01 juin 2013

Ramer pour ne rien dire (PHIL)

Sur la page d’accueil de l’intranet, trois photos superposées du grand manitou de la boite. L’œil perçant et la mèche vindicative. Quand je dis superposées, ça ne signifie pas les unes sur les autres en un mélange atroce, mais les unes au dessus des autres. Ce qui est une erreur de casting manifeste, car on remarque aisément qu’il s’agit trois fois de la même photo. Je préfère cliquer à droite à gauche. Tiens, les défis du samedi. Pourquoi pas ? Voyons voir la consigne. Une promenade en barque. Ça ne m’inspire guère. Et je ne vais quand même pas vous faire le coup d’envoyer un extrait de mon roman. J’ai pourtant ça en magasin, une histoire de barque, avec même une boîte de raviolis tombant  mollement par inadvertance (encore heureux) dans l’onde trouble d’un canal, semant le rififi parmi la lentille d’eau. Et puis on est vendredi, en fin de matinée. C’est un peu court, comme délai, pour pondre du neuf et du bien léché. D’autant plus court que je serai en congé dans un peu plus d’une heure. Je me la coulerai douce, mais ne disposerai alors plus de l’assistance désintéressée de mon écran et de mon clavier. Je devrai me contenter de ruminer des trucs et de les régurgiter lundi matin, mais alors il sera trop tard. Et zut… Je sens poindre la déception en vous. Vous croyez que je vous mène en bateau, hein. Pas du tout. Ne m’en voulez pas. En fait, depuis le temps que je n’ai rien écrit ici, un an et demi au moins, je rame lamentablement à la recherche d’une idée lumineuse.

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22 octobre 2011

Jazz (PHIL)

 

Pour peu qu’on y regarde, je suis sûr que chaque jour que tu vis, je dis bien chaque jour, et quelle qu’en soit la noirceur, t’apportera ta part de sourire.

Je ne te crois pas.

Vraiment ?

Regarde : aujourd’hui, par exemple, j’ai souri. Chaque jour t’apporte au moins une anecdote qui éclaircira ton ciel un instant. Parfois même, ce jour là t’apportera une joie immense qui te fera suffoquer.

Le dialogue avait fusé ainsi, et poursuivait son existence de dialogue tandis qu’elle finissait son bol de soupe, et que lui ôtait son manteau.

L’anecdote était à portée de main, elle le savait. Il n’aurait pas dû être là, à cet instant, en train d’ôter son manteau et à faire entrer du froid dans la cuisine tandis qu’elle lapait sa soupe.

C’est déjà fini ? Avait-elle crié depuis la cuisine. Bien à la légère, il lui semblait. Il avait haussé les épaules et refermé la porte qui laissait entrer le froid.

La vérité, c’est que ça faisait pile une heure qu’il était parti. A peu près dix minutes plus tôt, alors qu’il avalait sa deuxième tasse de café, il s’était aperçu qu’il n’avait rien écrit de la journée. Sa discipline en prenait un vieux coup, on aurait dit. Alors il avait griffonné (taponné, ça se dit ça ? ou clavioté ? tapoté ?), bref, il avait écrit vite fait quelques lignes à propos de la discipline, justement, qu’il avait posté tout aussi vite fait sur la prochaine page de son carnet intersidéral. Alors seulement, soulagé, il s’était fait la réflexion qu’il était prêt à partir. Remarque, même s’il n’avait rien écrit, il serait parti. Mais là, en plus, il avait la satisfaction du devoir accompli.

Il a laissé l’ordinateur allumé, pour elle. Il a mis un bout de bois dans la cheminée. Il a fermé la lumière et la porte. Il s’est installé au volant de la Golf et il est parti. Il était moins le quart. De vingt heures. Il s’était dit, il faut une demi-heure, plus le temps de me garer, plus le temps d’aller au théâtre, plus… ne pas arriver trop tard, ne pas avoir à faire la queue pour entrer, horreur de faire la queue, pour quoi que ce soit, pouvoir choisir sa place, même, pourquoi pas, soyons fou, une place bien située dans le milieu de l’auditorium, pas trop devant, dans le milieu d’un rang, ou alors un peu sur la gauche, c’est son oreille droite la plus défaillante, il se dit que c’est ce genre de défaillance qui lui rappelle qu’il n’a plus vingt ans, il trouve ça étonnant, mais trouver de la joie dans chaque jour, ça fait aussi qu’il ne se sent pas vieillir

cette idée lui est venue samedi dernier, ils ont été voir un film qui les a transportés d’émotion, transfigurés pour ainsi dire, il a déjà écrit cela, ça partira un jour prochain dans le carnet intersidéral, sur la porte du cinoche, il y avait une affiche comme quoi ce qu’on entendait en attendant le début du film, la musique, c’était celle d’un orchestre qui donnait un concert le mardi, il a fait la réflexion que s’ils mettaient cette affiche c’est qu’il restait des places pour le concert. Tu aimes cette musique ? Oui mais mardi. Pourtant c’est du jazz. Vas-y, toi, disait-elle, achète-toi une place. Le lundi midi il est monté au théâtre, il restait des places, il était tout heureux, parce que le jazz, et puis il tâtait tout content le contenu de sa poche intérieure, le billet était là, jaune, un laisser passer pour le bonheur, un bonheur éphémère de deux heures environ, certes, mais du bonheur quand même, il avait senti la pulsation dans la salle de cinéma, tandis qu’ils attendaient le début du film, et il avait accepté d’aller seul au concert.

Il est arrivé en ville, ce soir de mars. Un soir de froid. Il a eu un peu de mal à trouver une place de stationnement. Il a râlé un peu, bon sang, ils sont déjà tous arrivés, le concert ne commence pourtant que dans vingt minutes. Il a trouvé une place. Il est descendu jusqu’au théâtre. Tout en marchant, il tâtait le contenu de sa poche intérieure, le billet jaune, le précieux sésame pour le bonheur, était là, ouf le soulagement, encore une fois, et encore une autre. Il a monté les marches quatre à quatre, à la Chaban. Le hall du théâtre était allumé mais étrangement vide. Il s’est dit merde, je dois être en retard, ce devait être vingt heures, et moi j’ai enregistré vingt heures trente. Il a tâté sa poche. Le billet. Il s’est dit j’espère que ce n’était pas dix-neuf heures trente, ce serait trop bête. Il se dit vingt heures, ça peut encore aller, ce ne serait commencé que depuis dix minutes, il regarde sa montre, il a confirmation qu’il est dix, j’aurais une mauvaise place mais tant pis, je ne louperais pas grand-chose.

Il est encore sur le parvis désert, face au hall vitré du théâtre tout éclairé de jaune, désert lui aussi, il ressent une espèce de petite boule d’angoisse, de désappointement, il faut vérifier l’heure, bon sang ce n’est pas possible, je me suis trompé d’heure, il n’y a pas d’autre explication, il regarde le billet, pourtant si, c’est bien écrit vingt heures trente, il ne comprend pas, il regarde encore, il compare le billet et le hall désert du théâtre

putain !

mardi 16 mars 20h30. On est le neuf, je me suis gouré de mardi. Et il éclate de rire, tout seul qu’il est sur le parvis du théâtre, et il redescend les marches quatre à quatre, au risque de se casser la margoulette (il faisait ça aussi, Chaban ?), il regagne l’habitacle de la Golf, il refait le chemin

la voilà, l’anecdote

le froid rentre avec lui dans la cuisine, il s’exclame, je ne l’avais encore jamais faite, celle là, je me suis trompé de jour, et elle le regarde, surprise, tout en finissant son bol de soupe, oui, en entrant, il a bien remarqué que la maison sentait la soupe, c’est qu’il a l’odorat sensible, il y a des trucs qui vieillissent moins vite que les autres

il rit, elle rit aussi, elle dit, et bien tant mieux, tu vas pouvoir m’aider, et là il déchante un tantinet, parce qu’il perçoit déjà il ne sait pas encore quel problème avec l’imprimante, elle a toujours des problèmes avec l’imprimante, et lui il est allergique aux problèmes d’imprimantes, c’est comme ça.

N’empêche que là, tu as ri. Dit-il. A cause de l’anecdote.
Tu vois bien que chaque jour.

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01 octobre 2011

Fred erre peut-être encore dans les catacombes (PHIL)

J’ai osé regarder un truc à la télé, l’autre jour, complètement idiot. Pourtant j’ai bien ri, parce que je suis bon public. Personnellement, une histoire absurde et des images kitschissimes, ça me convenait parfaitement. Je retombais en enfance, quasiment, enfin disons en adolescence. Imaginez-vus en effer que j’ai regardé « Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages ». Vous vous rendez compte ? Je sais que mon épouse a du mal, avec ce genre de niaiseries. Moi, à petites doses, j’aime assez. Je ris. Parce qu’il faut bien avouer que cette histoire est complètement crétine. Mais Bernard Blier, André Pousse, Marlène Jobert. Et encore Françoise Rosay en mémé flingueuse. Et Paul Frankeur. Et Robert Dalban. Un casting de régal. Un régal de casting. J’ai ri, je vous dis.

De toute manière, il n’y avait tellement rien sur les chaînes de télé dites conventionnelles, que j’ai consulté les pages suivantes dans le programme. Et je suis tombé là-dessus. J’ai appuyé sur le numéro 8 de la télécommande, et hop. C’est assez inhabituel, hein. Je ne sais pas si vous, mais moi ça me casse saintement les pieds de supporter des interruptions publicitaires et intempestives. Même si le scénario du film est si mince qu’on peut voir à travers. Alors pour ça, la 8, le moins souvent possible. Je suis allergique à la pub. Heureusement que je suis loin d’être un accro de la télé. En plus, ces couillons là, ils nous ont zappé le générique de fin. Seigneur ! Pardonnez leur, ils ne savent pas ce qu’ils font.

Je me souviens avoir vu ce film la première fois il y a fort longtemps, je crois que c’était un soir de réveillon. Il y en a qu’on passait devant la télé, chez mes parents. J’imagine avoir été le seul à me délecter de ce monument cinématographique qu’était « Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages ». J’imagine que ma mère avait dû se réfugier promptement dans la cuisine, et que mon père et mon oncle avaient continué de s’asséner des vérités politiques digne du café du commerce. Mais bon sang, qu’est ce que j’avais ri.

Comme on le voit, il faut plus qu’un peu d’absurdité pour me décourager. Mais de là à raconter une histoire de médecin auscultant un canard savant… Non, je ne vois pas. Faudrait quand même pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages.

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24 septembre 2011

Kind of champs (PHIL)

J’aurais pu écrire ça et j’ai écrit autre chose. Les défis du samedi, c’est ainsi. Soit l’inspiration se met en branle dès la consigne lue. Soit il faut la cajoler, lui dire des mots doux, la prendre dans le sens du poil, et alors une nuit nait l’idée du texte. Soit encore il n’y a rien à faire. Le terrain est aride et la plume stérile. Et même le clavier. Il arrive d’ailleurs qu’on le sache dès le départ. Dès la consigne lue. Comme cette histoire de mêler ballade et balade. Ça ne me fait pas rire du tout. Je ne vois pas, non. Je n’ai aucune envie de mêler promenade et chansonnette. D’abord j’aime bien marcher en silence, afin de pouvoir m’imprégner des bruits de la nature. Ou de la bagnole à la rigueur, en admettant que la balade soit motorisée. Bref cette consigne ne m’inspire pas, tu vois, alors que pour la précédente je n’avais eu aucun mal à raconter une ânerie quelconque, à savoir que mon parcours habituel de jogging était honteusement dévolu ce dimanche-là à une sortie en vélo tous terrains, ce qui fait que… je ne vais quand même pas raconter la même histoire sans intérêt.

À chaque fois qu’on part se balader en auto, c’est là même chose, on se bat pour savoir quelle radio écouter. Moi je préfère la radio qui cause, celle qui enculture les gens (et oui je m’arroge le droit d’inventer des mots), à moins qu’elle ne rabâche indéfiniment la dernière aventure de DSK ou du petit Nicolas. D’autres préfèrent meubler l’habitacle avec des scies d’autrefois, des ballades émoussées passant en une boucle entrecoupée de magnifiques perles publicitaires. Inutile de dire qu’en ces instants je maudis l’invention de l’autoradio. Mais c’est de ta faute, aussi, clame mon épouse. Tu n’avais qu’à pas oublier les cd. Ah c’est sûr, kind of blue aurait eu une autre allure que les Champs Elysées de Joe Dassin.

J’avais le disque, dans le temps. Avoué-je. Elle n’en croit pas ses oreilles, mon épouse. Kind of blue ? Mais nan, dis-je, celui là on l’a maintenant. Dans le temps je n’écoutais pas de jazz, j’écoutais des ballades et des chansonnettes, comme celles du bon vieux Joe.

N’empêche qu’il vaut mieux avoir oublié les cd que les cartes routières, il faut bien l’avouer. Encore que… Vous savez pourquoi je doute ? Parce que récemment nous sommes allés, mon épouse et moi, en vacances en Crète. Parce que là-bas nous avons loué une bagnole, oh une toute petite, hein, afin d’arpenter en toute quiétude les routes délabrées de l’île. Il faut parfois savoir prendre des risques. Nous avons quand même pris quelques précautions. Peu avant le départ, lors d’un passage à Paris, nous avons acquis une carte routière de la Crète. Avec les noms des lieux écrits en alphabet normal et en alphabet grec, ai-je demandé. Oui oui, j’ai ce qu’il vous faut, s’est écrié le libraire. Et de me vendre aussi sec un machin hors de prix, soigneusement plié dans une protection de plastique. Légère consternation quand même lorsque j’ai religieusement déballé ma carte flambant neuve à la maison. Les noms et légendes en alphabet dit normal étaient aussi en allemand. Pour les noms des bleds, on s’en fout, d’ailleurs on apprendra vite qu’il y a pour chaque lieu une dizaine d’orthographes différentes. Mais pour la légende. Et cette consternation passagère n’est rien avec celle qui m’accablera lors de la dure confrontation avec la réalité. Les routes crétoises sont comme le cours de la Loire, fluctuantes. Il existe même, sur la carte, une superbe nationale à quatre voies qui te permettent d’aller d’ici à ailleurs en moins de temps qu’il en faut pour le dire. L’ennui c’est que sur le terrain la route en question, ou du moins la portion qui m’intéresse, n’existe pas. Seule une vague excavation en rase campagne permet d’imaginer que là sera son point de départ. De quoi y perdre son latin sur un air de sirtaki ou de n’importe quelle ballade qui vous sied. Mais rassurez-vous, nous nous sommes néanmoins baladés avec le plus grand plaisir.

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17 septembre 2011

À l'abri de la chevrotine (PHIL)

Ce dimanche c’est l’ouverture de la chasse. Ça me pose un problème de logistique. Parce qu’il n’est plus question pour moi de faire mon footing dans les champs voisins de chez moi. Même si avec mon maillot rouge presque fluo on peut difficilement me confondre avec un perdreau de l’année, je n’ai pas confiance. Et même si le matin les chasseurs n’arborent pas encore une trogne aussi rouge que mon maillot. Non, biffons cela, c’est de l’imagerie spinalienne. Les chasseurs ne sont pas comme ça. Mais moi, si. Je veux dire, je n’ai pas confiance, donc je décide d’aller rouvrir mon parcours hivernal, dans les bois. Action.

Manque de bol, dans les bois aussi il y a du changement. Du moins dans mon bois habituel, qui est sillonné de larges allées pas trop boueuses. Il s’y trouve tout à fait par hasard et inopinément un parcours balisé de vélos tous terrains. Sans doute les cyclistes ont-ils également peur des balles perdues, ou du moins de la chevrotine. Toujours est-il que MON parking est archiplein, que je suis donc obligé de battre en retraite et de dénicher un coin de forêt moins fréquenté. Avec pour corollaire que je ne suivrai pas le parcours habituel.

La forêt n’est pas immense. Je sais m’y retrouver. N’empêche que mon élégante foulée m’emmène sur des sentes que je n’ai encore jamais fréquentées. Ce qui fait qu’au bout d’un moment, je ne sais plus trop où je suis. Je sais seulement dire que je suis en haut et non en bas, et basta. Au jugé je tourne à droite au premier carrefour que je trouve. Je ne peux pas me fier à la boussole que je ne possède pas pour me diriger. Et de toute manière je serais peut-être bien embarrassé si j’en avais une, malgré un apprentissage rudimentaire subi pendant le service militaire.

Le temps est brumeux et gris compact. Il est donc également impossible de se diriger en fonction de la position du soleil sur l’horizon. Qui logiquement devrait se trouver à l’est, puisqu’on est le matin. Ne voyant pas le soleil, si d’aventure je m’oriente, c’est parfaitement fortuit. Je me contenterai donc de me diriger là où mon intuition me guide, à défaut de bon sens. Et j’éviterai de prononcer le pléonasme, certes vieilli, mais quand même, qui consiste à s’orienter vers l’est.

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10 septembre 2011

Promenade dans le parc (PHIL)

Nous aimons bien nous promener dans le parc, Elle et moi. Notamment en septembre, quand il fait beau, comme en ce moment. La lumière y est si tendre. Les parfums y sont si suaves. Parce que vous ne savez peut-être pas, mais dans l’ombre des grands chênes, les champignons poussent à foison. On y trouve des coulemelles, des rosés. Et des cèpes, bien sûr. On rencontre aussi, hélas, la lépiote brune et le cortinaire, ainsi que toutes sortes d’amanites plus ou moins expéditives. Alors vous comprendrez que nous préférons nous y balader sans le gamin. Il est d’une telle curiosité maladive, celui-là. Ah ! Il ne dit pas grand-chose, du moins pas grand-chose d’intelligible, mais il a la main leste. Quasiment kleptomane. Et il teste. Il goûte.

Il goûte à tout, en fait.

C’est pas compliqué, il suffit d’examiner ses vêtements, et on sait tout de suite ce qu’il a mangé à la cantine. Même si on lui fournit des serviettes larges comme des housses de couette.

Nous entrons dans le bâtiment. Elle me serre la main. C’est l’émotion. C’est chaque fois la même chose. Quelle va être la constellation du jour, murmuré-je, atterré à l’avance ? J’avoue que j’ai du mal à m’y faire. Toutes y sont passées. Les constellations, je veux dire. Les connues comme les confidentielles. Il a même plaisir à en inventer des bizarres et non répertoriées. Comme ce « petit cheval » de taches claires sur fond de t-shirt noir. Ah ben oui, ils avaient mangé de la blanquette. Et puis cet « oiseau indien », tout chamarré de zébrures rougeâtres. Ils avaient eu de la ratatouille, paraît-il. Quant à la « carène de navire », d’un magnifique noir d’encre sur fond jaune… ah ben non, normalement ce n’est pas un truc qu’il avait bouffé. Encore que. En tous cas, c’est le jour où ça fleurait bon le goudron chaud, dans la cour.

Tiens ben c’est vrai, pensé-je, on n’a pas pensé à regarder s’il en avait sur les dents, ce jour-là. Du goudron. En tous cas, ce n’est apparemment pas mortel. Pas comme les cortinaires. Tiens, j’en ai repéré tout à l’heure. Pas bien loin d’un gisement de magnifiques bolets bais. Nous irons ramasser les bolets après la visite, j’ai mon couteau suisse et un sac en plastique dans la poche de ma veste. Je suis prévoyant, je sais que le parc de l’hosto regorge de ressources. Depuis le temps que nous y venons. Quand je pense que le gamin a maintenant trente-trois ans.

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03 septembre 2011

Chez le coiffeur (PHIL)

 

Gamin, je faisais des cauchemars. Rien là de très original, n’est-ce pas. Quel enfant ne s’est pas réveillé en sursaut au milieu de la nuit, hagard et dégoulinant de sueur ? Moi je rêvais de murs. J’étais prisonnier de murs immenses disposés en labyrinthe, une image que j’avais dû voir dans un quelconque comics chez le coiffeur. Des murs d’une hauteur inimaginable. Ces murs infranchissables étaient faits de brique, comme la plupart des murs des zones industrielles de par ici, à l’époque. Et sur ces constructions vertigineuses dont on ignorait la finalité exacte, à part celle de m’effrayer, étaient collés quantités d’affiches à moitié lacérées, comme s’il s’était agi de murs parfaitement banals ; on y trouvait l’inévitable réclame pour la brillantine, le programme du prochain festival du rire à Bobino, des affiches électorales, même. Ah oui, on était en campagne ; et votez De Gaulle, votez Mitterrand, votez Lecanuet. Même Tixier-Vignancour y était, c’est dire qu’il y avait bien de quoi avoir des cauchemars.

Je sais d’où ça venait, cette histoire de murailles : de chez le coiffeur, justement. J’y allais avec mon père, le samedi après-midi. Le coiffeur habitait un pavillon banal, en meulière comme le nôtre. Nous nous y rendions à pied par un dédale de rues plus ou moins identiques et aux trottoirs défoncés. C’était presque pareil que chez nous, sauf qu’à la place de la salle à manger, il y avait le salon du coiffeur, avec ses étagères couvertes de lotions, son grand fauteuil de moleskine rouge (le siège de la torture) et surtout, surtout, une pile quasiment inépuisable d’illustrés dont je me délectais avidement à chaque visite.

Quand venait mon tour, je m’asseyais vaguement tremblant sur le fauteuil rouge, tandis que le coiffeur déclarait invariablement qu’il allait me tailler les oreilles en pointe. Et déjà je me voyais métamorphosé en P’tit Loup (je lisais le journal de Mickey). Et le bonhomme d’éclater d’un rire sonore tout en affûtant ses armes. Quant à moi, je souriais. Jaune. Je vais te raser le crâne, déclarait-il alors. Il n’en était évidemment pas question, mais je me renseignais néanmoins pour savoir à quoi ça servirait. Et il répondait qu’ainsi mes cheveux repousseraient plus forts ensuite, c’est comme le gazon qu’on tond pour qu’il soit plus beau. Bien.

Pendant que mon père se faisait coiffer, je replongeais illico dans les bandes dessinées. J’hésitais entre le Surfer d’Argent et Piko (nom français de Woody Woodpecker, souvenez-vous). Ou les chiens Bop et Be-Bop. Il y avait le choix. Je me souviens d’une histoire dans laquelle un méchant, allez savoir s’il s’agissait d’un Rapetou ou de Pat Hibulaire, je ne me souviens plus, c’est vieux, s’enfuyait courageusement en rasant les murs.

En rasant les murs, bon sang : c’était écrit en toutes lettres dans le livre. Vous comprenez maintenant le pourquoi du comment de mon satané cauchemar. On rasait les murs et ils allaient repousser plus forts, plus hauts, jusqu’au ciel, et m’emprisonner pour toujours.

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28 mai 2011

Le goéland (PHIL)

 

On ne s’est pas rendu compte tout de suite que le disque était rayé. C’est parce qu’on était occupé à tirer sur le joint et à faire mine de planer. Et puis aussi, c’est parce que Jeanjean écrivait et que moi j’étais occupé à lire les élucubrations incompréhensibles de William Burroughs. Cette littérature-ci était à la mode, mais ça ne me plaisait pas trop. Je préférais m’en tenir à Kerouac. Ça me plaisait bien d’être sur la route, je m’y sentais bien.

Pour en revenir à la galette de vinyle rayée, c’était un disque de Ravi Shankar, une musique assez lancinante pour donner le change quand la tête de lecture de l’électrophone se prend les pieds dans le tapis. Jeanjean a quand même fini par se rendre compte que son disque était bousillé alors il a relevé le bras du tourne disque assez brutalement, ce qui fait qu’on a entendu une espèce de raclement fatal, et ceci explique cela, n’est-ce pas. Quand on n’est pas soigneux, voilà ce qui arrive. Personnellement, je n’étais pas trop désolé pour Ravi Shankar, mais Jeanjean était dans une période baba, envisageant vaguement d’aller faire un tour du côté du Népal, et moi je lui souhaitais bon vent, si on peut dire, n’ayant que peu de goût pour l’exotisme bariolé. Je lui avais quand même fait remarquer que Shankar n’était pas népalais.

Après avoir remisé le roi du sitar dans sa pochette, il a ajouté quelques mots à sa prose avant de me dire, écoute ça, et il s’est mis à me lire sa production, qui n’était pas mal ficelée, même si ça n’était qu’un début et qu’on restait sur sa faim. Il y avait là l’histoire assez banale et naturelle d’un garçon qui s’immisce dans une fille, et Jeanjean y avait ajouté une trouvaille assez saugrenue quant au vacarme produit par les poils des protagonistes qui s’entrechoquent. J’étais bizarrement émerveillé par ce trait d’esprit, quoi qu’un peu jaloux aussi, parce que c’était moi l’écrivain, là-dedans, bon sang de bonsoir.

Jeanjean a fait mine de vouloir mettre un autre disque, c’était Bob Marley, alors je me suis écrié qu’on n’allait pas faire le tour du monde, merde, même si comme dit le poète, « qu’est-ce qu’on peut voyager, dans une petite carrée », tsoin, tsoin, tsoin.

J’ai dit, et si on faisait un voyage, plutôt ? Un vrai voyage ?

Jeanjean m’a pris au mot, il a entassé des trucs dans une sacoche de l’armée, on est passé chez moi pour prendre la tente et les duvets, et mes trucs à moi dans une autre sacoche de l’armée (décorée d’une croix languedocienne au feutre indélébile, j’étais dans ma période occitane). On a dit au revoir à nos mères respectives. J’ai pris place au volant de ma vieille 4L à trois vitesses, et nous avons mis le cap sur l’ouest. Tu parles d’un voyage, disait Jeanjean, la mer est à même pas deux cent bornes, et après, y a rien (il faisait abstraction de l’Amérique et même de l’Angleterre).

 

On a planté la guitoune à côté d’une chapelle, face à la mer. Et puis on est allé faire un tour sur la falaise. J’ai toujours été fasciné par les falaises d’Etretat, elles sont vachement impressionnantes. Evidemment, pour être fasciné, il faut les avoir vues de ses yeux vu au moins une fois.

Jeanjean a fouillé dans sa sacoche et en a sorti une boîte d’allumettes, et dans la boîte je voyais des petits grains noirâtres qui ressemblaient à des cachous. C’est de l’acide, a dit Jeanjean. Et sans se poser trop de questions, on a gobé les cachous.

Du haut des falaises, nous nous abîmions dans un paysage irréel, je voyais jaillir des rayons d'un vert cru à l'horizon, les rayons du soleil à travers de gros nuages annonciateurs de pluie, mais qui s'en souciait, lentement du rouge puis du pourpre ensanglantaient l'espace, on se serait cru dans un tableau expressionniste, sauf qu'à ce moment là, je n’avais encore jamais entendu parler d'expressionnisme ni même d'impressionnisme, j’étais encore en friche de ce côté, je voyais le paysage vibrer comme s’il avait été peint sur de la tôle, kitsch en diable, et il y avait plein de goélands qui planaient autour de nous et qui venaient nous narguer tout près.

Alors Jeanjean s’approchait du bord, il me flanquait les flubes, mon ami, il disait regarde, je suis une mouette je suis un goéland je vais voler planer sur l'eau rejoindre l'horizon

cet horizon que je voyais métallique clinquant pas vrai merdique

kitsch

fais pas le con mon ami, t'es pas un GOELAND

reste avec nous

me laisse pas tout seul

(me débarrasser de ces miasmes acides ces rideaux artificiels et multicolores dans lesquels je m’étais empêtré, je sentais bien confusément que ce voyage était un bad trip)

longtemps après, ou pas longtemps après, je ne savais plus, difficile de savoir, je m’étais absenté, j’avais un trou noir en moi, après toutes ces couleurs, tous ces flashes,

j’entendais un cri bizarre, un long hurlement ou ululement, un cri qui me terrifiait en tous cas

j’étais planté là au bord de cette falaise, Jeanjean n’était plus là, j’étais seul sur la falaise, assis dans l’herbe rase, et un goéland était tout près, qui me regardait de son petit œil cruel,

j’étais seul,

j’étais seul,

j’étais seul,

j’étais terrifié,

et putain, j’ai toujours détesté les goélands.

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07 mai 2011

Orchidées (PHIL)

 
La nuit. Sur le plafond de la chambre, en chiffres rouges, l’heure. 3h36.
La nuit. Éveillé je suis.
Elle dort peut-être. J’entends le bruit régulier de sa respiration. Elle est calme. Si elle ne dort pas elle n’en laisse rien savoir.
Éveillé je reste. Et calme. Je ne tente rien. Elle m’émeut pourtant. Comme toujours.
Dehors un chien aboie.
Dehors une chouette ulule. Tiens, une chouette, me dis-je. Et je pense que les défis du samedi, la consigne de la semaine, la chouette, la joie, le jeu des mots, le détournement. Je ne sais pas si je pourrai écrire. Si matériellement je trouverai le temps.
Et pourquoi non ?
Il suffit d’un clavier et d’une page blanche dans un traitement de textes. Il suffit de quelques minutes.

Je repense à notre dernière promenade dans la campagne.

Nous marchions sur un chemin empierré, en lisière d’un plateau calcaire où autrefois avaient pait les troupeaux d’ovins.
L’herbe sèche, la pierre affleurant, le printemps aux mille couleurs.
Et nos yeux. Attirés soudain comme par des aimants.
Chouette, s’écriait-elle. Des orchidées.
Et l’instant suivant, nous étions affalés dans l’herbe, braquant nos objectifs sur les frêles fleurs aux allures d’insectes. Emmagasinant de la beauté dans les boîtiers. Rêvant déjà de notre possible fierté à la vue du résultat.

Ophrys mouche ou abeille. Ou bécasse. Il y a donc des orchidées-oiseau.
Des orchidées-chouette ? Je n’en ai aucune idée. Il faudra que je me renseigne, que je me documente.

La nuit, l’heure rouge inscrite au plafond, et dehors le hululement d’une chouette. La vie qui va, inexorable. Je souris de satisfaction à l’écoute de ce cri.
Chouette une chouette !

Chouette ?
Pas si sûr.
J’ai oublié de fermer la porte de la grange où nous rangeons nos voitures. Et la chouette qui ulule si gaiement la nuit. Les stigmates de son passage. Des pelotes de réjection. Quelque campagnol téméraire aura péri. Et mon pare-brise complètement souillé d’une fiente blanchâtre, comme si j’avais le temps de m’occuper de ça ce matin, déjà que je marche au radar à cause de l’insomnie. Pas de chance.

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30 avril 2011

L'homme à la tuile (PHIL)


Dehors il y a un homme. Dans la cour. Je veux dire, parmi les personnages étranges qui vaquent dans la cour, il n’y a qu’un homme.
Les femmes tournent. Inlassablement. On les croirait sur un manège de fête foraine. Un qui n’irait pas vite du tout.
On n’entend aucun flonflon.
On ne sent pas la barbe à papa. Ni la pomme d’api.

Ça sent plutôt la pharmacie. Et un vague relent de soupe.

L’homme de la cour travaille. Il déménage.
Je suis presque sûr de ça. Il déménage.
J’essaie de me mettre dans sa tête.

Mais justement. M’objecte-t-on. Ils n’ont plus leur tête, les gens qui sont dans la cour.
Ils déménagent.
C’est pour ça qu’ils sont dans une cour dont on ne peut pas sortir.

Je pense que la promenade des femmes en manège lent agace l’homme. Lui, il n’a pas le temps de s’amuser. Il a du travail. Il doit déménager.
Je le vois qui s’essuie le front. Il doit être luisant de sueur. C’est que son cageot est lourd. Enfin je suppose.

Par la fenêtre de la chambre j’observe l’homme dans la cour. C’est une chambre quelconque d’un hôpital quelconque. Avec une fenêtre quelconque. En alu quand même. Cette chambre n’a rien à voir avec la cour dont on ne peut sortir. Ni avec les gens qui sont dedans. Mais de là on peut les voir. Les observer. Comme cet homme qui travaille.

L’homme porte un chapeau.
L’homme travaille. Travaille-t-il du chapeau ? Mais non. Il déménage, on vous dit.
L’homme s’empare du cageot. C’est son cageot. Que personne ne s’avise d’y toucher. Ça n’irait pas. Que pourrait-il bien déménager, sinon ?
Il se déplace d’un mètre (environ). Très lentement. Précautionneusement. Peinant sous le poids de son fardeau. Ce n’est pas une sinécure, un déménagement.
Un mètre plus loin, donc, il dépose sa charge. Il remonte un peu son chapeau. Il s’essuie le front. Il contemple son œuvre. Fier du travail accompli.
L’homme se baisse. Il prend ce que contient le cageot. D’ici on dirait bien une tuile. Une courbe dont sont couvertes les vieilles maisons de par ici. Une tuile. Pas de chance. L’homme semble désemparé, soudain. Que faire de cette tuile ? La reposer dans le cageot ? Mais ce ne serait pas du boulot. Pas comme ça qu’on déménage, non mais.
L’homme s’aventure prudemment dans la cour, sa tuile à la main, prenant le risque d’entraver le manège lent des bonnes femmes. L’homme est prudent et circonspect. Il n’y a pas d’accident. Ouf.

Ouf ? Du verlan ? Allons, pas de galéjades. Ne nous moquons pas d’un homme qui travaille. Même s’il porte un chapeau.

L’homme se déplace de quelques pas. Dans l’autre sens. Une fois encore il ne percute aucune des femmes qui tournent. C’est un homme précis. Amoureux du travail bien fait. D’ailleurs voilà. Il aperçoit un cageot. Son cageot. Posé au pied d’un mur gorgé de soleil. J’imagine déjà le sourire sur son visage, lorsqu’enfin il peut déposer sa tuile quelque part, et pourquoi pas dans le cageot. Sans rien casser. Un travail d’orfèvre. Précis.

L’homme s’essuie le front une fois de plus. Puis il se saisit du cageot lesté de la tuile, il se déplace d’un mètre environ et dépose le cageot au pied du mur.
Il se redresse. Il contemple son œuvre. Satisfait.
C’est un homme qui travaille. Il déménage.

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