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Le défi du samedi
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1 novembre 2008

Le Hormoi (Sebarjo)

Je passais des vacances paisibles en Normandie chez de vieux amis. Chaque année, nous nous retrouvions dans cette ancienne ferme en bordure de Seine. L’air vivifiant de la campagne nous allégeait l’âme.

Comme chaque soir, lorsque nous avions fini de souper, nous nous installions dans le salon très spacieux, assis dans des fauteuils plus que confortables, réchauffés par la flamme vive dansant dans son âtre. Nous parlions de choses et d’autres en fumant des cigares au tabac réjouissant et en sirotant un calvados au parfum enivrant. Nous abordions tous les sujets de discussion, du plus drôle au plus terrifiant, mais toujours dans une grande allégresse. Chacun laissait la parole à l’autre afin qu’il puisse agrémenter les débats. Je passai mon tour préférant savourer ma liqueur plutôt que de me dessécher le gosier. Mon ami M… prit la parole. Ce qu’il allait dire allait bien vite me faire oublier ce doux poison qui me berçait.

Tout en essuyant calmement ses lunettes noires en écaille, il commença un long monologue qui, contrairement aux règles du genre, ne s’avéra pas ennuyeux.

«  Messieurs, l’histoire que je vais vous narrer va vous paraître peu vraisemblable, et pourtant elle m’est arrivée. je ne vous demande pas de me croire mais seulement de m’écouter attentivement. Certains faits marquent les êtres tout au long de leur vie. Le souvenir n’est pas toujours bon, surtout lorsqu'il vit continuellement en vous...

Cela s’est passé dans un village, quelconque et pourtant très singulier, rencontré au hasard d’un de mes nombreux voyages. Il y faisait très chaud, une pluie fine et tiède s’écoulait des rayons du soleil. Des couleurs surréalistes composaient le ciel. Les nuages se teintaient d’arcs-en-ciel insolites, fluides, dégoulinants. Un léger vent faisait voler un peu de poussière. On respirait difficilement.

Chaque jour à la même heure, je me rendais dans un caboulot, situé au bout de la rue principale. Celle-ci était longue, droite, sablonneuse. L’auberge dans laquelle je résidais étant située à l’autre extrémité, il me fallait traverser tout le village. Dix minutes de marche suffisaient. Je m’étais déjà fait une certaine réputation dans le village. Vous me connaissez n’est-ce pas ! J’étais vite devenu un sacré bout-en-train, un clown qui fait rire à l’œil. La plupart des gens me saluaient sur mon passage. Dans ce village si chaleureux et si étrange à la fois, j'étais heureux car les gens étaient sans haine et toujours prêts à s'entraider. Et comme nous autres rassemblés ce soir, ils aimaient rire, boire et chanter.

Ce jour-là, je ne sais pourquoi, je ne me sentais pas à l’aise. J’avais soif. La poussière qui volait collait au gosier. Lorsque je franchis le seuil de l'estaminet, les visages rayonnèrent, heureux de me voir. Moi pas. Bien vite, ils remarquèrent le côté sombre de mon visage et leurs sourires s’évanouirent. Je sentis peser sur moi leurs regards réprobateurs. Ils ne riraient pas.

Je m’étais isolé dans un recoin sombre de la salle, près d’un poêle qui ne fonctionnait plus. Je voulais être seul. Je commandai un bock. Plongé dans le néant, je bus ma bière à petites gorgées. Je n’arrivais plus à penser. Soudain, un homme s’approcha de moi. je ne distinguai que sa silhouette qui laissa tomber quelque chose par terre. Quelque chose, mais quoi ? je ne le sais toujours pas. Machinalement, je baissai la tête. Lorsque je me redressai, l’homme avait disparu. Je me levai pour aller ramasser l’objet, mais au sol, il n’y avait rien. Peut-être seulement cette ombre difforme et fuyante. Je me rapprochais d’elle, elle s’éloignait de moi et finit par disparaître complètement. Une sueur froide dégoulinant de mon front brûlant me glaça.

Je quittai les lieux sans même finir mon verre. Affolé. La terreur faisait trembler tous mes membres. L’image d’un spectre se reflétait certainement dans ces yeux qui n’étaient plus les miens. Mon angoisse augmenta. Je m’engouffrai dans la rue à une vitesse folle. Autour de moi, tout devenait flou, tout devenait fou. Je ne sais comment je parvins à regagner ma chambre. Je claquai la porte et m’affalai sur le lit aux ressorts grinçants. J’essayai de respirer profondément. Peu à peu, je retrouvais mon calme.

Pourtant, je restai dans ma chambre, n’osant plus sortir. Je sonnai et commandai un repas. Les émotions creusent. Aussi dévorai-je tout ce qui se trouvait dans mon assiette. Un peu plus détendu, je m’allongeai sur mon lit et m’assoupis. A mon réveil, la nuit était déjà tombée. Il était vingt-deux heures. Je sautai de mon lit et décidai de retrouver la nuit que j’aime tant. J’avais tout oublié... du moins le croyais-je.

Je m’assis autour d’une table où m’attendaient, sans trop y croire, plusieurs amis. A peine étais-je arrivé que l’un d’eux me demanda : « Qu’as-tu fait de toute ta journée ? On ne t’a pas vu. On s’inquiétait tu sais. Et puis entre nous, c’est tellement triste ici sans toi. C’est comme si on t’avait enterré. »

Ils éclatèrent tous de rire et commandèrent à boire en mon honneur. Je m’efforçais de sourire. Les dernières paroles de mon camarade avaient ressuscité ce malaise incompréhensible. C’est comme si on t’avait enterré…Vous ne pouvez pas savoir comme cette phrase me bouleversa. J’avais l’impression de voir mon tombeau de manière de plus en plus précise. La mort se matérialisait. Certes, en un objet encore flou, mais de plus en plus net. Je revoyais la silhouette. Elle creusait une fosse à grandes pelletées, puis s’arrêtait pour me lancer des ricanements sinistres. C’était la Mort ! À mes trousses. l’Ankou ! Pendu à mon cou. Je vois encore ce visage… que je ne pourrai jamais oublier ! Une face hideuse, aux orbites vides, aux ténèbres terrifiantes. Les dents ébréchées, son sourire glaçant le sang. Le corps osseux et la peau desséchée sans autre vie que celle de la vermine. Je ne pus laisser échapper un seul cri. Les autres me regardaient en riant à pleines dents, croyant que je grimaçais pour les amuser, guettant le moindre de mes gestes, comme des enfants face à une marionnette. Je ne pus pourtant pas feindre d’être au mieux. J’avais peur.

LA  PEUR !

    La peur originelle de l’homme…

Je partis précipitamment sans même pouvoir m’excuser. Non, ne dites rien Messieurs, vous ignorez la Peur, je le devine à votre calme, et j’en suis heureux, car je n’espère pas qu’une telle chose vous arrive. Je partis donc. Je n’étais plus maître de moi-même. Dans la rue, je dus puiser dans mes ressources pour ne pas m’affaler par terre et ne pas mordre la poussière. Je tentai d’adopter le pas le plus tranquille et le plus assuré qu’il m’était alors permis de prendre. Car j’étais un autre, non plus ce clown amuseur mais plutôt un clone de musée. J’étais très nerveux et me retournai sans cesse. J’avais peur d’Elle. Elle était grande et vacillante, ardente flamme noire sans fumée. Elle s’attachait à mes pas, prête à m’assaillir à chaque instant. Je finis par ne plus oser me retourner. Devant moi, je la voyais également. Elle tendait ses mains osseuses prêtes à me saisir la gorge. Ah ! Cette ombre sombre, sortant de la pénombre ! Voyez Messieurs, j’en tremble encore. J’avais beau changer de direction, elle était partout, me frôlant à tout instant. Je paniquais et tournais autour de moi-même frénétiquement. Je me sentais glisser sous le drap de la mort qui recouvrait mon corps, lui offrant tiédeur et frissons. Ma vue se troubla. Je me sentis défaillir. Je m’écroulai par terre, perdant connaissance.

Lorsque je me réveillais, il faisait jour. J’étais alité dans ma chambre. Quelques amis vus la veille m’entouraient, de même que le médecin, seul de sa profession dans le village. Lorsqu’il vit que j’ouvrais les yeux, il me demanda comment je me sentais. Après l’avoir rassuré, je le questionnai sur ce qui s’était réellement passé.
« Eh bien votre ami P… vous a retrouvé allongé sans connaissance dans la rue principale, commença-t-il.
P.. poursuivit : « Tu devais vraiment être fatiguer pour dormir dans la rue, hein ? »
J’esquissai un sourire. A ce moment une jeune femme entra. Le docteur me présenta Mademoiselle J… qui m’avait veillé toute la nuit. Elle me dit alors :
« Oui Monsieur, j’étais là au cas où vous auriez eu besoin de quelque chose. Vous auriez vu dans quel état vous étiez !
- C’est-à-dire ? Demandai-je.
- Eh bien, Monsieur avait le sommeil agité, il poussait des cris affreux dans un état d’inconscience totale. Monsieur se réveillait le jour et…
- Comment ça, je me réveillais le jour ?
- Enfin c’est Mme L… qui me l’a dit, car moi je ne faisais que les permanences de nuit. C’est que Monsieur a dormi pendant trois jours !
- Trois jours ! Et j’ai dormi tout le temps !
- Vous mangiez et buviez le jour sans vous en rendre compte Monsieur. Et Mme L…m’a dit que chaque jour à la même heure, vous vous mettiez à hurler ces mots NON ! NOOON ! PAS MAINTENANT ! Puis cinq minutes plus tard, vous replongiez dans le sommeil comme apaisé. Vous savez, elle a eu rudement peur. Surtout de votre visage... cette peau tirée et ces yeux creusés...  vides !

Tout me revenait dans un brouillard épais et inquiétant. Le jour-même, quelques heures plus tard, j’avais quitté ce village. Je rentrai chez moi à Paris que je n’ai plus jamais quitté depuis, si ce n’est une fois l’an pour vous retrouver ici, Messieurs. Votre compagnie est des plus plaisantes et apaisantes, voilà pourquoi je m’autorise cette exception. Bien sûr, comme vous avez pu le constater, je vais mieux aujourd'hui. Et pourtant, tous les ans à la même date, la peur me ressaisit. Quel jour fatidique ! Croyez-moi, j’ai longuement réfléchi à ce qui m’est arrivé. Voici ma conclusion : j’avais peur… Peur de mon ombre ! Elle...Car elle est la Mort ! Ma Mort ! C’est ainsi que depuis ce jour, je la vois. Le malheur est que je ne puis évidemment pas m’en séparer. Le jour où je la quitterai, ce sera pour être cette ombre de moi-même.

Et Messieurs, voici le plus étrange. J’avais trouvé une seule solution pour m’en débarrasser. Dans un excès de folie ou de courage, je me suis crevé les yeux. Je ne suis pas aveugle par  accident contrairement à ce que je vous ai fait croire. Eh bien Messieurs, malgré cela, je la vois toujours !

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27 septembre 2008

Poup'-Art aux journées du patrimoine - Sebarjo

 

Monsieur Paul Art Barok, jeune homme d'une quarantaine d'années, engoncé dans un canapé au fond trop moëlleux – de ceux qui vous mettent les genoux au niveau des oreilles - sirotait tranquillement un thé à la bergamotte dans le salon douillet de sa vieille tante Mrs Robinson. Cette dernière était entourée de sa cour vieillissante, composée de sa veuve de belle-soeur de 83 ans, de sa cousine de 85 ans toujours flanquée de son mari, le cadet de 78 ans. Il était presque 16 heures 30 et l'on n'y manquait jamais la traditionnelle Tea time, même si la sortie de table venait de se faire... Le café avait encore une fois été oublié au grand dam de Paul Art. Car Monsieur Barok était plutôt caféine que théine, à tel point que ces meilleurs amis le surnommait le Père Colateur... Malgré tout, il s'était habitué au rituel de sa vieille famille... A la guerre comme à la guerre ! Et puis ce n'était qu'un week-end tous les deux ou trois mois...

 

Paul Art était plongé dans ses pensées, se laissant envahir par les sons du silence, lorsque par-dessus un flot de paroles, il entendit ces bouts de phrases : .... journées ...moines... Jocelyn...

Aux regards de tous les membres de l'assemblée qui divergeaient vers lui, il comprit, comme réveillé en sursaut, qu'on s'adressait à lui...

 

Il ne put que répondre ces bredouillements :

 

- Le moine Jocelyn ??? Ah... un nouveau chartreux dans le diocèse, chère tante ... ???

 

- Mon cher Paul Art, vous rêvez ! Encore plongé dans vos délires de polars ! M'enfin vous vous prenez toujours pour Hercule Poirot ? Cela ne vous a pas passé depuis vos piètres années d'études au collège ? Sept, si j'ai bonne mémoire... Non mon cher neveu, il n'est nullement question de moine Jocelyn ou Cafdael. Je vous disais simplement que cela me ferait un immense plaisir que vous daignâtes nous accompagner au Musée de poupées, situé dans les vestiges du château de Josselin, comme toute personne cultivée le sait. Car comme vous ne pouvez l'ignorer, ce week-end ont lieu les journées du patrimoine... Et à cette occasion, le musée qui nous intéresse, présente au public la totalité de ses collections ! Soit environ mille spécimens, tous uniques en leur genre ! Je vous rassure, il y en a pour tous les goûts mon cher Paul Art : faïence, porcelaine, laine, cire, son, coquillages, crustacés...

 

- Et la plage ensoleillée, c'est pour après ???

 

- Allons, allons, il n'est plus temps de plaisanter ! Prenez votre veste de tweed et empressons-nous de partir. Vous allez nous mettre en retard ! Vous n'avez même pas encore touché à votre thé. Il vous manque peut-être votre nuage de lait ?

 

Et patatati et patata...

 

Avant la fin de tout ce radotage, notre Paul Art eût le temps de terminer son thé et d'enfiler sa veste de tweed. Une demi-heure plus tard, soit environ vers 17 heures, ils furent tous installés plus ou moins confortablement dans la voiture de sa tante, une antique DS quasi-authentique. Pour être honnête, il s'agit plutôt d'un bas de gamme qui fait mal au do... Un ersatz. Une ID, qui est en fait bien loin de l'idée qu'on se fait d'une déesse...

 

Tout ce petit équipage avait réussi à se caser dans la vieille automobile aérodynamique et aux fameuses suspensions hydrauliques. Un sacré tangage ! Au volant comme capitaine au long court, se trouvait le mari de la cousine de sa tante, le moteur personnel un peu trop imbibé de sherry... et à ses côtés, à la fameuse place du mort, la belle-soeur de sa tante, déjà veuve rappelons-le... Coincé entre sa vieille tante et sa cousine, Monsieur Barok était lourdement écrasé de gauche comme de droite – il se dit alors que ce ne devait pas être facile tous les jours d'être centriste... Il se sentait comme pris dans un étau qui avait le désagréable désavantage de causer... Il comprit alors le sens profond des expressions Aller de l'avant et être sur ses arrières...

 

Sa tante se délectait à l'avance de la visite qu'ils allaient faire. Et elle en profita pour étaler ses goûts artistiques et toute sa confiture pseudo-culturelle... un véritable coulis d'airelles ! Si on ajoute à cela le roulis imprimé par la caisse quinquagénaire, Paul Art était sacrément bien bercé. Cependant, des bribes de dialogue, attrapées au vol par ces oreilles mal embouchées, le sortirent de sa demi-torpeur... :

 

(Sa tante ) : « .... L'année passée j'ai visité le musée du Velours, formidable ! Croyez-moi c'est quand même autre chose que tous ces Louvres et compagnie ! » A voir absolument, si vous ne le connaissez pas, ma chère cousine ! »

 

Il ne pût s'empêcher de se mêler à la conversation, au bord de l'effarement :

« Ah oui oui, c'est vrai. Tenez, moi je me souviens avoir visité aux Pavillons-sous-bois, un merveilleux et charmant petit établissement, le musée des Drapeaux. Magnifique ! Là c'est sûr, c'est autre chose que leur Prado et autres dépotoirs de l'art ! »

Ce qui ma foi, relança bien la discussion entre la tante et sa cousine... et replongea Paul Art dans son hypnose illusoire.

 

On approchait du but. Paul Art Barok pensa que peu de monde viendrait visiter un tel musée. Des poupées ??? Qui cela peut-il bien intéresser ? Sa tante... mais à part ça ? Ca serait toujours ça de gagné, parce que, c'est bien joli les journées du patrimoine, mais en général, on passe plus de temps en attente qu'en visite !

 

La voiture freina et s'arrêta sans se déglinguer.

 

Quel naïf ce Paul Art ! Il y avait un monde fou ! On se serait cru aux fameuses Ballades avec Georges Brassens qui avaient eu lieu la semaine dernière à Rennes ! Il y avait parmi tout ce beau monde, un bel échantillonnage de représentantes des 3 et 4ème âge, ajoutez à cela, une sacré marmaille : des dizaines de rangs d'oignons de petites filles modèles ! Mais finalement, pensa Paul Art, cette foule c'est une aubaine...

 

- Mince alors ! On ne pourra jamais rentrer avant la fermeture avec tous ces gens ! On n'a plus qu'à s'en retourner, maugréa-t-il, faussement déçu.

- Ne soyez pas si triste mon cher neveu, lui répondit sa tante, il y en a qui viennent simplement voir ce qui reste du château... Et ne vous tourmentez pas, à l'occasion de ces fabuleuses journées du patrimoine, le Musée de poupées a eu la bonne idée d'organiser une nocturne. Le musée sera ouvert jusqu'à 23 heures ! Alors vous voyez bien, il n'y a aucune raison de s'inquiéter.

 

En un jour pareil, l'entrée était gratuite. Mais il fallait quand même faire la queue pour prendre son ticket. Ce qu'ils firent pendant près d'une heure. Ensuite, on les conduisit dans une petite salle nommée Salon Polnareff. Cela ressemblait plutôt à une salle d'attente de cabinet dentaire, le samedi matin... mais en pire, car ici on vous infligeait en boucle - ô divine musique d'ambiance – le refrain de La Poupée qui fait non... C'était terrible ! Enfin, ils s'en sortaient déjà pas si mal car, à côté, il y avait deux autres salons : Le Salon France Gall (en écoute Poupée de cire...) et le nec plus ultra, le Salon Bernard Menez où défilait inlassablement cette inoubliable romance, Jolie poupée...

 

Trois quart d'heure plus tard - il commençait à se faire tard - et Paul Art avait quelques centaines de fourmis dans les jambes. C'est alors qu' un guide vint enfin les chercher :

 

-Mesdames et messieurs, si vous voulez bien me suivre...

 

Avec cette chanson qui défilait en écho dans sa tête, Paul Art avait envie de répondre Non non, non non non non...

Il se ravisa et suivit sa petite smala. Devant les vitrines exhibant des centaines de poupées, il se fit tout petit... Ca changeait un peu de registre ! Ca commençait fort avec la première salle, consacrée aux poupées de coquillages... berniques, moules, palourdes, coques, praires, amandes, bigorneaux, pétoncles... tout un inventaire digne d'un conchyliophile s'étalait dans un enchevêtrement baroque devant les yeux ahuris de Paul Art Barok. Et, Il y avait au total huit salles ! Nous voilà propres, pensait-il...

 

Il était 22 h 30 lorsqu'ils sortirent enfin de l'ultime pièce du musée, la Salle des faïences ! Ouf nous allons enfin pouvoir rentrer, lâcha Paul Art, si heureux d'en finir avec ce supplice, qu'il ne se rendît même pas compte qu'il parlait tout haut. C'est alors qu'une voix microphonée fit l'annonce suivante :

 

- Mesdames et messieurs, il est l'heure à présent de vous donner le résultat de notre loterie surprise... L'un d'entre vous aura la chance de repartir avec la poupée de son choix si son numéro de ticket est tiré au sort.

 

- Vous allez voir que ça va tomber sur moi chère tante, lança goguenard Paul Art.

 

- Le Ticket gagnant est le... ... ... 12322 !

 

- Non, mon cher neveu, c'est moi ! cria en pleurant de joie sa tante. Vous aviez le ticket 12321! Pour une fois le palindrome ne vous a pas porté chance !

 

Elle fut accueillie sur une estrade et applaudie par une foule jalouse, médusée et même parfois à musée... Elle choisit alors une poupée en porcelaine, un clown aux cheveux carotte et ébouriffés.

 

L'animateur en la circonstance lui demanda pourquoi ce choix un peu surprenant. Il pensait qu'elle aurait plutôt élu une ravissante marquise en porcelaine. Elle s'empressa de répondre :

 

- Parce que cette poupée clownesque est à l'image de mon neveu. Et je voudrais, pour le remercier de m'avoir accompagné jusqu'ici, la lui offrir...

 

Un tonnerre d'applaudissements retentit pour acclamer ce si beau geste. On aurait pu se croire à la Nuit des Césars...

 

- Il est où ce jeune homme bien chanceux ? reprit l'animateur.

 

- Là, entre ma cousine et son indécrottable mari, et à côté de mon ex-belle soeur, veuve de surcroît...

 

Et Paul Art fut poussée sur le devant de la scène par la cousine de sa tante et la foule en délire... Le cauchemar se poursuivait...

 

 

 

EPILOGUE

 

Minuit trente, chez Paul Art.

 

- Mon cher neveu, voyez comme cette poupée est ravissante sur ce guéridon ! Cela finit d'habiller votre salon, s'enthousiasma la tante de Paul Art.

- C'est trop ma tante, gardez-la donc, je ne peux pas accepter... une telle oeuvre, d'une telle valeur ! (Il avait vu la veille, la même poupée en vente sur un stand de la Braderie du Canal Saint-Martin, 5 euros à débattre !)

- Allons, allons, cela me fait plaisir. Et puis comme ça vous penserez à moi et je serai si heureuse de la retrouver chez vous quand je passerai à l'improviste. Elle me donnera envie de venir plus souvent chez vous... Tenez, c'est décidé, je passerai chaque semaine pour l'admirer...

 

Et c'est cette nuit-là que Paul Art Barok décida de faire un tour du monde en 80 ans... au moins !

 

 

 

20 septembre 2008

Mon NON est personne - Sebarjo

City Rain (Little Brittany), West Tour Comic, étage 131

Le 03/01/2020 à 10 h 30

 

Dans un salon de West-Eklair, revue électronique de ce Francia's Land

 

 

Le journaliste Erik Azarail, éminent biologiste et non moins piètre critique littéraire, reçoit l'écrivain populaire Joe Sebbar qui cette année, une fois encore, manque de remporter in extremis, le fameux prix « Qu'on Gourre »...

 

Erik Azarail : Cher Joe Sebbar, bienvenue à City-Rain, ex Rennes, ex Condate,...in the rain... (rires)

Joe Sebbar : ... ???

EA : Hummm... Joe Sebbar, vous avez choisi délibérément cette date quasi-palindromique pour notre entrevue. Pour quelle raison ? Superstition ? Sorcellerie ?

JS : Une petite précision avant de vous répondre : la date eût été parfaite si nous avions eu cet entretien en 2002... mais à cette époque vous étiez à peine né, si je ne m'abuse... d'où cette imperfection !

Maintenant, pour vous répondre, je dirais que mon écriture est symptomatiquement palindromique. La lettre, voilà l'essence du mot. Je suis à la recherche de l'Anagramme comme l'était autrefois le beau Serge de l'Anamour (1). On dit que j'aime toujours contredire mais c'est faux ! Je trouve tout simplement que la plus belle réponse à une question, c'est NON car c'est le degré zéro du palindrome. Et si vous m'avez déjà lu, vous aurez certainement remarqué que j'affectionne les fins sans snif...

EA : Vous voulez dire les Happy end ?

JS : NON.

EA : ... ???

JS : NON.

EA : Bien. Revenons-en à votre actualité, ce pourquoi nous sommes là d'ailleurs (rires). Hummm... Après avoir récemment mis en ligne chez Flemme-à-rien, un grand roman politique abracadabrantesque, Vingt mille vieux sous l'affaire, vous le grand épopiste populo-bobo, vous allez webéditer prochainement un recueil de textes courts – ce qui ne vous ressemble pas - intitulé CHIENS anagramme de NICHES (2). Comme son titre l'indique (rires), vous évoquez à travers des événements insipides, des choses diverses et variées, cette race animale en voie de disparition qu'est Le Chien. Pour être clair, je vous le demande : qu'est-ce qui vous a pris ?

J S : La nostalgie camarade... Cette bête, c'est bête mais c'était ce qu'on appelait au siècle dernier le meilleur ami de l'homme... Ce qui m'a pris...? Je ne sais pas... j'ai eu la main au collet, à en devenir dingo... Alors j'ai bu un petit berger blanc pour me remettre, vous savez cette boisson anisée des trente glorieuses... et puis voilà, j'étais mordu et les mots sont venus tout seuls...sans un os...

EA : Ce livre, excusez-moi si le mot est un peu fort, mais tout de même, ce livre est un peu déroutant...

JS : NON. Il faut simplement emprunter des chemins de traverse, des sentes qui sentent, pour lire ces textes... Il ne faut pas hésiter à marcher dans la boue sans qu'ça gêne, à être sur les traces de nos anciens amis canino-urbains, en sillonnant les caniveaux qu'ils suivaient autrefois pour satisfaire leurs besoins. NON, une chose est sûre, c'est que pour dévorer ce livre, il faut avoir les crocs !

EA : Mais tout de même, permettez-moi d'insister : ce book-in, c'est n'importe quoi ! Il suffit d'en lire la première phrase : « Le chien de pays latin vit à coup sûr sous les canisses. » !!! ... Vous avez abusé du réchauffement climatique ? Une ultra-insolation ? C'est n'importe quoi, avouez-le !

JS : NON. Et c'est pourtant ce qui fait sa force.

EA : Bon récapitulons. Si je prends vos précédents pseudo- romans d'aventures, quelle cacophonie ! C'était déjà... comment dire ... consternant ! Mais là... C'est NUL !

JS : Je suis au sommet de mon art. Tout comme vous d'ailleurs...

EA : Merci, je vous renvoie le compliment.

Pour poursuivre ce que je disais (il marque un temps d'arrêt) ... prenons par exemple, votre roman de l'année dernière Les Trois moustiquaires, mis en ligne fin août comme d'habitude - le même jour que celui d'Annulus Mothum - ça part dans tous les sens et finalement ça ne dit rien ! C'est exaspérant.

Je rappelle l'histoire – et je suis encore bien aimable d'en trouver une ! (rires en cascades) ... hummm... Je résume : trois jeunes gendarmes, Cruchos, Gerbis et Fuguos - puis un quatrième, D'Albi-Merlan, qui arrive là on ne sait comment ! - décident de lutter contre ce fléau qu'est le chikungunya envahissant Saint-Tropez. Ils surveillent les plages pour emmailloter les nudistes (la population la plus exposée) dans trois moustiquaires géantes... Ils combattent le Duc de Ruche-lieu qui aurait fait venir ces moustiques profanateurs clandestinement (via un transport de pneus !) pour nuire à notre empereur bien-aimé, Nicolas Le Grand (Nicolas, si tu nous lis...il fait un signe amical de la main, accompagné d'un sourire diamantissime)... Et, selon votre roman, Ruche-lieu voudrait se venger car il serait le fils caché de Rachid Adatie et de notre grandeur gouvernante.... !!!

Je n'en dirais pas plus tant c'est navrant... mais tout de même, tous ces complots contre notre monarque bien-aimé...c'est inimaginable !!! C'est diffamatoire, c'est un scandale !

JS : Non. C'est de la littérature populaire ! Du popular Art, du Pop Art sans Pop-up ! ... Connaissez-vous Alexandre Dumas ?

EA : Euh... c'était pas un homme politique ... ou ... une sorte d'elfe ?

JS : Lisez-le. Il en existe encore quelques exemplaires papier chez les chiffonniers. Ce que j'écris est de la même veine. Et Patrick Rambaud, ça vous dit quelque chose ?

EA : Bien sûr !!! Rambo ! J'adore cet acteur ! Quelle grâce ! Quelle éloquence ! Quel punch !

JS : En fait, je pensais plutôt à Patrick Rambaud, l'écrivain...(3) Ce que je voulais dire c'est que ce brave homme a décrit il y a une douzaine d'années déjà, les frasques de notre cher empereur et on n'en faisait pas tout un plat !

EA : Il s'agissait certainement d'éloges !

JS : Chacun ne lit que ce qu'il veut.

EA : M'enfin vous nous parlez d'auteurs obscurs : Alexandre Dumas, Patrick Rambaud... personne ne les connaît, tout le monde s'en fout ! Revenons-en plutôt à votre propre dégénerescence, puisque nous sommes là pour ça.... Vous êtes complètement dingue, Joe Sebbar !

JS : Barré, je préfère. Ou barje. Car Joe Sebbar c'est barjo... et ce sera le mot de la fin.

Car je vous laisse. J'ai une autre interview qui m'attend à Litte Bristol (Little Brittany), ex Brest, ex Brestum. Ce sera autrement plus passionnant, car j'y retrouve un camarade écrivain...

EA : Ah... et on peut savoir de quel autre tordu il s'agit ?

JS : Joe Krapov. Il vient présenter sa version revue et corrigée de L'Odyssée (4).

EA : Eh ben, ça va être joe-joe...

JS : Je m'en vais (5)... Vous connaissez Echenoz ?

EA : Quoi ? ... Quelle chose ?

JS : Rien. Je vous laisse, je vais poursuivre mon Voyage au bout de la pluie... Vous connaissez Céline au moins ?

EA : Ah oui j'adore !!! Quelle voix, cette Céline Dion ! Mais j'aime encore mieux l'impériale Carla Bruni, elle est bouillantissime !

JS : C'est bien ce que je pensais.

Il sort et met fin à l'entretien.

 

 

 Notes

(1) Voir les paroles de L'anamour

(2) pour en lire des extraits

(3) Chronique du règne de Nicolas 1er

(4) L'Odyssée pour les nuls : extraits 1 ; extraits 2

(5) Je m'en vais

13 septembre 2008

Au fil du temps (sebarjo)


On m'a souvent demandé, lorsque j'étais jeune, ce que je voulais faire plus tard. J'imagine qu'on vous a fait le coup aussi. Je ne connais personne ayant échappé à cette question fatidique.

Je ne répondais rien. Alors on disait de moi que j'étais un enfant boudeur ou un futur chômeur...Selon l'interlocuteur. Je ne répondais rien mais je pensais :

pourquoi toujours plus tard ? C'est maintenant que je veux faire quelque chose ! Plus tard plus tard !... il faudra aller se laver, s'habiller, se coucher !...

Et je retournais à mes légos. Qu'est-ce que le temps pour un enfant ? Une année, c'est un jardin immense, des je et des jeux sans fin.

Maintenant c'est différent. L'avenir est déjà derrière. Un point infime à l'horizon.

Il n'y a plus de plus tard dans les questions, il faut se décider vite, de plus en plus vite, le temps presse ! Et le temps c'est de l'argent... Si tu t'arrêtes, on técrase !

Tant pis, je freine. Je m'enrichis de silence. Les minutes passent et je m'en repaîs. Des quiétudes sans inquiétudes.

Ce matin, alors que le temps fuit au lever du soleil et que je freinais tout en douceur, ma femme me demande :

.

Que veux-tu faire aujourd'hui ?

Je me réveille doucement, je la regarde et lui réponds en chantonnant (sur l'air approximatif d'India Song)et en tenant à peu près ce langage :

.

Je veux...

Mourir de plaisir

Courir après le désir

de te tenir dans mes bras

de sentir pendre tes bras

à mon cou tes baisers doux

qui se jouent de mes joues

Envie de prolonger

la nuit dans la journée

Envie de me cacher

dans le bruit de tes baisers

Envie d'éternité

de mourir de se figer

Envie de prolonger

nos vies et de t'aimer...

.

Un long et délicieux silence de quelques heures, comme un doux soupir musical...

La nuit tombe.

Il est l'heure de manger.

Il est l'heure pour nous de se lever et de prolonger le jour.

Nous avons tout notre temps...

.

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