N’est pas mycologue qui veut ! (SklabeZ)
Papa adore les champignons, malheureusement, il ne s’y connaît pas trop. L’année dernière pourtant, il avait trouvé une méthode infaillible. On lui avait dit qu’il fallait mettre une cuillère en argent dans la poêle pendant la cuisson. Si elle ne change pas de couleur, on peut y aller sans crainte paraît-il... tu parles ! Nous avons tous été malades comme des chiens.
La plaisanterie nous a bien secoués, mais qu’importe, papa n’est pas du genre à renoncer comme ça. Il a passé toutes ses soirées d’hiver à potasser les planches du grand dictionnaire. Maintenant il les connaît par cœur, les comestibles, les vénéneux… et bolets et cèpes n’ont plus de secret pour lui. On allait voir ce qu’on allait voir !
Cette année, retour dans notre forêt préférée. Papa, maman et les enfants ont chacun leur petit panier. J’en ai trouvé un beau ! s’écrie le petit frère. Fais voir ! Bravo, dit papa, et prenant son air savant, c’est un Xerocomus communis, un bolet commun, quoi !
Ici il y en a un encore plus beau, crie la petite sœur, il a de jolies couleurs ! Ne touche pas à ça ! crie papa, c’est un poison !
La cueillette se poursuit sous la supervision du père. Il a l’air sûr de lui, comme ça, mais là, il vient d’en rejeter un qui est la copie conforme du premier validé. Moi j’ai l’impression qu’il est en train de tout mélanger mais il ne veut pas perdre la face. Maman l’a bien vu aussi. Au retour, dans la voiture elle lui dit : « on devrait s’arrêter chez l’épicière, son mari est un expert, il pourra nous donner son avis éclairé»
- Chez ce brigand ! Jamais de la vie, il va nous arnaquer !
- Allez mon Papounet, sois gentil, fais un effort, ça ne sert à rien de prendre des risques.
- mmmm !
En bougonnant, il met sa flèche de direction et gare la Peugeot 203 devant la petite épicerie de Madame Tamic.
Nous sortons tous les paniers du coffre et le père Tamic commence l’inspection détaillée de notre cueillette. Le premier n’est pas bon, « vénéneux ! » dit-il en le jetant dans son panier à lui. Le deuxième n’est pas mieux, vénéneux ! et ainsi de suite… Presque tous y passent, vénéneux ! vénéneux ! vénéneux !
- Ah non ! Pas celui-là quand-même, c'est un très beau cèpe l'interrompt mon père.
- Malheureux ! Ça un cèpe ? Mais vous allez vous empoisonner avec ça ! répondit le père Tamic en faisant un clin d'œil complice à sa femme.
Sur les quatre pleins paniers ramenés, nous n’avons récupéré que trois malheureux champignons tout rabougris. Le père Tamic a daigné nous les laisser en les qualifiant de comestibles. Avec ceux-là vous ne risquez rien dit-il à mon père d’un air goguenard.
Tu parles !
C’est vrai que c’est un sacré filou le père Tamic !
Fantochina et Polichinelle (SklabeZ)
Préambule: Une fois de plus je n'ai pas trouvé le temps de préparer un texte pour ce défi. Je vous adresse néanmoins celui-ci, que j'avais préparé et déjà publié sur Un mot. Une image. Une citation.
Au petit matin, elle réveille son marionnettiste et lui dit : « Je ne suis peut-être plus en état de me produire, certes ! Mais toi ? N’est-ce pas toi qui, en tirant les ficelles est le seul et véritable acteur de mon rôle ? Eh bien ! À ton tour de monter sur les planches, tu seras Polichinelle ! »
Putain de Brouillard (SklabeZ)
Au volant, une gitane au bec, Vévé est concentré sur le faisceau des phares éclairant la route.
À la place du mort, Bruno, complètement affalé dans son siège, les pieds sur le tableau de bord... il s'en fout, c'est pas sa caisse.
Entre les deux, juste au-dessus du frein à main, Mado est en position très inconfortable, une fesse sur le bord du siège chauffeur et l'autre sur le siège passager. Pour ne pas gêner Vévé dans sa conduite, elle s'est penchée et appuyée sur Bruno. Bien appuyée, même. Elle aime bien titiller et exciter les garçons, Mado est une rapide. D'habitude, il démarre au quart de tour, le Bruno, mais là, il ne réagit même pas, encéphalogramme plat… il cuve ! Faut dire qu'ils ont un peu picolé.
Dans un bruit métallique étourdissant elle n'en finit pas de glisser et, telle une comète, elle est suivie d'une longue traînée d'étincelles provoquée par le frottement de la tôle sur le bitume. La tête en bas, au ras de la route, Lucette ne perd pas une miette du spectacle son et lumière. Vévé s’écrie : « Putain ! la peinture ! la peinture du toit ! qu'est-ce qu'elle va dire ma frangine ! »
Participation de SklabeZ
J’aime beaucoup les mots-valises et ceux que l’on peut découvrir en butinant sur le net sont très plaisants et tous plus recherchés les uns que les autres. En créer soi-même, est vraiment une autre paire de manches et l’exercice n’est pas facile du tout.
Allez, je me lance ! Actualité oblige, je commence par :
- BLASTPHÈME : Injure ou parole déplacée servant de prétexte aux intégristes de tout poil pour commettre des AMBRASADES, qui se propagent comme une traînée de poudre.
- BÉRIBÉRY : Maladie causée par un double déficit en vitamine B1 et en grammaire (que je nique direct !). Elle provoque des troubles de rhétorique du genre :
- Le Touquet, une ville que j'aime bien venir.
- Je pense qu’on espère qu’on va gagner.
- On est des joueurs qu’on va vite avec le ballon même contre une équipe qui sont vraiment très forte
- PRÉSERVHÂTIF : Capote pour éjaculateurs précoces (même pas le temps de l’enfiler, parfois !). À noter que les adeptes de L’OBSTINENCE n’en ont pas besoin, entêtés qu’ils sont dans leur refus d’avoir la moindre relation sexuelle.
- FUNNYCULAIRE : Moyen de transport, bien différent du métro parisien, ici personne ne fait la gueule.
- CARESSPONDANCE : Harmonie parfaite et très sensuelle entre deux êtres qui peuvent ensuite CARRESPONDRE dans une relation écrite assez torride.
- MEUPHÉMISME : Figure de rhétorique, utilisée par les nanas et qui consiste à atténuer l'expression de leur pensée pour faire entendre le plus en disant le moins. Les meuphémismes sont très utilisés dans les annonces matrimoniales. Ainsi quand elles écrivent :
- - la quarantaine, il faut lire plus de cinquante
- - aime l’aventure => a eu plus de partenaires que vous ne pouvez l’imaginer
- - romantique => moins laide à la lumière d’une bougie
- Etc.
Je vais maintenant arrêter de dire du mal des nanas parce que je les aime bien. J’aime bien les filles, moi et je le dis ici haut et fort sur SAMEDIDÉFI, bien sûr que ça me dit des filles !
Ah si Psyché l’avait su ! (SklabeZ)
Ayant un programme très chargé, il se lève, ce matin-là, bien plus tôt que d’habitude. Au menu de la journée plusieurs rendez-vous qu’il a dû avancer à cause de cette fichue visite médicale annuelle.
Après une douche rapide, il revient dans la chambre à coucher. Sa compagne dort encore et il n’a vraiment pas le cœur à la réveiller. À tâtons dans le noir, évitant la grande psyché articulée sur son châssis Art déco, il se dirige silencieusement vers la commode et entrouvre lentement les tiroirs. Il en sort un slip et une paire de chaussettes légères. La fin de l’habillage se passera dans le couloir où il récupère, costard, chemise et cravate dans la grande penderie.
La matinée est maintenant bien avancée et c’est l’heure pour lui de rejoindre l’infirmerie, le staff médical l’attend.
Après s’être déshabillé dans la petite cabine, il se dirige, en slip et en chaussettes, vers la salle où l’attendent le médecin de l’entreprise et ses deux assistantes. Le « Bonjour Monsieur » des infirmières s’étouffe dans un étranglement. Elles se regardent, gênées alors que le doc sourit béatement.
Un rapide coup d’œil sur lui-même et il comprend subitement. Son sang se glace. Tain !!! jure-t-il. Ma réputation est faite !
L’histoire va courir comme une trainée de poudre dans toute la compagnie et ses collaborateurs, comme ses collègues des autres établissements vont pouvoir le chambrer.
Ce matin, en s’habillant dans le noir, il s’est trompé de tiroir. S’il avait pu se regarder dans le miroir comme il le fait habituellement ce ne serait certainement pas arrivé. Le slip qu’il a enfilé n’était pas le sien, il a pris une petite culotte affriolante, en tulle brodé et dentelle. La honte !
MOISSON DE MER (SklabeZ)
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Récolte du goémon |
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Naufrage sur la côte bretonne Pierre-Émile Berthélémy, peintre normand (1818-1890) |
« La routine, quoi ! » (SklabeZ)
Quoi de neuf ?

Quoi d'autre ? Rien de spécial ! La routine quoi !
Aux Greniers Saint-Jean (SklabeZ)
La sono est forte mais sans trop et l’acoustique exceptionnelle. Cet ancien établissement hospitalier du Moyen-âge transformé en salle des fêtes et de concerts fait le bonheur des associations universitaires de cette ville de province. Plusieurs fois dans l’année tout ce que la ville compte d’étudiants se donne rendez-vous ici, dans ce cadre extraordinaire pour une soirée mémorable.
Après un dernier jerk endiablé, la tension retombe d’un cran et la grande salle se calme. L’orchestre entame le tube du moment pour un dernier slow. Encore essoufflés de la danse précédente où nous venions tout juste de faire connaissance, nous nous interrogeons du regard et, tout naturellement, nous nous enlaçons.
Mes mains sur ses hanches, les siennes sur mes épaules, nous nous déplaçons en tournant lentement et voguons en cadence, au rythme de la musique. Les yeux fermés, je ressens du bout des doigts les ondes de sa peau qui frémit. Ses mains se crispent légèrement, j’ouvre les yeux, son regard plonge dans le mien. L’étreinte se resserre, nos souffles se mêlent. Le décor s’estompe et tout semble disparaître autour de nous. Nous sommes seuls, elle et moi enivrés et envoûtés par cette musique. Je la retiens dans mes bras, prisonnière consentante et je savoure ces instants…
De ce slow langoureux, un grand amour est né.
Plusieurs années plus tard, les circonstances de nos vies professionnelles on fait que nous sommes séparés… géographiquement, mais nous nous voyons régulièrement pour notre plus grand plaisir.
Et à chacune de nos rencontres, nous ne pouvons oublier celle qui fut la toute première, bercée par cette musique, ce tube planétaire du moment :
« Nights in white satin » des Moody blues
Nights in white satin,
Never reaching the end,
Letters I’ve written,
Never meaning to send...
Attention ! Ça va déménager (SklabeZ)
Bien que largement ensoleillé, l’été s’éternisait et les derniers jours des grandes vacances n’en finissaient pas de passer.
Comme tous les ans, par tradition, toute la famille s’était donné rendez-vous dans la grande maison familiale, à deux pas du bord de mer. La demeure ancienne est suffisamment grande pour accueillir tout ce petit monde, enfants, conjoints, petits-enfants, et Papy et Mamy sont, comme à chaque fois, particulièrement heureux de ces retrouvailles. Leurs tranquilles habitudes sont néanmoins bouleversées et quoiqu’aidés par leurs grands enfants, l’intendance et la logistique restent un souci quotidien. Pas facile en effet de loger et alimenter toute cette bruyante marmaille.
Nous sommes au petit-déjeuner. Assis autour de la grande table et engloutissant leur petit-déjeuner, les enfants cherchent une occupation pour l’après-midi. Un tonton passionné de météorologie leur prédit que la journée sera encore plus chaude que la veille. Les plages bondées et leur enthousiasme pour les plaisirs de la mer commençant à s’émousser, ils veulent faire autre chose. L’aquarium ? Bof ! Ils l’ont tous déjà visité. Le zoo, bien trop loin à leur goût et la traditionnelle sortie vélo a déjà été faite deux fois cette année.
Un des petits suggère, le grenier de Papy ! Oui ! Génial !!! La proposition fait l’unanimité. Le problème c’est que Papy n’aime pas trop les visites dans cet endroit très mystérieux où sont entreposés tous les souvenirs de la famille.
Réclamée à cor et à cri, les adultes ne peuvent refuser aux enfants cette visite du grenier familial. Elle est donc programmée pour l’après-midi. Cris d’acclamation et hourras répétés, c’est le délire !
Les cris de joie des enfants résonnent encore dans ma tête quand une certaine peur panique m’envahit : et si le grenier de Papy n’était pas prêt à supporter cette troupe d’envahisseurs, cette horde turbulente, peu respectueuse des souvenirs !
Je grimpe immédiatement les marches encaustiquées et me retrouve au dernier étage devant l’escalier rancher, coiffé de la trappe d’accès au grenier.
À peine la trappe déverrouillée et poussée, je me retrouve dans une atmosphère calme, feutrée mais sans dessus dessous. Il y a là un capharnaüm indescriptible et tout ce bric-à-brac est couvert de poussière.
Beaucoup d’objets hétéroclites, certains brisés, tous recouverts de toiles d’araignée. Après m’être accoutumé à la pénombre, je parcours du regard ce vaste abri de souvenirs, toutes ces œuvres qui cohabitent, endormies...
Une statuette de Jeanne d’Arc en armure tenant son étendard déployé côtoie une enseigne militaire, l’aigle impériale des armées napoléoniennes. Dans leur vitrine, des soldats de plomb bigarrés montent la garde devant une porcelaine chinoise recouverte d’un émail craquelé. Quelques santons de plâtre essaient de se mirer dans une psyché au tain détérioré. Un vieux gramophone à manivelle repose tout le poids de son bras fatigué sur la pointe de l’aiguille, aiguille qu’il aurait pu emprunter à sa voisine, la fameuse machine à coudre Singer, compagne de plusieurs générations d’apprenties femmes au foyer. Étant petit, j’aimais m’accroupir et regarder le pédalage d’une de mes tantes pendant que les rideaux qu’elle cousait descendaient sur moi, me faisaient disparaître en me recouvrant progressivement.
Derrière le paravent, une écritoire bancale avec quelques vieilles photos sépia, un porte-plume ancien, planté et figé, dans un encrier de jade à la couleur blanc olivâtre. Sur une étagère, une vieille boîte à chaussures fermée d’un ruban. Je le dénoue et risque un œil. À l’intérieur une liasse de vieilles enveloppes, toutes les lettres d’amour de Papy à Mamy, avant leurs fiançailles, un trésor à la valeur sentimentale inestimable.
Je poursuis ma visite en essayant de ranger au mieux et de préserver de la ruée et de la bousculade à venir, tous ces objets et vieilleries, témoins du passé.
Après une rapide rétrospective, je suis content de moi et soulagé. Le grenier de Papy est prêt à affronter la ruée. Moi je redescends avec un picotement au nez. J’ai attrapé un coryza.
Un si beau portique (SklabeZ)
C’est le bonheur parfait. Plongé dans une douce béatitude, il se laisse bercer. Ah ça oui ! Il peut être content de lui ! Il vient de terminer l’installation du portique au fond du jardin. Un grand portique avec corde lisse, corde à nœuds, anneaux, échelle de corde et deux balançoires.
Pour le moment ses enfants sont encore petits, et pour les anneaux, on verra plus tard… seulement s’ils ont des dispositions pour la gymnastique.
Le portique, avec tous ses agrès, est magnifique. À peine terminé et les derniers réglages effectués, il s’installe sur une des balançoires, pour la tester.
C’est qu‘il s’est beaucoup investi dans ce projet, il y a consacré beaucoup de temps et d’argent, bien plus que ce que lui aurait coûté un ensemble tout fait dans une jardinerie ou une grande surface.
Le lent mouvement alternatif de son corps, de part et d’autre de son centre d'équilibre le plonge dans un calme paisible.
Les yeux mi-clos, il se remémore les différentes étapes du projet. La patience pour la recherche et l’achat des tubes métalliques. La constance dans mes visites obligées chez le ferronnier du coin pour fabriquer les manchons destinés à réunir les montants du portique. Entre deux âges, cet artisan, une éternelle gitane maïs au coin du bec, avait toujours une histoire salace à raconter. Son auditoire était à son image et tous les désœuvrés du quartier se donnaient rendez-vous chez lui. Grosse et grasse rigolade assurée, son atelier ne désemplissait pas.
L’humiliation, quand s’attaquant à la fabrication des crochets en tire-bouchon pour fixer des agrès, ce grossier personnage, a cru bon d’amuser la galerie en lançant à la cantonade : « Et pour les queues de cochon ? On prend modèle sur la vôtre ? »
La douce oscillation a déjà évacué cet affront. Le balancement régulier le berce et des images apparaissent dans son esprit.
Il n’avait jamais fait de balançoire auparavant. En tout cas il ne s’en souvient pas et ce n’était pas son genre, un vrai truc de filles ! Ce n’était pas son genre, surtout pas, il avait même une certaine aversion pour ce jeu, aversion venue on ne sait d’où. Pourtant il commence à entrevoir le va et vient d’un jeune garçon sur une escarpolette. L’image est floue mais se précise, ce jeune garçon lui ressemble étrangement. Il a ses propres traits. Mais c’est moi, se dit-il ! Près de lui un autre jeune garçon. Lui aussi voudrait bien faire de la balançoire et essaie de lui prendre sa place. Il est très coléreux et ne peux attendre. Alors de dépit, il lui cède le siège et commence à le pousser, assis sur la planchette et les mains accrochées aux cordes le petit frère est aux anges. Il commence à le pousser doucement d’abord, puis un peu plus fort, de plus en plus fort, et encore plus fort. Le vertige le gagne et son petit frère ne rit plus. La bouche ouverte, les yeux perdus, il est comme pétrifié.
Soudain il glisse de la planchette, ses petits bras ne sont pas assez vigoureux pour qu’il se rétablisse. La balançoire se vrille… les cordes l’enserrent dans un baiser mortel.
Plus rien ! Il se rappelle juste du pimpon, du clignotement bleu de la belle voiture des pompiers, ses parents en pleurs.
Il s’arrête tout net, saute de sa planche et entreprend immédiatement le démontage de son portique, de son beau portique.