29 mai 2010

La flamme va bientôt s'éteindre (Pierreline)

Elle a brûlé près de 86 ans, elle a eu des éclats et des étincelles qui en ont brulé plus d'un autour d'elle, elle n'a pas toujours été mesurée. Elle a souvent fait preuve d'une certaine intolérance et de pas mal d'orgueil, elle a brûlé droit pour des principes qui manquaient de souplesse, et a eu à faire avec pas mal de vents contraires aussi. Mais elle a tenu bon, et maintenant elle jette ses derniers feux.

Les derniers vacillements de la flamme sont pathétiques, il lui en faut de l'humilité pour accepter de livrer un corps usé et sans force à des mains étrangères ou proches qui vont la lever, la laver, la nourrir, la transporter, la soigner. Et tout cela se fait dans la douleur, chaque mouvement arrache un gémissement, et chaque fois la petite flamme met un peu plus de temps à se remettre à briller, et chaque fois son éclat est un peu plus terne.

Hier, elle a demandé si c'était vraiment indispensable tout ça, si on devait à chaque fois réinsuffler l'oxygène nécessaire à la combustion de la petite flamme ... 

Non, ce n'est pas indispensable, c'est pour cela que je suis venue passer quelques (derniers...) jours auprès d'elle, pour m'assurer que lorsqu'elle dira ça suffit, j'arrête, elle sera entendue, et que tout sera fait pour cela reste le plus confortable et digne possible.

La flamme va bientôt s'éteindre.

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06 mars 2010

Miroir seul (PIERRELINE)

« Où l’on constate que trop de réflexion nuit à la qualité du reflet. »

 

Personne, non, personne n’y faisait jamais attention à ce  miroir. C’était un banal miroir dans une banale salle de bain, dans une maison toute ordinaire

Oh, bien sûr que tout le monde y jetait un coup d’œil, mais ce n’était pas LUI qu’on venait voir, mais soi-même. (Enfin, soi-même, l’inverse de soi-même, on devrait plutôt dire … Mais c’est une autre histoire, ce paradoxe d’un monde qui ne se reconnaît qu’à l’inverse).

Bon, il faut dire que déjà enfant il était pénible ce miroir là, à toujours se poser des questions sur tout, à toujours chercher à savoir, à comprendre… Est-ce qu’on leur demande de comprendre, aux miroirs ? Non, juste de réfléchir. Mais de réfléchir dans un certain sens seulement. Et CE miroir là, justement, il réfléchissait trop, deux fois trop, dans les deux sens du terme.

A force de se poser sans cesse des questions, il avait le moral dans les chaussures, le miroir, il ne croyait plus en lui, de jour en jour, il ne reflétait plus rien de bien.

Au début, il y avait eu juste comme un flou, un genre d’incertitude du reflet. En se regardant les gens se tiraient la peau, se trouvant le teint brouillé, ils réorientaient l’éclairage, se disant : « Mais pourquoi il y a toujours une lumière aussi blafarde dans les salles de bains ! Faudra penser à changer les spots ! Tiens j’irai samedi chez Bricotruc, j’en ai vu des sympas, ça changera un peu de cet éclairage d’hôpital ! ».

Ensuite, il s’était couvert comme d’un léger voile de brume, alors les gens le frottaient. Ils le frottaient avec n’importe quoi : le bord d’une manche, un coton humide, une feuille d’essuie tout ; les plus vaillants allaient chercher le produit à vitre, pour les récompenser, le miroir acceptait alors pour quelques instants de retrouver sa brillance d’antan.

Puis il se permit de déformer les reflets, allongeant (peu de gens s’en  aperçurent alors) ou élargissant les reflets, (il constata un net raccourcissement du temps de pose devant sa glace à cette période, et les chamailleries autour du temps d’occupation de la salle de bains en furent d’autant réduites).

Mais ce n’était pas suffisant, on ne lui prêtait toujours pas d’attention, alors il choisit d’aller plus loin, de déroger aux lois universelles de la déontologie de l’optique et de la miroiterie réunies. Il se mit à créer des reflets, à tricher sur les images, à inventer ses réponses au monde réel. Il commença par « oublier » des détails, une boucle d’oreille par ci, une mèche par là… Puis il en rajouta : des boutons sur des nez (quel vent de panique ne provoqua t-il pas !), du rouge à lèvre sur des bouches qui n’en avaient jamais vu , (Ah l’air inquiet du père de famille un lendemain de bamboche quand il avait frotté et refrotté ses lèvres trop roses à son goût, ou l’air ravi de la petite dernière qui se croyait à carnaval…).

Cependant, le plus souvent les gens ne s’apercevaient pas des changements opérés dans leur reflet. Ils étaient trop pressés, ne se regardaient pas vraiment,  utilisant le miroir juste pour vérifier un détail ou l’aspect général de leur tenue…

Alors c’est là que le miroir se mit à « décompenser » sérieusement, il échangea les reflets. Monsieur se pointait dans la salle de bain ? C’est Madame qu’il apercevait en face de lui, et il se retournait : « Ah, Tu es là chérie ? » ; mais personne derrière lui… Si c’était le jeune homme, qui arrivait pour se coiffer en vitesse avant de filer attraper son bus le matin, le miroir lui renvoyait l’image de son père. Le plus souvent l’ado n’y faisait pas attention, pas bien réveillé… Lorsque Madame arrivait devant la glace, le miroir prenait un malin plaisir à lui renvoyer l’image de sa mère venue dîner la veille et qui s’était « refait une beauté » devant lui pendant la soirée. La plaisanterie était cruelle, certes, mais assez jouissive.

Mais la jouissance n’était que de courte durée.

Le miroir décida de devenir aveugle.

Etre aveugle, pour un miroir, c’est être exactement le contraire d’une glace sans tain. Non seulement on ne se voit pas dedans, mais on ne voit pas non plus à travers.

Alors arriva ce qui devait arriver : il fut mis au rebut. On le dévissa de son support, on récupéra le meuble dans lequel il était inséré, on le remplaça par un autre miroir moins versé dans l’introspection et on l’amena à la déchetterie. Comme il n’était même pas recyclable, ni dans le verre ni dans la miroiterie, il fut mis au pilon, c’est tout ce qu’il avait mérité pour avoir refusé de refléter correctement la réalité.

On ne plaisante pas avec les lois de la déontologie de l’optique et de la miroiterie réunies.

 

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13 février 2010

Comme un souvenir de ventouse dans la paume … (Pierreline)

PFFF … Courir à la Garenne Colombes, par un temps pareil, ce qu’il ne faut pas faire pour le boulot !!! Et mon boulot c’est princesse de contes de fée.
Saviez pas que c’était un boulot ? Z’avez jamais mis les pieds chez pôle emploi, vous, c’est pas possible !!!
Tout le monde sait que maintenant que nous vivons aux pays des Bisounours, et que notre roi dit Le Petit a décrété que la crise, le chômage, les patrons voyous,  la violence des djeuns’, la pollution planétaire, tout ça tout ça c’était résolu. Alors depuis, faut bien suivre le mouvement, à pôle emploi, ils ont reçu tout plein d’offres de boulot dans le vent : fée, princesse, prince charmant, enchanteur etc …
Et moi, j’ai été embauchée en CDD chez Bisounours- Télécom, « demandez et vous serez exaucés ! ».
Ma spécialité, c’est les batraciens en tous genres. Enfin, pour être plus exacte, les baisers aux batraciens futurs princes charmants.
Voilà comment ça se passe : Lorsque, lassé de coasser dans le vide sans être entendu, un monsieur crapaud en mal de reconnaissance princière appelle la hot line de « Bisounours- Télécom », on lui refourgue mes coordonnées pour que je puisse en vitesse le rejoindre et, vite fait bien, un petit bisou plaqué sur le museau, le batracien impatient se retrouve transformé en prince charmant.
Ah, j’en entends qui prennent la mouche (hi hi, marrant, dans une histoire de grenouilles, hein, prendre la mouche !), « Est-il bien approprié de parler de museau en matière d’appendice buccal de batracien ? » Euh, et ben j’en sais rien, j’ai pas été embauchée pour la hot line « le petit robert vous écoute », c’est le service d’à côté, je leur demanderai si j’ai le temps, mais pas maintenant, hein, je suis super à la bourre, y’a Monsieur le comte Guillaume de Verdureau, (vingt-cinquième du nom, arrière petit neveu du petit fils de Guillaume le Peureux, celui-là même qui coassait dans la mare de la princesse Raiponce,) qui m’attend au bord de son étang.
Enfin, son étang, je me comprends, hein ! Qui peut se payer des étangs en ces temps de crise du logement ? Même les comtes ont dû réduire leur train de vie ! Alors, le Guillaume de Verdureau, c’est au bord du bassin déversoir des eaux pluviales de la Garenne Colombes qu’il m’attend.
Bon, je consulte les horaires des trains de banlieue, par la gare saint Lazare, en me grouillant un peu, j’y serai vers 19h, 19h30. Ah ben oui, chez Bisounours – Télécoms, y’a pas de véhicule de fonction pour le petit personnel, on a le pass Navigo, et on navigue !
On navigue, on navigue, j’aurais dû dire on galère et on rame ! Parce que, merci bien, il tombe un de ces déluges sur la banlieue ouest ce soir !!! On arrive à peine à lire le nom des gares à travers les vitres détrempées du train. Ah, ça y est, me voilà rendue. Rendue mais pas arrivée : Il est où ce fichu bassin déversoir des eaux pluviales ?
C’est toujours pareil, le gars de la hot line, il est payé à la tâche, alors il ne va perdre du temps à noter les détails des lieux de rendez-vous ! Elle se débrouillera bien la princesse, elle n’a qu’à avoir son tom tom planqué sous sa couronne !!! J’ai eu beau lui expliquer que les couronnes c’était pour les reines patentées et estampillées, celles qui avaient suffisamment de bouteille et d’avancement pour ne plus avoir à se coltiner les petits boulots mal payés du genre du mien, rien à faire, bouché le gars, pour lui je suis de la haute, alors je me débrouille.
En attendant, arrivée sur le quai, j’ai de la chance, j’arrive à chopper le chef de gare : « Le bassin des eaux pluviales ? Juste derrière le super mammouth géant, pouvez pas le manquer, avec un temps pareil, il déborde largement dans le parking … A chaque grosse pluie c’est pareil, si les gens ne viennent pas retirer leurs voitures en vitesse, ils les retrouvent noyées !  Quand vous aurez les pieds dans l’eau, c’est que vous y serez ! » Et le voilà qui part se mettre à l’abri dans sa cahute en se marrant, trop drôle le mec !
Moi, je ne rigole pas trop, c’est vrai que le temps s’est vraiment mis au mauvais, y’a de l’orage qui tonne pas loin, et le parking du super géant mammouth, il n’est pas des masse éclairé. L’endroit est plutôt glauque, sinistre, pas romantique pour un sou. Et vas te retrouver un crapaud, même muni de sa couronne comtale, avec le soir qui tombe et l’orage qui gronde ! « Hep, Monsieur Guillaume ?, Euh, Monsieur  de Verdureau ?, ohé ! Monsieur le comte !!! » Finalement, ça m’arrange qu’il soit plutôt désert ce parking, faut assumer d’appeler comme ça dans le noir un crapaud, même s’il est comte …
Au bout d’un petit moment, j’entends : « par ici ma chère ! Je suis un peu plus loin sur votre droite, le troisième nénuphar après la Clio verte ! ... Ah, bonjour jeune fille, merci d’avoir répondu avec tant de célérité à mon appel désespéré ! ».
Bon, je me dis, celui là, décor glauque ou pas, il n’a  perdu ni sa classe ni son romantisme, ça va le faire, y’aura pas besoin de s’y reprendre plusieurs fois comme avec celui de la semaine dernière qui n’arrivait pas à se concentrer suffisamment ni à rester en place le temps du baiser.
Oh, je vous connais, je sais bien que vous m’attendez tous sur la scène du baiser, vous voudriez tous les détails, «  et comment ça fait ? c’est gluant ? ça colle ? ça bave ? ça sent la vase ?» Rien du tout ! vous ne saurez rien, secret professionnel, j’ai signé un contrat avec un éditeur, le livre s’appellera « la princesse aux mille baisers » Alors, tant que je n’ai pas atteint mon quota, vous ne saurez rien !!!
Bon, tout ça pour dire que mon Verdureau ne s’en est pas trop mal sorti, mais c’est justement pour la sortie qu’il y a eu un problème : Il ne voulait plus me lâcher : « Ah, chère âme, je vous ai trouvée, ma chère moitié, la lumière de mes jours …. Laissez moi rencontrer le roi votre père, que je lui demande votre main ! »
C’est justement leur gros problème à tous ces princes grenouilles, leurs mains. Elles ont un reste de collant, comme un souvenir de ventouse dans la paume, une adhérence qui vous accroche et a du mal à vous lâcher. La première fois, j’avoue que ça m’a soulevé le cœur, j’ai cru que jamais je ne pourrais me décoller de ces mains là. Depuis, j’ai trouvé le truc: un peu de crème hydratante, ça sent bon, et ça fait glisser toutes les mains, même les plus accrocheuses. Mais là ce soir, avec cette pluie en déluge qui tombait, la crème avait dégouliné le long de mes bras, et le comte Verdureau ne semblait plus vouloir me lâcher.
C’est là que je me suis dit que j’avais eu de la chance de tomber sur un crapaud de l’ancienne mode, un de ceux que les bonnes manières retiennent un peu et qui se montrent sensibles à quelques paroles lui rappelant les règles de bienséances auxquelles toute princesse digne de ce nom, même embauchée en CDD chez Bisounours-Télécoms ne saurait déroger. Bref, contre ma carte de visite et la promesse de l’inscrire en priorité sur mon carnet de bal à la prochaine réception organisée au château, le comte m’a laissée repartir.
J’ai pu attraper le dernier train vers la gare Saint Lazare, la pluie s’était calmée, l’orage était allé tonner un peu plus loin.
Ah oui, faut que je pense à passer voir les collègues du service d’à côté demain matin : ça se dit, vous croyez, le museau, pour un crapaud ?

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23 janvier 2010

Défi papier (PIERRELINE)

BIP BIP BIBIP BIBIP BIIIIP BIIIIP

 

Zig lança une main au hasard, il l’aurait ce satané réveil et sa sonnerie insupportable !!!

 

BLING !

 

Il l’avait eu, il en serait simplement quitte pour en racheter un autre …

Se lever si tôt un dimanche pour cause de contrôle inopiné de l’URSSAF, il n’était pas prêt de s’en remettre !

 

Sa tendre moitié avait prudemment demandé l’asile politique chez leur fille aînée : « Tu comprends, il est en pleine crise, il a paumé ses papiers, c’est un vrai capharnaüm de toutes façons dans son gourbi, alors vaut mieux laisser passer l’orage, faire comme les pigeons et se planquer la tête sous l’aile en attendant que ça passe ! ».

 

Zig pestait : « J’ai vraiment une cervelle de moineau, c’est pas possible de ne pas se rappeler où je les ai mises ces satanées liasses ! »

Il avait fait l’autruche depuis des semaines, se disant qu’un miracle peut-être lui ferait retrouver les précieux documents, mais rien à faire et maintenant il payait sa tête de linotte et il devait faire face : Demain, à la première heure, l’inspectrice des contributions et spécialiste du recouvrement des impayés sociaux allait se précipiter sur lui comme l’aigle sur sa proie et n’en faire qu’une bouchée !

 

AAARRRGGHH !!

 

« Chéri ! Oh, Zig, !!!

 

« MMM ???

 

« Réveille-toi, t’entends pas le réveil ?

 

« HURMPH ;

 

« Que, Quoi, Comment ?

 

« Oh, toi, t’es encore en train de faire ton cauchemar annuel ! Elle est revenue, ta chère inspectrice de l’URSSAF ? Franchement, depuis le temps tu ne devrais plus arriver à te mettre dans des états pareils, chaque année c’est la même chose ! Tu sais bien que tes liasses tu les mets sur la table à la mi-décembre, et chaque année avant le réveillon tu balances tout dans un grand sac et tu le planques derrière le frigo ! Il n’a pas bougé, le sac, tu retrouveras tout dedans, les liasses, mais aussi le reste, la liste des courses du réveillon, l’ordonnance du véto pour les vers des chats, le programme du ciné, le plan des bus, quelques sachets de thé au jasmin, un bout de crayon mâché et tes grilles de sudoku, et même les papiers des papillotes avec leurs blagues que tu voulais lire au petit au repas de noël, tu te souviens ?

Allez, rendors-toi, on ira plus tard le dénicher ce satané sac aux cauchemars !!!

 

Zig soupira, ah oui, le cauchemar annuel, c’était comme ça, un truc de saison, un peu comme les cerises de juin, les colchiques en automne, janvier, c’était le mois du cauchemar URSSAF, y’avait des trucs comme ça, c’était immuable, on était bien obligé de faire avec.

 

Il cala sa tête dans le creux préféré de sa belle et se rendormit.

 

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