BALADE PRINTANIERE (Lorraine)
Si tu veux, nous irons jusqu’au Moulin à eau
Au tournant du chemin, le long de la Woluwe
Et nous écouterons le chant du damoiseau
Qui jadis s’y noya, trahi et amoureux
Le sentier tout creusé de roues imaginaires
Semble nous inviter en ce printemps frileux,
A revivre un instant le drame légendaire.
Ne nous attardons pas. C’est dommage, il pleut !
Un parfum de rosée inattendu me grise
Le lac tout étoilé de gouttes murmurantes
Se mire dans le ciel. Là, tout près de l’église,
Un vieil estaminet nous fait signe. On entre ?...
PHENOMENE ETRANGE (Lorraine)
- Si c’était une porte, j’entrerais sans frapper. Je franchirais son gigantisme pour savoir ce qu’elle cache, construit ou ce qu’elle détruit à grands coups de paillettes et d’illusions, de fêtes et de beuveries, de cortèges et de mascarades, pour oublier l’angoisse et la misère, l’errance et le désespoir de ce monde.
- Si c’était un bateau, j’embarquerais comme tout le monde en un voyage dont je ne verrais pas la fin…
Mais ce n’est qu’une image qui ne me parle pas. Et - c’est dommage pour la consigne- je n’ai rien à en dire !
Participation de Lorraine
POUSSIERE…
La ruelle grimpait hardiment vers le ciel
Etroite, tortueuse et remplie de silence
Au sommet, la lumière, étroit rayon de miel,
Miroitait de soleil et parlait de vacances
Les ruelles ont parfois des rêves de noblesse
Ni les murs écaillés, ni les pavés disjoints,
Les rigoles bouchées, les trottoirs en détresse
N’empêchent l’éclosion de l’espoir en pourpoint.
Sur le mur, un matin, s’inscrivit un poème
Le passant étonné, les habitants surpris,
Lurent ces quelques mots légers comme un « je t’aime » (1)
La lumière dansa dans la rue de Nancy.
LORRAINE
(1) – « Observer la poussière qui danse dans la lumière »
LE NAVIRE (Lorraine)
Le navire somnole dans le crépuscule ; demain c’est son dernier voyage. Cesseront enfin les hasards du départ, le remue-ménage des hommes dont la fougue le fatigue si souvent, les musiques éclaboussant la nuit, les rires ou les pleurs qui depuis longtemps l’indiffèrent.
Il pourra retourner à ses rêves. Des rêves fous de pirogues balancées par les vagues, de galères primitives mais déjà efficaces ou de bateaux viking aux figures de proue sculpturales. Mais son rêve le plus beau, celui qui le berce comme la vague légère du soir tombant, c’est la jonque chinoise, petite, irrésistiblement évocatrice des chaudes soirées , des fines silhouettes en kimonos de soie, d’ombrelles et de paravents ouvragés qui dessinent un monde qu’il aime évoquer, quand la fatigue le terrasse.
Il est blasé des voyages, il a tout vu, il est temps pour lui d’arrêter le temps. Et de poursuivre, immobile, ce songe qui le poursuit : un soleil déclinant dans un ciel aux chaudes odeurs d’épices, et une jonque aux lampions allumés, bercée par l’étrange chanson d’un musicien invisible.
LE MOULIN (Lorraine)
Un moulin pensif
Sent battre ses ailes
De moulin à vent
Et dormir son flanc
Il a des béquilles
Personne n’entend
Sa douleur tranquille
Et son cœur se fend
Au milieu des champs
Il est mort debout
On vient l’admirer
D’un regard furtif
Dehors il fait doux
CHAPEAU ! (Lorraine)
J’ai vu tantôt un de ces chapeaux chers au poète Paul Géraldy (1885 – 1983) qui, en connaisseur, les qualifiait de « grands chapeaux qui font les yeux plus noirs, les joues plus roses et qui cachent si bien les fronts ! ».
Il avait, celui-là, des allures de bonze, un air si comiquement incliné et dévot à la fois qu’en sa vitrine il évoquait à lui tout seul l’antique Chine. Le voyez-vous, mauve et noir, mystérieux, parfumé, guettant la femme aux blonds cheveux , la petite tête qui lui prêtera sa vie, ses secrets, ses rendez-vous ?
Qui coiffera-t-il de son ombre arrondie en coupe, à quel visage donnera-t-il un teint alangui et des lèvres tendres ? Il parera celle pour qui il est né ; on le verra au vernissage, il prendra le thé, s’attardera dans les salons, acceptera discrètement une invitation galante et s’ennuiera le lendemain, de 2 à 5 heures sur le guéridon d’une antichambre. Et il oubliera les mots d’amour, tout bonnement, parce qu’il n’est qu’un petit chapeau frivole, sans plus.
Ce temps-là s’est envolé, même si les chapeaux font quelquefois une offensive qui a son petit succès une saison. Puis ils retournent, penauds, dans leur armoire, où on les oublie définitivement.
COULEURS EN FÊTE (Lorraine)
« Et si je repeignais le jardin ? » s’est dit le printemps en ouvrant un œil « Il fait beau, j’ai une provision de pots de couleurs, je peux tout inventer. Le monde est à moi !
Je l’entendais soliloquer en haut du sapin d’où il surplombe la rivière, la piste des chevaux, la ceinture serrée des sapins qui ceinturent la plaine et mon jardin à moi aux lavandes encore endormies, aux rosiers immobiles, aux parterres chiches en ces Famennes frileuses de mars. Il fit un bond souple et atterrit devant moi ; c’était un petit prince en juste-au-corps bigarré, blond comme un ange ; il tenait une palette et un pinceau. Il me salua d’une révérence , se pencha devant ma porte où pointaient depuis hier cinq tulipes dont j’avais enfoui les bulbes sans beaucoup d’espoir, souffla élégamment sur la feuille hésitante qui pointait le bout du nez, et j’eus, je vous le jure, cinq fleurs diaprées, une rouge, une mauve, deux blanches et une bleue. J’allais lui demander s’il donnerait un coup de pinceau aux lavandes, quand il les fit mauves dans le soleil, pointues et fournies, prêtes à me séduire.
- Seigneur, dis-je, impressionnée par sa dextérité, jetez un peu de votre poudre magique sur mes rosiers, je les aime tant ».
Il devait être taquin, car il lança une pincée de lumière et mes roses roses devinrent rouges, d’un bel incarnat, boutons prêts à éclore.
- Je vous les offre pour mon anniversaire , chuchota-t-il. Le 21 mars, vous serez comblée .
Je sentis en moi une paix heureuse ; avoir le printemps comme peintre, c’est une assurance de bonheur. Il sait que j’ébouriffe volontiers les pétales drus, que j’aime la floraison et l’abondance, et il me glissa dans les jardinières des pétunias et d’autres corolles multicolores, tandis que je retenais mon souffle et que le soleil, amical, jetait un de ses rayons sur la prairie d’un vert plein de sève, qui miroita un instant sous l’abondance des boutons d’or.
Le petit prince Printemps m’envoya un baiser. Puis il s’envola tel Peter Pan et disparut derrière une nuée en forme de nacelle. Je n’ai pas résisté à vous le raconter…
LUNE ETERNELLE (Lorraine)
Blanche
Infiniment muette
La lune
Dessine un anneau d’or
Sur l’herbe où le pommier dort
Ronde
Et comme piétinée
La lune
Se voile de pénombre
Pour mieux examiner le monde
Croissant
Superbement lointain
La lune
Et son profil d’argent
Ecoutent hurler le loup blanc
Absente
Derrière les nuées
La lune
Sans remords espionne
Les humains que la mort bâillonne
Et qui s’envolent en fumée
LE LIVRE RETROUVE (Lorraine)
Il est là, serré entre mes mains, Je l’ai retrouvé, ce livre perdu , ce bonheur palpable égaré lors d’un déménagement. Certes, j’aurais pu le remplacer, aller simplement à la librairie du Midi. Mas je n’ai pas voulu.
Un livre, c’est aussi le premier émoi de la première page. Et toutes les émotions qui se pressent au fil de la lecture, se bousculent un peu, sourient, pleurent quelquefois. Des émotions attachées pour toujours à notre imaginaire, qui complète si bien les non-dits de l’auteur ; on pressent, on devine, on découvre, on aime. Neuf, le livre me semblerait une redite, une copie sur papier glacé.
Je l’ai retrouvé ! Il s’était blotti dans le dossier d’un vieux fauteuil, celui où j’aimais lire, et qui trouva sa place au grenier.
J’y suis montée tantôt et m’y suis assise. Ma main a effleuré les coussins, s’est machinalement glissée sous le dossier…
Je l’ai retrouvé. Edité en 1904 « Le Visage émerveillé » de la comtesse Anna de Noailles fait soudain rejaillir la magie. L’instant est parfait. Et je suis, faut-il le dire, moi aussi, « émerveillée ».
INSPIRATION (Lorraine)
Quelquefois, la vie semble dépeuplée. Les jours ressemblent à des branches d’arbre mort. Il n’arrive rien. On est frileux. On prend un livre…
Et soudain, comme éclate un feu d’artifice, l’aventure est là, haletante, inattendue. Le soir tombe, on allume la lampe près du divan, le feu de bois pétille. On est bien..
II suffit parfois d’un simple geste pour suspendre des étoiles à l’arbre desséché de solitude. Et vivre des moments ineffables…