella était presque sûre de le voir bouger tellement la miniature était réaliste. Elle pouvait deviner la fumée des cheminées et entendre les murmures du peuple se pressant sur la place du marché. Elle pouvait sentir l’odeur de viande rôtie mêlée au crottin des chevaux. Elle pouvait souffrir du froid de la neige qui recouvrait le village. Une lueur la fit porter son regard sur la plus haute de tour du château. Sur un balcon de pierre, un homme en robe noire tenait entre ses mains un grand parchemin. En plissant plus encore les yeux, Stella put déchiffrer une inscription étonnante : « Bienvenue dans ton nouveau monde, Enchanteresse ». C’est alors que la lueur grossit tant et si bien que Stella se sentit absorber dans sa puissance et sa chaleur.
Le lendemain matin, la jeune femme s’éveilla sur le sol de son appartement. Ouvrant péniblement les yeux, elle se souvint du rêve étrange qu’elle avait fait cette nuit-là. Elle s’était transportée par magie dans un royaume médiéval où un vieux sorcier avait tenté de lui faire croire qu’elle était l’enchanteresse dont une oracle avait prédit l’arrivée pour sauver le royaume de l’empereur noir, un mage sombre et puissant qui semait la destruction sur son passage. Stella avait tenté de convaincre le sorcier de son erreur, sans résultat. Elle s’était alors décider à fuir courant dans la neige sans jamais trouver son chemin.
Elle se sentait épuisée : c’était bien la première fois que son rêve lui avait semblé si réel. Stella voulut prendre appui sur ses mains pour se relever lorsqu’elle se rendit compte de deux choses. La première, c’est qu’elle tenait toujours la boule en verre dans la main. Et la seconde, c’est que ses chaussettes et son pantalon étaient recouverts de neige. Alors, elle porta de nouveau la boule à son visage et son regard s’accrocha aussitôt à l’homme sur le balcon de la tour. Cette fois, sur son parchemin était inscrit : « Nous t’attendons, Enchanteresse ».
Participation de Stella No.
Façon 10choses.fr :
"Ici". Logique imparable. Les versions "Là", "Au bout de mon téléphone" ou "Dans mon slip" sont tolérées aussi.
"Aux chiottes" PLOUF. Bon en réalité, celle-ci je l'ai déjà faite par sms... Jerry Bocoo pourra confirmer, si il passe par ici ^_^
"Au bureau: je suche mon bossh". Bon, à ne pas dire à tout le monde, hein. Ca pourrait choquer.
"Je file Ashton Kutcher jusqu'à chez lui, je te rappelle (ou pas)". Ah... Ashton... fallait bien que je trouve un moyen de le mettre dans ce billet
(ça marche aussi avec Adam Levine... en tous cas pour moi...).
"Je suis en train de passer un casting pour le prochain Marc Dorcel". Bon là, deux scénario: soit votre interlocuteur fait style "Marc qui?" soit il capte de suite et vous abreuve de question. A vous de voir si vous poursuivez le jeu! "Y'a Katsuni qui nous donne des conseils, c'est trop d'la balle!". Et si votre interlocutrice (on va dire que c'est une fille) est fan d'un truc en particulier, genre Twilight, rajoutez en une couche: "Il parait que Taylor Lautner fera une apparition!!!". Bref, amusez vous!
"J'ai été enlevée par un extra-terrestre, je suis en train de lui faire une tartiflette". Bah quoi? Faut bien qu'ils goutent à notre gastronomie avant de faire de nous des incubateurs à bébés-ET!
"En Australie! Je viens de décrocher le job le plus cool au monde!!!" => https://bestjobs.australia.com/ Ah si c'était vrai... bon, en même temps, je n'ai pas postulé hein... c'est comme quand on dit qu'on voudrait gagner au loto alors qu'on ne joue jamais...
"Avec Ari Abitan, Je te le passe? Il pourra te dire pourquoi il ne faut JAMAIS poser cette put*in de question."
"Bah je suis déjà arrivée, et toi t'es où, je ne te vois pas?". Oui parce que je me dis que si on pose cette question c'est surtout pour initier un rapprochement alors autant prendre un raccourci de reflexion et en arriver directement au point de rendez-vous. Quoi, plaisir de surveiller l'autre? Nan, mais pas du tout... c'est comme quand on demande "qu'est-ce que tu fais?", on veut juste s'intéresser à l'autre, c'est tout... Nan, vraiment faut pas être parano comme ça, hein!
"On dit pas 'T'es où?', on dit 'où es-tu?'. Rah les jeunes, hein... ils savent plus parler. Ils disent 'comme même' au lieu de 'quand même', ou encore 'je ne sais pas c'est qui', 'y'en a qui croivent' et 'bouquet mystère'. Donc tu vois, c'est important de reprendre les potes quand ils font des fautes. Comme ça, ils s'améliorent. Hein? Allo? Allo? T'es plus là?".
Bon, vous l'avez compris, ces reflexes sociaux m'agacent prodigieusement. ça m'est déjà arrivé de dire trois fois "et toi, ça va?" dans une conversation, juste parce que je ne savais pas quoi dire. C'est CHIANT!
En tous cas, en voilà un qui a tout compris (il a peut-être Free?!): une bière, les toilettes, le téléphone et le grand-air! Que demande le peuple?
Le rythme de la vie (Stella NO.)
Aujourd’hui, ça n’est pas une fiction que je vous propose. Je vais vous parler de mon travail, mon vrai travail, celui dont je parle très peu sur le net. Aujourd’hui, je vous confie ma plus grande passion.
Quel rapport avec le thème, me direz-vous ?
Hé bien, voilà : je travaille avec des gens dont le rythme s’est perdu. Ils vivent sans temps et sans espace. Ils ne savent plus quel jour nous sommes ni même l’année. Ils ne savent même plus qu’ils sont vieux alors ils ne comprennent pas les douleurs dues aux rhumatismes. Ils ne comprennent pas que celle qui se prétend leur fille puisse être si vieille alors qu’eux-mêmes se pensent avoir vingt ans.
Je travaille avec des gens dont la communication n’est plus efficiente. Ils ne savent plus ce qu’ils veulent dire et quand ils y parviennent, ce sont les mots qui leur manquent.
La nuit devient le jour, alors il faut s’habiller pour aller chercher les enfants à l’école ou pour aller travailler aux champs.
Les parents deviennent les enfants et leurs enfants deviennent des parents.
Les conjoints disparaissent pour laisser la place à des inconnus.
Ils ont perdu leur rythme de vie, ils ont perdu l’essence même de ce qu’ils étaient.
On les nomme « déments ». Un très vilain mot pour de très vilaines maladies.
Une partie de mon travail concerne ceux dont on vient d’apprendre l’effroyable. Il s’agit alors de les accompagner dans la lente et douloureuse évolution de la pathologie. J’assiste à l’inéluctable dérive des souvenirs en m’employant à tenter de sauvegarder ce qui peut l’être le plus longtemps possible. Parce que si eux perdent le rythme de la vie, moi je l’ai toujours en tête.
Une seconde partie de mon travail se fait auprès de gens dont on dit qu’ils ont des « troubles du comportement » très importants. Ils réagissent à l’angoisse par l’agressivité, la violence ou l’errance. Ils ne peuvent plus rester à leur domicile sans se mettre en danger.
C’est ainsi que quelques uns arrivent dans des services spécialisés fermés par des codes à toutes les portes. Des services en sigle. Le mien c’est « UHR » : Unité d’Hébergement Renforcé. C’est là qu’on met « les pires ». Ils sont tout à fait indépendants physiquement mais ne sont plus du tout autonomes mentalement. Ils ne communiquent plus beaucoup, voire pas du tout. Et quand ils communiquent, on ne comprend pas toujours ce qu’ils disent. Ils frappent, crient, mordent, crachent, déambulent, pleurent, appellent leur maman, nous demandent un taxi pour rentrer chez eux…
Leurs familles, soulagées d’avoir enfin trouvé une solution de répit et d’aide, se disent rassurées de ce que l’on accomplit auprès de leur parent. Elles viennent moins souvent mais profitent de moments privilégiés grâce à ce que nous parvenons à obtenir des malades.
Je fais partie de ceux qui pensent que même si il y a des choses qui partent, il y a encore des choses qui restent. Je milite pour la proximité, la tendresse et l’affection. Je forme les soignants à des méthodes qui portent des noms étrangers - comme pour valider le fait que ce soit « In ». Je diffuse et transmets les bonnes pratiques. J’ai l’esprit à l’envers par rapport à ce que disent les textes : je fais des bisous, j’accepte les câlins, je blague, je chante, je ris avec eux. C’est un travail de théâtre mais un théâtre sans artifice. Juste moi et eux.
Mardi, j’ai choisi de sortir avec trois de nos malades. Ils n’étaient pas sortis à l’extérieur depuis des mois. Il a fallu leur expliquer maintes fois, les rassurer, leur tenir la main. J’ai emmené avec moi et deux autres accompagnateurs ceux que l’on considère comme « très déambulant » et « agressifs ». Nous avons marché environ un kilomètre en observant l’environnement. J’ai tout nommé, j’ai tout expliqué, j’ai attiré leur attention sur le givre recouvrant une feuille d’hêtre échouée sur le sol et sur l’enfant qui riait en se balançant dans un parc voisin. Puis nous sommes arrivés à destination : une boulangerie qui fait salon de thé. Ils étaient un peu impressionnés, mes camarades déments. Il a encore fallu expliquer, rassurer, tenir la main. Et puis, il y a les convenances sociales qui sont revenus l’espace d’un moment : me remerciant de les inviter dans un si bel endroit, ils ont tenté de faire un choix parmi les pâtisseries proposées. Ils pensaient qu’on était le soir : « peu importe, leur ai-je dit. On profite maintenant et on verra au moment du repas ! ». Ils ont été d’accord avec moi. Mais le choix était compliqué : comment choisir lorsqu’on ne se rappelle plus des options précédentes. Après de longues tergiversations, ils se sont décidés. Ce sera 2 éclairs à la pistache, 1 à la vanille, un thé et 2 cafés bien corsés « parce que là-bas… ». Tiens ! Un souvenir ! Ancien ou récent ? Quelle importance, nous prendrons donc du café bien corsé.
« Quel régal », d’après eux. Oublions la fourchette et l’assiette, dégustons à pleine bouche. L’un suçote la crème comme un enfant. L’autre observe comment nous faisons afin de reproduire nos gestes. Et le troisième mange goulument en se tenant le ventre de l’autre main.
Après la pâtisserie, je leur rappelle qu’ils ont une boisson chaude. Ils avaient oublié, ils me remercient de cette attention. « Quel régal », répète l’un d’entre eux. « C’est pas comme là-bas », renchérit un autre. Tiens, encore ce souvenir. Et la dernière : « c’est la première fois que j’en bois, mes parents ne veulent pas ». Quel âge a-t-elle dans sa tête ?
Et puis, le moment de bien-être se pose. Rassasiés, bien au chaud, observant les gens dans la rue, ils commentent ce qu’ils voient. L’une d’elle nous narre son passé. Elle travaillait sur une péniche et marchait beaucoup. Elle déambulait sans arrêt sur le bateau, jamais elle ne pouvait se poser. Tiens, tiens… elle déambule sans cesse à l’UHR, le trouble du comportement s’explique maintenant.
Ces presque-non-communiquant nous narrent des choses cohérentes et censées. Nous passons un moment délicieux, puis il faut rentrer.
Ils sont contents, « ça fait du bien », disent-ils. Ils ont envie de raconter à leur camarade. Mais quand nous arrivons, ils oublient vite ce qu’ils ont envie de partager : c’est l’heure du goûter. Ils ont faim, ça fait longtemps qu’ils n’ont pas mangé.
Je les aime profondément, ces gens qui n’ont plus de rythme. Je les aime avec respect, bienveillance et chaleur. Je leur tiens la main quand ils sont angoissés. Je les écoute quand ils parlent et que personne ne les comprend. Je les accompagne lorsqu’ils déambulent sans savoir où ils vont. Je leur montre les gestes qu’ils ont oubliés. Je les rassure quand ils s’aperçoivent qu’ils ne trouvent plus le nom de leurs enfants.
Et même si je sais que ça n’ira pas mieux, même si je sais qu’ils vont partir, je continuerai jusqu’au bout. Car ça vaut vraiment le coup.

! Attention Public Averti ! (Stella No.)
Aujourd’hui, je fête mes trente ans. Mariée, trois enfants, un poste de cadre peu épanouissant, je suis plutôt du genre sage et réservé. Je ne bois pas, je ne fume pas et je sors peu car j’ai toujours une tonne de repassage qui m’attend à la maison. Une vie très passionnante, en somme.
Ce soir, mes amies m’entrainent en boite de nuit. Ça fait bien dix ans que je n’y suis pas allée. En fait, pour être exacte, c’est depuis que j’ai rencontré celui qui allait devenir mon époux, pour la vie, pour le meilleur et pour le pire.
Mes amies ont décidé que je devais fêter cette nouvelle dizaine, autrement que par la bouteille de mousseux et le fondant au chocolat que je fais chaque année. Elles ont donc préparé une soirée de fête : restaurant chic puis boite de nuit. Selon elles, je manque de fun dans ma vie. Elles ont surement raison, mais comment pourrais-je manquer de ce que je n’ai jamais eu ?
Devant leur insistance, je me suis résignée. Elles m’ont demandé de faire un effort, alors j’ai mis une jolie robe indienne, mauve et noire à manches trois-quarts, qui m’arrive au-dessus du genou. Emma m’a prêtée ses bottes noires à talons hauts. Je suis assez surprise de pouvoir marcher avec ces choses. Elle voulait que je mette des bas mais impossible de faire tenir la bande élastique alors je les ai abandonnés au profit de petites socquettes pour protéger mes pieds.
Je suis un peu fébrile, j’ai peur des surprises qu’elles peuvent m’avoir réservée.
Emma, Mel et Sally viennent me chercher avec la décapotable de cette dernière. C’est vrai que c’est la classe d’être véhiculée ainsi, ça me change de ma vieille berline. Les filles sont excitées, on dirait que ce sont elles qui fêtent leur anniversaire.
Elles m’emmènent dans un restaurant proche de la boite de nuit. Le repas est bon, l’ambiance feutrée, je ris beaucoup avec mes amies. Je ne suis, cependant, pas sereine. J’ai comme un nœud à l’estomac qui ne me permet pas de profiter pleinement de la soirée. J’ai le pressentiment que quelque chose va se produire. Je suis incapable de manger avec le bon appétit qui me caractérise d’ordinaire. Les filles s’en rendent compte et expédient le repas rapidement. Nous ne prenons même pas de dessert, un comble pour un anniversaire !
La boite de nuit est encore déserte lorsque nous arrivons. Je me sens déjà plus à l’aise dans cette pénombre, je le suis encore plus lorsque l’espace se remplit d’anonymes. Nous avons une table réservée, et tout en dégustant des mojitos, je peux observer les ballets de corps inconnus. Je me sens hypnotisée par leur transe, j’oublie peu à peu mes inhibitions. Je sens monter l’envie irrépressible de m’adonner au lâcher-prise. Et c’est cette chanson que j’aime tant qui va mettre le feu à ce désir que je dois assouvir. Les premières notes de Midnight City se font entendre et je me lève en m’écriant : « j’adore cette chanson ! ». Mes amies sont surprises mais elles rient et me suivent.
Je commence à me déhancher sans réfléchir, je laisse mon corps s’exprimer en toute quiétude. Je ferme les yeux et ressens la musique. Les vibrations des basses résonnent dans mon cœur, je sens leurs effets dans mon ventre. Mes bras virevoltent autour de moi, tandis que je penche la tête en arrière et laisse mes longs cheveux caresser mes fesses. Mon esprit s’imagine seul et heureux. Je peux entendre tout proche de moi la voix du chanteur, elle me parle, elle m’attise, elle chuchote à mon oreille cette ode à la vie. J’ouvre les yeux en sentant un souffle dans ma nuque : il est là. Le chanteur. Il murmure ses incantations au creux de mon oreille, il est dans mon dos, si proche que je ressens sa chaleur. Je me tourne vers lui, nous sommes face à face. Il chante toujours tandis que je tends la main vers lui. Il est bien là, je ne rêve pas. Cet homme à la voix envoutante et au regard brulant. Il s’approche de moi afin que je puisse le toucher et nos corps se meuvent en harmonie l’un contre l’autre. Les yeux dans les yeux, nos souffles se mélangeant, nous évoluons sans nous soucier de ce qui nous entoure. Je ne sais plus qui je suis, je vis l’instant tel qu’il se présente. Sa main remonte doucement mon bras pour effleurer ma joue. Son contact m’électrise, je passe la langue sur mes lèvres, j’ai soif, j’ai faim, je ne sais plus. J’aperçois une lueur de convoitise dans son regard. Je sais qu’il me veut. Mes seins sont durs, ils crient pour être délivré de leur gangue de coton. Mon bas-ventre me supplie de commettre l’innommable. J’ai envie de cet homme. Et il le sait. Mais la musique nous soumet à sa volonté. Inexorablement nos corps se cherchent, se repoussent puis s’attirent. La tension monte en même temps que le tempo se fait plus rapide. Nos mains s’effleurent, nos corps se frôlent, je joue de mes cheveux pour me cacher de son regard ou au contraire pour m’offrir pleinement. Je lui tourne le dos pour faire mine de m’éloigner, il me retient contre lui murmurant ses mots enchanteurs. Nos lèvres se rapprochent dangereusement et les derniers accords de la chanson résonnent sans que nous avoir laissé commettre l’irréparable. Plus rien existe autour de nous. Le temps est suspendu. Je suis ancrée dans son regard, nos respirations sont rendues rapides par le désir et chacun attend de l’autre la permission de franchir les quelques millimètres qui nous séparent. Un coup de pouce du destin et un danseur me propulsent contre lui. Nos lèvres s’unissent avec ferveur et empressement. Nos langues se cherchent et se rencontrent. Il n’existe rien d’autres que le ballet sensuel qui se joue et nos mains qui s’effleurent encore avec pudeur. J’oublie tout ce qui se passe autour de moi, je ne suis plus une mère, je ne suis plus une épouse. Je ne suis qu’une femme qui s’enivre de sensations depuis longtemps oubliées.
Le regard dans le sien, je n’existe que pour sentir sa peau contre la mienne. Je penche légèrement la tête pour lui présenter le creux de mon cou, cet endroit si tendre où pulse ma vie. Il comprend instantanément et pose ses lèvres délicates sur cette zone qui a toujours été la plus érogène. Des frissons parcourent ma peau, mes poils s’érigent tandis que les sensations se décuplent. Tout devient plus intense. Il pose ses doigts autour de mon poignet gauche et remonte doucement vers mon coude. Le chemin ainsi tracé me semble brulant, il garde l’empreinte de sa délicatesse. Ses lèvres s’affairent sereinement, la ferveur a laissé place à une exploration sensuelle : mon cou, mon oreille, ma joue, mes yeux, mon nez, mes lèvres. L’homme est méthodique pour mon plus grand plaisir. Il apprécie chaque zone offerte à lui. Il goute, savoure, exalte. Et moi, j’exulte.
Mes mains s’aventurent sur ses bras, son torse, son dos, sa nuque. Je plonge mes doigts dans ses cheveux et attire son visage afin de parcourir moi aussi cette peau qui m’embrase. Je veux le respirer comme il m’a respirée. Je veux que lui et moi ne fassions qu’un. Je me coule contre lui, il n’y a que nos vêtements qui nous empêchent d’être peau contre peau. Le désir fait rage, nous ne contrôlons plus nos pulsions. Il me prend la main et pose son front contre le mien. Nos souffles sont courts et nos yeux ne se quittent pas. Je sais qu’il attend que je m’éloigne. Je reste et m’appuie encore plus fermement contre lui. Il sourit légèrement en fermant les yeux, je l’effleure de mes lèvres. Il m’entraine vers les toilettes. Je ne me pose aucune question, je le suis. Sans aucune frayeur, je l’observe fermer la porte après que la dernière personne soit sortie. Je ne souffle aucun mot lorsqu’il prend un préservatif au distributeur, puis après un regard furtif vers moi, quelques autres. Je n’ai qu’un sourire béat aux lèvres lorsqu’il se tourne de nouveau vers moi et qu’il pose ses mains sur mes hanches. Là encore il pose son front sur le mien, en quête d’un refus. Pour toute réponse, je pose une main sur son torse et de l’autre je déboutonne un bouton de ma robe. Je laisse ainsi apparaitre la dentelle qui me gène tant depuis que je l’ai entendu chanter doucement à mon oreille. Le signal est donné, il me prend presque maladroitement les lèvres tout en soulevant ma robe. Je relève une jambe afin se sentir les effets de notre corps à corps sur lui et commence à onduler les hanches. Après un râle, il interrompt le baiser pour embrasser mon sein à travers le tissu. Dans mon bas-ventre, l’orage gronde. Je suis indifférente à l’environnement et aux gens qui frappent à la porte. Je ne vis que pour l’instant. Je suis pressée, impatiente, je souffre de ne pas être délivrée de cette tension en moi. Je saisis fermement son jeans et fais sauter bouton et braguette. Il s’immobilise, surpris de ma véhémence, et pousse une plainte faible lorsque je baisse pantalon et caleçon afin d’avoir accès librement à l’objet de mes investigations. Lorsque je le saisis entre mes mains et que je le parcoure, il frissonne violemment et reprend mes lèvres tout aussi fortement. Je frotte son sexe contre ma culotte, j’en ai assez de ce jeu de séduction. Je revêts son sexe de l’enveloppe protectrice : il me le faut en moi maintenant. Il partage le même empressement que moi. D’une main sous les fesses, il me soulève le dos contre le mur pendant que je noue mes jambes autour de lui. De l’autre main, il arrache le derrière rempart avant mon intimité puis il plonge en moi. Le feu de mon bas-ventre s’en trouve à la fois soulagé et attisé. Rien ne nous sépare, nos désirs se fondent l’un dans l’autre. Chaque coup de reins m’emplit d’un plaisir si intense que j’ai la sensation que je vais m’évanouir. Je ne peux retenir les petits cris de ravissement et je le sens attisé par mes réactions. Le rythme s’intensifie et la profondeur des mouvements se fait plus ample. La tension monte inexorablement jusqu’à je n’en puisse plus et laisse échapper un long murmure de plaisir. L’orgasme m’a pris en même temps que mon compagnon se déversait par spasme. Nous reprenons peu à peu nos esprits. Aucun mot n’est échangé, les regards sont tendres, les gestes empreints de douceur. Ce que nous avons partagé ne se commente pas, il se vit. Nous nous rhabillons sereinement. Nos cœurs s’apaisent, nos mains cessent de trembler, nos esprits sont apaisés.
Nous nous quittons à la sortie des toilettes sur un dernier baiser.
Je rejoins mes amies partagées entre le choc, la crainte et l’envie. Là encore je ne dis rien, je me contente de ressentir.
Ce soir, j’ai trente ans. Ce soir, j'existe.
Obscure-moi (Stella No.)
J'entends marcher dehors. Tout est clos. Il est tard.Ma lampe seule veille le temps qui s’écoule inexorablement. La nuit est mon domaine. Tout y est perceptible. Les canalisations du voisin, le chien errant, l’adolescente babillant dans l’appartement du dessus. Je suis seule et j’ai conscience de tout ce qui m’entoure. Chaque murmure me parvient avec clarté. Chaque battement de mon cœur martèle mes pensées. Des pensées sombres. Sombres comme la nuit. Sombres comme ma vie.
Un verre de JD à la main, plantée devant la fenêtre ouverte, le regard fixé sur la rue. J’observe le monde à ma manière. J’exhale un soupir de bien-être. L’invisible devient discernable. Je deviens le monde qui m’entoure. J’existe sans crainte et sans fureur. Je m’accomplis parmi les ténèbres. Les stimuli de la nuit m’emplissent et me rassérènent. Là où la lumière me détruit, l’obscurité me nourrit.
Pas besoin de se concentrer pour discriminer les sons. Tout est pur. Je peux isoler et définir chaque élément du monde. Je fais enfin partie de ce monde qui m’est hostile le jour.Pas besoin de se contraindre afin d’éviter des obstacles. Mon monde est solitaire. Je peux marcher dans la rue, je peux courir sans risquer de percuter un être humain trop égoïste pour s’écarter. Je suis le monde, je suis la plénitude.
Et demain… demain m’effraie encore plus que la lumière. On me propose de quitter les ténèbres. Un médecin aurait la solution. Demain, il souhaite m’opérer. Demain, il a prévu de rendre la vue à l’aveugle que je suis. L’obscurité m’a accompagnée depuis tant d’années. On me demande de la trahir. Au nom de la famille, au nom de l’amitié, au nom de l’amour. Ils disent que ce sera mieux pour moi. Ils disent que je serai plus libre. Qu’en savent-ils, ceux du monde de la lumière ? Je ne sais pas ce que je suis, mais ce dont je suis sûre, c’est que je suis connectée à la nuit. Alors demain… demain, je verrai bien.
*Photo de Arif Ali (AFP/Getty Images) que j’ai légèrement retravaillée.