Quadrille (petitmoulin)
Des mots bien lavés
Dansent un quadrille
Au seuil de la pensée
Ceux figés
Dans le carcan
De leur habit
Du dimanche
Ceux qui lèvent à peine
Leur jupon
Et laissent au mystère
Son mystère
Des mots inconnus
Les pieds liés
Aux racines
D'une autre danse
Tremblent au bord des lèvres
Et loin
Très loin
Des mots enfouis
Dans leur nudité
Avancent pas à pas
Et entrent par surprise
Des mots
Qui se taisent
Et sommeillent
Sur la magie
Du silence
Personne pour entendre (petitmoulin)
Trois pistaches dans une main
Une poignée de ta terre
Dans l'autre
Un pied sur ton ombre
Un cri dans les yeux
Personne pour entendre
Tu danses
D'un bout à l'autre de ta solitude
Tu déshabilles ta mélancolie
Et tu chantes
Personne pour entendre
Tu martèles chaque heure
De la nuit
Tu frappes au volet clos
Du petit matin
Personne pour entendre
Tu cherches un visage
Qui t'offrirait
Un regard Un mot Un rire
Et des larmes pour laver
La grimace du monde
Trois pistaches
Et une poignée de ta terre
Ordalie (petitmoulin)
Il m'importe peu que l'ordalie
Me promette aux Enfers
Je plaide coupable
Oui j'ai volé plus d'un rêve
Dans la besace
Du firmament
Pour habiller mes insomnies
Oui j'ai couvert mes yeux
De lâche brume
Quand les jours trop rugueux
Perdaient pied
Oui j'ai brûlé la page blanche
Quand les mots
Tournaient le dos
À l'impatience
Du vide
Oui j'ai brisé le sablier
Des souvenirs
Quand il nourrissait le regret
Et brutalisait le présent
Jusqu'à la dernière lampe
Il m'importe peu que l'ordalie
Me promette aux Enfers
Debout face au vertige
J'essaie de ne pas tomber
Un geste à l'endroit
Un geste à l'envers
Saisons (petitmoulin)
Au matin d'un avril
Elle avait écouté l'oiseau
Ouvrir un jour nouveau
Comme on ouvre une promesse
Dans le rire
D'un enfant
Au midi d'un été
Elle avait regardé le ciel
Embraser l'espace
Tout l'espace
Comme le désir
Sur la peau
Des amants
Entre les blés
Et le premier verglas
Elle avait défié
La tyrannie de l'évidence
En buvant jusqu'à l'ivresse
Le sucre des dernières
Vendanges
Au minuit du jardin
Quand le regard tremble
D'effroi
Elle a reconnu
Une improbable noctuelle
Sur l'arbre nu
Comme on reconnaît
La mort
Sur le drap blanc
Des ténèbres
Concerto (petitmoulin)
Concerto pour main
blessée
dans les méandres
de l'exil
Partition inachevée
compte les notes
et les possibles ciels
au cœur battant
Main de silence
ramasse un mot
qui ne dit rien
Derrière l'ombre
de la parole
perdue en mer
le jour a l'aile cassée
Entre les murs
de l'incertain
l'abri est rare
et le sommeil a des épines
dans les yeux
Concerto pour main
de solitude
dans les méandres
de l'exil
Concerto pour mains
tendues
à mains égales
Vampire (petitmoulin)
Elle n'avait peur de rien
Ni de l'araignée
au plafond
Ni du serpent
sous le pommier
Ni des grenouilles
de bénitier
Ni du loup
quand elle se rendait
chez mère-grand
Ni du rat des villes
Ni du rat des champs
Ni du corbeau
Ni du renard
Ni du fromage
Ni de la vache enragée
Ni du chien
qui ne fait pas des chats
quand la caravane passe
Ni de l'enfer
c'est les autres
pavés de bonnes intentions
Ni de la mort à crédit
qui se paye cash
Elle n'avait peur de rien
Quand l'ombre du vampire
surgit
des contours de la nuit
Elle n'eut pas le temps
d'avoir peur
Uchronie (petitmoulin)
Lâché par son précieux soutien, lui même en proie à la colère d'un peuple
qui pleure ses enfants, là-bas morts à la guerre,
lâché, le Général Pi s'exila, abandonnant son armée en déroute.
Vous étiez des milliers
Promis à la torture
Promis à la mort
Dans cette prison
À ciel ouvert
Les militaires déposèrent les armes, fuyant vers leurs tanières de ronces.
Ton chant se lève
Comme une étoile
Dans votre nuit noire
La voix déverrouillée
De tes compagnons
Jaillit
Triomphale
Tant d’années que ton chant
Nous caresse
Nous griffe
Nous prend par la main
Ta voix est plus fragile
Tes doigts moins habiles
À pincer la guitare
Ce matin tu pleures
Sur le monde
Ton chant voudrait poser
Une étoile
Dans la nuit noire
Demain, quelle uchronie s'écrira sur le bruit des armes d'aujourd'hui ?
Victor Jara
Le thaumaturge (petitmoulin)
La nuit cède à la ruse
D'un rêve échappé
Du lit froissé
Les gonds du jour
Grincent
On devine son premier pas
Sur la brume
Il se penche au-dessus
Du jardin
Soufflant sur les dernières
Poussières de l'ombre
Chaque réveil est un miracle
L'air prend plus de place
L'oiseau y risque son chant
Sans savoir
Si on l'écoute
Ce matin-là
C'est peut-être lui
Le thaumaturge
Schibboleth (petitmoulin)
Toi qui pleures sur ton ombre
Et accroches un souvenir
Au tremblement de tes mains
Pour quand il n'en restera plus
Connais-tu KakKaRente
Toi qui regardes tes enfants
En baissant les yeux
Parce que ta chemise
Sent la sueur ancienne
Et l'impayé
Et qui cent fois
Traversas la rue
N'y trouvant que le poids
Lourd
De l'amertume
Dans le cloaque de la spéculation
Connais-tu KakKaRente
KakKaRente
C'est le Schibboleth
Qui ouvre les portes
D'un monde
Qui vous est inconnu
Un empire où résonnent
Les trompettes du profit
Le grand orchestre des finances
Un monde qui vous est inconnu
Et se nourrit
De votre assiette
Vide
Tel un robot (petitmoulin)
Tel un robot
tu gravis sans cesse
les marches vers l'absurde
Te retourner
ouvrirait le grand vide
Ta frayeur
Ton fardeau
Fils du vent
tu trébuches sur la conquête
illusoire
Enchaîné au vertige
de l'éphémère
tu oublies de goûter
l'éclat fragile
Tu oublies de caresser
les courbes du silence
Solitaire épuisé
la bouche sèche
comme source tarie
Le désordre des gestes
signe le dernier soubresaut
Invincible Thanatos