23 octobre 2021

La goutte d’eau qui met le feu aux poudres (Poupoune)

 

Je venais juste de poser sa bière à portée de sa main. Il l'a attrapée sans me regarder et a dit « Oh chou, tu m'apporteras mon capodastre. »
Ce n'était pas vraiment un ordre, mais ça y ressemblait quand même assez fort.
Déjà, je n'arrivais pas bien à me rappeler pourquoi et comment on en était arrivés à cette espèce de rituel qui consistait à lui apporter une bière dès qu'il descendait au sous-sol pour jouer de la guitare. Pourquoi il ne la prenait pas tout seul, sa bière, vu qu'il descendait les mains vides ? La première fois, j'étais en bas en train d'étendre le linge quand il était descendu et au moment où je suis partie, il m'a dit « Ah tiens, puisque tu remontes, tu pourras me rapporter une bière ? »
Sur le coup, je m'étais dit que oui, bon, puisque je remontais, effectivement… mais en fait ça ne justifiait pas une seconde que je fasse l'aller-retour à sa place. 
Depuis, au moins deux ou trois fois par semaine, quand il descendait au sous-sol faire de la musique et sans qu’il ait à demander, je lui apportais une bière. Ce genre de petits trucs que tu fais au départ pour faire plaisir, mais qui finissent très vite par être perçus comme un dû et que tu n’arrives pas à ne plus faire. Et je n’avais jamais un « s’il te plaît » ou un « merci ». Souvent je n’avais même pas un regard, sauf quand il voulait me signifier qu’il faudrait que je parte pour qu’il puisse jouer tranquille.
Le sous-sol était à moitié occupé par son matériel de musique – guitare électrique, amplis et pédales en tous genres – et à moitié par la machine à laver et le séchoir. La musique, c’était pas son métier. Il avait commencé la guitare au lycée, comme tous les garçons un peu moches ou empotés, pour séduire les filles, et il avait continué de gratouiller par habitude, jusqu’à la crise de la quarantaine. Pas assez riche pour la voiture de luxe et pas assez charismatique pour la maîtresse vingt ans plus jeune, il avait décidé de jouer les rockers et s’était mis à acheter tout un tas de gadgets très bruyants qui occupaient donc désormais le sous-sol.
Malgré cet amateurisme total et un manque criant de talent, il se considérait quand même prioritaire au sous-sol et avait là aussi insidieusement réussi à me faire accepter l’idée que s’il jouait, je débarrassais le plancher. La première fois qu’il y a eu conflit, je descendais vider la machine et dès qu’il m’a vue il a dit du ton le plus désagréable possible « Non mais je joue, là ! » alors j’avais répondu « Et moi je bosse. La machine doit être finie ». Sa réponse ce jour-là était une telle cause évidente de divorce que je me demande encore aujourd’hui comment j’ai pu ne pas fuir à cet instant précis. Il a dit « Non t’inquiète, je l’ai arrêtée y a un moment, le bruit me gênait. Tu la relanceras quand j’aurai fini ».
Tu la relanceras quand j’aurai fini.
Il va sans dire que la machine contenait environ cinquante pourcents de fringues qui lui appartenaient et que je n’étais pas rémunérée pour les laver. Encore moins pour attendre que monsieur ait fini pour me taper ses corvées. Quand j’y repense, j’ai vraiment été stupide de ne signifier mon agacement qu’en bougonnant, mais en m’exécutant quand même. Jamais il ne s’est demandé comment je m’organisais pour gérer mon boulot, les courses, le ménage, la bouffe et ses lessives - la fameuse répartition des tâches où, en compensation, il ouvre les bocaux de cornichons, bricole et porte les trucs lourds - sauf les courses, donc. En revanche, moi, je devais m’adapter à ses séances totalement irrégulières de gratouilles.Quelle idiote j’étais, quand même, d’avoir laissé une situation pareille s’installer…
Stupide. Idiote. Bête. Couillonne. D’un coup ça me paraissait évident : globalement notre relation me rendait stupide. Du moins me faisait me sentir stupide. Souvent. Tout le temps. Comme en cet instant précis, où je remontais du sous-sol pour aller chercher le capodastre de monsieur sans avoir la moindre idée de ce que pouvait bien être un capodastre.
J’ai cherché sur internet et en fait c’est bêtement le bidule qui coince les cordes. Je suis sûre qu’il a fait exprès de dire « capodastre » et pas « bidule qui coince les cordes » pour que je me sente encore une fois un peu conne. Pour m’obliger à lui demander ce que c’est et qu’il puisse me répondre avec son petit air condescendant, là. Mais cette fois je ne me suis pas laissée avoir.
J’ai trouvé le machin et j’ai commencé à redescendre pour lui apporter quand je me suis figée à mi-chemin dans les escaliers. Le tuyau qui fuyait depuis une semaine et qu’il devait réparer fuyait toujours. Je regardais les gouttes tomber une à une pour former une petite flaque à mes pieds. La marche et le mur commençaient à être un peu imbibés. Une semaine. Cinq jours de travail. Deux séances de courses. Une dizaine de repas préparés. Trois lessives. Zéro truc lourd à porter. Zéro bocal à ouvrir. Et, donc, zéro bricolage.
J’étais là, comme hypnotisée par ce goutte-à-goutte, son fichu capodastre à la main, à me sentir encore une fois complètement nulle de m’être exécutée sans moufeter pour lui rendre service, quand il a crié « Eh ! Qu’est-ce que tu fous ? » et je l’ai instantanément haï. D’un coup, en bloc, pour toutes les petites humiliations, pour l’asservissement, pour les heures perdues à la cuisine, pour les centaines de marches montées et descendues avec sa bière, pour les lessives à étendre au milieu de la nuit sans bruit parce qu’il dormait après avoir joué de la guitare jusque tard le soir, pour mon dos cassé par ses packs de bières, pas assez lourds sans doute pour que ça bascule dans ses tâches à lui, pour ce satané tuyau qui fuyait…
Je me suis mise sur la pointe des pieds, j’ai levé les bras, évalué la distance… et sauté pour attraper le tuyau. Il était assez gros, mais pas au point de résister à mon poids. Il a cédé et l’eau s’est déversée abondamment dans le sous-sol, directement vers mon guitariste du dimanche. Le temps qu’il réalise qu’il avait les pieds dans l’eau, il était trop tard pour réagir. Il y a eu une première étincelle, une deuxième, et puis un véritable feu d’artifice quand tous ses appareils ont eu l’air d’exploser l’un après l’autre. Pour la première fois, secoué par les décharges, tressautant comme un pantin épileptique avec sa guitare étincelante au milieu du tumulte, il a un peu ressemblé à une rock star sur scène. Mais pas longtemps. Il s’est vite effondré.
Ironiquement, le linge qui séchait n’a ni pris l’eau ni pris feu.
J’ai récupéré mes affaires, bu une bière à sa santé, la première depuis que je ne pouvais pas en ramener assez pour nous deux parce que c’était trop lourd dans mes sacs de courses, et je suis partie.
Je ne vous dirai pas où je lui ai mis son capodastre avant de m’en aller, mais c’était un de ces petits gestes simples, qui ne coûtent pas grand-chose, qu’on ne pense pas toujours à faire et qui, pourtant, font drôlement plaisir.

 

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16 octobre 2021

Participation de Poupoune


Je ne traîne à peu près jamais dans les bars seule le soir. Je n’ai pas trop de raisons de le faire. Quitte à boire seule, j’aime autant le faire à domicile devant un bon film plutôt que dans un bar potentiellement plein de types avinés, braillards et suants. Mais là, à cause d’une sombre histoire de clés oubliées, j’étais à la porte et j’allais devoir attendre un moment pour récupérer un double, alors je me suis installée dans le bistrot en bas de chez moi.
C’était un soir de foot. Le match était fini depuis un moment, mais il y avait toujours du monde, beaucoup d’hommes évidemment, ça buvait, parlait et riait fort. J’ai repéré une table un tout petit peu à l’écart du tumulte et m’y suis installée. Deux jeunes femmes avaient tenté la même stratégie et occupaient la table voisine. Je ne sais pas quelles circonstances les avaient amenées jusque-là, mais elles ne semblaient pas beaucoup plus emballées que moi par l’ambiance et le bruit qui régnaient.
Quand le serveur est arrivé avec mon soda, deux types ont commencé à me charrier parce que je ne buvais pas d’alcool. D’autres ont commencé à se tourner dans notre direction, désireux peut-être de changer un peu de conversation, parce que refaire le match en picolant, ça va cinq minutes, mais… mais rien en fait. J’ai vu des gens même pas ivres parler de foot pendant des heures après un match, sans jamais se lasser. Alors disons que là les deux gros lourds qui trouvaient incongru que je ne m’alcoolise pas et hilarant de me le faire remarquer avaient juste dû faire assez de bruit pour que les autres viennent voir.
Je leur ai servi mon meilleur air de vieille emmerdeuse, un savant mélange d’agacement et de mépris accompagné de grognements, qui en général calme assez bien ce genre d’importuns, mais le mal était fait : ils avaient repéré les deux jeunes femmes planquées derrière moi et là, les pauvres se sont retrouvées assaillies de mains baladeuses et d’haleines chargées soufflées de beaucoup trop près et je me sentais un peu responsable du malaise que je voyais s’installer. Tout dans leur attitude, leurs gestes, leur façon de ne pas répondre et jusqu’à leurs sourires crispés, tout hurlait « pitié ! laissez-nous tranquilles ! » mais rien, absolument rien dans l’air goguenard et les cris de leurs assaillants ne semblait vouloir dire « nous avons pris bonne note de votre inconfort, mesdames, nous allons vous laisser et nous nous excusons pour la gêne occasionnée. »
Étant donné qu’aucun des autres bonhommes présents ne semblait disposé à intervenir, je me suis résolue à venir moi-même en aide aux deux jeunes femmes. J’ai d’abord tenté la voie diplomatique, calmement et poliment, mais tout ce que j’ai gagné, c’est des insultes et une main au cul. À mon âge. Une main au cul. Sans déconner ? J’ai attrapé mon verre, prête à l’écraser sur le visage qui allait avec ladite main, mais flemme de risquer de me blesser. Alors à la place, j’ai siroté un peu mon soda en regardant le gars. Il avait l’air pote avec celui d’à côté. Je lui ai demandé : « Vous êtes copains tous les deux ? »
Il a attrapé le copain en question par le cou, l’a ramené vers lui et, façon amitié virile en tapant son torse m’a répondu « Ouais ça c’est mon poteau, mon frérot même ! »
En parlant haut et fort pour qu’il me comprenne bien malgré son état et le bruit, j’ai répondu « Ah c’est chouette, ça. Du coup ça ne te dérange pas du tout qu’il couche avec ta fille ? »
Je ne savais pas s’il avait une fille et je dirais, vu son état, qu’a priori lui non plus. Mais c’est marrant, hein, comme ce genre de mecs ne voient strictement aucun inconvénient à harceler, intimider, effrayer ou agresser une femme, mais qu’un autre type fasse la même chose à une femme qu’ils considèrent comme leur propriété – épouse ou fille, parfois même sœur ou mère – et là ils deviennent fous. En général je préfère essayer d’expliquer, d’éduquer ce genre de brutes sexistes pour les amener à repenser leur masculinité, mais on ne va pas se mentir : ça ne marche quasiment jamais et certaines situations nécessitent des solutions beaucoup plus efficaces. Comme jouer sur ce genre de biais misogynes pour se tirer d’une situation pénible.
Ça n’a pas loupé. Le gars s’est retourné vers son « frérot » avec un regard mi-dégouté mi-haineux et l’autre n’a pas eu le temps d’ouvrir la bouche pour éventuellement se défendre qu’un poing s’abattait déjà sur le coin de son nez. Les autres types autour qui hésitaient à s’en mêler sans savoir de quoi il retournait ont très vite été convaincus du bien-fondé de prendre part au pugilat quand les jeunes femmes et moi-même leur avons expliqué la situation. On s’est d’ailleurs un peu emmêlées : selon laquelle de nous expliquait, ce n’était pas toujours le même qui s’était rendu coupable de coucherie avec la fille de l’autre, mais personne n’a vraiment cherché à recouper nos versions. Ça marchait si bien qu’on a ajouté des personnages : des épouses, des mères, d’autres filles et même une grand-mère. Au bout d’un moment, chaque gars était convaincu qu’au moins un autre avait ainsi « fauté » et tous étaient coupables au moins une fois. Du coup ça castagnait dans tous les sens.
Avec les deux jeunes femmes, on a fini par aller dans le troquet d’en face pour admirer notre œuvre sans risquer de recevoir une baffe perdue. Franchement, ce fut une bien belle baston. Beaucoup de participants, beaucoup d’ardeur, une assez bonne endurance et pas vraiment de vainqueurs à la fin, juste une grosse bande de pauvres types minables et esquintés, qui commençaient à gémir de douleur à mesure que les effets de l’alcool s’estompaient. Je suis allée m’assurer qu’aucun d’eux ne risquait de rentrer cogner sa femme ou sa fille (ou sa grand-mère) à cause de moi, mais personne n’évoquait la question et tous semblaient convaincus qu’ils s’étaient battus à cause du match. Il y en a un qui a fini par déclarer que c’était quand même mieux les matchs de l’équipe de France, « au moins on est tous d’accord à la fin ha ha ha ! » et ils se sont séparés en se tapant dans le dos parce que « ha ha ! c’est bien vrai, ça ! »

Je ne les avais pas beaucoup fait progresser en féminisme, mais au moins ils avaient tous pris une bonne rouste pour leur apprendre à se comporter comme des porcs.
On a les victoires qu’on peut.  

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14 décembre 2013

Gardez le rythme (Poupoune)

- J’ai un problème d’arythmie. Non, ce n’est pas exactement ça. J’ai plutôt… disons… un problème avec l’arythmie. J’ai besoin… d’un bon rythme. Pour tout. Tout le temps. Comment vous expliquer… ? Dans la rue, par exemple, pour peu que des talons claquent à proximité, il faut je cale mon pas sur le pas de la personne qui les porte. Même quand je n’ai nulle part où aller, c’est plus fort que moi. Le clac-clac sur l’asphalte est comme un appel auquel mes pieds ne peuvent pas résister… Si un robinet goutte dans la cuisine pendant mon repas, ma mastication se fait exactement au rythme du ploc-ploc dans l’évier. Selon l’importance de la fuite, mon repas peut durer affreusement longtemps… mais je vous jure que je ne peux pas faire autrement… Dans le train, même si le bon vieux tatac-tatoum n’est plus vraiment ce qu’il était, l’oreille attentive peut toujours percevoir l’incroyable régularité avec laquelle le bruit des roues sur les rails se fait entendre et je tourne toujours les pages de mon livre en rythme. D’ailleurs, j’ai fini par troquer les romans contre des revues parce que je n’arrivais pas à lire assez vite… A la maison, pour pouvoir essayer de vivre normalement, j’ai mis des métronomes partout pour reprendre un peu la main sur mon rythme de vie, mais c’est presque impossible de tout contrôler… Et tout ça est déjà bien compliqué, docteur, mais en plus, comme je vous disais, j’ai un vrai problème avec l’arythmie. Si le rythme sur lequel j’ai calé mon activité faiblit, s’accélère ou se brise pour une quelconque raison, je suis complètement perturbée. Je perds mes moyens.
-  A…
- C’est même pire que ça…
- Arr…
- A franchement parler, docteur…
- Arrêtez…
- Je crois qu’on peut même aller jusqu’à dire…
- Arrêtez de serrer…
- Oui : on peut dire que ça me rend dingue.
- Arrêtez…
- Par exemple, votre façon de faire cliqueter votre stylo, là…
- Arrêtez de serrer mon cou…
- C’était tellement anarchique !
- Au rythme de l’horloge…
- Non, vraiment, ça me rend folle !
- S’il vous pl…

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06 avril 2013

Le poids des mots (Poupoune)


Ma fille, alors qu’elle n’avait rien à se faire pardonner, m’a écrit un poème adorable qu’elle est venue me lire, toute fiérote. Elle y disait qu’elle m’aimait et qu’elle me remerciait de lui avoir montré tous ces pays qu’elle ne connaissait pas… Au-delà du fait qu’un parent est probablement toujours touché par ce genre de témoignage d’affection, j’ai été émue qu’elle exprime ainsi le plaisir qu’elle avait pu prendre à voyager avec moi… Je me suis dit avec une mièvrerie inhabituelle que pour voyager désormais, je n’avais besoin pour tout bagage que de ce poème et de la compagnie de ma fille. Que le poids de ses mots rendrait à jamais légère ma valise enchantée. J’ai eu envie de réserver immédiatement un billet pour n’importe où, du moment que c’était un pays qu’elle ne connaissait pas !
Et puis elle m’a donné son poème, que je me suis empressée de relire.
Bon.
Passe encore qu’elle fasse rimer « je t’aime »avec « pareil », mais… « je t’écrit se poéme » ?« Sais presque pareil » ? « J’ai toujours voulus te remmairsier » ? « Tous c’est pays » ?Franchement ?
Alors le seul voyage qu’elle a fait, c’est un aller simple pour la cave avec un dictionnaire, un Bescherelle et un stylo rouge. Elle aura le droit de sortir quand elle m’aura remis une copie corrigée.

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30 mars 2013

Pourquoi le Père Noël préfère la cheminée (Poupoune)

La planque était sans doute déjà cernée, impossible de se tailler. Les flics donneraient l’assaut d’une minute à l’autre. Il fallait que j’agisse vite.

J’ai viré la latte du plancher sous laquelle était planquée l’héroïne, pour m’en débarrasser avant leur arrivée, mais Roger était aux toilettes et ne semblait pas en mesure d’en sortir rapidement : impossible de faire disparaître la came d’un coup de chasse d’eau. Il me fallait un plan B et, bien sûr, la cheminée offrait une très bonne alternative. J’ai allumé un feu n’importe comment, avec ce qui me tombait sous la main, et balancé toute la dope dans les flammes sans tarder.

Sauf que Roger ne débouchait pas plus les toilettes que la cheminée.

La fumée, au lieu de sortir joyeusement faire rire les oiseaux, a envahi d’abord le salon, puis toute la maison. Je nageais déjà en pleine euphorie quand les flics ont finalement débarqué. Entre le premier effet de la fumée, qui empêchait de voir à plus d’un mètre, et le deuxième effet – hin hin hin… le deuxième ! ha ha ! – la maison est vite devenue un gigantesque bordel.

Moi je riais comme une baleine, même si je me demandais si une baleine pouvait vraiment rire comme un junky défoncé, tandis que les flics se mettaient à tirer dans tous les sens en faisant la ronde autour de Roger qui, à peine sorti des toilettes, avait entonné l’hymne national tchèque. Ou angolais, je confonds toujours.

Tout ça m’a semblé durer des heures, sans doute parce que ça se passait au ralenti et à reculons, et je suis parti avant la fin parce qu’il fallait que je vérifie un truc sur les baleines.

Je n’ai pas revu Roger depuis, mais je crois qu’à sa sortie de prison il est devenu ramoneur.

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22 décembre 2012

L’art et la tête de cochon (Poupoune)

oeuvre-d-art

Le dessin représente une jeune femme en robe de mariée avec de grands yeux aux longs cils savamment recourbés. Elle porte un beau collier et un bouquet de fleurs, et elle a un grain de beauté au-dessus de la lèvre

C’est moi. Dessinée par ma fille quand elle était petite.

Je n’ai jamais porté et ne porterai certainement jamais de robe de mariée. D’ailleurs, je ne porte jamais de robe. Mes yeux sont plutôt petits et mes cils n’ont jamais été approchés suffisamment par un quelconque mascara pour avoir une courbure pareille. Je n’ai aucun bijou et je n’aime pas les fleurs.

- Ben oui mais ce serait quand même mieux que tu te maries, hein, et puis les dames ça se maquille et ça se fait belle !

- Hm… et mon grain de beauté, tu t’es trompée : il est sous mes lèvres, pas au-dessus.

- Ah non, je sais, mais c’est moche, dessous, alors je l’ai mis au-dessus.

Ce dessin n’est donc absolument pas moi. En revanche, il est totalement ma fille, alors je le garde très précieusement. D’autant plus que ma fille, elle, je n’ai pas pu la garder, au prétexte qu’une semaine toute nue dans une cave, ce serait trop sévère comme punition pour avoir vexé sa maman.

 

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08 décembre 2012

Y a un os (Poupoune)

« Quand tu seras morte, j'ouvrirai ton corps pour prendre un os et je le garderai précieusement. »

 

Je devais avoir sept ans quand j'avais dit ça à ma mère. Elle avait trouvé ça adorable.

Je savais déjà à l’époque qu'elle était un peu frapadingue, mais à cet âge, ça me paraissait surtout rigolo. J’avais la maman la plus fofolle du quartier et je trouvais ça super cool. Ce n'est que plus tard que j'ai compris qu'en fait, elle était juste folle. Quand elle s'est jetée par la fenêtre de ma chambre au beau milieu d'un jeu et que personne n'a jamais pu trouver une quelconque explication à son geste, j'ai commencé à entrevoir la différence entre « fofolle » et « folle ». Et quand ses dernières volontés m'ont faite héritière d'une de ses côtes, fraîchement récoltée sur son cadavre, j'ai mesuré l'ampleur de son dérangement psychologique.

J'ai longtemps pensé que c'était ma faute si elle s’était foutue en l’air. A cause de cette histoire d'os, comme si elle avait voulu satisfaire un caprice... parce qu'elle était comme ça, ma folledingue de mère, prête à tout et n’importe quoi – surtout n’importe quoi – pour me faire plaisir.

Après de longues années de thérapie, je ne comprends toujours pas, alors je garde cet os précieusement, avec un mélange de dégoût et de fascination, espérant qu’un jour il me livrera les derniers secrets de ma mère. Mais pour le moment, je ne sais toujours rien. Sinon que j'ai drôlement bien fait de ne pas lui demander son cœur ou un œil.

 

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01 décembre 2012

Manquerait plus qu'ils l’emportent au paradis ! (Poupoune)

Cette histoire de fin du monde me contrarie au plus haut point.

J’ai toujours vécu avec la certitude que tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, les méchants seraient punis et les gentils vengés. Et je ne parle pas de justice divine ou d’un quelconque délire mystique, n’est-ce pas ? Je parle de bons vieux règlements de comptes entre vivants : je me suis toujours dit que les mauvaises personnes qui ont croisé mon chemin et m’ont fait du mal croiseraient fatalement, un jour ou l’autre, le chemin de quelqu’un de moins bonne poire ou de plus revanchard que moi, et qu’ils paieraient une bonne fois pour toutes pour tout le mal qu’ils avaient pu faire auparavant. A moi, entre autres. Alors je ne me suis jamais donné la peine de la vengeance, laissant le soin à la victime de bout de chaîne d’assouvir la vengeance ultime qui solderait les comptes pour tout le monde.

Sauf qu’avec cette satanée fin du monde qui arrive à grands pas, c’est toute ma théorie qui tombe à l’eau et je trouve profondément injuste que ces sales types, qui ont semé douleur et chagrin toute leur vie, puissent bénéficier exactement du même traitement que leurs victimes et mourir comme tout le monde – comme moi, merde ! – sans souffrance particulière et sans même avoir à comprendre qu’ils crèvent pour leurs méfaits. C’est inacceptable pour les innocents, pire encore pour leurs victimes et insoutenable pour moi.

 

Résultat ?

La plupart des gens attendent cette fin du monde comme on imagine : les insouciants font l’amour dans les rues, les angoissés se suicident, les riches se disputent les places dans des fusées dont personne ne sait où elles pourront bien se poser quand le monde aura disparu, les pauvres se félicitent de n’avoir rien à perdre, les optimistes dévalisent les supermarchés en cas de survie,  les pilleurs pillent, les vandales vandalisent, les poètes rimaillent à qui mieux mieux pour être celui qui aura écrit les derniers vers de l’humanité, les bons vivants ripaillent, les sceptiques vont au turbin comme si de rien n’était pour ne pas se faire virer au cas où on ne sait jamais, et moi… Moi je me retrouve à rechercher tous les nuisibles qui ont attenté à mon bien-être un jour, pour être sûre qu’ils paient comme il se doit pour le mal qu’ils ont fait avant qu’il soit trop tard. J’avais déjà une bonne vieille dent contre eux, mais alors là je leur en veux carrément à mort de me gâcher ma fin du monde. Moi qui suis plutôt bonne fille, me voilà réduite à passer mes derniers jours à traquer, violenter, torturer… et malgré l’indéniable satisfaction du devoir accompli à chaque connard que je débusque, à chaque ongle que j’arrache, à chaque doigt que je casse, à chaque testicule que je broie, je ne peux m’empêcher de penser qu’à m’interdire ainsi de profiter de cette fin du monde, c’est encore eux qui me font bien plus de mal que je ne leur en ferai jamais.

Franchement, il est temps que ça s’arrête.

 

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24 novembre 2012

Mille feuilles (Poupoune)

- Maman, regarde ! C’est quoi ?

- C’est une feuille morte.

Je la revois encore me montrer la belle grande feuille qu’elle venait de ramasser par terre. Et je revois son regard s’assombrir une seconde, avant qu’elle ne réponde fièrement, serrant sa feuille contre son cœur :

- Non, c’est une feuille sauvée.

Elle n’avait pas trois ans et j’avais trouvé ça adorable.

Pour la peine, je l’avais même laissée ramener sa feuille à la maison. Elle s’en était occupée comme elle l’aurait fait d’une poupée et avait évidemment voulu dormir avec.

- Oh ben non ma chérie, tu l’abîmerais !

Elle en avait convenu et ce n’est qu’une fois endormie que j’avais procédé à l’évacuation, via le vide-ordure, de la feuille morte. Je pensais qu’elle l’aurait évidemment oubliée le lendemain, mais pas du tout.

- MAMAN !!! Où elle est ma feuille ? Elle a disparu !

J’ai toujours mis un point d’honneur à dire la vérité à ma fille, alors je lui ai avoué que je l’avais jetée, lui expliquant au passage que le sort d’une feuille morte étant soit de pourrir (et de puer), soit de sécher et de tomber en poussière, il était préférable de s’en séparer avant qu’elle ne devienne un problème ménager.

Mon explication n’a aucunement convaincu ma fille qui a hurlé en se roulant par terre pendant environ trois quarts d’heure et qui m’a fait la gueule pendant pas moins de cinq heures – cinq heures sans me dire un mot ! – jusqu’à ce qu’elle trouve une nouvelle feuille à sauver. Dont je me suis une fois encore débarrassée, mais cette fois je n’ai pas joué la carte « on se dit tout » le lendemain matin :

- Elle a dû s’envoler et retourner sur un arbre quand j’ai ouvert la fenêtre.

Ça a failli marcher.

- T’as ouvert la fenêtre de ma chambre pendant la nuit ?

Et merde.

J’ai perdu toute crédibilité en bafouillant une mauvaise excuse pour la fenêtre. Hurlements, bouderie, drame et j’en passe, jusqu’au sauvetage de feuille suivant.

Je ne saurais dire combien de scènes du même genre on a eues. Ou combien d’excuses foireuses j’ai tenté de lui faire gober pour justifier la disparition de ses feuilles. Elle n’en a pas cru une seule. Et puis un jour, elle a eu l’air de se lasser. Victoire peu glorieuse, à l’usure, mais pendant plusieurs jours je n’ai pas entendu parler de la moindre satanée feuille, morte ou vive. Ce n’est qu’au bout de presque deux semaines que l’odeur m’a alertée : j’ai dû retourner sa chambre pour en trouver l’origine et j’ai fini par mettre la main sur un plein sac de feuilles. Les soins qu’elle leur dispensait comprenaient manifestement un arrosage généreux et l’ensemble était désormais une bouillie puante qui dégoulinait sur les vêtements posés dessous. J’ai réussi à prendre sur moi pour ne pas me laisser submerger par la colère et j’ai essayé de gérer l’incident calmement. Ce qui impliquait tout de même nécessairement de jeter le paquet de merde sans tarder. Et toutes mes tentatives d’apaisement ont été vaines : cris, coups de pieds et poings dans les murs et les portes et j’ai cru qu’elle ne cesserait jamais de me faire la gueule. Si bien que le jour où elle a cessé, j’ai supposé qu’elle avait trouvé une nouvelle ruse pour faire entrer frauduleusement ses putain de feuilles dans l’appartement et son silence buté a laissé place à ma suspicion.

C’est à peu près à ce moment-là que notre relation a commencé à se dégrader. Et c’est allé de mal en pis, parce que j’ai déjoué tout un tas de ses plans de sauvetage de feuilles, chacun m’interdisant un peu plus que le précédent de la voir autrement que comme une conspiratrice sournoise et elle a, quant à elle, fini par me voir comme l’ennemie de ses aspirations profondes. Elle s’est mise à me détester bien avant l’adolescence et n’a jamais cessé depuis.

A quoi ça tient, quand même.

 

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17 novembre 2012

Homme sweat homme (Poupoune)

Je me suis naïvement laissée abuser par le fait qu’il écrivait des poèmes et n’avait pas peur de pleurer devant une femme. En plus, son film préféré était une comédie romantique des années soixante, alors il ne pouvait pas être comme les autres. J’y ai vraiment cru. Jusqu’à ce qu’on commande ce fichu bureau en kit.

Il était absent quand le meuble a été livré, alors j’ai commencé à sortir les différents éléments et je me suis penchée sur le mode d’emploi. J’ai d’abord trié les pièces par ordre d’apparition sur la notice, tout en essayant de visualiser la place que chacune tiendrait ensuite sur le bureau, parce qu’il y a deux façons de s’attaquer à un meuble en kit : à la va comme je te pousse, ce qui est le meilleur moyen de se retrouver avec deux vis et trois boulons excédentaires qui avaient obligatoirement un rôle à jouer dans l’équilibre final de l’ensemble, ou alors avec méthode, calme et concentration, en suivant scrupuleusement les instructions. Ce qui est toujours préférable, selon mon expérience personnelle, même avec un mode d’emploi traduit du chinois en passant par le suédois.

J’avais presque terminé le classement des vis quand il est rentré.

- Ben qu’est-ce que tu fais ?

- Je monte le bureau.

- Laisse ! Je vais le faire, enfin !

- Ça va, je m’en sors.

- Mais non, laisse-moi m’en occuper, quand même !

Son air de mâle outragé m’a un peu surprise. Comme si vouloir monter ce meuble moi-même était une atteinte directe à sa virilité. Le poète aurait donc, lui aussi, des choses à prouver. Je n’ai pas insisté et je lui ai tendu le mode d’emploi, qu’il a regardé dédaigneusement comme s’il était parfaitement incongru de mettre entre ses mains un document d’une telle vulgarité. Alors j’ai proposé de lui lire moi-même les instructions pendant qu’il s’occuperait des trucs… d’homme. Mais il a ricané et m’a virée, préférant, je cite, « s’occuper seul de cette affaire-là ».

Je l’ai donc laissé se démerder. Il s’est rapidement mis à faire du raffut : coups de marteau, chute de pièces de tailles diverses… ça ne me paraissait pas tout à fait cadrer avec la façon dont il me semblait normal de monter ce genre de meuble, alors je suis allée voir s’il avait besoin d’aide. Il avait dérangé tout mon classement des différentes pièces, il y en avait au moins une fendue sur la longueur et les deux premières qu’il avait assemblées n’était pas supposées se toucher, d’après le mode d’emploi qui gisait, froissé, sous un sachet de clous et sa chemise – qu’il avait ôtée parce que déjà en nage. Sans vouloir mettre en cause sa conception personnelle du montage de meuble en kit, j’ai tout de même essayé de lui faire remarquer l’incongruité de ce premier assemblage compte tenu de l’allure générale qu’était supposé avoir le bureau à la fin et j’ai, pour appuyer mon propos, essayé d’exhumer la notice, mais il s’est contenté de grogner rageusement avant de marmonner : « va plutôt me chercher une bière, tu seras plus utile ».

Je ne suis pas femme à m’offusquer rapidement, mais là j’étais à un rien d’un début d’agacement. J’ai toutefois jugé préférable de faire une sortie silencieuse plutôt que d’engager une dispute : il serait toujours temps de régler mes comptes quand ce bureau serait monté. Mais je ne suis pas allée chercher sa bière pour autant. Faut quand même pas pousser.

Les coups et les bruits inquiétants ont repris. Auxquels se sont ajoutés divers jurons de plus en plus énervés. J’étais prête à parier que le mode d’emploi était en boule encore plus compacte qu’à ma précédente tentative d’en suggérer l’usage à mon mâle dominant. Je n’osais pas en revanche imaginer dans quel état se trouvait mon bureau. J’hésitais encore entre agacement et inquiétude. J’ai eu le temps d’hésiter encore. Longuement. Ça a duré des heures. A tel point que j’ai cru un moment qu’il s’était assoupi. Ou bien qu’il avait monté, en plus, une bibliothèque et une armoire. Au bout d’un temps infini, il m’a quand même appelée. Ce con était tout fier. Il pavoisait.

- TIN NIN !

- C’est une plaisanterie ?

- Quoi ? Il est nickel ce bureau !

Il avait vaguement cloué ensemble quatre planches qui tenaient en équilibre précaire et faisaient bien plus penser à une des caisses dans lesquelles les éléments avaient été livrés qu’à un bureau.

- Et t’as vu, avec les pièces qui restent je devrais même pouvoir te bricoler un caisson ou… un truc pour faire un peu de rangement.

- Et pourquoi il reste des pièces ?

- Y en avait plein qui servaient à rien, c’est toujours pareil avec ces trucs bon marché. T’as pas dû le payer bien cher, je me trompe ?

Voilà. C’était évidemment ma faute. J’étais bien tentée de lui carrer une ou deux de ces pièces en trop là où vous imaginez, mais j’ai préféré traiter dignement l’incident. Je suis convaincue qu’il existe un gène qui empêche la plupart des hommes de consulter un mode d’emploi quand il s’agit de bricoler. C’est à mon avis le même gène qui empêche ces mêmes hommes de demander leur chemin quand ils sont perdus. Alors ça ne sert à rien de s’énerver : contre la génétique, on ne peut pas lutter.

Je me suis contentée de retourner son bricolage bancal pour en faire le seul usage qui en paraissait possible – une caisse – et j’y ai entassé la totalité de ses affaires, lui compris, avant d’envoyer le tout valdinguer dans l’escalier. Et là, d’un coup, l’homme sensible pas comme les autres que je croyais avoir rencontré a repris le dessus et, avant de s’écraser un ou deux étages plus bas, il avait déjà recommencé à jouer les pleureuses.

La prochaine fois que je choisis un mec, je prends directement une brute épaisse : déjà y aura pas de mauvaise surprise et, au moins, il devrait être capable de monter un meuble en kit.

 

Posté par Walrus à 00:01 - - Commentaires [14] - Permalien [#]
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