Il y a des femmes qu’on jette, comme ça, qu’on crache comme une boule de chewing-gum qu’on a gardée trop longtemps dans la bouche. Elle ne fait plus de bulle, elle énerve à force d’être mâchée, elle n’a plus de goût, elle colle aux dents, elle encombre ; elle a perdu sa texture, elle se désagrège en une pâte granuleuse jusqu’à nous donner l’impression désagréable de mâchouiller le papier du chewing-gum. Alors, tel un vieux collégien boutonneux, comme une crotte de nez pêchée par inadvertance, on la roule entre les doigts, on tente de la faire disparaître, de la scotcher sous une chaise, de la planter dans une cible, de la balancer, ou n’importe quoi qui puisse officialiser sa partance, d’une pichenette, le plus loin possible…
Que sont devenus les rendez-vous secrets, les premiers accords parfaits, les tendres baisers échangés au goût chlorophylle, framboise, menthe ou citron ? Que sont devenus les échanges connivents, les entrelacements malicieux de nos bulles de salive en grappes congénères ? Où sont les frissons réciproques aux parfums du large, aux senteurs de vacances, aux nébuleuses découvertes au bout de nos doigts et portant forcément nos plus belles illusions ?... Et le goût du pin ? L’appel de la forêt ! Celui des Landes, des Vosges, d’IKEA ! Qu’importe, pourvu que ce soit dans ses bras ! Allongés dans les fougères, découvrir nos mystères sous la lune émancipatrice, réinventer le monde, compter les étoiles dans les yeux de l’autre, apprendre la cadence de l’unisson, déchiffrer ses caprices, devenir son fervent apôtre, caresser la nuit, enlacer ses gerbes de sourires, embrasser sa moisson, répandre les petits cailloux dans sa poche pour retrouver le même chemin d’harmonie…
Et ton visage qui rougissait au doux parfum de cerise ; ma promise, mon exquise, accordé à ton féminin pluriel, j’avais des questionnements existentiels. Et le printemps qui n’en finissait pas, et ces petits oiseaux hâbleurs qui nichaient et chantaient, tout autour, comme pour apprendre à nos cœurs la mélodie ; et les dernières étoiles au firmament, et les premiers rayons de soleil, en échange, qui surprenaient nos enchevêtrements.
À l’envers, à l’endroit, sous la langue, au fond de la gorge, c’était un inestimable cocktail de fruits ; mes yeux piquaient, mes papilles t’applaudissaient ! Mes bulles portaient ton prénom et quand elles éclataient, elles ne parlaient que de toi. Et, main dans la main, les chansons de Dylan qu’on reprenait en chœur, le long du chemin. « I Want you »
Et tes yeux verts plus coquins que mentholés, et la rivière où nous trempions nos pieds, et nos reflets frissonnants sur l’onde, et les couleurs malignes de tes sourires qui se délayaient en inestimables joyaux, et la blondeur des champs de blé, et… et tout ça…
Nos présents imparfaits, notre futur plus que parfait, tellement conditionnel, toi, avec tes idées d’Hollywood, tes gratte-ciel, la « Venice Beach » et tes senteurs « Fresh », moi, trop Malabar, trop Carambar, tout en t’aimant, j’apprenais lentement à te désapprendre.
Et mes inventions, et tes prémonitions, et mes débordements, et tes exhortations, et ma passion qui s’effilochait, et ma compagnie qui t’incommodait, et les nuits sans audace, et ces nuits aux couvertures carapace, et ces jours sans tentation, et ces jours sans démonstration ; et ton petit chien jaloux et féroce, et tes parents omniprésents, et toujours ton dernier mot, et la pluie de mes défauts sur les carreaux de ton indifférence ; j’avais perdu le désir de ton carrosse…
Ma belle, où étaient cachés ton goût de fraise, tes sourires sans colorant, ton parfum tropical aux essences de cannelle ? Blancheur, blancheur, mon c… ! Sans te retourner, tu es partie avec un dénommé Menthos ; il avait une piaule, je ne sais plus où, peut-être dans le Calvados…
Il y a des femmes qui nous jettent, comme ça, comme un vieux chewing-gum qu’elles ont gardé trop longtemps dans la bouche. On ne fait plus de bulles, on énerve à force d’être mâché, on n’a plus de goût, on colle aux dents, on encombre ; on a perdu notre texture, on se désagrège en une pâte granuleuse, jusqu’à leur donner l’impression désagréable de mâchouiller le papier du chewing-gum…